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Titre : L'Univers. Océanie ou Cinquième partie du monde : revue géographique et ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de la Mélanésie.... Tome 3 / par M. G.-L. Domeny de Rienzi,...
Auteur : Domeny de Rienzi, Grégoire Louis (1789-1843). Auteur du texte
Éditeur : Firmin-Didot frères (Paris)
Date d'édition : 1836-1838
Sujet : Civilisation -- Océanie
Sujet : Géographie -- Océanie
Sujet : Océanie -- Histoire
Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39203147m
Relation : Titre d'ensemble : L'Univers : histoire et description de tous les peuples
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb303472019
Type : monographie imprimée
Langue : français
Format : 3 vol. (399 p.-84 p. de pl.-[2] p. dépl., 397 p.-167 p. de pl.-[1] p. de dépl., 635 p.-[37] p. de pl.-[1] p. dépl.) : planches, cartes ; 22 cm
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k30788r
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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OCËANIE
<)t! 1
Cf~QUIÈME PARUE DU MOiNDE. REVUE GÉOGRAPHIQUE ET ETHNOGRAPHIQUE DE LA MAI.AISIE, DE LA MtCRONESIE, DE J.A POLYNESIE ET DE LA MELANESJE;
OEKRANT T.ES RF.SUt.TATS DES VOYA&ES ET DES DECOLYERTES DE L'AUTEUR ET UE SKS DEVANCfE)!A[JfSIQU)!Sf.SNOUY)!:t.l.Mfr.ASS;FfCAT[nN<iET1M\[SIONSUECt.SCOf)'r.E):S, PA Il
MR G., L. DOMENY DE KIENZt,
VOYAGEUR EN OCÉANIE, EN OUtHNT,' ETC., ETC., MEMBRE DE 1-LUSIEUftS A.-ADE~ES DE FRANCE ET D'ITALIE, DE L'INSTITUT HtSTOUtQUE, DE LA SOCIÉTÉ DE CÉOCHAPHtE ntt T.A SOCIETE DE STATISTIQUE UNIVERSELLE, DES SOCtETES ASIATIQUES D).: !'AKÎS '.T DE nOMBAY (iNnu), ETf; KTC.
Chcrcbcx la science et la vérité, duesiez-vous lie les tro))v<'f-
qu'à l'extrémité du monde.
Mf)H \M7MEU.
TOME TROtSIÈME.
PARIS,
FtRMIN DIDOT FRÈRES, EDITEURS, IMFftMKUB5-r.tB!<A!RKSnET,'t?rSTHI;'rnEFKAN(t,
Sfi.
t MDCCCXXXVHI.
U.)j,t.
L UNI VER S
HISTOIRE ET DESCRIPTION DE TOUS LES PEUPLES.
OCËANtE,
PAR M. G. L. D. DE RÏENZf,
M)'MBr.P:n)!:I't.T;.s;EURSArADEMt)!T['.
TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, HUT!J~nOB,N''5H.
LUNIVERS, ou u
HISTOIRE ET DESCRIPTION DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COSTUMES, ETC.
CINOUtEMH PARTIE DU MONDE PAR G. L. DOMENY DE RIENZI,
~G'VAG!ÏJ!t. E~ OtTANtE, EN OUIR~T~ KTC., ETC.; MEMBRE DE L'[NSTnUT HISTORIQUE, ~E P!.US:Et;HS Af;AnEMt~S ET SOCIETES SAVANTES DE FRANCE D'ITALIE ET DES tNDES; EFC., ETC.
PRKCtS tUSTOlUQUE Ht; t/ARCHIPEL DE TA'm.
'S~umos est incontestablement le premier découvreur de Taïti. Le 10 février 1606, il fit mouittcr un brigantin dans un de ses ports. Ses compagnons rapportèrent que les indigènes avaient1a peau basanée ;qu'its étaient grands et robustes, armés de lances, de sabres et de casse-tête en bois, et que leurs cases étaient alignées sous des cocotiers au bord de la mer. Après quelques heures de séjour, invités à se rendre à bord, ils refusèrent, et les Espagnols regagnèrent leur cbaioupe a la na~e. Le fait le plus remarquable de leur séjour, c'est qu'ils virent un des chefs dont la tête était couronnée de ptumes noires, et dont la chevelure, a demibouclée et tombant sur ses épautes, était blonde. Il était le seul parmi les insulaires qui offrît cette particularité.
Deux jours après, Quiros mit à la voile, laissant à cette île le nom de ~'c'y:ay:a.
àt'M~'aMOK.(OCKANtE.)T.HT.
Sagittaria ne fut plus revue pendant le long espace de cent soixante ans. Après avoir été sur le point de se perdre sur le banc du Dolphin, Wallis mouilla en juin 1767, dans la baie de Matavaï,on "te premier pavillon qu'on découvrait, dit l'éloquent auteur du Génie du christianisme était celui de la mort qui flotte au-dessus de toutes les félicités humaines. Il paraît qu'il employa trop vite le mousquet contre quelques insulaires indiscrets et turbulents. Aussi, peu de jours après son arrivée, trois cents pirogues chargées de deux mille guerriers s'approchèrent du vaisseau de Wallis, et l'assaillirent d'une grête de pierres. Quand le capitaine anglais vit que les pirogues se trouvaient à portée, il fit feu de toutes ses batteries et balaya en un clin d'oeil l'escadre des sauvages. Quelques pirogues plus audacieuses tentèrent l'abordage par la poulaine; une pièce portée sur l'avant du Do~/MM (c'était le nom du vaisseau monté par Wallis) les fit voler en éclats, et tua un des chefs. Les insulaires demandèrent la paix; mais le lendemain,
1
MOuveUe agression de leur part, nouvelle initraillade de la part des Angtais. Wallis <it détruire toutes les pirogues, celles qui étaient à flot et celles qui se trouvaient à sec, et la terreur cimenta la paix.
Dans son séjour dans t'Me, Wallis visita plusieurs chefs, tout en explorant lepays; mais, dans sa relation, il ne nomme que la princesse Obéréa, dont le vrai nom était Pouria, femme assez bette, d'un maintien agréable, honorée des naturels, et âgée de plus t!a quarante ans, elle habitait une grande case de trois cents pieds de !on~ sur quarante de large et trente de hauteur, soutenue par cinquante et un piliers, et située à une demiiiRue de Matavaï. Il paraît que WaHis joua auprès de cette princesse le rôle d'Énée, bien que sa Didon ne recherchât pas les honneurs du bûcher. Après son départ, il nomma l'île du nom de Georges lit, et en obtint la cession en faveur du roi d'Angleterre si on doit ajouter foi à la gravure de sa relation. En avril 1768, c'est-à-dire un an après, Bougainville en prit possession pour la France. Depuis longtemps on a disposé ainsi des pauvres peuples, sans s'occuper, le moins du monde, ni de leur consentement ni de leurs avantages. Il trouva la reine Obéréa déjà consolée du départ de son inudète, et vivant maritalement avec Tou-Païa, grand prêtre de Taïti, quoiqu'elle fût t'épouse du régent. C'est ce Tou-Païa, originaire de Raïatea, qui mourut à Batavia, au retour d'un vovage de la Nouvette-Zeetandqu'it avait fait abord du vaisseau du capitaine Cook. Nous avons déjà fait connaître l'ancien gouvernement de Taïti sans entrer dans de nouveaux détails, il nous sulfira de dire que l'otin ( l'entant), fils du roi, ayant pris le titre de roi, Obéréa était devenue la reine mère, et le roi O'Ammo, son époux, n'était plus que régent. Deux div'sions de l'île étaient administrées par Toutaha et Lapaï, qui étaient frères, et -la presqu'île de Taïa-Rabou était gouvernée par Wahi-Adoua.
Bougainville eut des relations d'ami-
tié avec Réti, chef du district de Hidia, devant lequel il était mouillé. Il reçut la visite de Toutaha, un des triumvirs de l'île, qui poussa la galanterie, le désintéressement et l'hospitalité, au point de lui offrir une de ses plus jeunes et plus jolies femmes. Ce Toutaha avait plus de six pieds. L'habile et spirituel navigateur appela l'île AbMt~e-C?/t<'fe; mais )e nom indigène de Taïti qu'il fit connaître il l'Europe, prévalut cette fois. Nous avons donné en passant le récit du Taïtien Otourou, frère duchefRéti, qu'il amena à Paris, où il demeura une année, et qui, ayant quitté la capitale, s'embarqua sur le A'n'oM, qui le transporta à l'île de France: de là il devait se rendre dans son île avec le brave capitaine Marion; mais Marion, ayant fait échette au fort Dauphin, établissement francais insalubre de l'île de Madagascar~ Otourou y mourut de la petite vérole, qui fit périr plus tard à Londres l'aimable Péliouien Li-Bou.
En 1769, Cook vint momUer à Matavaï pour observer le passage de Vénus sur le disque du soleil. Les indigènes )e comb)èreut lui et les siens de prévenances et de poiitesses, et ils purent explorer le pays en liberté et avec sécurité. !i eut quelquefois à se plaindre de petits larcins mais il châtia lesvoleursd'une manière si terrible qu'ils se dégoûtèrent du métier. Peu avant le départ du capitaine anglais, deux de ses marins désertent sa frégate. Cook s'empare de la famille royale et de plusieurs chefs en véritable flibustier, et signifie aux indigènes qu'il les gardera comme otages jusqu'à ce qu'on lui ait ramené les deserteurs; ce qui ne tarda pas. Cook les punit avec la sévérité dont il donna si souvent des exemptes, et rendit aussitôt ses otages couronnés. C'est dans ce voyage qu'il prit à son bord l'ex-grand prêtre Toupaïa, dont nous avons déjà parlé.
Cook reçut, avant de quitter cette île, la visite de Téroe, roi d'Eïméo. H visita l'île de Wahine, où il \it le roi Ori, et celle de Raïatea, où le vieux
Pouni, céiebre guerrier de Borabora, reposait sa vieillesse sur ses lauriers. Depuis le départ du navigateur anglais, Toutaha, dévoré d'ambition, soumit )a presqu'île Taïarabou. Mais il survécut peu de temps à son triomphe et laissa la couronne à son fils.
L'Kspagno) Bonechea mouiita à Taïti en 1772 et en 1773 un autre Espagnol, Langara, y laissa un déserteur, devenu plus tard' le favori et le conseiller du jeune Wahi-Adoua II. En avril 1773, Cook retourna à Taïti, et moui))a devant Taïarahou, où il passa huit jours. Il reçut la visite deRéti,ehefdeHidia,quinetui demanda pas seulement des nouvelles de son frère Otourou, le passager de Bougainville. De Taïarabou, !e napitaine anglais reparut à Matava). Là, le roi Otou)u.i fit la réception la plus briuante.Hn'étaitpermisàpersonne, pas!nëmeàsonpèreO'Annno,dese couvrir devant lui, et tous les assistants devaient avoir tecorpsnH depuis la tête jusqu'à la ceinture. Auprès du roi,Cook retrouva Potatou,qu'il avait connu dans sa première relâche, et qui tui témoigna beaucoup d'amitié en toute circonstance. Potatou, avec sà taille gigantesque, semblait dominer toute i'assemb!ée.H joignait la force de Miton de Crotone a la beauté, à la grâce d'Antinous, et sf\n caractère était d'une douceur extrême (*). La taille de sa femme Pota-Tetera était de six pieds. Durant le premier voyage de Cook, elle était devenue la sœur (<o?<a/tMte) de cet intrépide marin. Fière de ce titre, elle fit une visite au capitaine. La sentinelle anglaise voutnt,oi)éissant à sa consigne, t'empêcher d'entrer dans sa chambre; mais ce greuadier femelle prit le soldat à bras-le-corps, le jeta lestement sur )e pont, et courut triomphante embrasser son frère adoptif le capitaine Touté. C'est ainsi que Cook était nommé à Taïti.
L'année suivante, au mois d'avril, (*) Une de ses cuisses égalait en grosseur le corps du matelot le plus robuste.
Cook reparut encore à Matava!.ï)y y vit Réti, qui lui demandait tous les jours des nouvelles de son cher ami .Pot<~ ~er: (Bougainville). U visita le vieux roi Ori a Wahine, et le roi Oré~àRaïatea,oùiHaissasonaimable passager Hidi-Hidi (OEdidée), dont on a dit l'histoire.
Ce fut en 1777 que l'illustre Cook entreprit son troisième voyage à bord de la Découverte, tandis que le capitaine Clerke montait la Resolution. II parut avec les deux vaisseaux de l'expédition devant la presqu'île de Taïarabou, où régnait Wahi-Adoua, frère de Wahi-Adoua II. De Taïarabou, il se rendit à Matavaï en septembre, passa à Eïméo, où régnait Wahine, relâcha à Wahine, que gouvernait Taïri-Taïria, et y débarqua le célèbre Maï, son ami et son protégé, dont on a dit l'histoire.
Dans l'intervalle des voyages du grand navigateur, le:/7 novembre 1774, le capitaine espagnol Domingo Bonechea mouilla avec deux bâtiments a Watou-Tera dans la presqu'île de Taïarabou. H amenait deux missionnaires envoyés par le vice-roi du Pérou. Le roi Otou, et surtout f'arii Walii-Adoua, l'accueillirent parfaitement.Après avoir laisse les deux missionnaires confiés à la protection de l'arii, Bonechea remit à !a voile pour visiter quelques autres points de l'archipel, et à son retour, le 20 janvier t775, il mourut, et fut enterré au pied de la croix de la mission. En effet, en 1777, époque de la dernière reiâche du capitaine Cook à Taïti. apprit que deux vaisseaux y avaient abordé en 1174. Les naturels lui dirent que ces vaisseaux étaient venus de/HMa, que quatre de leurs hommes, dont un se nommait ~7a~'ma;, avaient été laissés dans i'iie mais que les mêmes bâtiments les avaient repris à leur bord dans une seconde relache, pendant )aqueiicfe commandant de cette expédition, que les habitants nommaiest Oridé, mourut, et fut enterré dans l'île, et que le capitaine et les missionnaires avaient assuré que Cook éta mort, et l'Angleterre sujette de l'
paa.ne. Les détails que le capitaine Cook put recueillir de la bouche des naturels, et la découverte d'une croix de bois sur laquelle on avait gravé les mots suivants 67;?'M~ MMC:7, et Carolus imperat, 1774, le portèrent à conclure que ces bâtiments appartenaient à la marine espagnole, et étaient sortis du port de Lima, capitaie du Pérou; mais le cabinet de Madrid, soit insouciance, soit politique, avait ~ardé le silence sur ce voyage. Toutefois s ce mystère est cntin connu, grâce la gazette du gouvernement de Calcutta, capitale de l'Inde britannique, qui en a donné la relation abrégée, d'après un journal que son éditeur tenait du capitaine Dillon, lequel, rédigé par un Espagnol de Lima, nomme Manuel Rodriguez,contient plusieurs partieularités qui ne permettent pas de douter qu'il ne s'agisse du vovage dont parle le capitaine Cook. Ce journal inédit était resté entre les mains de la veuve de Rodriguez, et le capitaine Union t'obtint d'ette à Vatparaiso(Chi.f). ). Rodriguez, le Matima des Taïtiens, avant acquis quelques connaissances de leur langue avait été désigne pour accompagner une mission partie de Callao, et destinée pour les îles de Taïti. 1-e but de cette mission était la conversion des naturels à l'aide de quelques-uns d'entre eux qui avaient été baptisés à Lima. Deux moines étaient au nombre des missionnaires quimirentàtavoiiedeCattaosurte~Mpi/er.iisdébarquerentàTa'iti le 15 novambre suivant. Ils bâtirent une mai-sonàOdjetatira(OhitepetM),etta croix trouvée par Cook était devant cet édifice. Le commandant de la fréeate, qui mourut pendant la seconde retuche, s'appelait don Domingo Bonechea, nom qui n'a pas plus de rapport avec cetuid'Oridé, que Matima avec Rodriguez (*).
Les vaisseaux quittèrent t'ne le 28 janvisr, laissant tes deux moines Padre (*)1\ous soupMnnotM tjHe ces nun.s etatent ceux de )cursff!)o~:)vcc)fsqu(;)s)k avaient fc))M~c )cs leurs, suivant t'usage des Polytjesiens. S.
Hieronimo et Padre Narcisso, l'interprète Rcdriguez et uu domestique. Les missionnaires firent peu d'efforts pour convertir les naturels, et n'obtinrent aucun succès. Rodriguez prétend qu'ils manquaient d'humanité et de douceur; qu'ils avaient pris du chagrin et de l'humeur de leur position, et qu'il en éprouvait souvent les fâcheux effets; ce qui réduisit à rien ses fonctions d'interprète. Pour se désennuyer,il il passait la plus grande partie de son temps avec les naturels, et parcourait l'île en tous sens. Il n'avait alors que vingt ans, et sa jeunesse, sa vivacité, sa gaieté, et la connaissance qu'il avait de la langue taïtienne paraissent l'avoir rendu cher aux habitants. On voit dans le récit fait au capitaine Cook, que le nom de ces Espagnols était respecté parmi les insulaires, et le journa) prouve que Rodriguez ne possédait aucune connaissance scientifique, et qu'il n'était qu'un observateur trèssuperficiel.
Au .retour des vaisseaux, les missionnaires demandèrent à quitter l'i)e Rodriguez se rembarqua avec eux, et revint a Callao le 28 février 1776. Les moines se louaient de la bienveillance des naturels, et ceux-ci trouvèrent les Espagnols moins durs que les Anglais. larchip6f,
Cook avait à peine quitté l'archipel, que le roi Otou épousa Hidia, sœur aînée de Motou-Oro; ainsi ces deux princes furent doublement alliés. Ils tirent étrangler le premier enfant qui provint de cette union, pour conserver leurs titres mais Otou, ayant voulu sauver son second enfant, il dut, d'après la loi du pays, que nous avons fait connaître au chapitre GoMCf~:e"!eK< /.OM, abdiquer ia couronne; de manière que Otou devint régent, de roi qu'il était. En changeant de titre, il dut cbanger de nom, et, après bien des essais, il adopta celui de Pomare (rhume), par allusion a un rhume qu'il avait contracté la suite des combats qu'il avait livrés ses adversaires. Son fils devint PomareII. La naissauce de cet enfant fut l'occasion d'une rupture entre le roi et la reine. Hidia,
jeune, belle et grande femme,douée d'une figure animée et spirituelle, d'une imagination ardente et voluptueuse, et d'un tempérament de feu, quitta son royal époux par dépit, et surtout pour se livrer à des débordements tels qu'on pourrait la surnommer la ;UM4a&ede Taïti. Cependant, malgré sa complaisance ou plutôt son indulgence, PomareF~nepeut être comparé à Claude; et sa femme lui resta fidèle sous le rapport politique. Onze années s'écoutèrent sans qu'aucun navire abordât à Taïti. Le premier qui y parut fut le ~a6~/ ~e~rA~/t, capitaine Sever, en 1788; il était chargé du transport de la colonie qui venait de s'établir sur ta Nouveue-Gaties du Sud, et mouilla dans la baiedeMatavaï pour procurer des vivres frais à son équipage, infectéduscorbut. Pomarel~ fut très-généreux envers le capitaine Sever, qui vit Hidi-Hidi, et apprit )a mort de Mai et des deux Zeelandais que Cook avait amenés avec lui ou plutôt qui avaient suivi Maï. H laissa ignorer aux insu!aires la mort horribie de l'illustre capitaine Cook, dont ceuxci lui demandaient à chaque instant des nouvelles.
Bligh, commandant du 7?OMM~y, parut à son tour à Matavaï. Pour ne pas nous répéter, nous renvoyons à l'article de t'arbre à pain le récit aussi important que curieux de sa retache,de sa mission et de ses malheurs. JS'ous ajouterons seulement que parmi les révoités du .BoM: qui reparurent à Matavaï le 22 septembre 1789, seize débarqués, qui ne voulurent pas suivre leurs compiict's à Pitcairn s'établirent ici. ChurchiU, ancien maître d'armes à bord du navire de Biigb, se rendit à Taïarabou auprès deWahi-Adoua, dont it devint ie favori. Après la mort de ce chef, il fut nommé son successeur, et ii était sur le point de régner sur cette presqu'île, quand Thompson, dévoré de jalousie et d'ambition, le tua d'un coup de fusit. Mais les insulaires vengèrent leur nouveau roi, et immolèrent son assassin. Un enfant de quatre ans monta sur le trône de Taïarabou.
Quelques années après, le capitaine Edwards, de la frégate la Pandora, vint réclamer, au nom de son gouvernement, les révoltés du A'<wt~ ils furent livrés par les insulaires, matgré les sollicitations, les pleurs et les cris des veuves et des orphelins taïtiens qu'ils étaient obligés d'abandonner. A cette époque, Pomare f', qui depuis longtemps avait conçu le projet de voir l'Europe, fut sur )e point de suivre le capitaine Edwards. Son frère Ara-Piha parvint, avec beaucoup de peine, à empêcher son départ.
Le célèbre explorateur Vancouver aborda à Taïti avec ses navires. Cet ancien compagnon de Cook trouva l'archipel déchu de sa première splendeur. La popufation avait considérablement décru parles guerres intérieures, et surtout à cause des maladies honteuses importées partes Européens. li assista à l'avènement au trône de Pomare II. I) remarqua qu'un grand nombre de mots de la langue taïtienne avaient été changés, et que ces mots étaient rigoureusement interdits. La ~/s~~Ma', capitaineWeasterhead, en 1792, le /~e</o'/M. capitaine New, en 1793, la YemMy et la ~<c!?!K:a;, ° en )79t, et en 1797 le Duff, capitaine Wi!son, chargé de placer des missionnaires sur les principales îles de la Polynésie, mouitfèrent à Taïti. L'arrivée des missionnaires commença la révolution dans l'île. 'Le grand prêtre Mani-Mani fut assez désintéressé pour se dédarer en leur faveur, et ces apôtres se mirent surle-champ à t'œuvre. Une cérémonie soiennnHe eut lieu le 16 mars 1797 en présence des chefs Pomare f', ja princesse Hidia,Mapa'), et Haïtia, chef de ~atavat. Le roi Pomare U fit cession aux missionnaires du territoire de Matavaï, séjour fort agréable (voy. p<. 153 et là-)). Apres la cérémonie, on construisit une maison commode pour les apôtres, cinq femmes et deux enfants, et le /)< remit à )a voile pour l'archipel de Kouka-Hiva. Le Duff reparut à iMat:tvaf)e6jui)let de la même année. Les missionnaires étaient satisfaits des traitements
qu'ils éprouvaient, mais ils se prgnaient du petit nombre de conversions qu'ils avaient faites. Le neveu du capitaine, après plusieurs explorations importantes durant cette retâche, qui fut d'un mois, estima que ta population était réduite à t6,0o0 âmes. Le 6 mars 1798, le A~M~'s, capitaine Bishop, aborda à Matavaï. Pomare I'" était pour les missionnaires, et Pomare II leur montrait tout au moins de l'indifférence.
L'~YMŒ amena à Taiti le missionnaire Henrv et sa femme. Ils annonçaient le retour du /?;<avec un renfort d'hommes et de provisions mais quelle fut leur douleur quand le capitaine Bumker, commandant de tbion leur porta la triste nouvelle qu'un corsaire français s'était empare du DM/y, que la mission de TongaTabou était détruite, et que les missionnaires avaient été en partie égoreés par les indigènes de Tonga et en partie forcés de quitter la mission. Le fMrpoMe apporta dans les entrefaites des présents à Pomare II de la part du gouverneur de Port-Jackson, et le /fO!afnMr< que commandait encore Witson, débarqua bientôt après huit nouveaux missionnaires. L'espérance renaquit dans les cœurs de tous les ministres de t'Kvan~ite et de leurs adhérents. M. Nott, leur chef, parcourut l'île entière, se livrant partout àiaprédication.
Après quelques succès et quelques revers, au milieu d'une guerre qui armait une partie des chefs et des insulaires contre l'autre, à travers l'apparition de plusieurs navires anglais, entre autres du ~a/<)we<, capitaine Byers, dont le subrécar~ue Turnbull nous a laissé une relation intéressante; et à la suite de plusieurs combats, le vieux Hopaï, père de Pomare t~, mourut, regretté des étrangers ainsi que des indigènes. Le roi Pomare 1~ perdit son (its, te jeune prince deTaiarahou; lui-même fut frappé de mort subite après son dîner, à t'aa:e de cinquantecinq ans. Ce roi était doué d'une énergie opiniâtre et d'une rare sagacité. H avait su régner jusqu'à sa mort.
sous le nom de son fils, et malgré les lois du pays. La vie de ce monarque civilisateur avait été un long combat, et ce fut lui qui protégea tes missionnaires en toute occasion. Son fils Poinare II lui succéda.
« Pomare II (voyez son portrait i~. t58) est le Clovis, le Constantin de Taiti (*) te premier il embrjssa le christianisme, et l'archipel s'empressa de t'imiter. Ce roi fut toute sa vie un fervent néophyte il se voua au progrès du cuite nouveau, non-seulement comnie souverain, mais encore comme apôtre. On lui doit la première traduction de t'Kvangite en ta'then. Sous lui, la religion fut Oorissante, mais non pas despotique quand les pasteurs européens voulurent emp)éter, il les contint et les iimita. Aussi nous verrons plus tard qu'il fut médiocrement regretté par eux.
a Jusqu'à fui les prédications des missionnaires n'avaient eu aucun succès. Dans tous les districts où ils s'étaient présentés, on les avait tournés en ridicule, quand on ne les avait pas maltraités. Les naturels riaient de leur Dieu leur disant qu'il n'était que le serviteur du grand dieu Oro, et qu'ils ne changeraient pas l'un pour i'autre. Quelquefois më'ne, quand un insulaire tombait malade pendant le passage d'un missionnaire, on accusait ce dernier de maténce,et on le forçait à déguerpir du canton. Malgré ces obstacles, la mission n'en continuait pas moins son œuvre difficile. En janvier 180&, on prépara un catéchisme détaillé, et au mois de mars suivant, on adopta l'alphabet qui servit de base aux traductions uti.érieures.
a On commençait à espérer des résultats pius heureux quand la trêve indéfinie qui régnait entre les chefs, ayant été brusquement rompue fit place à de longues et déptorabtes hos(*) On doit les para graphes suivants, marqués d'un guillemet et résumes df)'ouvra"e d'Eitis.. jusqu'à cehti qm commencc ainsi fomm-t' cumm~ea (sauf deux épitres du roi Pomare H ). à M. Raybaud narrateur ctegant du Voyage pittoresque autour du monde.
tifités.Au mois de juin 1807, les troupes royales tombèrent à t'improviste sur le district d'Ata-Hourou, ravagèrent, massacrèrent tout devant etles, chassèrent la population entière vers les montagnes, et se retirèrent avec les cadavres qui furent portés sur les auteis d'Oro (voy. /)/. )57). Cette horrible expédition ne fut pas sur-te-champ expiée. Les chefs d'AtaHourou méditaient depuis longtemps leur vengeance mais elle éctata enfi~ terrible et complète. Avant l'explosion pourtant, les missionnaires avaient pu se retirer sur le navire anglais Persé~era/tee, qui se trouvait alors mouillé dans la rade. Le pasteur Nott ne se rendit à bord que le dernier, ayant voulu tenter un dernier effort auprès des, rebelles pour les concilier avec Pomare. Il échoua.
« Alors commença la guerre désastreuse, connue dans les annales de Taïti sous le nom de Tamaï raki ia <yyaAoM-/ia<a (grande guerre de Ara)ou-Raïa). Le chef des insurgés était Tanta, ancien ministre du roi, alors son plusrude adversaire, et le guerrier le plus redouté de tout l'archipel. Son nom seul était un gage de victoire. Quand il quitta le parti de Pomare, celui-ci se tint pour battu; il en versa des larmes de douleur. Cependant il ne voulut pas renoncer à la partie sans combattre. Conseillé par le grand prêtre d'Oro, il prit même l'initiative: il attaqua son adversaire qui avait l'avantage du nombre et de la position mais vivement repoussé, il fut obiigé de s'enfuir jusqu'à Paré, où il n'attendit pas t'ennemi. ït quitta Taïti, et se réfugia à Wahine, où les missionnaires avaient déjà cherché un asiie. <
« Taïti et Taïarabou appartenaient aux rebelles aucun chef de marque ne se présentait plus pour les leur disputer. Leur premier acte de possession fut entaché de sang et de ravages; ils foulèrent les districts de Pare et de Matavaï, ravagèrent les habitations des chefs du parti royal, saccagèrent l'établissement des missions, pillèrent les objets de quelque valeur, fondèrent
les caractères d'imprimerie en balles, et routèrent les livres en cartouches, enlevèrent les armes existantes, ou en fabriquèrent d'étranges avec les ustensiles de cuisine. Enivrés par le succès, ifs espéraient davantage encore ils épiaient l'occasion d'enlever le premier navire qui se serait présente, après en avoir massacré les officiers. Ce coup de main eut lieu en effet sur le schooner ~MM, qui ne put être prévenu à temps du périt; mais le bonheur voulut que l'équipage, au lieu d'être égorgé sur-le-champ, fut réservé aux sacrifices du dieu Oro, ce qui donna le temps à l'Urania, navire anglais qL.. survint, de sauver tout des mains de ces barbares, hommes et navire. La place n'était plus tenable. A l'exemple de Taïti les autres îles étaient'tourmentées par des factions turbulentes et diverses une étincelle avait incendié toutes ces têtes guerrières, et désormais, au milieu de ces querelles flagrantes, des ministres de paix n'avaient plus de rôle à jouer. Aussi, le 26 octobre t809, tous les ministres quittèrent-its l'archipel pour se rendre à Port-Jackson. On ne laissa que deux pasteurs, Haywood à Wahine, et Nott à Eïméo. « Ce dernier fit alors sa plus grande et sa plus décisive conquête ce fut la guerre qui la lui valut. Dépossédé, matheureux, abattu, Pomarevivaità Eïméo sans espoir pour l'avenir, sans consolation pour le présent. H se trouvait dans une situation d'esprit favorable à un enseignement religieux. Le dieu Oro se dectarait contre lui je dieu chrétien pouvait lui être propice. Tel éta't t argument religieux l'argument politique avait un côté plus péremptoire encore la puissance anglaise secourrait sans aucun doute un roi chrétien, et le réinstallerait sur son trône. Que ce fût par l'un ou par l'autre de ces motifs, ou que la foi lui fût venue d'en haut, Pomare n'en devint pas moins un catéchumène du pasteur Nott, appliqué comme un adolescent, apprenant à lire et à écrire pour ne rien ignorer des dogmes chrétiens. Quand un homme de cette importance
eut donné l'exemple, les insulaires le suivirent à t'envi, et bientôt Eïméo compta une foule de baptêmes et de conversions. Le prosélytisme alla si bien et si vite, que le pasteur Nott ne put plus suffire. à t'égtise nouvelle; il demanda des aides, et ses collègues revinrent à Eïméo au commencement de 1812.
«A leur retour, Pomare, voyant que les éléments existaient pour une grande péripétie religieuse, resolut de consacrer par un acte public son adhésion ofticiel au culte nouveau. Voici comment il s'y prit. Un jour, on venait de lui offrir une tortue, animal essentiellement tabou, et qui ne devait être préparé que dans t'enceinte du moraï, la part du dieu prélevée. Au lieu d'attendre que la cérémonie habituelle fut accomplie, Pomare ordonna de cuire l'animal au four comme les viandes ordinaires, et de le lui offrir sans eu rien réserver pour l'idole. Là-dessus, grande rumeur, grand scandale parmi la domesticité du palais et parmi les prêtres du temple. On s'attendait à voir le roi frappé de la foudre pour cette violation effroyable du tabou, ou du moins étouffé paria tortue qu'il mangeait d'une façon aussi sacrilége. H n'en fut rien, comme on le pense; le repas eut lieu fort tranquillement la tortue n'en fut pour cela ni moins bonne ni moins saine. Après que Pomare eut consommé cette rupture éclatante avec les anciennes adorations, il se leva et harangua te peuple Vous voyez, lui dit-it, ce que sont les dieux de votre fantaisie ni bons, ni mauvais, impuissants à vous servir et a vous nuire; faites comme je fais. Nut n'aura à s'en repentir. Beaucoup, en effet, imitèrent son exemple. Le culte nouveau, consolant et bon, n'avait aucune de ces expiations sanglantes auxquelles ce peuple tenait plus par crainte que par sympathie. Peu a peu il s'habitua à avoir moins de foi en la puissance de ces mystérieuses idoles; il les redouta moins; il s'en moqua, et dès lors tout fut fini. Les chefs se rangèrent les premiers parmi les néophytes Tapoa, chef de Raïa-
tea, Tamatoua, beau-père de Pomare, Mahine,chef deWahine, et une foule d'autres se firent instruire. La glace était rompue, les premières conquêtes étaient faites:ta puissance de l'imitation fit le reste. Pomare, devenuchrétien fervent, voulut que la religion eût son temple. On y installa une chaire, où les apôtres purent prêcher leur culte à des milliers d'insulaires, les uns convaincus, les autres ébranles. « Ce fut alors que deux chefs, arrivés de Taïti, vinrent proposer à Pomare de retourner dans cette île en proie à i'anarchie, et d'y ressaisir ses anciens pouvoirs. Tous les partis l'appelaient à cette heure de crise, etie regrettaient. Depuis son expulsion, en effet, i'ite était restée en proie aux plus horribles desordres et aux plus révoltantes saturnales. Au lieu d'organiser leur conquête, les chefs vainqueurs avaient cherché à la gaspiller. Le travail des champs avait été nég)igé, et l'on s'était adonné seulement avec fureur à la distillation de la racine du ti (<&'<ccena <ermM!0'/M), dont on tirait une liqueur spiritueuse. Dès lors l'île entière fut un vaste cabaret et un atelier de distillerie. La chaudière était un rocher creux, la cornue un couvercle en bois, le réfrigérant un conduit en roseau. La liqueur était reçue dans un vase en bois ou dans une gourde de coco. Autour de cet a)ambic(voy.p/.t<!5) établi à peu de frais, se tenaient dix, vingt, trente naturels, qui buvaient la liqueur distiuée à mesure qu'elle tombait dans le récipient. Puis, quand ils étaient tous ivres, une fureur sauvage s'emparait d'eux; ils tombaient les uns sur les autres, se terrassaient, s'égorgeaient sur le lieu même de ces sanglantes orgies.Plus tard, au retour des missionnaires, des ossements humains semés cà et ta indiquaient la place où s'opérait cette fabrication meurtrière.
« Pomare sut tous cesdétai!s il jugea que l'heure était venue de mettre un terme à ces désordres,supposant,un peu trop promptement peut-être, que leur durée lui avait préparé une restauration tranquille. Il se rendit donc à
Taîti, où il trouva d'abord peu d'obstacles à son établissement. P!e sachant pas comment tourneraient les choses, ~n'avait pas voulu que les missionnaires le suivissent; mais il se consolait de leur absence par de pieuses missives.
«Puisse-je, écrivait-il au pasteur Nott, puisse-je désarmer la colère de Jehovah envers moi,qui suis un méchant homme, coupable de crimes accumulés, coupable d'indifférence et d'ignorance du vrai Dieu, coupable de persévérance dans le mai Puisse aussi Jehovah me pardonner ma folie, mon incrédulité et mon dédain pour sa loi! Puisse Jehovah m'accorder son bon esprit pour sanctifier mon cœur, afin que je puisse aimer ce qui est bon, et qu'il me rende capable d'abjurer mes mauvaises habitudes pour devenir un homme de son peuple, et être sauvé par Jésus-Christ, notre unique sauveur. Je suis un méchant homme, et mes péchés sont grands et nombreux." »
Un autre jour, souffrant d'une maladie, écrivait:
« Mon affliction est grande; mais si je puis seulement obtenir la faveur de Dieu avant de mourir, je m'estimerai heureux. Mais hélas! si je venais à mourir avant d'avoir obtenu mon pardon, ce serait un malheur pour moi! Puissent mes péchés être pardonnés, et mon âme sauvée par JésusChrist Puisse Jehovah jeter encore les yeux sur moi avant que je meure, etje m'en réjouirai!" »
"Voiià où en était te royal catéchumène, ardent pour la foi, enthousiaste et profondément pénétré. Aussi ne se cacha-t-il pas des habitants de Taïti, tous persévérants idolâtres. Il se dit chrétien devant eux, paria du culte d'Oro comme d'une profanation, et pratiqua publiquement les rits chrétiens. Dans le début, sa conviction religieuse fit du tort à sa réintégration politique. Ce fut à peine si le canton de ;\)atava) se résigna à souffrir son autorité; les autres districts restèrent indépendants avec leurs chefs et leurs prêtres, regardant Pomare comme un
apostat indigne désormais du trône. Ce fut pendant cette période que Pomare eut un enfant, Aïmata, d'une des filles de Tamatoua de i'iieRaïatea. Du reste, peu d'incidents vinrent traverser ces deux années 1812 et 1813. Le commerce européen semblait avoir fui les parages de Taïti; cà et là quelques navires mouillaient bien sur la rade, mais sans y séjourner. Deux seulement firent quelque bruit par suite de catastrophes analogues !a (~eem-CAa~lotte, commandée par le missionnaire Shelly; le second, le Dolphin, capitaine Foirer; l'un et l'autre occupés, avec un équipage taïtien, à la p~che des perles sur les îles Pomotou, et en!e\és)'un et l'autre à l'improviste par ces auxiliaires dangereux. Le capitaine de la ()MeeH-6'A<M'&)~e fut sauvé celui du ~Oo/p/MM périt dans la bagarre. Le premier navire, arrivé sur la rade de Matavaï, sous la conduite des rebelles, fut restitué par Pomare à son propriétaire; le second fut repris en mer par le capitaine ~aiker de i'mt/fa~oM?'.
<'L'ég)ised'Eïméo prospérait pendant ce temps. L'aflluence des proséiytes était immense; on ne pouvait suffire ni aux prêches ni aux baptêmes. Le 2.) juillet 1813, la chapelle publique d'E). méo fut inaugutée; on y célebra le service divin en présence d'une troupe nombreuse de fidèles, et ia cérémonie se termina par la communion solennelle des nouveaux convertis. Une foule de chefs de la société des Aréoïs figuraient parmi eux ie grand prêtre d'Eïméo fui-même. Le grand desservantdpsidofes,Paii, convaincu un jour paria parole du pasteur Nott, mit le feu à ses divinités (voy.pl. (67), et se déclara chrétien. Tout l'archipel suivait peu à peu l'impulsion donnée. D'éclatantes et nombreuses conversions s'opérèrent à Wahine, à Raïatea et à Tahaa. Des chefs arrivèrent même de Taïti, conduits par Pomare qui les avait gagnés à la foi. Dans le nombre se trouvait Oupa-Parou, l'un des plus influents personnages de f'îfe. Les missionnaires voyaient enfin. leur persévérance couronnée de succès.
Vers la fin de 1814, cinq ou six cents chrétiens existaient dans l'archipel et le mouvement de progression allait augmentant chaque jour. H f..Hait donc accroître aussi les moyens d'action des directeurs de la nouveite ég!ise. On demanda un renfort d'apôtres on termina une traduction de i'Évangite en taïtien et on renvoya à Port-Jackson pour qu'elle y fùt imprimée. « Ces succès éveiitèrent toutefois la jalousie des dissidents. Tant que les chrétiens n'avaient formé qu'un petit noyau d'hommes iso!és. on s'était borné à les combattre par if dédain; quand ils turent plus forts, on chercha à les tuer par le ridicule on les stigmatisa du sobriquet de 6o?<e-a<o«a (de boure, prières a/OMa dieux); mais quand ils eurent gagné du terrain, malgré l'orgueil des uns et )e sarcasme des .autres; quand la propagande, étendue sur la famille royale, se fut révëtée plus active, plus puissante que jamais, alors les Idolâtres jurèrent dans ie coeur qu'ils tueraient par le fer ce qui avait résisté jusqu'alors à des efforts d'un autre genre. Les chefs, en querelle jusque-la, signèrent une trêve et une ligue contre l'ennemi du dieu commun. Les districts de Pare, de Matavaï, de Wapaï-Ano s'associèrent pour exécuter des vêpres chrétiennes. Invités à prendre part à ce meurtre, les chefs d'Atahourou et de Papara promirent leur secours. Les boure-atouas résidant à Taïti devaient tous être égorgés dans la nuit du 7 au 8 juillet 18)4. Sans une indiscrétion, sans un avis donné à ce dernier instant, pas un chrétien n'échappait à cette boucherie. Ils eurent a peine une demi-heure devant eux pour pousser leurs pirogues à la mer et se sauver à Eïméo.
«Les conjurés marchaient déjà, ainsi qu'ils en étaient convenus. Mais qu'on juge de ieur fureur et de ieur surprise lorsque, dans toutes les maisons marquées de la croix fatale, ils ne trouvèrent pas une âme vivante. Voyant leur proie échappée, iisentrèrentdansd'horribles fureurs, s'accusèrent de trahison réciproque, récriminèrent d'abord,
puis passèrent des paroles aux voies de ,fait. Alors les sessions politiques, un instant effacées devant un but religieux, reparurent plus violentes, plus implacables que jamais. Les naturels de Papara et de Atahourou, ennemis éternels de Pari Onou, nom collectif des peuplades qui habitent le nordest de Taïti, violèrent les premiers l'alliance temporaire, fondirent sur leurs antagonistes, les tait aèrent en pièces, exterminèrent leurs principaux chefs et leurs meilleurs guerriers. Les gens de Taïarabou étant survenus se déférèrent pour le parti vainqueur. pillèrent à sa suite; de sorte que tct.t ce littoral taïtien, les riches districts de Pare et de Faha, les vallées romantiques de Hautouah, Matava'i' etWapaïAno, ne furent plus qu'un vaste champ de deuil et de misère. Quand tout fut tombé, hommes et cases; quand rien ne resta debout devant les conquérants, ils se disputèrent le butin et faute de ne pouvoir s'entendre sur le partage, ils se battirent entre eux. Atahourou et Papara se liguèrent contre ceux de Taïarabou, et les chassèrent vers les paris des montagnes. Le meurtre, l'incendie, le pillage, le viol désolèrent la plaine, et décidèrent de fréquentes migrations à Eïméo, qui recevait des idolâtres pour en faire des chrétiens. La guerre civile elle-même servait ainsi la cause de la foi nouvelle. Pomare était devenu l'instrument le plus actif de cette conversion générale il parcourait les villages d'Kïméo comme l'aurait fait un apôtre, et se donnant comme exemple, et se portant fort pour les vérités qu'il enseignait.
«L'année 1815 5 s'ouvrit ainsi. Eïméo, pacifique et prospère, se peuplait de chrétiens; Taïti, livrée à des chefs turbulents, allait à sa ruine. Les chefs insurgés comprirent où tendait cette marche inverse; ils résolurent de tenter une perfidie. Par des messagers, ils firent conjurer les émigrants ta!tiens de rentrer dans leurs possessions, leur en promettant la jouissance tranquille, et le libre exercice de leur culte. On pressentit bien une ruse, mais on accepta. Pomare se chargea
de surveiller tui-mëme le retour des exilés; il rassembla les guerriers les p~Uaiihtstresd'Kïmëo et des îles voisines, tous chrétiens dévoués et soidats intrépides. La flotte partit à sa vue l'alarme gagnâtes idolâtres; ils descendirent en grand nombre et armés sur le rivage, signifiant par leurs gestes et par leurs cris qu'ils s'opposeraient au débarquement d'une troupe aussi nombreuse. Ils allèrent même jusqu'à faire feu sur les pirogues. Pomare ne voulait point d'abord repousser la force par ia force it parla à ces éncrgumènes, et obtint d'eux la permission de prendre langue avec ses guerriers. La paix se !itenaj)parence; mais efte n'était pas sincère, et ne pouvait durer.
« Le 12 novembre 18~5,jour mémorable dans les annales taïtiennes, un dimanche dans l'après-midi, Pomare et ses trois cents guerriers, venus d'Eïméo, se réunirent pour célébrer le service dhin dans un lieu nommé j~arii, près du viUage deBouna-Auïa, dat~stedistrictd'Atahourou.Lesidoiutres attendaient cette occasion ils t'avaient prévue. Leurs détachements nombreux et bien armés entouraient l'enceinte où tes houre-atouas (chrétiens ) étaient réunis. A peine Pomare avait-il entonné un hymne, que la fusidadeco~nmenca. Des bandes nombreuses de guerriers, i'étendard d'Oro sur leur front de bataille, marchèrent à l'attaque, en poussant des cris de guerre! guerre! Maigre Fimminence du périt, Pomare voututqu'on achevât le service. a Jehovah vous protège, criait-il, que craignez-vous? » Les guerriers restèrent.
« lis se formèrent, quand les prières furent dites, s'ëchetonnèrent sur te rivage en trois colonnes qui faisaient face a l'ennemi éparpillé vers la montagne. A t'avant-garde de, Pomare figu-
raient trois Ci.efs célèbres, Auna,
Oupa-Parou et Hitoti le corps avancé obéissait à Mahine et à t'antaxonè Pomare Wahine, armée d'un mousquet et d'une tance, et couverte d'une bonne cotte de mailles en tresses de romaha. Quant à Pomare, il avait
choisi son poste sur une pirogue avec plusieurs fusiliers qui devaient inquiéter le flanc de l'ennemi. Sur une autre pirogue, commandée par un Anglais nommé Joe, se trouvait un pierrier qui rendit à la cause royale des services fort essentiels.
"Pomare avait à peine terminé ces préparatifs,que tes idojatresfondirent sur lui. Le choc fut terrible, ittbranta l'avant-garde; une foule de guerriers qui la composaient furent mis hors de combat; Oupa-Parou n'échappa qu'en laissant entre les mains de l'ennemi les lambeaux de ses vêtements. Il fallut, par une fuite à travers les broussailles, se replier sur le corps d'armée de Mahine. Là, une lutte plus sérieuse fut engagée. Le chef des insurgés, Oupou-Fara, tomba percé d'un coup de lance. Comme on cherchait à le secourir "C'est inutile, cria-t-il. Vengez-moi plutôt; voici celui qui m'a frappé. » Et il montrait un soldat de Mahine, nomméRaveae. Vingt idolâtres se jetèrent sur lui, mais on arracha )a victime à leurs coups. Malgré )a perte de leur générai, les insurgés n'en continuèrent pas moins la lutte avec un acharnement farouche cependant l'attitude de Mahine, le feu meurtrier du pierrier de Joe, et la mousquf'terie de Pomare, décidèrent la bataille. Une peur panique acheva la victoire; les idoiatres avaient fui vers les forteresses des montagnes. "Quand terivagefut libre d'ennemis, les guerriers de Pomare, emportés par leurs habitudes anciennes, allaient poursuivre et massacrer les fuyards, ou du moins achever iesbtessésgisant sur le lieu du combat; mais l'omare dit d'une voix forte <' ~/t/'< (c'est assez). Il voulait faire la guerre en chrétien. Au lieu d'immoler les prisonniers, on les pansa; au lieu de mattraiter les familles des vaincus, on les entoura de soins. On rappela les rebelles par des promesses d'amnistie religieusement tenues. Le corps du chef ennemi Oupou-Fara était encore étendu sur le sol; il ordonna qu'on l'ensevelît, suivant la coutume,dans le tombeau de ses pères; it envoya
vers les paris de l'intérieur pour promettre individuellement à tous les chefs le pardon et l'oubli du passé. Cette conduite, si étrange dans le pays, gagna à Pomare et à son Dieu une foute de partisans. On compara ces deux retirions l'une, toute de douceur et de clémence, ne répandant du sang que pour se défendre; l'autre, farouche et impitoyable, demandant à toute heure des victimes nouvelles. La comparaison fut un beau plaidoyer pour le christianisme, et cette journée lui valut la conquête de Taïti.
« Pour ajouter à ces moyens de conversion une influence de plus, Pomare vou!utdépouitter les vieilles idoles du prestige de respect et de puissance qui les environnait encore. H voulut les insujter d'une facon si brutale et si publique, que chacun se trouvât guéri de la peur qu'elles inspiraient. Pour cela, envoya une élite de guerriers à Tautira, où se trouvait alors la fameuse statue d'Oro. D'après les ordres reçus, cette troupe entra dans le mora'), et aux yeux des apôtres et des adorateurs scandalisés, les soldats renversèrent !esauteis,piitèrent les offrandes et les réduits sacrés, saisirent l'idole, la couchèrent sur le soi, la décapitèrent (c'était un bloc de casuarina grossièrement sculpté), et portèrent sa tête au pied de Rompre. Celui-ci affecta d'abord de s'en servir pour les plus vils usages, par exemple comme billot de cuisine, puis il la jeta au feu. Cette exécution, réalisée publiquement sans que le dieu pût se venger, fut le signal d'un auto-da-fé universel pour tous les moraïs et toutes les idoles de l'ile.
"L'ido!atrien'existait plus sur Ta'iti; elle fut bientôt extirpée des îles voisines, qui suivirent l'exemple de la métropole. Temptes et dieux disparurent en six mois de t'arebipet.Maupiti seul persévéra ,jusqu'en 1817, où elle fut convertie par les habitants de Borabora. »
Pomare 11 ne commença vraiment à régner que de ce moment. It créa dix missions sur toutes les îles de l'archipel et les missionnaires qui
l'avaient si bien secondé devinrent tous les jours plus influents. Mais, peut-être, dans leurs travaux ne tenaient-ils pas assez compte des mœurs antérieures des peuples qu'iiscathéchisaient peut-être leurs nouvelles et impérieuses prescriptions étaient-eties trop sévères pour un peuple dont les coutumes avaient été jusque-là si relâchées.
Les missionnaires reçurent de PortJackson t'Évangiie traduit en taïtien mais ce moyen ieur paraissant insuffisant, )eur savant co!!egue M. E~ist'utiuvité à leur procurer une presse. M. Eitis arriva à Eïméo, et Pomare lui donna une maison pour y établir une imprimerie taïtienne. Après tous les préparatifs nécessaires, le roi voututtuimême imprimer le premier alphabet taïtien en présence des chefs, et grâce au secours de M. Ettis, armé des outils du compositeur et des caractères, il composa la première page; ensuite, à l'aide du tampon il plaça t'encre sur les caractères,piaca le papier, tira le levier, et la première feuiHetut nettement imprimée. Pomare, admirant son ouvrage, le montra aux chefs et au peuple, qui, initié en partie à la lecture et à récriture, t'accu-'ittit avec enthousiasme. Pomare revint chaque jour à l'imprimerie jusqu'à ce que le svnabaire fut entièrement imprimé. H eut la patience de catcuier que la lettre a se retrouvait cinq mille fois dans les seize pages du syuabaire, qui fut tiré à ~,COO exemplaires. Un catéchisme taïtien, un extrait considérable des Écritures et t'Évangiie selon saint Luc, furent pubHéstouràtour. Les livres furent d'abord distribués gratis mais, plus tard, on les échangea contre une petite quantité d'huite de coco, ainsi que nous l'apprend l'honorable M.Eihs.
a Souvent, dit-il, je voyais arriver trente ou quarante canots des parties les plus éloignées d'Eïméo ou de quelques îles voisines, amenant chacun cinq ou six personnes, qui ne faisaient le voyage que pour se procurer des tivrcs'de dévotion, et qui parfois étaient obligées de les attendre pendant cinq
ou six semaines; elles apportaient d'énormes paquets de lettres écrites sur des feuilles de platane et roulées comme des vieux parchemins: c'étaient autant de suppliques de ceux qui, ne pouvant venir eux-mêmes, demandaient qu'on leur fît des envois.
« Un soir, au coucher du soleil, une pirogue arriva de Taïti montée par cinq hommes. Ils débarquèrent, plièrent leurs voiles, tirèrent leur embarcation sur Ja~rève,et s'acheminèrent vers ma demeure. J'allai au-devant d'eux:" « Louka! te po'MM na /.OM/M » me dirent-ils tous à ia fois en me tnontrant des cannes de bambou pleines d'huile de coco, qu'ils offraient en payement..1e n'avais point d'exemplaires prêts je leur en promis pour le lendemain, en les engageant à se retirer chez quelque ami dans le village pour y passer la nuit. Le crépuscule, toujours très-court sous les tropiques, venait de finir. Je me retirai. Quelle fut ma surprise quand le lendemain, au soleil levant, je lesaperçus couchés à terre devantia maison, sur des nattes de feuille Je cocotier, sans autre couverture que le large manteau de toile d'écorce qu'ils portenthabituellement. Je me hâtai de sortir, et je sus d'eux qu'ils avaient passé là toute la nuit. Lorsque je leur demandai pourquoi ils n'étaient pas allés loger dans une maison, ils répondirent: «Oh! nous avions trop peur qu'en notre absence j quoiqu'un ne <intde grand matin vous ~demander les livres que vous aviez préparés, et qu'alors nous ne fussions obligés de repartir les mains vides: nous avons tenu conseil hier soir, et nous avons résolu de ne nous éloigner qu'après avoir obtenu ce que nous sommes venus chercher. » Je les conduisis dans l'imprimerie; et, ayant rassemblé des feuilles à la hâte, je leur donnai à chacun un exemplaire ils m'en demandèrent deux autres, l'un pour une mère, le second pour une sœur. Ils enveloppèrent les livres dans un morceau de toile branche du pays, les mirent dans leur sein, me souhaitèrent une bonne jouriiée, et
sans avoir bu, mangé, ni visité une seule personne de rétablissement, ils coururent au rivage, remirent leur canot à flot, hissèrent leur voile de cordes de palmier nattées, et se dirigèrent tout joyeux vers leur ite nataje. » Cependant les missionnaires ayant manifesté le désir d'entreprendre une sorte de gestion agricole et commerciale, Pomare II, d'autant plus puissant qu'il était roi de l'île entière, eut le courage de leur résister, et il dit forme!)ement qu'il ne permettrait pas un tel envahissement de ses droits, parce qu'il était instruit que c'était ainsi qu'on avait commencé en d'autres pays pour arriver à l'usurpation et à la conquête.
Pomare, si jaloux de ses droits, fut plus accommodant à l'égard des empiétements religieux. fne taxe fut imposée pour subvenir aux frais des missions secondaires. Cette taxe, qui fut levé" pour la première fois en 1818, devint bientôt un impôt régulier beaucoup trop fort aujourd'hui. Elle était en 1822 d'environ 10,000 bambous d'huile de coco environ 40,000 livres de France, de 24 cochons, de 270 baUotsd'6!?'?'oM;-roo<; oul350 livres, et 200 ballots de coton, seulement pour l'iie de Taïti. Les autres îles de Farchipel étant soumises durent fournir à proportion.
Vers la fin de sa vie, Pomare II se livra à une passion indigne d'un homme, et surtout d'un chef. Il abusa des boissons spiritueuses, au point d'altérer sa santé si forte auparavant, et d'abrutir son esprit. En même temps qu'il traduisait les saintes Ecritures, il faisait d'abondantes Jibations à Bacchus et quand la raison avait abandonné cette puissante intelligence, il s'écriait avec indignation « 0 Pomare ô roi de Taïti ton cochon est maintenant plus en état de régner que toi!" H mourut d'hydropisie te 7 septembre 1821 ,'âgé de 48 ans, dans les bras du missionnaire Crook. !t laissait deux enfants de son épouse Tcre-Moe, une fille, Aïmata, âgée de 8 ans, et un fils d'environ 4 ans, qui fut pro.clamé roi de i'ite entière sous le nom
dePomare III. On nom ma pour régente sa tante Pomare-Wahine.
Deux missionnaires, MM. Tyermann et Bennet, arrivèrent à cette époque à Taïti en quatité d'inspecteurs, et ils étaient chargés par la Société de Londres de régler les rapports des missionnaires entre eux, avec le gouverneur, et les Européens résidant sur ces îles, qui étaient la plupart des déserteurs de navires européens, ou des déportés réfractaires de ia NouvelleGalles du Sud.
La régente Pomare-Wahine fût révottée des prétentions des deux inspecteurs ei!edéc)araavecfermetéqu'e!!e ne prétendait pas avoir de tuteurs, et les missionnaires résolurent d'attendre une occasion plus favorable.
En 1820, Bellinghausen, capitaine russe, mouilla à Taïti avec deux vaisseaux.
En mai 1823, la Coquille, commandée par le capitaine Duperrey, aborda cette île, et emptoya trois semaines à des explorations fort intéressantes. En attendant que ce savant navigateur publie les résultats de sa re!:iche à Taïti, nous citerons un passage du journal du commandant en second, M. Dumont d'Urville, qui servira à faire connaitre ta situation de l'lie à cette époque.
"Au moment de notre arrivée, dit M. d'Urvijie, rassemblée généraie des Taïtiens aHait ouvrir ses séances, et le 13 mai on cetébra un service divin en guise de prélude. Curieux de ce spectacle, je m'embarquai avec MM. Bonnet et Wiison, tes missionnaires, et plusieurs officiers du bord. Arrivés à Papaooa, je vis les habitants, hommes et femmes, marchant sur deux files, en bon ordre et dans un profond silence, dans la direction de t'égtise. On eût dit une ligne noire de dévots pèlerins. Dans te temple, chacun prenait place suivant son district et son canton. Bientôt cet immense hangar, long de 700 pieds, fut en grande partie rempli et pourtant, malgré l'affluence, un tel silence régnait, que la voix du missionnaire se faisait entendre dans toutes les parties de la salle. Le service
commença à dix heures. Il commença par un hymne que tes assistants chantèrent en chœur. Ensuite vint une lecture de quelques pages des Actes des Apôtres; puis M. Barff fit un long discours sur un passage des prophéties d'Isaïe. Son débit expressif et fortement accentué semblait produire la plus grande impression sur cet auditoire. Quelques (idètes cherchaient à tracer à la hâte sur un papier des passages du sermon; les autres écoutaient le prêtre dans l'attitude la plus fervente et la plus respectueuse. La famille royale assistait au service, mais confondue dans la foule et sans distinction apparente. L'inspecteur Bennet, placé à mes côtés, me désigna les principaux personnages du pays Tati, Hitoti, Oupa-Parou, Outann, et d'autres encore qui avaient joué un rôle dans les derniers événements. « Le service dit, on nous conduisit vers une table modeste dressée sous la tente de la régente, près du tombeau de Pomare II. Des bancs, des coffres et des planches servaient de sièges. La table était couverte de fruits d'arbre à pain, de cochons et de votâmes le tout flanqué de carafons, dont les uns étaient pleins de rhum, les autres d'eau de coco. Les vrais seigneurs de ta fête, les amphitryons apparents, n'étaient ni la régente, ni la famille royale, mais les missionnaires, qui s'étaient placés à l'écart avec leurs familles, et dans des postes d'honneur. Quant aux princes et aux chefs, ifs avaient eté retégués au bout de la tabte, et vraiment, si nous ne nous étions pas rapprochés d'eux à dessein, si nous ne leur avions pas fait des amitiés dont ils sembtèrent fort reconnaissants, ils auraient tiguré à ce repas comme des intrus plutôt que comme les souverains de t'îte. C'était pourtant d'excelleutes gens, ne manquant ni d'esprit ni de sagacité, capables de tourner à bien s'its avaient eu quelque culture. Le petit Pomare et la jeune Aïmata me parurent surtout deux créatures fort intelligentes.
Le dessinateur de l'expédition, M. Lejeune, assista seul à la séance du
lendemain, où des questions politiques furent soumises à rassemblée populaire. Elle dura plusieurs heures, pendant lesquelles les chefs prirent tour à tour la parole. Le plusbrillantorateur de cette foule était le chef Tati. La principale question agitée fut une capitation annuelle à établir, à raison de cinq bambous d'huile par homme. Ensuite on traita des impôts qui devaient être perçus,soitpourtecompte du roi, soit pour le compte des missionnaires. Nous sûmes plus tard que la première question avait été résolue dans le sens affirmatif; mais que la seconde, celle qui concernait les missionnaires, avait été ajournée par eux dans la prévision d'un échec. Quatre mille personnes environ assistaient à cette espèce de congres national. Le capitaine Kotzebùe, dela marine russe, parut à Taïti après ie départ de la Coquille. Dans sa relation, il traite les missionnaires avec une sévérité qui nous a paru injuste. Il nous apprend qu'un Taïtien, ayant volé une chemise à un matelot du Rurik (c'est le nom du petit bâtiment qu'il commandait), fut condamné au travail des routes, malgré le pardon que lui Kotzebùe iuiavaitaccordé,et maigre les instances du capitaine. Il ajoute qu'on infligeait des corrections exemplaires aux iaïtiennes,si libres jadis,lorsqu'elles s'a- bandonnaient aux marins. Ces corrections, toutes rigoureuses qu'elles aient paru à M. de Kotzebùe, pouvaient être nécessaires. liestdifticite de corriger les vieilles habitudes des hommes, et de les accoutumer aux nouvelles lois, sans des exemples d'une sévérité plus grande que dans les temps ordinaires, et qui ne seraient pas nécessaires à des hommes soumis depuis longtemps à l'empire des fois.
Le jeune Pomare qui avait fait ses études à t'~cadeMM des A'eMMeM </e la mer Sud, et qui, nouveau Joas, avait été étevé:) t'ombre des autels, sous les yeux du missionnaire M. Orsmoud,mt couronné roi de Taïti le 21 avril )824. Pendant sa minorité, les missionnaires lui avaient fait adopter une ici qui donnait à l'archipel une
représentation nationale, abolissait l'influence des grands feudataires, et rendait la justice égaie pour tous. Les membres des divers districts, au nombre de trois ou quatre,.revêtus d'un mandat triennal, et choisis par les habitants à la majorité des voix, devaient se réunir une fois par an, et aucune loi ou institution ne pouvait être établie sans le vote de cette assemblée représentative, composée d'une seule chambre, et sans la sanction royale.
Cette espèce de parlement nationa) rendit diverses lois utiles. Nous avons di'jà parlé de celle sur l'abolition de la peine de mort. Le code des lois criminelles est divisé en dix-neuf titres, et quatre cents juges ont été nommés par ie roi pour les faire exécuter. La calomnie au dernier degré porte sa peine, et ce n'est pas la première leçon que nous donnent ces prétendus sauvages. Le ca/MH)Ma~e!<r y est obligé de co)t~t'!<M'e de ses propres mains, de deux a ~Ma/re m!/<M <~e longueur et de douze pieds de large, une )'OM/e bombée (ce sont les propres termes de la loi ~e manière que les eaux p/M~-M~ pMA'A'eM~ s'écouler des deux cci/e~.)) »
En 1826, une loi fut rendue pour empêcher des aventuriers et des hommes suspects ou sans mœurs de venir troubler t'ordreétahii. Cette loi condamnait à une amende de 30 dollars, environ 156 francs tout capitaine de navire étranger qui laisserait à terre un homme de son équipage sans y être autorisé par le gouverneur du district, et tout marin déserteur, à faire trois cents pieds de route. L'amende était distribuée Je ta manière suivante vingt pour le roi, six pour le gouvernement, et quatre pour le Taïtien qui ramènerait le marin à bord.
Sans la mort de Pomare III, l'archipel taïtien serait peut-être gouverné aujourd'hui par une nouvelle théocratic, comme te Paraguay t'avait été par lesjésuites.ett'ancicnneÉgyptepar les Arsédonaptes et les Choens, au temps de leurs pharaons.
Le capitaine Beechey, qui visita l'archipel en 1826, rend justice au
zèle et aux travaux des missionnaires; mais il pense que leurs lois ontarrcté t'industriedcs indigènes. Voici ses propres paroles
"Kn considérant les progrés que ce pays a faits dans la science du gouvernement .par ta fondation d'un parlement et par la promulgation d'un code de lois, nous nous attendionsa à trouver quelques germes de bien-être à venir. ~Nos excursions ne nous révélèrent rien de pareil. Les naturets nonseutement n'ont pas fait de progrès sous le rapport industrie), mais ils ont taissé périr plusieurs de leurs arts primitifs. »
Aucun événement tligne d'être mentionné ne survint à Taïti depuis la mort du jeune Pomare III. Seulement on fut forcé d'élever sur le trône sa jeune sœur Aïmata, princesse d'un caractère pétulant et d'un tempérament de feu. Sa belle chevelure noire retombe en boucles gracieuses sur ses épaules; elle porte ordinairement sur la tête une couronne de tleurs naturelles. Son abord prévient en sa faveur, et sans être d'une beauté remarquable, elle rappelle la ~VeM/<s de lord Byron. D'après ce que nous avons appris d'clle par deux Européens qui ont quitté t'ije Taïti depuis une couple d'années, sa coquetterie est pleine de charmes; chez elle rien ne semble apprêté, quoiqu'etie fasse tout avec art. Nous croyons ne pouvoir mieux la détinir qu'enfui appliquant ces vers délicieux du grand Torquato
« NoT] so ben dir s'adorna o se n[;g]ctt.'),
"Sccasood'arteithftvoitocninpone;
If ni nntora, :L';mor, dei ciclo amici,
"I.enf-g]i~c!izesuesonoarn'f«i.~ »
A;o,n.:oT&-
Mais cette femme aimable se livre àta dissolution la plus éhontée, et son mari Pomare, énorme jeune homme, surnommé ~6oM-s/;<(gros ventre), loin de mettre un frein à ses scandaleuses saturnales,semble n'y assister qu'avec une profonde indifférence. Voici comment s'exprime à ce sujet M.d'Urvitte:
K Difficile à dominer et à conduire, elle devait renouveler à sa cour les
dissolutions encore récentes de la cétebre Hidia, femme de son aïeul Pomarel". Au début de son règne,eite mit quelque mesure dans ses déportements mais peu à peu, enhardie par j'exempte de sa mère et de sa tante, sousiatutetiedeiaqueiJeeiieavaitété placée, elle s'abandonna entièrement a son organisation ardente. C'était la reine, on ne pouvait la condamner à cent toises de route. Cependant la cour t'imitait; elle eût été bigote sous i'élève des missionnaires, elle devint débauchée sous la jeune Messahne, et l'exemple gagna les classes inférieures. Jusqu'ici les missionnaires n'ont rien trouvé d'eflicace contre ce fatal débordement.Haétéquesuonàdiverses reprises de prononcer la déchéance de la reine, mais on ne ['a pas encore osé. Le pasteur Wiison écrivait naguère qu'il venait de se former une ligue de chefs mécontents qui se sont réunis à Papaï-tti. Ou attend quelque chose de cette levée de boucliers. Menacés par la reine Aïmata,)es missionnaires le sont aussi dans leur métropole. La Société des missions a connu la tendance ambitieuse de ses délégués elle a eu vent que les évangélistes de la Polynésie se mêlaient trop souvent et trop ardemment des choses temporeiïes; que lorsqu'ils ne visaient pas au pouvoir, ils se laissaient aller à couvoiter la richesse, à devenir grands propriétaires, négociants même. Elle a pensé que cette direction n'était ni dans la lettre, ni dans l'esprit de leur mandat, et qu'il était temps de leur rappeler cette parole du Christ: "Mon royaume n'est pas de ce monde. En conséquence, on a soulevé pour Taïti cette question spéciale, que l'île étant toute chrétienne, il n'y avait nul inconvénient à la laisser sans apôtres, qui seraient mieux employés, d'ailleurs, dans les pays sauvages et idolâtres. Il estfacile de deviner combien cet incident lointain les préoccupe au milieu des complications focates.
Le capitaine Waldegrave visita Taïti en avril 1830. H trouva ce pays dans un état de transition entre J'empire
des anciennes habitudes et l'empire des lois nouvelles; entre les regrets des chefs d'avoir perdu leurs anciens priviléges et la satisfaction du peuple d'être émancipé. Quant aux missionnaires, ils avaient obtenu le monopole du bétail ils fournissaient souvent eux-mêmes les provisions des navires, et ils espéraient obtenir le commerce de t's~oM'-?-oo< et de J'huiie de coco. M. Morenhout, venu à Paris en 1S3-<, ne nous a donné que quelques détails sur la navigation et les croyances de Taïti. H ne parait pas qu'aucun événement important soit survenu depuis dans l'histoire de Taïti.
ARCHiPEL DE MANA!A OU HARVEY ('). Ce petit archipel, situé au sud-ouest des îles Taïti, est placé entre les 17" 40' et 22" de latitude sud, et les 160° et t6a" 30 de longitude ouest, Il n'a que 25 lieues carrées de superficie, et une population d'environ 10,000 âmes. Les différentes îles qui le composent sont Manaïa, Rarotonga la plus importante de toutes, Waïtou-Taki, Maouti, Watiou et Miti-Aro, Manouaï et Fenoua-Iti, ou Oha-Toutaïa suivant Cook. Nous y ajouterons l'île Hutt, l'île Roxburg, rfte Rourouti, l'île Douteuse d'Armstrong et les iles Palmerston sur lesquelles nous n'avons trouvé aucun détai), et dont l'existence ne nous paraît pas bien constatée, sauf te petit groupe de Palmerston, écueils bas, boisés et déserts, dont Pomare, roi de Taïti, ne put faire le Botany-Bay de ses États, ainsi qu'il l'avait tenté, et que Cook vit deux fois en 1774 et en 1777. Leur surface est en général montueuse. Le sol, en certains endroits très-fertile, produit en abondance du taro, des ignames, des bananes, etc.
(*) Nous avons extrait plus de la moitié des détails sur les ites Manaïa du journal de quelques missionnaires .ut~ais qui tes visitèrent en tSxa. Ct'recuei! est d'autant plus précieux qu'il est rare, et que tes navigateurs ne nous fournissent que fort peu de détails sur cet archipe).
JLEMAN.UA.
Le sommet de cette île gît par 2t° 55' de latitude sud, et 160° 18' de )ongitude ouest. Le capitaine Cook la découvrit le 29 mars 1777; il avait alors à son bord le fameux Maî dont nous avons longuement entretenu nos lecteurs. Deux naturels se hasardèrent à venir dans une pirogue le long du navire de Cook, mais ils ne voulurent jamais monter à bord. On leur demanda le nom de leur fie; ils répondirent Manghaïa ou Manghia. Ce célèbre marin avait mal entendu sans doute les missionnaires nous ont appris que le nom de cette île était Manaïa. lis y ajoutaient, dit-il, quelquefois le nom de Noué, Naï, Naïva. Ils dirent que leur chef s'appelait Orouaka. Cook essaya de débarquer, la violence du ressac l'en empêcha. Il ramena avec lui l'insulaire auquel il avait d'abord parlé, et qui, cette fois, consentit, quoique avec répugnance, à monter à bord il paraissait si inquiet et si mai a son aise, que Cook le renvoya bientôt. Ce navigateur, ayant vu de près les insulaires sur la plage, les dépeint comme ressemblant beaucoup aux Taïtiens. Leur physionomie était heureuse et leur caractère jovia). Leur barbe était longue, et de larges fentes pratiquées dans les lobes des oreilles leur servaient à placer des ornements ou des ustensiles utiles. L'un des naturels, à qui Cook donna un couteau, le plaça dans son oreille comme dans une gaine; les autres y mettaient des grains de verre ou des étoffes fabriquées avec l'écorce du brôussonetia, d'un aspect brillant et semblable à celles que fabriquent les habitants de Tonga.
Cette île est entourée d'une barrière de rochers de corail de vingt à soixante pieds de hauteur, et qui y laissent accès par trois ouvertures seulement. Six grandes vaitécs constituent la partie de l'ile cultivée. et portent des plantations de taros, de cocotiers, de bananiers et d'arbres à pain; mais ce dernier n'est pas abondant. Quelquefois une disette affreuse se fait sentir, et est suivje de la mort d'un grand nombre d'habitants,
Livraison. (OCBA.NIE.) T.
Deux causes concourent à amener cette calamité: d'abord la paresse du peuple; ensuite sa propension au vol,qui fait que fort souvent les plantations d'arbres à pain commencent à peine à croître qu'elles sont entièrement enlevées. l,es vols se muttipiient tellement, (jue tes propriétaires sont dans l'usage d'entourer de feuilles sèches les troncs des cocotiers, afin d'être avertis par leur bruit des tentatives des voleurs. Le nombre des habitants de Manaïa s'élève de mille à quinze cents. Quelques-uns ont embrassé le christianisme mais le chef et les principaux du pays ont conservé leur culte. Les missionnaires y fondèrent leur mission en)823.
L'île était partagée entre cinq chefs ou rois, appelés Numanatini, Teao, Paparani, Teournorongo et Kaiaou; mais le premier, ayant vaincu les autres, gouverne seul en ce moment, et a sous son autorité les chefs des six districts qui divisent le pays.
Les habitants non chrétiens reconnaissent cinq'divinités Oro, Tamé, Teahio, Tomti et Motoro. Ils offrent la première, mais peu fréquemment, des sacrifices humains. Ils ont aussi une espèce de vêtement sacré appelé MtCM'aM, qu'il n'est pas permis à tout le monde de porter. Les hommes et les femmes ne peuvent manger ensemble. Leurs funérailles méritent d'être rapportées. Sur une colline élevée est un gouffre profond qui communique probablement avec la mer; ils y jettent leurs morts de tout âi;e et de tout sexe, après leur avoir attaché autour du corps un morceau de drap avec une corde. On les apporte en cet endroit de toutes les parties de l'île, où il n'y a jamais eu d'autre mode d'enterrement. Its'exhate de ce réceptacle l'odeur la plus infecte.
L'infanticide est inconnu dans le pays. Cette cause, jointe au petit nombre de maladies épidémiques qu'on y connaît et à la rareté des relations avec les ELfropéens, fait que la population s'y accroît. Les missionnaires, et le capttaine du bâtiment qui les amenait, étaient les premiers hommes blancs
qui eussent débarqué à Manaïa; car Cook ne les avait vus qu'à bord de son vaisseau.
L'idiome de ]'!)e se rapproche plus de celui de la P!ouvei)e-Zee)and que de celui de 'Taïti. Le ny et le A y. prédominent t'A et t~n'y sont point usités. Les habitants déploient beaucoup d'adresse dans la confection de leurs vêtements, de leurs pirogues, de leurs haches de pierre et de leurs pendants d'oreilles. Ils ont la tête couverte d'étoffes peintes, entrelacées de grains et d'ornements d'un beau travail. Aucun insulaire de ces mers n'égale les Manaiens dans la fabrication de leurs bandelettes.
ttAMTONGA.
Cette île, qui est géographiquement peu connue, est située par 2)° 11' latitude sud, et 1620 33' longitude ouest. Le nombre de ses habitants est de six à sept mille. Trois chefs, Makê, Tinomana et Pa, la gouvernaient jadis, et se faisaient fréquemment des guerres sanglantes; mais, par un consentement unanime, le pouvoir souverain a étc défère à JMake, qui s'est converti an christianisme, et a prouvé ta sincérité de sa conversion en renvovant ses femmes, à l'exception d'une sente, et en adoptant tout ce qu'il a cru pouvoir contribuer au bonheur temporel et spi' ritud de son peuple. C'est un fort bet homme, qui a huit fils et quatre filles. Les progrès du christianisme ont été plus rapides dans cette île qne dans celles de Taïti. On le doit aux travaux de deux missionnaires taïtiens, pendant les deux dernières années. On soupçonnait à peine, avant cette époque, l'existence de l'île Rarotonga. Les habitants avaient jadis quatre divinités principales Taaroa, Botea, Tobiti et Motoro. Les deux dernières ont le même 'nom que celles de Manaïa. Ils n'offraient point de sacrifices humains ils avaient une association semblable à celle des arréoïs; mais ils ne massacraient point leurs enfants, excepté les filles, au moment de la naissance. Dans leurs guerres, les têtea,
des vaincus étaient coupées et mises en tas; les corps formaient un repas pour les' vainqueurs. Avant que ceux qui s'étaient convertis eussent acquis la supériorité qu'ils ont maintenant, ils eurent à combattre les idolâtres, qui les menaçaient journetiement de les détruire, eux et leur religion. Les derniers furent vaincus, et faussèrent leurs dieux au pouvoir de leurs antagonistes. Les vainqueurs traitèrent leurs ennemis avec douceur, et renvoyèrent leurs prisonniers; mais ils revinrent en corps et déclarèrent que, puisque teurs dieux les avaient trompés, ils voulaient se faire chrétiens. Les images des dieux qu'on avait prises, au nombre de quatorze, et avant vingt pieds de hauteur, étaient à terre, dans la demeure des missionnaires, comme jadis Pagon devant l'arche.
L'établissement des missionnaires est situé à l'entrée d'une belle vallée de trois milles de longueur; il contient plusieurs centaines de maisons. La demeure du roi, qui a cent trente-six pieds sur vingt-quatre, est enduite de ciment, et ornée de coquittages disposés avec goût eHe contient huitappartements avec des planchers. A coté, ii y en a une autre où mange le roi, et ou demeurent ses domestiques. La maison des deux missionnaires est meublée de lits, de sofas, fauteuils et tables; le tout confectionné dans le pays et par les insulaires.
L'île entière ne forme qu'un jardin; tout est couvert de taras, de bananiers, de potirons et de patates le cocotier y est très-rare, ainsi que l'arbre à pain, dont tes habitants font peu de cas. Ils sont en général portés à l'agriculture. Les hommes, les femmes et les enfants sont sans cesse occupés aux travaux des champs.
Le roi et les principaux chefs savent lire, et l'instruction fait de rapides progrès chez le peuple. La pluralité des femmes y est entièrement abolie. WAITOU.TAKI, L'.4!TOUTAKÉ DES MISSiONNAfRES.
Cette île fut découverte en avril 1789
par Btigh, qui communiqua seulement avec les naturels. La pointe nord gît par 18" 47' de latitude sud, et par 162° 8' de longitude ouest/Deux ans après Bligh, vint Edwards.
En 1821, le missionnaire Williams laissa sur ce point deux prédicateurs taïtiens. Le roi Tamatoa se fit chrétien, et ses sujets imitèrent son exemple. L'établissement formé dans cette île a environ deux milles de long; il consiste dans un grand nombre de chaumières blanches bâties à l'ombre de grands aïtos, ce qui forme un coup d'œit très-pittoresque. On a co.nstruit, pour que les bateaux puissent plus facilement prendre terre, une espèce de môle en rochers de corail, où l'on hisse un pavillon quand it y a un bâtiment en vue. Ce mote a six cent soixante pieds de long sur dix-huit de large. Le nombre des maisons s'éleve à cent quarante-quatre; plusieurs sont meublées de lits et de sofas. Celles des chefs, quoique bien construites, ne valent pas cependant celles de Rarotonga. Une grande quantité d'habitants savent lire et sont très-disposes à s'instruire, quoique t'en reconnaisse encore parmi eux quelques-uns des usages de la vie sauvage.
Souvent la disette a lieu dans cette !te, comme à Manaïa et à Rarotonga. Elle manque d'eau, et, de juin à novembre, tous les ruisseaux tarissent. Les habitants sont obligés de faire des trous dans la terre pour avoir une eau noire et putride; ce qui est dû en partie aux rats qui se précipitent dans ces trous pour étancher leur soif, s'y noient et y pourrissent.
MAOCTÎ.
Cette île est entièrement entourée d'un récif de corail qui ne laisse pa~ d'accès au plus petit canot. Ce récif est formé de bandes eircuiaires de dix S vingt pieds de hauteur, en dedans desquelles s'en trouvent d'autres mpins 1.s élevées, mais séparées les unes des autres par des cavités profondes. Le sfui moyen d'arriver à t'ite est de descendra sur le récif, (tans les endroits où te
ressac est le moins fort et où la mer est la plus basse, et d'aller tantôt à gué, tantôt en marchant sur les rochers, ce qui est aussi difficile que dangereux. La distance à traverserdecette manière est d'environ deux milles tout autour de Cite.
Elle fut découverte en 1821, par les propagandistes taïtiens.
L'étabHssement des missionnaires est à quatre milles dans l'intérieur. Le nombre des habitants n'excède pas deux cents. Ils sont très-propres, et les femmes sont bien mises; on en voit peu qui ne portent des chapeaux ou des bonnets. Lord Byron, sur la frégate la Blonde, visita cette île en 1825, et se plut à rendre justice à l'état de civilisation de la peuplade.
MtTIARO.
Cet îlot est nu, inculte et stérile. Les habitants, au nombre d'environ une'centaine, ont beaucoup de peine à subsister, et paraissent tres-misérabtes. Us désirent aller s'établir aux îles de Taïti. Ils aiment le travail, et sont fort disposés à s'instruire ils sont tous chrétiens. 11 git par 19° 54' de latitude sud, et par 1600 4' de longitude ouest. WATIOC, L'ATOUI DES MISSIONNAIRES. Le sol de cette ne est inéga) les collines, peu élevées, sont planes à leur sommet, et les vallées profondes et spacieuses. Sur une de leurs extrémités, au centre de l'île, d'où l'on jouit d'un coup d'œii agréable, sont la demeure du chef et celle des missionMaires. La masse du peuple est retournée à l'idolàtrie; mais les chefs et quelques individus se prêtent encore aux instructions qu'on leur donne. Les femmes paraissent être dans un état complet de dégradation et d'avilissement. On tes contraint à labourer la terre,'à'apprêter les repas, et à faire les travaux les plus rudes. Les hommes, lorsqu'ils ne sont pas occupés à pêcher, passent leur vie dans l'oisiveté. Les vallées sont cou vertes de cocotiers, mai t'arbre à pain est très-rare l'auté,
L'UNIVERS
ou mûrier de la Chine, a été détruit par les cochons. Le vol est sévèrement puni à Watiou. Cette île fut découverte par Cook, en t777. Les missionnaires s'y établirent en )8Nt. Elle a six lieues de circuit, est environnée de brisants, et peuplée de quelques centaines d'indivtdus. Son sommet est situé par 20° 3' de latitude sud, et 16u° 28' de longitude ouest.
FENOCA.tTt.
Cette petite île, que Cook découvrit en <777, et qu'il nomma Oka-Toulaïa, est une terre basse, bordée d'une grève de sable blanc et boisée à l'intérieur. Le grand navigateur la trouva déserte, quoqu'i) y observât des cases abandonnées récemment.
Elle n'a pas été comprise dans le groupe des !fes Harvey (3/<Ma!a') des missionnaires. Sa position est par <9° 5' de latitude sud, et 160. 38' de tongitude ouest.
Nous ne mentionnerons pas les écueils Beveridge et Nichotson qui sont fort éloignés, à l'ouest de l'archipel de Manaïa, et dont l'existence est encore douteuse.
ARCHIPEL DE SAMOA (*) OU HAMOA, OUbESNAV)GATEnM,ET)LESNiOCHA. GÉOGjttPHtE.
Voguons vers l'archipel de Samoa. Après avoir parcouru un grand espace de mer, des bandes de fous et de goëlands signalent l'approche de la terre; atterrissons sur une petite !te, la seule qu'ait découverte le capitaine Freycinet c'est l'île Rose. Elle a reçu le nom de son épouse, cette intrépide amazone de la science, qui t'accompagna dans son voyage autour du monde. Cette petite ile est entourée d'un récif de six milles de circuit. Au centre, on ne trouve que quelques arbustes. Elle ne paraît pas avoir d'autres habitants que des goelands.
(*) Un capitaine espa~no) et un baleinier américain nous ont assuré que le véritable nom de cet archipel était Samoa et Mon Hamoa.
Mais avant de continuer, disons un mot du découvreur de ces Des. Après avoir longtemps et consciencieusement compare, avec tout le soin dont nous sommes capable, et les cartes et les relations anciennes et modernes, nous sommes personnellement convaincu que le petit archipel de Samoa est le même que celui que Roggeween découvrit en )772, et nomma Iles Bauman. )t nous semble cependant que le navigateur hollandais dut n'avoir de communications qu'avec les insulaires d'une partie de l'archipel, selon sa relation, embrouillée par lui ou plutôt par Behrens, sergent ignorant, à qui on en doit la publication. M. de Fleurieu a de nouveau embrouillé cette relation, en s'efforçant de t'éctaircir ce qui arrive souvent aux commentateurs en effet, la supposition qu'établit ce savant, pour expliquer les positions données par Behrens, est évidemment forcée, quoique ingénieuse. H prétend que Behrens a du compter les longitudes du méridien de Meklembourg,etcertes il n'ajamais été question d'un tel méridien. Le grand géographe Malte-Brun place ces îles Bauman, avec les îles Groningen et Tienhoven, dans l'archipel de Roggeween. Ces îles n'ayant pas été trouvées, nous sommes doublement autorisé à persister dans notre opinion, c'est-à-dire, à penser que les fies vues par le navigateur holiandais sont l'archipel de Samoa. Rog~eween, ou fauteur de la relation, dit que les naturels avaient une physionomie douce et bienveillante, que leur humeur était spirituelle et gaie, que c'était, en un mot, le peuple le plus honnête des îles du grand Océan. Néanmoins, ladescriptiondes terres qui composent tes îles Bauman, malgré un grand nombre d'erreurs et de confusions dans les positions géographiques, correspond d'une manière frappante avec celle qui va suivre. La chaîne des îtes Samoa embrasse une étendue de cent lieues de l'est à l'ouest, par le t4° degré de latitude méridionale. La superficie de cet archipel est d'environ sept lieues carrées, et sa population paraît_être au moins
de soixante mille habitants. Nous donnerons le nom de chacune de ses îles en indiquant sa position.
L'île du milieu porte le nom de MAOUNA. Sa pointe occidentale est par 14° 20' 18" de iatitudesud,ett73°7'de longitude ouest. Elle a dix-sept milles de longueur sur sept de largeur; elle est fertiie, quoique montueuitê et boisée elle a deux îlots dans son voisi-nage.
Cette Me, la troisième en grandeur de l'archipel, est couverte de bois de palmiers, où les villages semblent cachés, d'arbres à pain, de cocotiers et d'orangers. Ses bosquets, retentissant du bruit des cascades qui se précipitent en pluie écumeuse du haut des falaises, sont peuplés de perruches, de ramiers et de tourterelles. Les cases des habitants y sont construites sur un soi factice, composé de petits cailloux choisis et élevés de deux pieds audessus de terre, pour se garantir de t'humidité. Elles sont partagées en p!usieurs chambrettes dans l'intérieur, par des treillages artistement faits; le toit est couvert de feuilles de cocotier; un rang d'arbres taillés en colonnes en forment le pourtour, et, entre elles, de jolies nattes jointes ensemble s'élèvent et s'abaissent par le moyen de cordes, ainsi que des persienucs. OpûUN, LEONE et FANFOUE,sont trois îles hautes et boisées, qui paraissent de loin ne former qu'une seule île, attendu qu'elles ne sont séparées que par des canaux étroits. Elles s'étendent entre 14" 5' de latitude sud, et 171° 42' au 1720 2' de longitude ouest. Opoun a deux cents toises environ d'é)évation elle est coupée à pic et hérissée d'arbres, et surtout de cocotiers. On y voit un grand nombre de plantations de patates et d'ignames. Dans toute la Polynésie, les villages sont situés sur la plage ici ils semblent suspendus à mi-coteau.
OÎOLAVA a 40 milles de longueur sur )0 milles de large; elle est accompagnée de plusieurs îlots. Cette île, par la beauté de ses aspects, sa fertilité et sa population, est au moins égale à la riante Taïti. Malheureuse-
ment elle ne possède aucun ancrage, La Pérouse pensait que Oïotava était te plus grand village de la Polynésie. L'île Pt-ATt, adhérente à OTo!ava, est située par 13° &3' de latitude sud, et 174° 33 de Jongitude ouest. Elle est fort petite, mais excessivement fertile et poputeuse. Quand les étrangers y arrivent, elle devient un bazar flottant de légumes, de fruits et de cochons: ondirait les jardins flottants de Mexico. POLA. Selon la Pérouse et Kotzebue, c'est une terre admirable, de l'aspect le plus riant, et d'une prodigieuse fécondité. Elle a 100 miHes de circonférence; elle s'étend entre le 13° 26' et le 13° 48' de latitude sud, et entre 1740 30' au 1?~° 8' de longitude ouest. H est malheureux que les navigateurs que nous avons nommés ne l'aient pas reconnue dans toutes ses parties. Nous avons déjà décrit la petite île Rosé, qui paraît déserte.
SOL Et PRODUCTIONS.
Parmi les récifs de corail qui environnent ces îles, on trouve des cailloux de basalte. Les arbres à pain, le cocotier. le bananier, l'oranger, le gouava, la canne à sucre, les ignames, les patates, les poules, les cochons et les chiens, du poisson en abondance, de beaux ramiers, des tourterelles, des perruches et une foule d'oiseaux au brittant plumage, voilà ('histoire naturelle et les aliments de ces peuples. Deux cents pirogues apportèrent à la Pérouse une quantité prodigieuse de fruits et de cochons, et plus de deux cents pigeons ramiers et perruches, tellement apprivoisés, qu'ils ne voulaient, dit-il, manger que dans la main. Les îles de ce magnifique archipel te distinguent par l'absence de grands animaux, ainsi que toutes les autres îles de l'immense Polynésie.
INDIGÈNES.
Les indigènes sont d'une taille tres~ëvée, bien faits et très-musculeux. Leur teint est foncé; leurs cheveux, droits et ébouriffés, et souvent eoiorés
en jaune ou rouge, ressemblent à un buisson; quelquefois ils sont bouclés et enformedegrandes perruques. Généralement, ils n'ont pour tout vêtement qu'une ceinture d'herbes marines qui leur descend au genou et qui les fait ressembler aux dieux des fleuves de ia Fable. Quetques-uns ont une espèce de pantalon qui va des hanches aux pieds. Quelques colliers de verroteries ornent la poitrine d'un petit nombre. Leur tatouage est peu remarquable. Les habitants de Maouna ont paru violents, féroces, quere!teurs, et même cannibates aux voyageurs, et ceux de i')ie Plate leur ont paru doux et paisibles. Les femmes qui ont été aperçues à bord des pirogues, ont paru jolies à la Pérouse, fort grandes, luxurieuses et dévergondées. La piupart de leurs villages sont construits sur les bords des cours d'eau qui se jettent dans la mer; et comme ils communiquent toujours des uns aux autres en pirogues, et que l'archipel en est couvert, ils poussent leur navigation jusqu'aux Mes Viti. Bougainville donna au groupe entier le nom de Navigateur, dont nous le dépouillons, selon notre usage, enfaveurdu nom indigène. Uneécharpe de feuilles servait de ceinture à ses habitants, et un ruban vert s'enlacait dans leur chevelure ornée de fleurs. Pendant la relâche de la Pérouse, toutes les femmes de t'i)e furent à la disposition des équipages. Les vieillards servaient de prêtres et d'autel au culte de Vénus, pendant que des matrones célébraient par des chants ces noces brutates, et concluaient ces marchés impudiques (*).
H est à remarquer que ces hommes à la taille herculéenne se moquaient de la taille médiocre et grêle des Français de la Pérouse.
Un tagale ou un bissaya, qui était à bord de la frésate montée par le géné-
rat, comprenait en partie leur langage. Les Samoans sont industrieux. Ils construisent admirablement, avec des haches d'un basalte fin et compacte, leurs pirogues qui manœuvrent fort
('')Yoyagede)aPerouse.t.ni,p.73.
bien à la voile. Ils fabriquent des grands plats à trois pieds. Ils travaillent également bien à des tissus soyeux qui ressemblent à ceux que font les Zeelandais avec le formium <e?MM' mais on ignore quelle est la plante qu'empioient les Samoans. Leurs nattes et leurs étoffes papyriformes sont également d'une finesse et d'une élé.gance fort remarquabi es ( voy. pl. 168). HISTOIRE.
Nous avons déjà établi les motifs qui nous font attribuer la découverte des îles Samoa au navigateur hollandais Roggeween; elle aurait eu lieu en 1722. Néanmoins, grâce aux erreurs des gisements géographiques dont fourmnient sa relation, ïtougainville peut en être considéré comme le véritable découvreur.
Ce fut peu de jours après avoir quitté Taïti que le célèbre navigateur français vit les îles de cet archipe), excepté celle de Pola. Il eut quetques communications avec les indigènes, et le portrait qu'il en fait est plus ressemblant que celui de Roggeween. Il observa que leurs pirogues étaient mieux construites et plus nombreuses que celles des autres peuples de ta Polynésie, et qu'elles volaient sur les eaux; c'est pourquoi il nomma cet archipe) iles des Navigateurs. M. Balbi, à son tour, a proposé de les nommer ~fcA!/)e< de ~o«yo'Htt!<c, pour éterniser la découverte de cet ttfustre marin.
Le plan de campagne de la Pérouse lui imposait la reconnaissance complète de ces îles, que son devancier n'avait fait qu'ébaucher. La Pérouse parut à Maouna le 6 décembre 1787, et ce fut dans une relâche de dix jours que le capitaine de Lanste, son ami, et un des meiiteurs ofBciers de la marine française, le naturaliste Lamanon et neuf marins et soldats furent massacrés par les naturels (voy. pl. 214). C'est à cette occasion que ce grand navigateur, qu'attendait une pius grande infortune, dit « Je suis mille fois plus eu colère contre les philo-
"sophes qui préconisent les sauvages, « que contre les sauvages mêmes. Le « malheureux Lamanon, qu'ils ont « massacré, me disait encore, la veille de sa mort, que les Indiens valaient « mieux que nous (*). » H paraît que ce massacre eut lieu parce que la Pérouse avait donné des verroteries à quelques chefs, et avait oublié les autres.
Les équipages des deux frégates poussaient des cris de vengeance et de rage. Cent pirogues étaient autour des vaisseaux, avec des hommes, des femmes et des enfants il dépendait de ce brave général de sacrifier une épouvantable hécatombe aux mânes de ses amis, de ses marins et de ses soldats. Cet excédent homme résista aux cris des Français, et se contenta de disperser cette *f)ottit!e en tirant un coup de canon à poudre; mais ce fut ]a dernière fois qu'il usa de tels ménagements envers les sauvages. Le lendemain, des centaines de pirogues revinrent faire leurs évolutions autour des frégates. La Pérouse fut sur le point de céder au vœu de ses marins; s'il eut trouvé un ancrage stir, il se serait embossé pour canonner les vi[lages de ces sauvages. It eût dû néanmoins réclamer les cadavres des Français, que ces cannibales dévorèrent t probablement dans un festin mais il nt appareiller le 14 décembre, et prolongea la côte d'Oïolava, où plusieurs embarcations vinrent au-devant de lui: les naturels de cette île se montrèrent doux et tranquilles. Il vit encore )'He magnifique de Pola, et quitta enfin ces funestes parages.
L'Anglais Edwards parcourut l'archipel en 1791, et lui imposa d'autres noms, sans aucun égard pour des droits antérieurs.
En 1824, le captaineOttodeKotzebüe en fit la reconnaissance, et confirma ou rectifia le travail de la Pérouse. On peut conclure de sa relation que les nature)s des îles occidentales, telles que Oïufava, l'île Plate et Pola, sont d'un caractère plus humain, plus (*) Voyage de la Pérouse, t. IV, p. 43g.
doux, plus juste et plus social, que ceux de Maouna. Cette différence paraît provenir de ce que les premières îles ont des chefs dont l'autorité est bienveillante et respectée, tandis que l'anarchie règne seule à Maouna. Nous devons vivement désirer que les missionnaires s'étabHssent sur ces terres, plus riches que celles qu'ils ont déjà soumises au culte de Jésus. Là ils pourront rendre de grands services à la science et à l'humanité.
GROUPE DE NIOUHA.
Ce petit groupe se compose de deux petites îles séparées par un canal de trois milles de large. Celle du nord est un cône élevé, entièrement couvert d'arbres dans un diamètre d'environ trois milles, et l'autre est un morne entouré de terres basses et plates. Sa longueur est de trois milles et demi, et sa largeur de deux milles. Au midi, des récifs forment un mouillage par vingt à vingt-cinq brasses. La première de ces deux îles est située par 15° 50' de latitude sud, et 17C°deiung. ouest. Les indigènes ressemblent beaucoup à ceux de l'archipel de Samoa. Schouteu, qui la découvrit et y mouilla ]e jlmail6t6,vituneSguredeco< peinte sur la voile de leurs pirogues. Il recut la visite d'un /a<OM (roi d'une île voisine). Ce mot rappelle les datous de Maïndanao et de l'archipel de Soulong. Sa majesté sauvage parut enchantée du concert bruyant que lui donnèrent les trompettes et les tambours du bord. H fit cadeau d'une natte à Schouten, qui fui donna à son tour une hadie, des clous, une pièce de toile et quelques verroteries.
Le lendemain, les piroguesdeNiouha voulurent briser le navire, et se brisèrent contre lui. La double pirogue du roi fut du nombre. Le feu de quelques pierriers, chargés de balles et de vieux clous, eut bientôt dispersé les agresseurs. Schouten quitta ces lies, qu'il nomma lies des Cocos et Yerruders (traîtres). ).
Wallis les revit en 1767 sans s'y arrêter. Il remarqua que les naturels
avaient la première phalange du petit doigt coupée. Wallis les nomma Boscawen et Keppel.
En 1781, Maurelle, manquant de tout, vint s'y ravitailler, et les nomma las :o'x de la Consolacion. Les naturels, dit-il, étaient doux et honnêtes, et parlaient la même langue que ceux de Vavao.
La Pérouse vit l'île haute en 1787, et il trouva les naturels assez semblables à ceux de Samoa.
Mariner en a parlé en passant mais il ne parait pas qu'il les ait visitées. OPPOSITION DE CARACTÈRES ENTU); LES IIA.BITANTS DE LA POLYNÉSIE.
Matgré tout le charme qui est attaché depuis longtemps et à juste titre à l'archipel, et particulièrement à l'île de Taïti l'immense Polynésie renferme des terres dignes de fixer toute l'attention des amis de la géographie, la plus belle, la plus utile, la plus difficile et la plus agréable des sciences, à notre avis, quand on la considère sous toutes ses faces. L'esprit d'observation qui caractérisé éminemment l'époque ou nous vivons, l'importance et l'intérêt des faits recueillis par les voyageurs, ont agrandi une sphère auparavant trop resserrée. I) n'est pas exact de dire que tous les peuples potynésiens se ressemblent. H existe une aussi grande opposition de caractères entre les habitants de beaucoup d'îles de la mer du Sud qu'entre plusieurs nations de notre Europe. Nous avons déjà observé ces oppositions à Haoua), aux Carolines, à Nouka-Hiva et à Samoa. Les Taïtiens peuvent être considérés comme les Sybarites, et les Tongas comme les Spartiates des îles du grand Océan. ARCHIPEL DE TONGA.
Les générations qui ont occupé le sol des îles Tonga se sont écoulées pendant une longue suite de siècles, sans laisser aucune trace de leur passage, que quelques traditions obscures, et le nom de quelques chefs qui ont
bri!)é sur ces terres, antérieurement à leur découverte par les européens. Le christianisme vient de pénétrer à Tonga; la civilisation européenne commence à prendre racine parmi ses habitants dans quelques années, peut-être, ils n'auront plus à offrir à l'observateur aucun vestige de leur type primitif.
C'est donc véritablement le moment de tracer une esquisse rapide des coutumes et de l'histoire de cet archipel. Seulement, jusqu'à ce que nous soyons à l'histoire de ce peuple, nous parlerons des mœurs et des institutions comme si elles étaient dans toute leur vigueur, car elles ne peuvent être encore modifiées que d'une manière peu sensible. GÉOGRAPtUE ET TOPOGRAPHIE.
L'archipel de Tonga comprend près de cent îles, îlots et atollons, sur une étendue de deux cents milles du nord au sud, sur une largeur moyenne de cinquante ou soixante mittes~c'est-àdire du <8" au 20° de latitude sud, et du 176° au 178° de longitude ouest. Lesp)usconsidérab)essontce))esde Vavaou, Tonga-Tabou, Ëoa,Lefouga, Kamouka Tofoua et Laté. Leur superficie peut être évaluée à environ 80 lieues carrées, et leur population à 50,000 individus.
Cet archipel peut être divisé en trois groupes au sud les îles Tonga proprement dites, au centre les îles Hapaï, au nord les îles Hafoutou-Hou.et, en outre, quetquestieséparses ou éloignées.
Nous emprunterons le résumé géographique de ce chapitre au savant navigateur M.d'Urviue,enyoomprenant la description intéressante d'Éoa par le narrateur de Cook, la description bien plus intéressante de TongaTabou par Anderson et quelques passages de M. Bennett, qui vient d'achever récemment son voyage dans ces contrées. Nous ajouterons a cette topographie cette de la petite île Pylstart et de l'île Sauvage.
ËOA, la plus méridionale de ces îles, fut découverte, en 1643, par Tasman, qui la nomma .MMeM'OM~. C'est une
terre de hauteur médiocre,assez peuplée, ayant onze milles du nord-nordouest au sud-sud-est, sur six ou sept de large. Forster, qui parcourut Ëoa en 1773, fait un tabreau char!~ant de ses sites et des tnœurs hospitalières de ses habitants. Comme elle est dépourvue de bons mouillages,e!teaété peu visitée depuis Cook. Eoa relevait jadis de l'autorité du Tom-Tonga; mais depuis que cette puissance s'est éteinte, elle obéit à un chef particulier. Le sommet de l'île gît par 2l" 25'de latitude sud, et <75" 17' de longitude ouest. A quelques milles au sud'ouest est un îlot nommé Katao.
Un de nos savants les plus recommandables et les plus consciencieux, M.Wa.'iienaërditqueieso)det'ife Eoa est en généra) drgiteux, et qu'on y voit percer le corail jusqu'à la hauteur de trois cents pieds au-dessus du niveau de la mer.
Voici comment Cook a peint )'!te Eoa et ses habitants
t Après avoir rangé les bords sudouestdet'itetap)ussrandcjusqu'aux deux tiers de sa longueur, à la distance d'environ un demi-mine de la côte, sans apercevoir ni mouillage ni débarquement, nous cin~)â)))es du côté d'Amsterdam ( 7'OMg'a, surnommé 7"a!bou), que nous avions en vue. A peine eûmes-nous orienté les voiles, que les côtes de Middetbourg (Ëoa) présentèrerit un autre aspect; elles parurent offrir un mouillage et un lieu propre à atterrer alors je serrai )e vent et je courus sur l'île.
Nous apercevions des p)aines au pied des collines, et des plantations de jeunes bananiers, dont les feuilles, d'un vert éclatant, contrastaient avec les teintes diverses des différents arbrisseaux, et ia couleur brune des cocotiers, qui semblait être l'effet de l'hiver. Le jour ne faisait que poindre, la lumière était si faible que nous vîmes plusieurs feux briller entre les bois, et peu à peu nous distinguâmes les insulaires qui marchaient le long de la côte. Les collines, basses et moins élevées au-dessus du niveau de la mer que l'île de Wight, étaient ornées de
petits groupes d'arbres répandus çà et ]à à quelque distance et l'espace intermédiaire paraissait couvert d'herbages, comme la plupart des cantons de l'Angleterre. Bientôt les habitants lancèrent leurs pirogues à la mer, et ramèrent de notre coté. Un Indien arriva à bord, et nous présenta une racine de poivrier enivrant des îles de la mer du Sud; et après avoir touché nos nez avec cette racine en signe d'amitié, il s'assit sur le pont, sans proférer un seul mot. Le capitaine lui offrit un clou, et à l'instant il le tint élevé au-dessus de la tête, en prononçant .taj/o/e&M, mot que nous prîmes pour terme de remercîment. I) était nu jusqu'à la ceinture, et de la ceinture une pièce d'étoffe, semblable à celles de Taïti, mais enduite d'une couleur brune et d'une forte colle, qui la rendait roide, et propre à résister à la pluie, lui pendait jusqu'aux genoux; il était d'une taille moyenne et d'un teint châtain assez pareil à celui des Taïtiens ordinaires, et ses traits avaient de la douceur et de la régularité. Il portait sa barbe coupée ou rasée, ses cheveux noirs et frisés en petites boucles, et brutes à la pointe. On distinguait sur chacun de ses bras des taches circulaires, à peu près de la grosseur d'un écu, composées de plusieurs cercles concentriques de points tatoués à la manière des Taïtiens, mais qui n'étaient pas noirs. On remarquait encore d'autres piqûres noires sur son corps. Un petit cylindre était suspendu à chacun des trous de son oreille, et sa main gauche manquait de petit doigt. I) garda le silence pendant un temps considérable; mais d'autres insulaires, qui arrivèrent après lui, furent plus communicatifs, et, ayant accompti la cérémonie de toucher le nez, ils parièrent un langage inintelligible pour nous.
De nouvelles pirogues, montées chacune par deux ou trois hommes, s'avancèrent aussi hardiment vers nous, et quelques-uns des Indiens entrèrent sur notre bord sans hésiter. Cette marque de confiance me donna une bonne opinion des insulaires, et
me détermina à relâcher parmi eux, si cela était possible. Je fis des bordées, et je trouvai enfin un bon mouillage par vingt-cinq brasses fond de gravier, a trois encâblures de la côte. La terre la plus élevée sur l'île nous restait au sud-est quart est; la pointe septentrionale au nord-est demi-est, et la pointe ouest au sud quart sudouest demi-ouest. L'ite d'Amsterdam s'étendait du nord quart nordouest demi-ouest au nord-ouest demiouest. Dès qu'on eut jeté l'ancre, nous fûmes entourés par un grand nombre de pirogues remplies d'Indiens qui nous apportèrent des étoffes, des outils, etc., qu'ils échangèrent contre des clous, etc. Ils faisaient beaucoup de bruit; chacun montrait ce qu'il avait à vendre en criant, pour attirer des acheteurs. Leur langage n'est pas désagréable, mais ils prononçaient sur une espèce de ton chantant tout ce qu'ils disaient. Plusieurs vinrent sur le pont, et un entre autres que je reconnus pour un chef à l'autorité qu'il semblait avoir sur les autres, et je lui donnai en présent une hache, des clous de fiche, et d'autres choses qui lui causèrent une grande joie. Je gagnai ainsi t'amitié de ce chef, qui se nommait Ti-Ouny. M admirait beaucoup nos étoffes et nos toiles anglaises il donnait ensuite la préférence à nos outils de fer. Son maintien était très-libre et très-déterminé; car il entra dans la grande chambre, et partout où nous jugeâmes à propos de )e conduire. « Je m'embarquai bientôt sur deux chaloupes avec plusieurs personnes de nos équipages, et accompagné de TiOuny, qui nous conduisit dans une petite crique formée par les rochers, directement en travers des vaisseaux, et où le débarquement était fort aisé, et les bateaux a l'abri de la houLe.Une foule immense d'Indiens poussèrent des acclamations à notre arrivée sur la côte. Il n'y en avait pas un seul qui eût un bâton ou quelque arme à la main signe indubitabfe de leurs dispositions pacifiques. Ils se serraient de si près autour de nos bâtiments, eu
offrant d'échanger des étoffes de leur pays, des nattes, etc., contre des clous, qu'il fallut un peu de temps pour trouver de la place pour notre débarquement. Ils semblaient plus empressés à donner qu'à recevoir; car ceux qui ne pouvaient pas s'approcher assez de nous jetaient, par-dessus les têtes des autres, des balles entières d'étoffés, et ils se retiraient sans rien demander ou rien attendre.
« Un grand nombre d'hommes et de femmes, parfaitement nus, nageaient à coté de nous, en élevant d'une main des anneaux d'écaiii& de tortue, des hameçons de nacre de perte, etc., qu'ils voyaient vendre.
« Enfin le chef tes fit ouvrir adroite et à gauche, et il y eut assez de place pour que nous descendissions à terre. Ils npus emportèrent hors de nos chaloupes sur leur dos. Le chef nous mena ensuite à son habitation, agréablement située à environ trois verges de la mer, au fond d'une belle prairie et à l'ombre de quelques shaddeks On voyait au frout la mer et les vaisseaux à f'ancre; derrière et de chaque côté, on apercevait de jolies plantatrons, qui annonçaient la fertilité et l'abondance. Il y avait, dans le coin de la maison, une cloison mobile d'osier toute dressée, et par les signes des habitants nous jugeâmes qu'elle séparait les lieux où ils couchent. Le plancher était couvert de nattes sur lesquelles nous nous assîmes, et les naturels, s'asseyant aussi en dehors, nous environnèrent d'un cercle. On avait apporté nos cornemuses, et j'ordonnai d'en jouer. Le chef, de son côté commanda à trois jeunes femmes de chanter, ce qu'elles firent de bonne grâce; comme je leur offris à chacune un présent, toutes les autres se mirent dans i'instantà à les imiter. Leur chant était musical et harmonieux, et il n'avait rien de faux ni de désagréable; il était plus savant que celui des Taïtiens. Les chanteuses battaient la mesure en glissant le second doigt sur ie pouce, tandis que les trois autres doigts restaient élevés (*). Elles va(*) La musique est eu ~o mineur; en voici
riaient les quatre notes, sans jamais aller plus bas qu'a ou plus haut qu'e. Durant ce concert, un vent léger embaumait ['air d'un parfum délicieux qu'exhalaient les fleurs blanches des orangers plantés derrière fa maison, et dont on vint bientôt nous offrir les fruits." »
L'ueToNGA-TAMU (c'est-à-dire Sacrée), et la métropoiede)'arehipei,est une terre fertile, peu élevée, mais couverte d'une riche végëtation;c'est encore Tasman qui en fut le découvreur; il la nomma .~M~er<&ïw.Tonga-Tabou, dit d'Urville, a dix-huit milles de l'est à l'ouest, sur douze milles de largeur. Fortement échancrée vers le nord par un vaste lagon, elle affecte la forme d'un croissant irrégulier; toute la bande septentrionale est, en outre, accompagnée d'un immense récif, couvert d'ilôts verdoyants. Les plus remarquables sont Atata, Pangaï-Modou, Oneata, Nougou-Nougou.Fafaa, Malinoa, Onevaï, Nogou et Taou. A l'intérieur de ces brisants sont des ancrages assez sùrs;maisrentrée en est difficile et très-dangereuse. Vis-à-vis la passe de l'est, et détachée tout a fait de Tonga-Tabou, est une petite île basse nommée Eoa-Tchi, d'un miHe'ou deux de longueur.
L'eau douce, continue d'Urville, est rare sur cette île toute plate; mais en creusant à une certaine profondeur, on en trouve de potable. La flore du pays est riche; elle a déjà quelques rapports avec la flore mélanésienne, et comprend des espèces absentes de la Polynésie orientate.
HISTOIRE NATURELLE DE TON6A.TABOU. On peut compter cette terre (*) au nombre des îles basses. En effet, les arbres de la partie occidentale, où nous étions à l'ancre, se montraient à peine, )esnotes:!a,ut,u(,re,re,ut,ut,!a, la, ut, re, re, ut, mi; la mesure est à quatre temps; tontes les notes sont des noires, excepte un lit et tin n:< que nous avons désignes par des italiques. &.L.D.R. (*) Ce el;apitre est traduit d'Anderson.
ligne au reste, nous y relâchâmes au solstice d'hiver, et il faut peut-être at-\ trihuer à la saison l'instahilité du temps. Les vents y souff!entieptus souvent entre le sud et t'est, et lorsqu'ils.sont modérés, on a ordinairement un ciel pur. Quand ils deviennent plus frais, l'atmosphère est chargée de nuages; mais elle n'est point brumeuse, et il pleut f'équpmment. Les vents passent quelquefois au nord-est, au nord-nord-est, ou même au nord nordouest mais ils ne sont jamais d'une longue durée, et ils ne soufflent pas avec force de ces points du compas, quoiqu'ils sc trouvent en général accompagnés d'une grosse pluie et d'une chaleur étouffante. On a déjà dit que les végétaux se succèdent d'une manière très-rapide je ne suis pas sûr toutefois que les variations de l'atmosphère, qui produisent cet effet, soient assez frappantes pour être remarquées des naturels, ou que les diverses saisons déterminent leur régime; je suis même tenté de croire le contraire, car le feuittagedes productions végétales n'éprouve point d'attération sensible aux diverses époques de t'année; chaque feuille qui tombe est remplacée par une autre, et on jouit d'un printemps universel et continu.
Un rocher de corail, le seul qui se présente sur la côte, sert de base à t'îte, si nous pouvons en juger d'après les endroits que nous avons examinés. Nous n'y aperçûmes pas le moindre vestige d'aucune autre pierre, si j'en excepte les petits caittou'< bleus répandus autour des,/at<(M<Aa. et une pierre noire polie et pesante qui approche du lapis /6<!M, et dont les naturels font leurs haches. H est vraisemblable que ces dernières pierres ont été apportées des terres des environs; car nous achetâmes de l'un des insulaires un morceau de pierre de la nature des ardoises et couleur de fer, que les habitants du pays ne connaissaient pas. Quoique le corail s'étance en beaucoup d'endroits au-dessus de tasurtace du terreau, le sol est en général d'une profondeur considérable. Dans tous les districts cultivés, il est communément noir et
friable, et il semble venir en grande partie du détriment des végétaux il est probable qu'il se trouve une couche argileuse au-dessous, car on la rencontre souvent dans les terrains bas et dans ceux qui s'élèvent, et surtout en divers endroits près de la côte, où il est un peu renflé; lorsqu'on le fouille, il paraît quelquefois rougeâtre, plus ordinairement brunâtre et compacte. Dans les parties où la côte est basse, le sol est sablonneux, ou plutôt de corail trituré; il produit néanmoins des arbrisseaux très-vigoureux, et les naturels le cultivent de temps en temps avec succès.
Les principaux fruits que cultivent les naturels sont les bananes, dont on compte quinze sortes ou variétés, le fruit à pain, deux espèces de ce fruit qu'on trouve à Taïti, et qu'on appelle ~'fHM&o et evi (le dernier est de la nature de la prune), et une multitude de ~Aar/~cA.~ qu'on y voit aussi souvent dans t'état de nature.
Deux espèces d'ignames, dont la première est si grosse qu'elle pèse souvent vingt livres, et dont la seconde, hfanche et longue, en pèse rarement une; une grosse racine appelée Aa~pe; une autre qui approche de nos patates blanches, et qu'on nomme man~/is/M, le taro ou le cocu de quelques îles des environs,et une dernière appetée~'ey:~ forment la liste des plantes de TongaTabou.
Outre un grand nombre de cocotiers, il y a trois autres espèces de palmiers, dont deux sont rares l'un est appelé MoM; il s'élève presque à la hauteur du cocotier il a de très-larges feuilles disposées en forme d'éventail, et des grappes de noix globulaires de la grosseur d'une balle de pistolet ces noix croissent parmi les branches; elles portent une amande très-dure qu'on mange quelquefois. Le second est une espèce de choux palmiste, distingué seulement du coco en ce qu'il est plus épais, et qu'il a des feuilles découpées; il produit un chou de trois ou quatre pieds de long on voit, au sommet de ce chou, des feuilJe<, et au bas, un fruit qui est à peiue
de deux pouces de longueur, qui ressemble à une noix de coco obfongue, et qui offre une amande insipide et tenace, que les naturels appellent niou9'o~s, ou la noix de coco rouge, parce qu'elle prend une teinte rougeâtre forsqu'elle est mûre. La troisième espèce, qui se nomrneongo-ongo, est beaucoup plus commune; on la tr ouve autour des j~o~AtM sa hauteur ordinaire est de cinq pieds; mais elle a quelquefois huit pieds d'élévation; elle présente une multitude de noix ovales et comprimées, qui sont aussi grosses qu'une pomme de reinette, et qui croissent immédiatement sur le troue, parmi Ics feuiiks..L"t!e produit d'ailleurs une multitude à cannes de sucre excellentes, dont les naturels prennent soin, des gourdes, des bambous, des souchets des Indes, et une espèce de figue de la grosseur d'une petite cerise, appelée MaMe, qu'on mange quelquefois au reste, le catalogue'des plantes qui croissent naturettement est trop nombreux pour t'insérer ici. Indépendamment du jocH~AM', du, cfMperMuw, du Mta//acoceaetduMa&t<;€tdequetques autres genres décrits par le docteur Forster(*), on en trouve un petit nombre d'autres, que la saison de l'année ou la brièveté de son séjour ne lui ont peut-être pas permis de remarquer. J'ajouterai que notre relâche fut beaucoup plus longue; que cependant nous ne vimes pas en fleur plus de la quatrième partie des arbres et des plantes, et qu'ainsi je suis bien éloigné d'en connaître les différentes espèces. Les quadrupèdes du pays se bor-
nent à des cochons, à un petit nombre de rats, et à quelques chiens qui ne sont pas indigènes, mais qui viennent des couples que nous y laissâmes en 1773, et de ceux que les naturels ont tirés de.FM~. Les volailles sont d'une grande taille et vivent dans l'état de domesticité.
Nous remarquâmes parmi les oi-
seaux, des perroquets un peu plus petits (*) Voyez son ouvrage, qui a pour titre
C/ta'Ne~M ~e/<e''f<M~/o~<ar«w. Londrti,
'776.
que les perroquets gris ordinaires, dont le dos et les ailes sont d'un vert assez faible, la queue bleuâtre, et le reste du corps couleur de suie ou de chocolat des perruches de la grandeur d'un moineau, d'un beau vert jaunâtre, ayant le sommet de la tête d un azur brillant, le cou et le ventre rouges une troisième espèce, dela tailled'une cotombe, a le sommet de la tête et les cuisses bleus; le cou, la partie inférieure de la tête et une partie du ventre cramoisis, et le reste d'un joli vert.
Nous aperçûmes des chouettes de la grandeur de nos chouettes ordinaires, mais d'un ptumage plus beau; des coucous pareils à ceux de l'île Paimerston; des martin-pêcheurs de la grosseur d'une grive, d'un bleu verdâtre et portant un coilier blanc; un oiseau de l'espèce de la grive, dont il a presque la taitte.Cetui-ci porte deux cordons jaunes à la racine du bec c'est le seul oiseau chantant que nous ayons rencontré; mais il produit des sons si forts et si mélodieux, que les bois sont remplis de son ramage, au lever de l'aurore, le soir et à l'approche du mauvais temps.
Je ne dois pas oublier dans la liste des oiseaux (le terre, des râles de la grandeur d'un pigeon, qui sont d'un gris tacheté et qui ont le cou brun une autre espèce qui est noire, qui a les yeux rouges, et qui n'est pas plus grosse qu'une alouette; deux especes de gobe-mouches; une très-petite hirondelle; trois espèces de pigeons, dont l'une est le ramier cuivre de Sonnerat (") la seconde n'a que la moitié de la grosseur du pigeon ordinaire; elle est d'un vert pâle au dos et aux ailes, et elle a le front rouge la troisième, un peu moindre, est d'un brun pourpre.et blanchâtre au-dessus du corps.
Les oiseaux marins, ou ceux qui fréquentent la mer, qu'on trouve a Tonga-Tabou, sont les canards, que nous avons vus en petite quantité (*) Voy. SoaBerat,Yoyageà)aNouve])e puînée,p.im
Annamooka (on n'en rencontre guère), les hérons bleus et btancs, les oiseaux du tropique, les noddies communs, les hirondelles de mer branches une nouvelle espèce qui est couleur de plomb, et qui a la tête noire un petit courlis bleuâtre, un grand pluvier tacheté de jaune. Outre les crusses chauves-souris indiquées plus haut, je ne dois pas oublier la chauve-souris commune.
Les seuls animaux nuisibles ou dégoûtants de la famille des reptiles ou des insectes, sont les serpents de mer de trois pieds de longueur, qui offrent alternativement des anneaux blancs et noirs, et qu'on voit souvent sur la côte quelques scorpions et des centipèdes. Il y a de beaux guanous verts d'un pied et demi de long, un second lézard brun et tacheté d'environ douze pouces de longueur, et deux autres plus petits. On distingue parmi les insectes de belles teignes, des papillons, de très-grosses araignées et d'autres. J'ai remarqué en tout cinquante espèces d'insectes.
La mer abonde en poissons; mais les espèces ne m'en parurent pas aussi variées que je l'espérais. Les plus communs sont les mulets; plusieurs sortes de poissons-perroquets, le poisson d'argent, les vieilles femmes (*), des sotesjotimenttachetées, des leaterjacliets, des bonites et des albicores, des anguilles, les mêmes que nous avions trouvées à rite Putmerston, des requins, des raies, des Hutes (**), une espèce de brochet, et des diables de mer.
Les récifs et les bas -fonds si nombreux au côté septentrional de l'ile, sont remplis d'une muttitude de coquillages très-variés, et il y en a beaucoup qu'on regarde comme précieux dans nos cabinets d'histoire naturelle. Je me contenterai d'indiquer ici le véritable marteau, dont je ne pus me procurer un échantillon entier, une grosse huître dentelée, et bien t d'autres qui ne sont pas de l'espèce (*) Il y a dans l'original o/t/ wives.
(**) On lit ~~f~A dans le texte.
commune des panamas, des cônes, une vis énorme qu'on trouve aussi aux Indes orientâtes des huîtres perlières: plusieurs de ces huîtres paraissent avoir échappé aux recherches des naturalistes et des amateurs les plus curieux. On y trouve aussi du frai de poissons de plusieurs sortes, une multitude de belles étoiles de mer, et des coraux très-variés. J'en remarquai deux rouges le premier portait de jolies branches, et le second était *tubu)eux. Les crabes et les écrevisses y sont très-abondants et variés. Ilfaut ajouter à ce catalogue plusieurs espèces d'épongés, le livre de mer, des Ao/o~M~M~ et diverses substances de ce genre.
Curieux d'examiner les productions du pays (*), je m'aventurai dans l'île le 27 juillet 1830. Les sentiers étaient étroits, et la végétation magnifique. Le taro, le plantain, l'arum de Virginie, y croissent naturellement, ainsi que le chi (afracosMc ~erBtMM~M); le mûrier à papier ( <)ro!<.MOMe<a papyn/era;), et le bava ou t'ava (piper meMyA'&'cMM). Le cA; est cultivé dans la plupart des îles de la~ Polynésie, uniquement à cause de sa racine, qui contient une grande quantité de jus sucré. Les racines de cette plante, ayant été exposées à l'action de la vapeur pendant vingt-quatre heures, se mangent comme la canne à sucre. A t'ite de Taïti, on est parvenu à retirer de l'esprit-de-vin de la feuille du chi; et les feuilles mises soigneusement en tas et roulées en paquets, sont une excellente nourriture pour le bétail. Ce fait doit intéresser les navigateurs qui peuvent se trouver dans des contrées où le chi est commun et le gazon rare. Le mdrier à papier est cultivé pour son écorce, qui sert à la fabrication du drap de t'!te le nom que lui donnent les naturels est A:a/M, et le drap, quand il est manufacturé, s'appelle ugiata. Il est rare qu'on laisse atteindre à cet arbre plus de dix ou douze pieds de hauteur; il est d'une (*) Traduit de M. BcntMU jusqu'à la fin du chapitre.
petite circonférence, et on fait usage de l'écorce un an après que Farbre a été planté. L'instrument dont on se sert pour détacher i'écorce s'appelle. aike.
On fait une grande consommation du kava, ou ava, en boisson il y a deux espèces d'ava, l'une qui estcuttivée, et l'autre qui vient naturellement. On remarque une légère différence dans le feuillage de ces deux espèces. On ne tire aucun parti de la racine de i'ava sauvage. Dans les temps de disette, on mange aussi le fruit du hui ou COKCO&<~ brasiliensis, plante grimpante dont le fruit a quelque ressemblance avec la patate. Le fruit de la morinda citrifolia, ou KOMC, sert aussi à la nourriture des naturels mais on a soin de le laisser dans l'eau pendant quelques jours pour lui ôter son amertume. Le pandanus odoratissinaus ( le pango des naturels) étale en abondance, dans le voisinage de la mer, ses beaux fruits dorés ses feuilles forment une toiture impénétrable elfes servent à la fabrication des nattes communes.
Dans une excursion faite le 28, je remarquai avec étonnement la fertilité de cette !te intéressante. La richesse du soi en fait un vrai jardin i on pourrait y récoiter facilement tous les fruits des tropiques, et te coton, l'indigo, le sucre, etc. Mais on doit regretter beaucoup qu'on n'ait pas en. core pu obtenir d'eau de bonne qualité. Je ne doute pas que, si les puits étaient creusés à une plus grande profondeur, on ne trouvât de l'eau meilleure et en plus grande quantité. J'enrichis ma collection de quelques espèces de mangroves (rizophora), d'un arbuste tout chargé de petites fleurs rouges très-joiies, et que les habitants nomment hangorlé, d'un fruit de la grosseur d'une noix de coco que produit t'arbre appelé leki-leki; il a de quarante à cinquante pieds de hauteur, et dix de circonférence. On ne mange point le fruit du teki-teki. Cet arbre est estimé pour son bois qui est trèsdur, rouge, et sert à la fabrication des massues et autres armes. Je re-
tournai à notre mouillage par un sentier planté d'arbres dont les branches entreiacées donnaient un frais ombrage. Je distinguai ie Vco~o:, arbre d'une taille peu élevée, et qui donne des baies rouge-noir. L'écorce du koka est employée à la teinture des étoffes en rouge. En suivant ce sentier, je passai devant un cimetière quelques tombeaux étaient ornés de corail, et sur un d'eux on avait élevé une petite maison, ce qui est une marque de distinction ce tombeau était aussi ombragé par un très-bel acacia.
MVfSIONS GÉOGRAt'mOUES (').
Les principales divisions de i'!te étaieht jadis Hifo à t'ouest, Moua au centre, Hagui à l'ouest, et Lego, nom collectif pour tout le sud partie incutte et moins habitée. Depuis l'expulsion du Toui-Tonga, ces divisions anciennes sont effacées. Chaque district a son chef, et ces chefs s'entendent entre eux de manière à vivre dans de bonnes relations. La population de l'île a été diversement estimée. L'Anglais Siugleton i'éva)uaità à 20,000 âmes, le capitaine d'Urville à 15,000, le capitaine Waldegrave à 12,000. Les misstonnaires comptaient 4000 naturels dans le seul district de Hiso. Ce qui est positif, c'est que Tonga-Tabou peut mettre cinq mille guerriers en campagne. Le mouiiiage de PangaïModou est situé par 21° 8' de latitude sud, et 177" 33' de longitude ouest. A vingt-cinq milles au nord de Tonga-Tabou sont les deux écueils Hounga-Tonga et Hounga-Hapaï, distants l'un de l'autre de deux milles; espèces de phares qui signalent la grande île, aires de vautours inabordables et hautes, hérissées de broussailles à leur sommet. Comme les îles volcaniques de Kao et de Tatoua, ces rochers servent de reconnaissances utiles pour la navigation de ces parages. L'îlot du sud gît par 20" 36' de latitude sud, et 177" 4-~ de longitude ouest.
(*) Nous empruntons ces divitions au Voyage pittoret~ue de d'Urville,
Nous voici au groupe Hopai, long de soixante millés du nord-nord-est au sud-sud-ouest, sur une largeur de vingt-cinq à trente mi!!es. Ce groupe se compose d'îles basses liées entre elles par une chaîne non interrompue de récifs. Cette foule d'iies reconnaissait autrefois l'autorité du Touï-Tonga chacune d'elles a aujourd'hui son roi particulier, avec un gouvernement distinct de celui de la métropole. Le christianisme y est, dit-on, ttorissant et en progrès. Ces îles, toutes fécondes et boisées, sont plus ou moins populeuses. On distingue parmi elles Lefouga, la principale du groupe, capitale du royaume de Fiuaui", iie de six milles du nord-nord-est au sudsud-ouest, sur trois milles de large. Position )9" M' latitude sud, 1760 59' longitude ouest.
Namouka, découverte en 1643, par Tasman, qui la nomma ile /io~</etM. On a vu combien elle était riche en sites ravissants; elle a dix ou douze milles de circuit. Latitude sud, 20" 15\ longitude ouest, 177" 19'.
Ensuite viennent Foa,Wiha, Haano, Niniva et Foutouna, petites îles basses, boisées, d'une étendue variable de 4 à 7 milles de circuit. Le reste se compose d'îlots sans importance. La population du groupe Hapaï ne saurait s'évaluer d'une manière précise mais, d'après le tableau de t'armée avec laquelle Finau I" s'embarqua pour soumettre Tonga-Tabou, on peut ta porter à dix mille âmes. Dans ce nombre, toutefois, il faut comprendre les localités qui suivent
?'o/bM«, découverte en 1774, par Cook, qui la revit en 1777; puis, retrouvée par Maurede en 1781, qui la nomma ~M-CT-M~oua~ enfin par la Pérouse, Bligh et Edwards. C'est une île haute, boisée, peuplée et couronnée par un volcan actif. L'île fournissait jadis à tout l'archipel les basaltes et les obsidiennes que les insulaires aiguisaient en instruments tranchants. Tdtbua était une terre sacrée, résidence des dieux de la mer. Aussi les naturels pensaient-ils que les requins respectaient les individus qui se bai-
gnaient sur ces côtes. Mariner, qui a visité le volcan de t'i)e, lui donne trente pieds de diamètre. Ses éruptions,p)us ou moins fréquentes, ont lieu tantôt trois fois par semaine, tantôt deux fois par mois. L'ascension du pic est fort difficile à cause des pierres cinéfiées qui en couvrent les flancs.
C'est à Tofoua que Bligh vint aborder avec son canot, quand ia révolte t'eut chassé de son navire.. Au lieu de lui fournir des vivres, les naturels se montrèrent disposés à user de violence à son égard.I)svou)urent l'arrêter lui et ses gens; ce ne fut qu'avec peine, et après avoir laissé un matelot en leur pouvoir, que Bligh put se sauver. Ce pauvre matelot, massacré sur la place, fut ensuite traîné jusqu'au maiaï voisin, pour y être enterré. Depuis lors, quand Mariner passa à Tofoua, on lui fit voir le lieu où cet acte barbare s'était consommé, et les naturels ajoutèrent que partout où le cadavre de l'Analais avait été traîné, l'herbe s'était desséchée pour ne plus reverdir. Tofoua a douze milles de circuit; elle gît par 19" 46' de latitude sud et 177° 33' de longitude ouest.
Kao, découverte en 1774 par Cook, revue par lui en 1777; puis, en 1781, par Maurette, qui la nomma Monte/~M<MO, et par la Pérouse en 1787. C'estuneuetres-é)evée,peuptée,de neuf milles de circuit. Position: 19" 42' latitude sud, 177° 30' longitude ouest.
Lataï, découverte par Maurelle en 1781, reconnue en 1787 par la Pérouse, et en 1791 par Edwards qui la nomma île Bickerton. C'est encore une terre élevée, peuplée, presque circulaire, avec six ou sept milles de circuit. Position 18° 47' de latitude sud, 177° 30' longitude ouest.
Le dernier groupe de cet archipel est celui de /ya/OM<OM-~OM, qui se compose des deux grandes îles de Vavao et de Pangaï-Modou, et d'une dizaine d'îlots groupés alentour. ~afoo~ découverte en 1781 par Maurelle, qui la nomma Mayorga, fut revue par la Pérouse, par Edwards, qui la nomma île Howe, et par Ma53' Livraison. (OCEA~IE.) T. I!J.
lespina. Cette île, !à plus grande de l'archipel, a vingt milles du nord nordest au sud sud-ouest, sur dix à douze milles de largeur. Comme à TongaTabou, un bras de nier qui entre dans les terres et les échancre, détermine de bons mouillages. Modérément accidentée, Vavao présente des paysages délicieux; mais l'intérieur, visité par le capitaine Waldegrave, offre, au dire de ce marin, des parties entièrement incultes, couvertes seulement de troncs d'arbres, de liserons, d'ignames sauvages et de lianes sarmenteuses. Aussi est-elle beaucoup moins peuplée que Tonga-Tabou. La base de l'île est madréporique, quoiqu'on y aperçoive des traces de l'action du feu. Cette île avait jadis des chefs particuliers qui reconnaissaient l'autorité du TouïTonga mais au commencement de ce siècle, elle fut conquise par Finau ï~ qui la réunit à son royaume de Hapaï. Son fils, Finau II, renonça à la possession de ces dernières îies, et se contenta de la souveraineté de Vavao. En 1830, Waldegrave la trouva encore gouvernée par un chef absolu, nommé Finau, jeune homme de trente ans, fils ou neveu sans doute de Finau Il. Ce navigateur évalue la population de Vavao à six mille habitants mais d'autres la jugent plus considérable. Le milieu gît par 18° 4t' iatitude sud, et par 176° 20' de longitude ouest. ~'a;Mya!Mo~oM est une île de sept ou huit milles delongueur, mais étroite, et séparée de Vavao par un canal étranglé qui offre de bons mouillages. Parmi les petites îles qui avoisinent Vavao, il faut citer Taonga, LekaLeka, et surtout Hounga, célèbre pour avoir été jadis la retraite d'un couple amoureux persécuté par un chef cruel. C'est une grotte de quarante pieds de hauteur et d'une largeur à peu près égale, mais dans laquelle on ne peut pénétrer que par une ouverture de huit a neuf pieds de longueur, et située à plusieurs pieds au dessus du niveau de la mer. C'est aujourd'hui un toeai qui sert encore pour les grandes parties de kava.
A quelque distance au nord-ouest
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deVavao, se trouve Amargura, ladernière des îlesquenous comprenons dans i'arehipetïonga. C'est une terre élevée, habitée, peu étendue. Découverte en 1781 par l'Espagnol Maurelle, qui lui donna le nom cité plus haut, cette !te fut revue en 1789 par Edwards, qui t'apneta Gardner. On ignore son nom indigène. Elle gît par 17" 57' de lat. sud, et par t77" 20' de long. ouest. Nous comprendrons dans cet archipel la petite île de Pylstart et t'ue Sauvage. Pylstart est située à plus de 30 lieues au sud de Tonga-Tabou. C'est une terre haute et boisée, ditd'Urvit)e,de trois ou quatre miitesdecircuit. Découverte en 1643 par Tasman, elle fut re~ueparCooken)773,etenl78<par Maurelle, qui la uomma la ~'o/a'. On la crut inhabitée jusqu'en 1819 où Freycinet la prolongeant d'assez près remarqua sur la ptage des naturels et des pirogues. Ces hommes appartenaient sans doute à la race Tonga peut-être n'étaient-itsque des pëfbeurs de passage ou des navigateurs détournés de leur route par des brises contraires. L'île gtt par 22° 30' fat. sud, ct)78.°24'deiong.ouest.
L'île Saunage est située par 19° 0' deiat.sudetl7)°57"de)ong.ouest. Elle a environ 3 lieues et demie de circonférence. Sa surface est élevée et entièrement couverte d'arbres, d'arbrisseaux, etc., mais sa population est peu considérable. Cooh, qui la découvrit en 1774, lui donna le nom qu'elle porte, à cause de l'humeur peu sociable des indigènes.
L'archipel de Tonga forme à l'occident ta limite de la Polynésie. A quelque distance dans l'ouest se trouve le groupe Viti, première terre mélanésienne. Cependant le tvpe polynésien reparaît encore au (Je)à, comme nous verrons. Use relève sur quelques-unesdesNouveites-Hébrides.dans les petites 11es Rotouma, Tikopia, Duft, etc., mais seulement par petites peuplades et avec tous les caractères qui annoncent une migration. Dans cette zone prévaut et règne la race mélanésienne,qui occupe toutes les grandes îles de Foccident.jusqu'àce que paraisse
la race malaise. Voisines des îles Viti, les îles Tonga leur ont plutôt donné qu'elles n'ont reçu d'elles; elles ont civilisé à demi-ces barbares, sans s'infecter elles-mêmes de barbarie. Le type Viti a été dominé par le type Tonga. L'archipel Tonga, et surtout l'île Tonga-Tabou, placé aux contins de la zone torride, jouit d'une température égale et modérée. Aux mois d'avril et de mai, le thermomètre se maintenait, à bord de l'istrolabe, entre 23" et 2G°, et des brises régulières tempéraient beaucoup la chaleur. Au dire des missionnaires, l'air de cette île est salutaire et pur en hiver, quand les vents soufflent du sud, le climat devient presque froid.
Les alisés de ces parages sont le sud-sud-est et t'est-sud-est. Cependant, en février, mars et avril, le nord-ouest et l'ouest régnent quelquefois. Ils déterminentdes tempsorageux, accompagnés de pluies et de violentes rafales. A cette époque de l'année, la Pérouse et d'Urville essuyèrent des coups de vent opiniâtres. Presque toujours la houle-du sud-ouest provenant des tempêtes des hautes latitudes australes, détermine un fort ressac sur les côtes méridionales de Tonga-Tabou. Les tremblements de terre doivent être fréquents dans ces îles, puisque les premiers missionnaires qui s'y établirent en 1797 constatèrent trois accidents semblables dans l'espace de trois mois. Le voisinage du cratère iguivome de Tofoua entre sans doute pour quelque chose dans ces convulsions. HISTOIRE NATURELLE DE t.'ARCtttPEL. Les productions de l'archipel Tonga se rapportent généralement encore à celles de Taïti et de Nouha-Hiva là pourtant commencent à paraître quelques plantes des îles asiatiques, qui ne semblent pas s'étendre plus loin vers l'est. On y trouve une végétation vigoureuse, et des arbres gtgantesques (voy. pl. 195).
On y recueille en abondance t'igname et le coco, qui forment ia principale nourriture des habitants, des cannes
ll sucre, des bananes, des fruits de l'arbre à pain., etc.
On doit citer, parmi les arbres, le bois de sandal, le mûrier à papier (&(M.s'<!OM~M: jMpy?'ëya!), le eôn/joAft K)H&7-a!c<era, le mM.s'4'c6~e<a! frondosa, le pandanus o~o?'a~'SMM:<4', t'/tg/'M«~ttt ogivera, le vaquois, les casuarinas, diverses espèces d'hibisMM et.c~, t'évi, le bambou, i'Mocarpus edulis, l'abrus precatorius, le ~ot'xyptKHt re~MSMMt, le <eAt-~A~; et parmi les plantes, le kava ou ava (piper methysticum), le mc/cecftMM~t'ca!dens, le &!ccatjo:Kma~/i'~f!, le t'aMAa?'MM ~oM~KeKMt, te chi, dont la racine est sucrée, etc.
Outre le cochon, et le chien qui est fort rare, l'archipel n'a d'autre quadrupède que le rat, et d'autre mammifère que la roussette. Les oiseaux sont la tourterelle, le pigeon, le perroquet, de jolies perruches, le râle, un philedon, un martin-pëcheur. Il y a deux ou trois espèces de serpents, un hydrophis et un petit lézard. Les poissons et tes mollusques y sont nombreux et varies; on y trouve de beaux coquillages. Pour ne pas nous répéter, nous renvoyons nos lecteurs à l'article TongaTabou, où ils ont trouvéune nomenclature des productions de t'iie principale de l'archipel; celles des autres îles n'offrent presque pas de différence. CARACTÈRE ET FORTRA)TS.
Nous ne tracerons pas ici !e caractère des Tongas, attendu qu'on le trouve dans les descriptions précédentes, et surtout dans l'histoire de ce peuple, et nous aurons soin de mentionner les portraits que les différents navigateurs et voyageurs ont laissés du caractère de ce peuple remarquable. Ces portraits sont exacts dans leur texte; il n'en est pas de même des dessins qui les accompagnent. Les dessins de Hodges (dessinateur du premier voyage de Cook) sont charmants, et ils ont été habilement gravés par Sherwin; mais ils offrent aux yeux les belles formes des figures et des draperies antiques, et non pas des Polynésiens et de leurs costumes. Il est
probaMe que Hodges avait perdu les esquisses et les dessins qu'il avait tracés d'après nature dans le cours de l'expédition. On y trouve les contours et les traits grecs qui n'ont jamais existé dans les îles de la mer du Sud; on y admire des robes flottantes, qui enveloppent avec grâce toute la tête et le corps, sur l'île Eoa, où les femmes couvrent rarement leurs épaules et leur sein; enfin, il y a un vieillard qui porte une longue barbe blanche/quoique tous les habitants la rasent avec des coquilles de moules. Lebeau portrait de Mai, parsirjosbua Reynolds, que nous avons fait graver (voy. pl. 207), est frappant de vérité, quoique le costume soit inexact. Les Tongas sont généralement grands, et leurs traits sont expressifs (v.~<. t99). RELIGION.
La religion des indigènes de l'archipel est basée sur les notions suivantes (*)
Les Tongas croient t" qu'il existe des /tO<OM<M (dieux), ou des êtres supérieurs, ou peut-être éternels, dont les attributs sont de répartir le bien et le mal aux hommes, suivant leur mérite; 2° que les âmes des nobles et des mataboulès ont le même pouvoir, mais dans un degré inférieur; < qu'il existe des Ao<Q!«M /MMS, ou dieux malfaisants, qui se plaisent à faire du mal indistinctement à tout le monde; 4° que tous ces êtres supérieurs ont pu avoir un commencement, mais qu'ils n'auront pas de fin; &~ que l'origine du monde est incertaine; que le ciel, les, corps célestes, l'Océan et l'île de Bolotou, existaient avant la terre, et que (*) Dans ce qui tient à la religion, aux traditions, aux cérémonies, mœurs, coutumes et histoire de Tonga, nous avons préféré suivre Mariner qui a fait un très-long séjour dans l'archipel de Tonga, à Cook qui nous a paru n'avoir que des notions incomplètes à cet égard, et nous avons employé en grande partie la traduction de notre ami M. )e commandant J.Mac-Carthy, ainsi que dans tout ce que nous avons extrait de Mariner, sauf quelques corrections. 3.
les tles de Tonga ont été tirées du sein des ondes par le dieu Tangaloa, tandis qu'il pêchait à la ligne; 6° que les hommes sont venus originairement de Bolotou, île située au nord-ouest, et la principale résidence des dieux; 7" que tout le mal qui arrive aux hommes leur est envoyé par les dieux, parce qu'ils ont négligé quelque devoir de religion; 8" que les éguis ou nobles ont une âme qui leur survit et qui habite Bolotou; que celles des mataboulès vont aussi à Bolotou, pour y servir de ministres aux dieux, mais qu'elles n'ont pas le pouvoir d'inspirer les prêtres. Les opinions sont très-partagées au sujet de celles des mouas; quant aux touas, il est reconnu qu'ils n'ont pas d'âme, ou que s'ils en ont une, elle périt avec leur corps; 9« que l'âme humaine, pendant la vie, n'est pas une essence distincte, mais seulement ia partie la plus éthérée du corps; 10° que les dieux primitifs et les nobles qui sont morts apparaissent quelquefois aux hommes, pour les aider de leurs avis ou leur faire du bien, et que les dieux se métamorphosent souvent en lézards, en marsouins, ou en une espèce de serpent d'eau; 11" que Toui-Tonga et Veachi descendent en ligne directe de deux des principaux dieux; 12° que les prêtres inspirés sont pleins de la personne du dieu pendant le temps que dure leur inspiration, et qu'alors ils peuvent prophétiser t'avenir; 13° que le mérite et la vertu consistent à respecterles dieux, les nobles et les vieillards, à défendre les droits qu'on tient de ses ancêtres, à pratiquer ce qui constitue l'honneur, la justice, le patriotisme, t'amitié, la douceur, la modestie, la fidélité conjugale, la piété filiale, à ne manquer à aucune cérémonie religieuse, à souffrir avec patience, etc.; 14" que les dieux récompensent ou punissent les hommes dans cette vie seulement. Les habitants de Tonga comptent environ trois cents dieux primitifs, dont les noms sont la plupart inconnus. Les principaux, au nombre de vingt, ont des maisons et des prêtres dans les différentes i)es. y<ï-M-at- yoM&o est le patron du hou et de sa famille; il est aussi le dieu de la
guerre. H a quatre maisons ou temples dans Hte de Vavaou, deux dans ceJle de Lafouga, une à Haano, une autre à Wina, et deux ou trois autres ailleurs. Il n'a de prêtre que le hou, qu'il inspire très-rarement. ycM'~Ms ~olotou, ou chef de tout Bolotou, n'est pas, comme son nom pourrait le faire croire, le plus grand des dieux. H le cède en puissance au précédent, « qui des cieux touche la terre. » It est le dieu des préséances dans la société, et, comme tel, invoqué par les chefs de grandes familles dans tous les cas de maladies ou de chagrins domestiques. Il a trois ou quatre maisons à Vavaou, une à Lafouga, plusieurs dans les autres hes, et trois ou quatre prêtres qu'il inspire quelquefois. Higouleo est aussi un dieu puissant, vénéré surtout par la famille du Toui-Tonga. Il n'a ni prêtres ni maisons, et ne visite jamais tes !ies Tonga. ?'o!<6o 7'o~ est le patron de la famille de Finau et le dieu des voyages. Il est invoqué par ce prince et par les chefs, toutes les fois qu'ils méditent une expédition maritime. Il a plusieurs maisons à Vavaou et dans les iles voisines, et un prêtre. ~<H ~N/OM est le patron de Tau Oumou, tante du dernier roi, et protège aussi la famille du hou. On le consulte souvent dans les maladies. Il a un grand enclos consacré, et un prêtre à Ofou.o 4lo est le dieu du vent, de la pluie, des moissons, et de la végétation en général. On l'invoque pendant le beau temps, au moins une fois par mois, pour lui en demander la continuation, et on l'implore journellement si la saison est mauvaise, ou si le vent occasionne quelques dégâts. Vers la fin de décembre, lorsque les ignames sont mûrs, on lui en fait huit offrandes consécutives, de dix jours en dix jours. Ce dieu n'a que deux maisons, l'une à Vavaou et l'autre à Lafouga desservies par autant de prêtres. /~7a ~'p: ~t, ToguiOukou Me'a et' 7'OM&o Bougou, autres dieux de la mer et des voyages, protégèrent la famiiie deFinau. Le premier a deux temples, l'un à Vavaou et l'autre à Lafouga, et deux ou trois prêtres. Tangaloa est
le dieu des artisans et des arts, et a plusieurs prêtres, tous charpentiers. C'est lui qui tira les îles Tonga du fond de la mer.
Les Ao<oM<M hous, ou dieux malfaisants, sont aussi très-nombreux; mais on n'en connaît que cinq ou six qui résident à Tonga pour tourmenter les hommes plus à leur aise. On leur attribue toutes les petites contrariétés de cette vie. Ils égarent les voyageurs, les font tomber, les pincent, leur sautent sur le dos dans l'obscurité; ce sont eux qui donnent le cauchemar, qui envoient les songes affreux, etc. Ils n'ont ni temples, ni prêtres, et on ne les implore jamais.
L'univers repose sur le dieu jt~oMt', qui est toujours couché. C'est le plus gigantesque des dieux; mais il n'inspire jamais personne; il n'a ni prêtres, ni maisons, et reste sans cesse dans la même position. S'il arrive un tremblement e terre, on suppose que Mouï, trouvant sa posture trop fatigante, cherche à se mettre à son aise; alors le peuple pousse de grands cris, et frappe la terre à coups redoublés pour t'obliger à se tenir tranquille. On ignore sur quoi il est couche, et on ne hasarde même aucune supposition à ce sujet; car, disent les indigènes, qui pourrait y atter yoir? »
TRADITION SUR L'ORIGINE DU MONDE. Voici comment ils expliquent l'origine du monde.Un jourque Tangaloa, dieu des inventions et des arts, pêchait du haut du ciel dans le grand Océan, il sentit un poids extraordinaire au bout de sa ligne. Croyant avoir pris un immense poisson, il se mitàtirer de toutes ses forces. Bientôt parurent audessus de l'eau plusieurs rochers, qui augmentaient en nombre et en étendue, en proportion des efforts que faisait le dieu. Le fond rocheux de l'Océan s'élevait rapidement, et eût fini par former un vaste continent, quand par malheur la ligne de Tangaloa se rom-pit ce qui fit que les îles Tonga restèrent seutes à la surface de la mer. On montre encore à Hounga le rocher au-
quel l'hameçon de Tangaloa s'accrocha. Cet hameçon fut remisàiafamiiie de Touï-Tonga, qui le perdit, il y a environ trente ans, lors de l'incendie de sa maison.-
Tangaloa ayant ainsi découvert la terre, la couvrit d'herbes et d'animaux semblables à ceux de Bolotou, mais d'une espèce plus petite et périssable. Voulant aussi la peupler d'êtres intelligents, il dit à ses deux fils
« Prenez avec vous vos deux femmes, et allez vous établir à Tonga. « Divisez )a terre en deux et habitez séparément. Ils s'en allèrent. « Le nom de )'amé était Toubo, celui du cadet Vaka-Ako-Ouli. « Le cadet était fort habile. Le premier il fit des haches, des colliers de verre, des étoffes de papalangui et des miroirs.
« Toubo était bien différent c'était un fainéant.
« Il ne faisait que se promener, dormir et convoiter les ouvrages de son frère.
« Ennuyé de les demander, il pensa à le tuer, et se cacha pour cette mauvaise action.
« II rencontra un jour son frère qui se promenait, et l'assomma. « Ators leur père arriva du Bolotou, enflammé de colère.
« Puis, il lui demanda « Pourquoi as-tu tué ton frère? ne pouvais-tu pas travailler comme lui? fûts malheureux, fuis! 1
« Dis à la famille de Valta-Ako-Ouli, dis-lui de venir ici.
« Ceux-ci vinrent, et Tangaloa leur adressa ces ordres
« Allez et lancez ces pirogues à la mer; faites route à l'est, vers la grande terre, et restez-là.
« Votre peau sera blanche comme votre âme, car votre âme est belle. « Vous serez habiles; vous ferez des haches, toutes sortes de bonnes choses, et des grandes pirogues.
« En même temps, je dirai au vent de toujours souffler de votre terre vers Tonga.
« Et ils ne pourront venir vers vous avec leurs mauvaises pirogues,
« Puis Tangaloa parla ainsi au frère a!ne Vous serez noir, car votre âme est mauvaise, et vous serez dépourvu de tout.
« Vous n'aurez point de bonnes choses vous n'irez point à la terre de votre frère. Comment pourriez-vous y aller avec vos mauvaises pirogues? « Mais votre frère viendra quelquefois à Tonga pour commercer avec vous." Il
11 ne parait pas que les Tongas adorent des fétiches, ainsi que les indigènes de la Polynésie orientale. Leur Ao<OM ressemble assez à l'atoua des Haïtiens, mais son symbole est entouré d'une plus grande obscurité qu'à Taïti.
La plupart des habitants de Tonga et même des éguis ne connaissent pas cette fable singulière, qui a quelque rapport avec l'histoire de Cam et d'Abel. Cependant quelques vieillards ont assuré a Mariner qu'eue était fondée sur une tradition très-ancienne. En voici une autre qui est connue de la plupart des indigènes
LES DtEUX DEVENUS HOMMES.
Les îles Tonga avaient dej.1 été tirées de dessous l'eau par Tangaloa; mais elles n'étaient pas encore peuptées d'êtres intelligents, lorsque les dieux secondaires de Boiotou, cuneuxdevor le nouveau monde, s'embarquèrent dans une grande pirogue au nombre de deux cents, hommes et femmes, pour se rendre a t'iie Tonga. Enchantés de la nouveauté de l'endroit, ils formèrent la résolution d'y rester, et dépecèrent en conséquence leur pirogue pour en faire de petites. Mais au bout de quelques jours, il mourut deux ou trois de ces dieux, et cet événement consterna les autres qui se trouvaient immortels. Vers le même temps, l'un d'entre eux éprouva une sensation étrange, et it en conclut qu'un des dieux supérieurs de Bolotou venait pour l'inspirer. Il le fut en effet, et annonça a ses compagnons que les dieux supérieurs avaient décidé que, puisqu'ils étaient venus à Tonga, qu'ils
en avaient respiré l'air et goûté les fruits, ils deviendraient mortels; qu'ils peupleraient le monde d'êtres mortels aussi, et que tout ce qui les entourerait serait MM MMMa ( mortel périssable). Cette décision les attrista beaucoup, et ils commencèrent à se repentir d'avoir détruit leur grand canot. Ils en construisirent un autre, et plusieurs n'entre .eux s'y embarquèrent dans l'espoir de regagner Bolotou, comptant revenir prendre leurs compagnons, s'ils réussissaient dans leur entreprise. Mais après avoir vainement cherché cette terre tant désirée, ils retournèrent tristement à Tonga. L'ORIGINE DES TORTUES.
Une troisième fable, très-répandue parmi ces insulaires, est relative à {'origine des tortues, dont la chair dans ces îles est presque une nourriture tabou, .ou prohibée, ainsi que nous l'avons vu, excepté dans certains cas, où on doit en offrir une portion à un dieu ou à un chef. La voici Longtemps après que Tonga eut été peup)ée, le dieu Langui, qui résidait au ciel, reçut un message des dieux supérieurs de Bolotou, qui réclamaient sa présence à une assemblée où l'on devait discuter des affaires importantes. Langui avait plusieurs enfants, et entre autres deux filles brillantes de jeunesse et de beauté. Arrivées à rage où l'on est dominé par la vanité et par le désir de plaire, elles avaient maintes fois témoigné te désir de voir les hatants des îles Tonga. Toutefois leur père était trop prudent pour y consentir. Connaissant l'inexpérience de ses filles, il craignit qu'elles ne profitassent de son absence pour satisfaire leur curiosité. Il leur défendit donc dans les termes les plus formels de sortir du ciel, promettant de les conduire à Tonga à son retour de Bolotou. U leur représenta en même temps à combien de dangers elles s'exposeraient si elles lui désobéissaient. D'abord, leur ditil, les dieux malfaisants qui résident à Tonga saisiront toutes les occasions de vous molester et de vous susciter
des obstacles; et en second lieu, vous êtes si belles, que les hommes de cette île s'entre-tueront pour vous posséder, et leurs querelles irriteront les dieux de Bototou, qui me retireront leurs bonnes grâces. Les deux déesses promirent d'obéir à leur père, qui partit en toute hâte pour Bolotou. H avait à peine quitté tes cieux, que ses filles commencèrent à raisonner enscmbte sur ce qui venait de se passer. Notre père, dit l'une, n'a promis de nous mener à Tonga que pour nous tranquilliser pendant son absence. Il y a si longtemps qu'il nous berce de cet espoir! C'est vrai, reprit l'autre allons-y sans lui nous serons de retour avant qu'il puisse en avoir connaissance. D'ailleurs, dirent-elles en même temps, ne nousa-t-il pas dit que nous étions plus belles que les femmes de ces nés Oui, allons nous faire admirer des habitants de Tonga; dans le ciel, nous avons trop de rivales, et on n'a pas pour nous les attentions que nous méritons. Et les voilà en route pour Tonga. Elles abordèrent dans un lieu écarte de Hte, et s'acheminèrent vers la capitale, fières d'avance des hommages qu'on allait rendre à ieurs charmes. Arrivées à la ville, eties trouvèrent le roi, les chefs et tes principaux habitants assemblés pourcélébrer une fête, et prenant leur kava. Tous les regards se tournèrent aussitôt vers elles, et tous les cœurs, excepté ceux des femmes, qui leur portaient envie, furent saisis d'admiration et d'amour. Les jeunes chefs, rivalisant d'attenttons envers elles, laissèrent ieurkava, et la plus grande confusion régna bientôt dans J'assemblée. H s'ensuivit entre eux des querelles, que le roi ne vit d'autre moyen d'apaiser qu'en emmenant les jeunes déesses dans son palais. Mais à peine le soleil était-il couché, que plusieurs chefs l'assaillirent à main armée, et les lui i enlevèrent-. La confusion devint alors générale dans toute l'île, et le lendemain matin une guerre sanglante éclata. Les dieux de Bolotou ne tardèrent pas à apprendre ce qui se passait à Tonga. Dans leur colère, ils accusèrent l'in-
fortuné Langui d'être cause de tous ces troubles. Cetni-ci, s'étant justifié de son mieux, sortit du synode des dieux, "et partit en toute hâte nour Tonga, où il eut le cha-rin d'apprendre qu'une de ses filles, ayant mangé des productions de t'ite, avait perdu son immortalité, et qu'elle était déjà morte. Furieux il courut trouver l'autre, et l'ayant prise aux cheveux, il lui coupa la tête, et retourna au ciel, la rage dans le cœur. Ayant jeté cette tête dans la mer, elle se métamorphosa depuis en tortue, et c'est d'elle que proviennent toutes celtes qui se trouvent aujourd'hui dans l'univers. CROYANCES.
Les habitants de ces îles ne croient pas à l'existence d'une autre vie, mais ils reconnaissent une puissance, une intelligence suprême qui dirige toutes les actions des hommes et lit au fond des cœurs. lis croient fermement que les dieux aiment la vérité et haïssent le vice que chaque homme a sa divinité tutélaire qui le protège tant qu'il se conduit bien, et qui, dans le cas contraire, le livre aux malheurs, aux matadifs et à la mort. Mariner ayant démandé à plusieurs chefs quet mobile les portait à se bien conduire "C'est, lui répondirent.its, la douce sensation qu'éprouve intérieurement celui qui fait une action noble ou gé« néreuse. Cette réponse prouve que la vertu a jeté de profondes racines dans leurs cœurs, et que si e!le n'est pas fondée sur l'espérance ou la crainte, eite n'en doit pas moins avoir des résultats heureux. Nous en trouvons un exempte dansTouba-NoLha,dont toute la vie fut celle d'un homme de bien. Il tua, il est vrai, Tougou-Aho, mais par sa mort il délivra les îles Tonga de la tyrannie d'un despote cruel. Depuis cette époque, il se conduisit constamment en sujet fidèle du roi son frère et lorsqu'on lui dit que celui-ci en voulait à ses jours, et qu'il ferait bien de ne jamais sortir sans armes, il répondit que si sa vie était inutile au roi, il était prêt à mourir; mais
que jamais il n'armerait son bras contre lui tant que le pays serait bien gouverné. Lorsqu'il se trouva au milieu de ses assassins, et qu'ils lui eurent porté les premiers coups, il se tourna vers son frère et lui dit d'un ton pathétique « Ah Finau, tu as donc résolu ma mort
INVOCATIONS ET INSPIRATIONS.
Les détails sur la manière dont ils invoquent leurs dieux, et sur les inspirations que leurs prêtres prétendent éprouver, sont curieux. Quand un chef veut consulter un oracle, il ordonne à ses cuisiniers de tuer et de préparer un cochon, et ensuite de tenir prêts un panier d'yams et deux bottes de plantain bien mur. Le lendemain matin, on envoie tout cela soit à la demeure du prêtre, soit dans le lieu où il se trouve; car il arrive quelquefois qu'on ne le prévient pas à l'avance de la cérémonie qui doit avoir lieu. Les chefs et leurs mataboulès se couvrent alors de nattes, et vont trouver le prêtre. Si par hasard celui-ci se trouve dans une maison, il s'assied sur le bord du toit. Les maisons sont bâties dans la forme de nos hangars, excepté qu'elles sont à jour de tous cotés. Le toit descend jusqu'à environ quatre pieds de terre. S'il en est à quelque distance, il choisit J'emplacement qui lui paraît convenable. Les mataboulès s'asseyent alors de chaque côté, de manière à former une ellipse qui n'est point fermée, et à laisser un large espace vide en face du prêtre. Dans cet espace se tient l'homme chargé de préparer le kava, dont la racine doit être préalablement mâchée par les cuisiniers et autres individus de sa suite. Les chefs sont assis derrière tout le monde, et confondus dans la foule ils sont persuadés que durant cette cérémonie une conduite humble et modeste est le plus sûr moyen de mériter la protection des dieux. L'opinion commune est que le prêtre reçoit l'inspiration divine dès que tous les assistants ont pris leurs places. H reste pendant quelque temps immobile, les mains jointes et les yeux
baissés. I) arrive quelquefois que les mataboulès commencent à se consulter pendant le partage des provisions et iaprëparattun du kava. Cependant le prêtre ne profère pas un seul mot avant que le repas soit fini. H commence à parler bas, et d'une voix altérée mais il s'échauffe peu à peu, et bientôt il donne l'essor à toute sa véhémence. H parle à la première personne comme s'il était le dieu luimême. Pendant l'inspiration, il paraît ordinairement peu agité; quelquefois son aspect devient farouche, et son œit s'enflamme un tremblement violent s'empare de tous ses membres la sueur ruisselle sur son front, ses lèvres se gonflent et sont agitées par des mouvements convulsifs enfin des larmes abondantes coulent de ses yeux, sa poitrine se soulève avec effort, et des mots entrecoupés s'échappent de sa bouche. Cette agitation se calme insensiblement le prêtre se saisit alors d'une massue placée à côté de lui, et la regarde fixement il lève ensuite les yeux au ciel, puis à droite et à gauche, et les fixe de nouveau sur la massue il renouvelle plusieurs fois la même cérémonie, après quoi il lève l'arme sainte, et en frappe de toutes ses forces c'est le signal du départ de son souffle divin. Dès qu'il s'est échappé, le prêtre se tève, et va se mêler dans la foule. Si les assistants désirent encore prendre du I;ava, )e roi ou quelque autre grand chef va se mettre à la place qu'occupait le prêtre.
H arrive souvent que d'autres que des prêtres se prétendent inspirés. Mariner rapporte à ce sujet l'auecdote suivante: Un jeune chef, très-bel homme, crut un jour se sentir inspiré, sans trop pouvoir en deviner la cause. Il tomba tout à coup dans la plus sombre mélancolie, et finit par avoir un long évanouissement. Se sentant trèsmal, il se ut transporter, selon l'usage observé en pareil cas, dans la maison du prêtre. Celui-ci lui dit que son mal provenait d'une femme morte deux ans auparavant, qui était alors à Bolotou ( Bolotou est le nom du paradis, et
les insulaires croient qu'il est situé dans une île au nord-ouest des îles Tonga). Il ajouta qu'étant éperdument amoureuse de lui, elle voulait le faire absolument mourir pour le rapprocher d'elle. Il prédit en outre qu'il mourrait dans quelques jours. Le jeune chef lui répondit qu'en effet, pendant deux ou trois nuits de suite, il avait .vu apparaître l'ombre d'une femme, et qu'il commençait à croire que c'était elle qui l'inspirait, quoiqu'il ne pût pas' dire qui elle était. L'imagination frappée, il mourut au bout de deux jours. Cette croyance superstitieuse est si généralement répandue dans ces contrées, que, pendant son séjour dans les îles Samoa,le fils deFinau s'imaginait très-souvent qu'il était inspiré par l'esprit de Tougau-Ahou, roi de Tonga, qui avait été assassiné par Finau et Toubo-Nouha. Finau lui-même croyait quelquefois être inspiré par t'âme de Moumoussi, l'un des rois de Tonga. MESAtiËS ET CHARMES.
Les charmes et les présages jouent uni grand rôle dans les opinions religieusesdecespeuples, etles songes sont considérés comme des avertissements de la divinité, que l'on nepeutnégtiger sans s'exposer aux conséquences les plus funestes. Les éclairs et le tonnerre sont des indices de guerre et de grandes catastrophes. L'action d'éternuer est aussi un très-mauvais présage. Un jour, Finau II, se préparant à aller remplir ses devoirs religieux sur la tombe de son frère, faillit assommer Mariner, parce qu'il avait éternué en sa présence au moment du départ (*). Une certaine espèce d'oiseau, nommée <cAt-Ao~, et qui paraît se rapporter au martin-pêcheur (d'après la description de Mariner), passe pour annoncer quelque malheur, lorsque dans son vol rapide il s'abat tout à coup près d'une personne. Un jour, Finau II prêt à se mettre en campagne avec une troupe de ses guerriers pour marcher contre l'ennemi, changea tout {*) Mariner, t. II, p. 21 et suiv,
à coup de dessein en voyant cet oiseau, dans sa course passer deux fois sur sa tête, et se poser ensuite sur un arbre (*).
Les principaux charmes sontle tatao, le kabé et le ta-niou. Le premier se pratique en cachant une portion du vêtement d'une personne dans le ya;!i toka d'un de ses parents, ou dans la chapelle de la divinité tutélaire de sa famille. Par suite de cette action, la personne en question se sent dépérir et finit parmourir.Du reste, cecharme n'a d'effet qu'autant que la personne enterrée dans le faï toka est d'un rang supérieur à celle sur laquelle on veut agir. La femme deFinau Fidgi songea plusieurs fois de suite que le défunt Finaul"~ lui avait apparu pour lui annoncer que des personnes malintentionnées conspiraient la perte du jeune prince sonfils et son successeur;t'ombre recommanda ensuite à cette femme de remettre en ordre les galets placés sur son tombeau, et de chercher avec som dans le faï toka; puis elle disparut. En conséquence de cet avis, on fit de scrupuleuses recherches sur le tombeau, et l'on finit par découvrir plusieurs petits morceaux de s'M~K<, et une guirlande de fleurs que Finau II portait encore quelques jours auparavant. Ces objets furent aussitôt enievés(*').
Le kabé est tout simplement une malédiction prononcée contre la personne à laquelle on veut du mal. Pour quelle produise tout son effet, il faut qu'elle soit exprimée suivant une certaine formule, d'un ton grave et posé, et avec une intonation tres-prononcée. Dans ce dernier cas, elle prend le nom de wangui. Le kabé ni le wangui n'ont point d'effet de la part d'une personne inférieure, contre une autre beaucoup plus élevée par son rang. Mariner rapporte un kabé de quatre-vingts malédictions, dont voici quelques fragments
Déterrez votre père au clair de la « lune, et faites la soupe de ses os; (*)Mari;ter,t.H,p.i<)o.
(**) D'Urvitte, d'après Mariner.
"rongez son crâne, dévorez votre « mère exhumez votre tante et cou« pez-la en morceaux; mangez la terre « de votre tombe mâchez le cœur de « votre grand-père; avalez les yeux de « votre oncle; frappez votredieu; man« gez les os croquants de vos enfants; sucez la cervelle de votre grand'mère; couvrez-vous de la peau de votre « père, et faites-vous une cuirasse des « entrailles de votre mère." »
Le charme du ta-niou, dont le but est communément de conna~re si une personne faite ou un enfant relèveront d'une maladie, se pratique en faisant tourner sur elle-même une noix de coco avec sa bourre, et en examinant ensuite quelle est sa position lorsqu'elle est revenue au repos. D'abord la noix est pbcëe par terre; un parent du malade décide que cetui-ci guérira si telle portion du coco, une fois au repos, se trouve tournée vers tel air de vent; à l'est, par exemple. Alors cette même personne prie tout haut Je dieu tutélaire de sa famille de la protéger dans cette consultation à l'esprit (voy. 196 ). Puis la noix est mise en mouvement, et le résultat en est attendu avec confiance ou du moins avec la conviction que la volonté actuelle des dieux va être connue. Souvent les femmes ont aussi recours à ce moven pour décider une quereiie au jeu. Enfin quefquefois on fait tourner une noix de coco simplement par manière de passe-temps; mais alors il n'y entre pas d'idée religieuse.
LE TABOC.
A Tonga comme à la NouveUe-Zeeland, le mot tabou exprime un état d'interdiction durant lequel l'objet qui en est frappé se trouve sous J'empire immédiat de la divinité. L'homme ne peut l'enfreindre sans s'exposer aux conséquences les plusfunestes, à moins d'en détruire l'action par certaines formalités prescrites.
Ainsi le terrain consacré à un dieu ou devenu la sépulture d'un grand chef, est tabou; on impose le tabou sur une pirogue que l'on veut rendre plus
sûre pour de longs voyages. H est défendu de combattre en un lieu sujet au tabou, et ceux qui se permettraient une parère action seraient eux-mêmes sujets au tabou, et soumis à une expiation envers les dieux. Quelques espèces de vivres, comme la chair de la tortue, et cette d'une sorte de poisson, sont dites tabou i'on ne peut en manger qu'après en avoir offert un petit morceau à la divinité. Toute espèce de provision peut être tabouée par une prohibition qui porte le nom de~aAs egui, faire noble.
Les fruits ou fleurs taboués sont désignes par des morceaux de tapa ou de natte, taillés en forme de lézard ou de requin, qu'on place dessus. Pour empêcher certaines productions de devenir rares, le tabou est impose sur elles cela arrive après le natchi et autres cérémonies semblables, où l'on fait une grande consommation de vivres. Ce tabou ne cesse que par une nouvelle cérémonie qui prend le nom de~/a/M /s/M, et qui rend~d/cMa, ou libre, la chose interdite (*).
L'homme coupable d'un vol ou de tout autre crime a manqué au tabou, et dans cet état, on suppose qu'il est spéciatement destiné à être mordu par les requins. H en résulte, chez ces peupies, un jugement de Dieu d'une nature assez singulière. On contraint l'individu soupçonné d'un vol à se baigner dans certains endroits de la mer fréquentés par les requins; et s'il est mordu ou dévoré, son crime demeure avéré.
Celui qui touche le corps d'un chef mort ou quelque chose à son usage habituel, devient tabou, et le temps seul peut le relever. La durée de ce tabou, pour le corps d'un chef, est de dix lunes pour les hommes des classes inférieures mais pour les éguis.eite n'est que de trois, quatre ou cinq lunes, selon la prééminence du mort. S'il s'agit du corps du Toui-Tonga, !e tabou est de dix tunes, même pour les chefs les plus puissants. Durant tout ce temps, la personne tabouée ne peut (*) Mariner, t. II, pag. i85 et suiv.
point toucher à ses vivres, mais doit les recevoir de la main d'un autre; elle ne peut pas même toucher à un curedent. Si elle est pauvre, et qn'eNen'ait personne pour la servir, elle, doit ramasser ses vivres avec la bouche. Celui qui manquerait à ces règles verrxit son corps s'enfler et périrait bientôt. Cette opinion est si profondément enracinée dans l'esprit de ces naturels, que Mariner ne pense pas qu'aucun d eux ait jamais essayé d'y contrevenir. Quand ils le voyaient toucher à des cadavres, et se servir ensuite sans accident de ses propres mains, ils attribuaient ce privilège à t'influence des dieux étrangers auxquetsit était soumis.
C'est à l'empire que le tabou exerce sur l'esprit de ces insulaires que les diverses classes de la société doivent la conservation de leurs priviléges respectifs; car, quiconque vient à toucher une personne qui lui est supérieure, soit par le rang, soit par le degré de parenté, devient tabou. Désormais, il ne saurait sans danger toucher de ses propres mains à ses vivres, avantd'avoir eu recours à ia cérémonie du moë' MMC'. Cette cérémonie consiste à toucher de ses mains la plante du pied d'un chef supérieur, d'abord avec la paume, puis avec le dos de chaque main, et à les laver ensuite avec un peu d'eau; s'il n'y a pas d'eau à proximité, on se contente de les frotter avec un morceau de tige de bananier, dont le suc tient lieu d'eau. Alors l'homme taboué peut, sans risque, se servir de ses mains pour manger. Cependant si une personne craignait de t'avoir fait par inadvertance, tandis que ses mains étaient encore tabouées, pour prévenir les suites de ce sacrilège, elle irait s'accroupir devant un chef, et prenant un de ses pieds, elle l'appliquerait contre son ventre, afin que ses aliments ne lui fissent point de mal. Cette dernière opération se nomme ya~a, presser; et je crois que c'est de lit que vient ie nom de fata fa,ï attendu que c'est par les membres de cette dernière famiiie que l'imposition du pied est la plus efficace; c'est d'ailleurs à eux seuls que peuvent recou-
rir les éguis du premier rang (*). H est tabou de manger en présence d'un parent supérieur, à moins qu'il ne tourne le dos. II est tabou de manger des vivres qu'un chef supérieur a touches. En cas d'infraction fortuite à ces règles, il faut avoir recours au fata. Le tabou encouru en touchant la personne ou les vêtements du touïtonga, ne saurait être levé par aucun chef que le touï-tonga tui-méme. attendu qu'il est supérieur à tous. Pour éviter les inconvénients qui pourraient résulter de son absence, on se sert d'un bol ou de tout autre objet cousacré appartenant au touï-tonga dont le contact opère le même effet que celui de ses pieds. Du temps de Mariner, le touï-tonga réservait pour cet usage un plat d'étain qui avait été donné à son père par le capitaine Cook. Le véachi faisait usage d'un plat semblable.
Le kava seul, soit en nature, soit en infusion, n'était point sujet au tabou, quel que tut le chef qui t'eût touché de sorte qu'un simple toua pouvait mâcher le kava que le touïtonga lui-même venait de manier (* *). mÉRAMHtE SOCfALE. LE TOCt-TONGA 00 SOUVERAIN l'ONTIF.E.
Les habitants de l'archipel croient que le touï-tonga est issu des dieux qui visitèrent jadis l'île Tonga, mais on ignore s'il eut pour mère une déesse ou une femme du pays. Son nom signifie chef de Tonga, qui a toujours été regardée comme la plus noble de ces îles, et celle où de temps immémorial les plus grands chefs ont tenu leur cour, et ou ils ont été enterrés après leur mort. On t'appelé aussi tabou ou sacrée, et c'est par erreur que sur plusieurs cartes on l'indique sous le nom de Tonga-Tahou ce dernier mot n'étant qu'une épithète qu'on y joint quelquefois. Le touï-tonga doit uniquement à son caractère religieux le respect dont il est environné, et te (*; Mariner, t. JI, p. t!!? et iM.
(") D'Urville, d'après Mariner.
rang élevé qu'il occupe dans la société. Dans certaines occasions on a pour lui des égards plus marqués que pour le roi meme, car ce dernier, comme on le verra par la suite, est loin d'avoir une origine aussi illustre il le cède même sous ce rapport au véachi et à plusieurs autres familles; et lorsqu'il rencontre un de ces chefs, la coutume l'oblige-de s'asseoir à terre jusqu'à ce qu'il soit passé; c'est pour cette raison qu'il ne s'allie jamais avec des chefs plus nobles que lui. De leur côté, ces derniers évitent soigneusement sa rencontre pour lui épargner cette espèce d'humiliation; car quiconque manquequerait au devoir prescrit en présence d'un individu d'une naissance plus relevée que la sienne, d'après la croyance commune, en serait puni par quelque catamitë particulière. Le touï-tonga nous paraît avoir été jadis un diminutif du daïri ou empereur pontife du Japon, descendant des dieux nationaux. Celui-ci eut la faiblesse de placer à ses côtés un chef militaire nommé le AoM&o ou le séogoun, qui lui enleva bientôt l'autorité pohtique. Depuis quelque temps le touï-tonga ne jouissait plus que d'une faible autorité. Il était uu peu plus riche que les autres nobles, mais Fêtait beaucoup moins que le roi, qui peut, suivant son bon plaisir, s emparer des biens de ses sujets. Finau a supprimé ses fonctions, et l'introduction du christianisme à Tonga les a vraisemblablement abolies pour toujours. LE VÉACHI.
Le véachi était un autre égui ou chef d'origine divine, mais bien inférieur au touï-tonga. Néanmoins, quand le roi Je rencontrait, il lui rendait les mêmes honneurs qu'à ce dernier, car il était en quelque sorte le lieutenant du souverain pontife.
On serait tenté de croire que des chefs occupant un rang aussi élevé dans la société que le touï-tonga, le véachi, devaient être souvent inspirés des dieux. Cela n'est cependant pas arrivé une seule fois durant le séjour de Mariner aux îles de Tonga; ce
qu'il faut sans doute attribuer à ce qu'ils jouissaient d'une trop haute considération pour être comptés parmi les serviteurs des dieux dont ils sont les représentants sur la terre. Ils s'immiscent rarement dans les affaires politiques. Toutefois, un jour le touïtonga s'avisa de donner à Finau un avis au sujet d'une guerre qu'il allait entreprendre contre Vavao. « Mon seigneur toui-tonga, répliqua sèchement le roi, peut retourner dans la partie de t'ne qu'il occupe, et y vivre en paix et sécurité la guerre est mon affaire, et je l'invite à ne pas s'en mêler. L paraît néanmoins qu'au temps où les habitants de Tonga étaient plus pacifiques, le touï-tonga et le véachi jouissaient d'une grande autorité, et qu'on les consultait sur tout ce qui intéressait le gouvernement.Levéachiregrettaitfort ces temps heureux; et un jour le touïtonga se plaignit amèrement à Mariner de ce que le respect qu'on portait à sa famille se perdait insensiblement, ajoutant qu'il était probable qu'à sa mort on n'étranglerait pas sa principale femme pour l'enterrer à côté de lui, comme cela se pratiquait anciennement.
LES PRÊTRES.
Les prêtres appelés fahé fy«e/;e, mot qui signifie séparé, distinct, sont censés avoir une âme différente de celle du commun des hommes, et que les dieux se plaisent à inspirer. Ces inspirations, dont nous avons déjà parlé, se renouvellent fréquemment; car alors le prêtre a droit au même respect que le dieu lui-même; et si le roi est présent, il se retire à une certaine distance, et prend place parmi les spectateurs. I) en est de même du véachi, du touïtonga, parce qu'alors on suppose qu'un dieu s'est emparé de la personne du prêtre, et qu'il parle par sa bouche. Ailleurs on n'a d'autres égards pour lui que ceux auxquels il peut pretendre par le rang que sa famille occupe dans la société. Les individus de cette classe appartiennent, pour la plupart, aux chefs subalternes ou aux mataboulès.
Les prêtres n'ont rien qui les distmgue des autres hommes du même rang, si ce n'est qu'ils sont peut-être plus réfléchis et plus taciturnes. Ils ne forment pas, comme aux îles Haouaï ou Sandwich, un corps respecté, distinct, vivant séparément et tenant de fréquentes conférences ensemble. Leur manière de vivre et leurs habitudes sont celles des autres habitants, et leur qualité de prêtres ne leur donne droit au respect qu'autant qu'ils sont inspirés. Mariner vécut avec eux dans l'intimité il s'iuforma dela réputation dont ils jouissaient dans le pays, et il put se convaincre qu'ils ne s'entendaient jamais pour abuser de la crédulité du peuple.
HIÉRARCHIE CIVILE ET MILITAIRE.
La société séculière aux îles Tonga, peut se diviser comme il suit le hou ou roi, les éguis ou nobles, les mataboulès, les mouas et les touas.
LE HOU OU ROI.
Le hou ou roi est absolu; il tient sa couronne par droit de naissance aussi bien que par )a force des armes, auxquelles il est souvent obtigé d'avoir recours pour se maintenir sur !e trône. C'est la première personne de l'ttat sous le rapport de la puissance, mais non sous celui de la noblesse; caril le cède, non-seulement au touï-tonga et au véachi, mais encore àplusieurs chefs nMiés aux familles de ces derniers; et si sa majesté a le malheur de toucher quelque chose appartenant à fun d'eux, telle que sa personne, son vêtement ou la natte de son lit, elle devient tabouée, c'est-à-dire, qu'elle ne. peut se servir de ses mains pour porter sa nourriture à sa bouche, au risque d'encourir la vengeance des dieux. Il n'y a pour elle d'autre moyen de se détabouer qu'en prenant dans ses deux mains les pieds d'un chef supérieur ou d'un autre égal; ceci s'appelle MtoëMM~.
LES ËGCH.
Les égu!s, nobles ou chefs, doivent
tous être alliés aux familles du touïtonga, du véachi ou du hou et il n'appartient qu'à eux seuls de remettre la peine du tabou. A Tonga c'est le ventre qui anoblit. Dans le cas où les époux seraient de familles égaies par leur naissance, le mari occupe le premier rang; viennent ensuite la mère, le fils aîne, la fille aînée, le second fils, la seconde fille, etc.; et s'il n'y a pas d'enfants, le frère du mari, l'a sœur, etc.; si, au contraire la femme est plus noble, sa famille a la préséance, mais eHe.n'hérite pas des biens.
LES MATADOUL~.
Après les éguis sont les mataboufès ils,occupent des places d'honneur aupres des chefs, ou leur servent de conseillers; ils président à toutes les cérémonies et veillent à ce que leurs ordres soient strictement exécutés. Ils jouissent d'une considération proportionnnée au rang du chef auque! ils sont attachés. Leurs emplois sont héréditaires on suppose que dans l'origine, ils ont été parents éioignés du chef, ou aiïiés à des personnes recommandables par leur expérience ou par leur sagesse, et qui ont rendu de grands services au roi et à ]'État. Comme i!s ne .peuvent prendre le titre de mataboulès avant la mort de leurs pères, on leur fait étudier jusqu'alors tes rites et les cérémonies religieuses, les mœurs, les coutumes et les affaires de Tonga. Les matabouiès sont toujours regardés comme des hommes d'une grande expérience et de beaucoup de mérite. Il y en a qui prennent des .métiers ou des professions. Ceux qui sont constructeurs de canots, ne travaillent que pour le roi et les chefs d'autres tiennent les archives et transmettent cet emploi à leurs fils. A la mort d'un matabou)è, le titre passe à son dis aîné, et, s'il n'en a pas, il passe à son frère.
LES MOUAS.
Vient ensuite la classe des mouas, qui sont fils, frères, ou descendants de mataboulès. Ils assistent ces der-
niers dans les cérémonies publiques, partagent avec eux la nourriture et le kava, et les remplacent même quelquefois dans leurs fonctions. Comme eux, ils sont.attachés à quelques chefs. Ils professent aussi pour la plupart un métier quelconque. Les fils et frères d'un moua sont touas jusqu'à sa mort.
Les mataboulès et les touas sont charges de maintenir le bon ordre, et de surveiller les jeunes chefs, trop enclins à commettre des excès et à opprimer le peuple des basses classes. S'ils ne changent pas de conduite, ils les dénoncent aux chefs les plus âgés, qui avisent alors à quelque moyen de les corriger. Ils sont généralement respectés.
LESTONS. s.
Les touas, qui forment la dernière et la plus nombreuse classe de la société, sont tous, par leur naissance, Ay ,/OMMOMt ou paysans.
La classe industrieite se compose de mataboutès, de mouas et de touas. Quelques professions se transmettent de père en fits; mais il n'existe aucune loi qui force ces derniers à exercer celles de leurs peres. Toutefois, comme l'industrie est respectée et encouragée par les chefs, i) en est peu qui changent de condition. Les mataboufès sont chargés de la construction des canots et de l'intendance des cérémonies funèbres. Ils font aussi des colliers et divers autres ornements en dents de baleine; et, comme ils excellent à manier la hache, on leur confie aussi la fabrication des massues, des lances et des autres armes. Les mouas et les touas exercent indistinctement les autres professions, excepté celles de barbiers,de cuisiniers et de cultivateurs, qu'on abandonne exclusivement aux touas, comme étant les plus viles de toutes.
MORT DU SOUVERAIN PONTIFE. LEVUE DU TABOU.
A Fépoque de la mort du touï-tonga, ou souverain pontife, un mois entier
est consacré à des festins ce qui occasionne une telle consommation de vivres que, si l'on ne prenait pas quelques précautions, il pourrait en rësutter une disette des différentes espèces de denrées. Pour prévenir cet inconvénient, on défend, après les fêtes, de manger du cochon, de la volaille et des noix de coco. Cette défense, ou ce que l'on appelle tabou, qui dure pendant huit mois, s'étend a tout !e monde, excepté aux principaux chefs. Celui qui était pontife à cette époque venait de mourir lorsque Mariner arriva à Tonga. Le tabou ayant été mis après les grandes fêtes funèbres, Je temps de )e lever était venu, et Finau voulait s'acquitter avec ponctualité du devoir imposé par la religion dans cette circonstance car les Tongas s'imaginent que lorsqu'il n'est pas rempli exactement, les dieux s'en irritent et s'en vengent par la mort de quelque chef. Les ordres nécessaires furent aussitôt donnés, et l'on commença à faire les préparatifs pour la )evée du tabou. Les cércmoniesdoivent avoir lieu dans deux malais différents, et au tombeau du touï-tonga. Pour distinguer les deux malaïs, nous nommerons l'un malaï du /&M:onaa, et l'autre M alaï de Finau. Cet tu d u touî- tonga est près de la résidence de ce saint personnage (voy. pl. 200). On y dressa d'abord, à chacun des quatre angtes une colonne d'yams construite de la manière suivante on enfonca en terre quatre perches de dix-huit pieds à peu près; on en forma un carré d environ quatre pieds, que l'on garnit tout à t'entpur de bouts de perches placés horizontalement de six pouces en six pouces, et attachés avec des écorces d'arbre de fou (arbre du genre de l'hibiscus). On remplit d'yams ce pilier creux jusqu'à sa partie supérieu re alors on le surmonta de quatre nouvelles perches, au bout desquelles on en attacha encore d'autres, jusqu'à ce que l'on fût parvenu à ia hauteur de cinquante à soixante pieds. Tout le vide fut rempli d'yams, et le sommet couronné d'un cochon cuit. Les quatre piliers furent élevés la v~itte dt f~
cérémonie, et l'on tua trois à quatre cents cochons, que l'on fit cuire à moitié. Le lendemain, ces cochons furent transportés au malaï de Finau, situé à environ un quart de mille du' premier, et placés à terre devant la maison, ainsi que plusieurs chars ou traîneaux de bois, contenant chacun à peu près cinq cents yams. Pendant ces préparatifs, les indigènes arrivaient de toutes parts et venaient s'asseoir dans le malaï deFinau. Pour passer le temps et amuser les spectateurs, quelques-uns d'entre eux s'exercèrent à la lutte. Le roi et ses chefs, vêtus de gnatou tressé, et en costume de guerre (voy. pl. 206), étaient assis dans la maison, observant ce qui se passait dans le malaï. Lorsque tout le monde fut arrivé et eut pris place le toi annonça que la cérémonie allait commencer. Les jeunes gens, les guerriers et tous ceux qui se piquaient d'être robustes, se levèrent l'un après l'autre, et essayèrent d'Emporter le plus gros cochon. Le premier échoua; le second, te troisième ne furent pas plus heureux. Enfin on fut obligé de faire enlever i'énorme animal par deux hommes suivis par un troisième, chargé du foie. Ils allèrent le déposer près du malaï du touï-tonga, et y attendirent l'arrivée des autres cochons. On considère comme un honneur de participer à cette opération, et te roi lui-même se met quelquefois de la partie. Les plus petits cochons furent portés directement dans le mataï du touïtonga, où les chariots chargés d'yams furent aussi conduits l'un après l'autre. Lorque le malaï de Finau (Yoy.jo/. 193) fut entièrement déblayé, tout le monde se leva et se dirigea vers l'autre mataï, où chacun s'assit. Le touï-tonga présida la réunion le roi et ses chefs se tinrent respectueusement en dehors du cercle, au milieu de la foule. Chacun des cochons énormes que l'on avait déposés dans le voisinage du maiaï, y furent successivement apportés. Comme un homme seul ne pouvait charger sur ses épaules un poids aussi considérable, il se faisait aider par deux autres hommes qui, toutefois,
l'abandonnaient ensuite à ses propres forces. Le foie de l'animal était porté par un autre individu qui marchait derrière celui-ci. Lorsque tous les cochons furent rangés sur deux ou trois rangs dans te mata! devant te touï-tonga, son premier cuisinier et celui de Finau les comptèrent,ainsi que les chariots et les piles d'yams. Le cuisinier du touï-tonga en annonça, à haute voix, le compte à son maître. On transporta alors une vingtaine des plus gros cochons à environ trois cents pieds de distance du lieu de sépulture du touïtonga, où on conduisit aussi un chariot chargé d'yams.
Le reste des provisions fut distribué de la manière suivante :t'un des piliers remplis d'yams fut donné au roi, qui les répartit toujours entre ses chefs et ses guerriers. Unautre pilier tomba en partage au véachi (le véachi, ainsi que le touï-tonga, est un saint personnage descendant d'un dieu il est inférieur au touï-tonga dont il est, pour ainsi dire, ie lieutenant, mais, par son origine, ainsi que nous l'avons dit, audessus du roi), et à deux ou trois autres chefs. Le troisième fut offert aux dieux (c'est-à-dire aux prêtres qui en disposent); enfin le touï-tonga réciama le quatrième comme lui appartenant. Quant aux chariots chargés d'yams, il n'en est jamais question le touï-tonga s'en sert pour t'usage de sa maison. Les cochons sont distribués d'abord aux principaux chefs ceux-ci en font le partage entre les chefs immédiatement au-dessous d'eux qui en donnent -à leur suite de sorte que chacun des assistants en a sa part, quelque petite qu'elle soit. It en est de même des yams que reçoivent les chefs. La cérémonie se termine par la lutte, la danse et autres exercices. Chacun se retire ensuite chez soi avec ses provisions, et dès ce moment le tabou esttevé.
Les cochons et les yams déposés au tombeau du touï-tonga v restèrent plusieurs jours, c'est-à-dire, jusqu'à ce que la viande commençât à se corrompre. On la distribua alors aux individus des classes inférieures.
MARIAGE t)E LA FILLE DU Mt AVEC LE SOUVERAIN PONTIFE.
Finau avait troisfilles. L'aînée, âgée de dix-huit ans, était depuis longtemps fiancée au nouveau touï-tonga, qui en avait alors quarante. Celui-ci ayant témoigné le désir de célébrer )e mariage, Finau donna l'ordre d'en faire les préparatifs.
La jeune épouse, après avoir été abondamment ointe d'huile de noix de coco, parfumée avec du bois de sandal, fut revêtue de nattes des îles de Samoa, du tissu le plus fin, et aussi douces que la soie. Elle était enveloppée d'une si grande quantité de ces nattes qu'elle ne pouvait ni s'asseoir ni faire usage de ses bras. Elle était accompagnée par une petite iitie d'environ cmq ans, habillée de la même manière, et par quatre autres de l'âge de seize ans, vêtues à peu près aussi de même, mais ayant un moins grand nombre de nattes. La princesse et sa suite, étant prêtes, se rendirent au malaï du touï-tonga, qui tes attendait, entouré d'une nombreuse suite de chefs, et ayant deux mataboulès placés devant lui. En y arrivant, elles s'assirent sur le gazon devant le touï-tonga. Peu de temps après, une femme entra dans lecercle, le visage couvert de gnatou blanc, et de là, se rendit dans la maison du malaï, où était assise une autre femme tenant un grand rouleau de gnatou un oreiller de bois (dans ces îles, les oreillers se composent d'un rouleau de bois d'un pouce de diamètre sur un pied et demi de long, et soutenu à six pouces de hauteur par deux bouts inclinés), et un panier contenant des bouteilles d'huile. La femme voilée prit le gnatou, s'en enveloppa, et, s'appuyant la tête sur l'oreiller, s'endormit, ou plutôt fit semblant de s'endormir. Alors le touï-tonga se leva, prit sa jeune épouse par la main, la conduisit dans la maison, la fit asseoir à sa gauche. On apporta ensuite vingtcochons cuits dans le cercle du malal et dans un four en terre échauffée (voy. pl. 210),Plusieurs cuisiniersfort adroits se
mirent à les dépecer avec des couteaux, rivalisant d'efforts pour montrer leur dextérité. Une quantité considérable de cette viande fut distribuée aux chefs, mais ils n'y touchèrent point, et cachèrent chacun leur part sous leurs vêtements. Le reste du porc fut amoncelé au milieu du cercle, et les assistants se jetèrent dessus, s'en disputant et s'en arrachant les lambeaux. La femme qui s'était couchée se leva alors, et se retira, emportant avec elle le gnatou ( le gnatou est une espèce d'étoffe faite de l'écorce du mûrier, que les Chinois emploient à fabriquer leur papier), et le panier avec les bouteilles d'huile. Le touï-tonga présenta la main gauche à la jeune princesse, et la conduisit chez lui, accompagnée des cinq jeunes filles après quoi les assistants se retirèrent. Avant introduit son épouse dans sa demeure le toul-tonga l'amena dans celle qui avait été disposée pour elle, et l'y laissa, afin qu'elle pût se débarrasser de toutes ses nattes, et reprendre ses vêtements ordinaires. Elle s'amusa ensuite à faire la conversation avec ses femmes. Pendant ce temps, on préparait pour le soir un grand festin, compose de petits cochons, de volailles, d'yams, etc., et du fameux kava. Vers la brune, le touï-tonga vint présider à la fête. A son arrivée, chacun s'assit pour recevoir sa portion. Le plus grand nombre l'emportèrent chez eux, mais les gens du peuple la mangèrent aussitôt après l'avoir reçue. On Et ensuite la distribution dû kava, qu'on but à l'instant même. Les musiciens ( si on peut leur donner ce nom ) vinrent alors se placer devant le touï-tonga, et au milieu d'un cercle formé par des hommes tenant des flambeaux et des paniers pleins de sable pour y mettre tes cendres. Les instruments'consistent en sept ou huit bambous de différentes grosseurs et de différentes longueurs, dont tous les nœuds sont ôtës, et qui sont bouchés à l'une des extrémités par une cheville de bois tendre on t)ent ces bambons par le milieu, et en les frappant d'un bout contre terre, on tire un son proportionné aux dimensions
de l'instrument. Il y avait en outre un homme qui, armé de deux bâtons, frappait alternativement de )a main droite et de la main gauche sur un morceau de bambou fendu. Les indigènes dansèrent au son de cette musique pendant très-longtemps. Ladanse finie, l'un des vieux mataboulès prononça un discours sur la chasteté et chacun se retira chez soi. La jeune mariée n'avait pas assisté à la fête. De retour chez lui, le touï-tonga l'envoya chercher. Dès qu'ils se furent retirés, on éteignit les lumières, et un homme placé à la porte de la maison, après avoir poussé trois grands cris, fit entendre à plusieurs reprises le son bruyant de la conque marine (*). LIEUX CONSACRÉS ET INVIOLABLES. SACMFICE D'UN ENFANT.
Ces insulaires ont des enceintes consacrées où tout individu qui parvient à s'y réfugier devient inviolable. Mariner raconte un incident de cette campagne qui a rapport à ces asiles. Patavali, un des chefs de l'armée de Finau, poursuivant un ennemi jusqu'à l'enclos d'un terrain consacré, lui asséna un coup au moment où il y entrait, de manière qu'il tomba mort dans l'enceinte même. Ce sacrilége fut rapporté à Finau, qui consulta aussitôt les prêtres. Ceux-ci ordonnèrent de la part des dieux qu'il serait offert un enfant en sacrifice pour expier la profanation du lieu saint. Les chefs s'assemblèrent en conséquence, et jetèrent leur dévolu sur un fils de Toubo-Toa, qui consentit au cruel sacrifice. Mais il n'en fut pas de même de la malheureuse mère, qui, apprenant la funeste sentence, avait caché son enfant. Toutefois, un de ceux qui étaient chargés de le chercher le découvrit, et l'enleva. La mère, au désespoir de se voir arracher son fils voulait le suivre, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'on l'en empêcha. Arrivée au lieu de l'exécution, t'innocente victime sourit en voyant ses bourreaux lui passer (*) Mariner.
54e Zt<H'.tO/ (OCEANIE.) T. III
une bande da gnatou autour du cou en guise de cordon. Un mouvement de pitié saisit alors tous les assistants; mais la crainte des dieux les rendit muets, et, à un signal donné, les bourreaux tirèrent les deux bouts du cordon, et le sacrifice fut consommé. CÉRÉMONIES RELIGIEUSES.
Le natchi, ou littéralement portion, est une des cérémonies religieuses les plus importantes. Elle consiste à offrir aux dieux, dans la personne du divin chef touï-tonga, les premiers fruits de la terre, et divers autres objets. Elle a lieu une fois par an, un peu avant )a récolte des ignames, et a pour butd'appeler la protection des dieux sur la nation en général, et sur tes fruits de e la terre, dont les ignames sont considérées comme les plus précieux. On plante ordinairementees dernières vers la fin de juillet; mais l'espèce appelée ea/tocc/M, dont on se sert toujours pour cette cérémonie, est mise en terre un mois plus tôt. On leur réserve sur chaque plantation un petit enclos, où l'on en élève une couple de cette espèce. Aussitôt qu'elles sont parvenues a maturité, le hou en fait avertir le touï-tonga, et lui demande de fixer )e jour de la cérémonie. On ne fait de préparatifs que la veille du jour indiqué, qui est ordinairement )e dixième. Seulement on entend toutes les nuits !e son de la conque marine dans les différentes parties de l'île. Le neuvième jour, on tire de terre les ignames, et on les, orne de ru6ans rouges. La cérémonie ayant toujours lieu dans l'île que le touï-tonga a choisie pour sa résidence, les hab)tants des îles éloignées sont obligés de s'y prendre quelques jours d'avance pour pouvoir envoyer à temps des ignames à l'île où il se trouve. Aussitôt après le coucher du soleil, le son des conques se fait entendre dans toute l'île, et il augmente à mesure que la nuit avance. A la moua, comme sur toutes les plantations, les hommes chantent le A'o/o, OOMNt tegger ~MNOMe, ooua ~MNOMS.* "repose-toi; en ne travaillant pas, 4
tu ne travailleras pas. Ceci dure jusqu'à minuit. Il règne alors un silence généra) de trois ou quatre heures, jusqu'au lever du'soleil, que le bruit recommence de plus belle. Sur les huit heures, toute la population de l'ite se met en route pour le moua, et les habitants des îles voisines arrivent dans leurs canots en chantant et en sonnant de la conque. A )a moua, tout est en mouvement, et bientôt on y voit entrer de toutes parts des processions d'hommes et de femmes vêtus de gnatou neuf, et ornés de rubans rouges et de guirlandes de fleurs. Les hommes sont armés de massues et de lances. Le principal vassal du chef de la plantation porte les ignames dans un panier qu'il a suspendu au bras, et va les déposer dans le malaï ondes hommes sont occupés à les enfiler sur de grandes perches de neuf pieds de long sur quatre pouces de diamètre. Chacune des perches est portée par deux hommes qui en placent les extrémités sur leurs épaules, et marchent l'un devant J'autre. Le cortège se dirige alors sur une seule ligne vers le tombeau du dernier touï-tonga, qui est ordinairement dans le voisinage, et durant le trajet, les porteurs d'ignames marchent à pas lents, en cadence, et semblent fléchir sous le poids de leur charge, pour montrer combien les dieux sont. bons de leur avoir donné une abondante récolte, et de si grosses et si pesantes ignames. Les chefs et les mataboulès, qui les ont devancés, sont assis en demi-cercle devant le faïtoka, la tête inclinée et les maiusjointes, au moment où le cortége arrive. Deux jeunes garçons, marchant de front, le précedentaune petite distance,en sonnant de la conque; viennent ensuite les hommes qui portent les ignames, au nombre d'environ cent soixante, tous rangés sur une seule ligne, et, après eux, quarante autres chantentà à haute voix le A'q/b ooua. Deux jeunes gens sonnant de la conque ferment la marche. Ils dénient entre les chefs et la tombe, en décrivant trois ou quatre grands cercles; après quoi ils vont déposer les ignames vis-à-vis du f:u-
toka, et s'asseyent à terre. Un des mataboulès du touï-tonga se lève alors, sort des rangs, et va s'asseoir auprès du tombeau, où il adresse une invocation aux dieux en général, ensuite à chacun d'eux en particulier, et enfin au dernier touT-tonga. H les remercie de ce qu'ils leur ont donné une si abondante récolte, et les prie de continuer à répandre leurs bontés sur le peuple des îles Tonga. Cette prière terminée, il se lève et retourne à sa place. Tous les assistants se tèvent aussi, reprenner~t les ignames, et, après avoir défilé à plusieurs reprises devant ]e tombeau, ils reviennent, dans le même ordre, au maiaï, où ils les détachent des perches. Les chefs et les mataboulès ne tardent pas à les suivre, et tous les assistants se forment en demi-cercle sous la présidence du touï-tonga. On apporte alors les autres offrandes du natchi, qui sont du poisson sec, du MaAoa, des nattes, des gnatous et des paquets de me&coM/< Un des mataboutès du touï-tonga en met à part un quart pour les dieux, que les prêtres s'approprient, et que leurs domestiques emportent aussitot; il en adjuge ensuite la moitié au roi, et l'autre part au touï-tonga. Après cette distribution, ia cérémonie du kava a lieu, et pendant l'infusion, un mataboutè adresse au peuple un discours dans lequel il lui dit qu'après avoir rempli un devoir aussi important et aussi agréable aux dieux, il peut compter sur teur protection et sur une longue vie, pourvu toutefois qu'il ne néglige aucune cérémonie rengieuse ,'et qu'il respecte les chefs. La journée se termine par des danses, des combats à la lutte et au pugilat, et chacun s'en retourne chez soi, bien assuré de la protection divine.
La cérémonie du ybM&a/aA! a pour but, comme nous l'avons déjà dit, de lever le tabou qui a été mis sur les cochons, la volaille et les noix de coco, dont il est défendu de manger sous peine de mort. Le mois qui suit le trépas du touï-tonga étant consacré à des fêtes continuelles, il s'en fait une si grande consommation que, pour
empêcher ta disette, on est forcé de recourir à ces mesures de rigueur (*). Le AaM/cw/M e<<: est simplement une partie de kava présidée par un prêtre inspiré.
LE TOUO-TOUO.
Le touo-touo est une offrande d'ignames, de noix de coco et d'autres productions végétales, qui se fait au dieu dutemps,A')o-A'to, en particulier, et à tous les autres en générai, pour demander du beau temps et une récolte abondante. Cette récolte a lieu, pour la première fois, un peu avant la saison des ignames, au commencement de novembre et elle se renouvelle ensuite sept ou huit fois de dix jours en dix jours. Au jour marqué par le prêtre d'A'io-A'to, chaque plantation envoie une certaine quantité d'ignames, de noix de coco, de cannes à sucre, de bananes, de plantains, etc., qui sont apportés au malaï sur des bâtons. Là on en fait trois tas. L'un consiste dans les offrandes des habitants du sud de l'île, l'autre dans celles des habitants du nord et la troisième dans ceiies des habitants du centre. Les combats de lutteurs et de boxeurs commencent alors, et durent ordinairement trois heures; après quoi, une députation de neuf ou dix hommes, couverts de nattes, et portant au cou des guirlandes de feuilles, amènent sur le malaï une petite fille destinée à représenter la femme d'A'io-A'to. S'étant placés sur une seule ligne auprès des offrandes, ils adressent une prière à A'lo-A'lo et aux autres dieux, pourleur demander de leur continuer leur bienveillance, et de féconder la terre; puis ils procèdent à la distribution des provisions. Ils en adjugent le premier tas à A'lo-A'lo et aux dieux, et partagent les autres aux principaux chefs, qui ordonnent à leurs serviteurs de les enlever. Ils font de nouveau une courte invocation, à la suite de laquelle ils se mettent à frapper sur un grand tambour. A ce signal, tous les assis(*) Mariner.
tants fondent sur le tas réservé aux dieux, et en entevent ce qu'ils peuvent, au grand contentement des spectateurs. Les femmes se retirentà)'ëcart, et les hommes, se divisant en deux troupes égales, se livrent un combat à coups de poing. Cette partie de la cérémonie, appelée ~oë-~eo, est d'une nécessité indispensable. Le plus grand chef entre en lice contre le dernier toua, qui peut, sans conséquence, attaquer Je roi et le touï-tonga, les renverser et les battre impitoyablement. Ces combats sont souvent trèsopiniâtres, et quand ils ont duré deux ou trois heures, que ni l'un ni l'autre des deux partis ne paraît pas disposé à céder le terrain, )e roi interpose son autorité pour le faire cesser. Après la bataille, tous ceux qui ont eu affaire à des chefs d'un haut rang ont recours au moë-moë pour se détabouer. Cette cérémonie se renouvelle huit ou dix fois de dix jours en dix jours, et, pendant cet intervalle, on garde dans la maison dédiée à A'lo-A'lo la petite fille qui représente sa femme, et qui a ordinairement de huit à dix ans. Elle appartient le plus souvent aux premières familles de Tonga. Elle préside à la partie de kava donnée la veille du premier jour de la fête.
LE NAUDGIA.
La cérémonie barbare par laquelle on étrangle un enfant pour l'offrir aux dieux et en obtenir la guérison d'un parent malade, prend )e nom de naudgia. Toutefois, ces naturels ne commettent point cette action par un sentiment de cruauté, car les assistants témoignent toujours un véritabte intérêt au sort de )a malheureuse victime mais ils sont persuadés qu'il est nécessaire de sacrifier l'existence d'un enfant encore inutile à la société pour sauver la vie d'un chef estimé, vénéré, et dont la conservation est précieuse pour tous ses concitoyens.
Quand le sacrifice doit avoir lieu, ce qui est ordinairement annoncé par un homme inspiré des dieux, la malheureuse victime, qui est souvent un pro4.
pre enfant du malade ou son proche parent, est sacrifiée par un autre parent du malade, ou du moins par son ordre; son corps est ensuite successivement transporté sur une espèce de litière devant les chapelles des différents dieux. Une procession solennelle de prêtres, chefs et mataboulès, revêtus de leurs nattes et portant des guirlandes de feuilles vertes au cou, l'accompagne, et à chaque station un prêtre s'avance et supplie son.dieu de conserver la vie du malade. La cérémonie terminée, le corps de la victime est remis à ses parents pour être enterré suivant la coutume.
La même cérémonie a lieu quand un chef a commis, par mégarde, un sacrilége qui est censé attirer la colère des dieux sur la nature entière; car le prêtre consulté déclare que le dieu exige un naudgia, et le sacrifice d'un entant devient alors indispensable. On choisit toujours ()e préférence l'enfant d'un chef, parce qu'on suppose que cette offrande est plus agréable à la divinité; mais on a soin de ne prendre que ceux d'une mère d'un rang inférieur, pour éviter de sacrifier un enfant ayant )e rang de chef. Du reste, le père iui-même est le premier à donner son consentement à de pareils sacrifices, dans i'intérêt public (*). A la mort du touï-tonga, sa première femme était soumise à cette cérémonie, afin d'être enterrée avec le corps de son époux. Finan II fut le premier qui s'opposa au sacrifice, lors de la mort du dernier touï-tonga, lequel avait épousé sa sœur. H fit plus, car il abolit tous les priviléges sacrés de ce chef.
LE TOUTOU-NIMA.
Le sacrifice du toutou-nima, qui consiste à se faire faire l'amputation d'une phalange du petit doigt pour obtenir le rétablissement de la santé d'un grand chef, est très-commun aux îles Tonga; de sorte qu'il y a peu d'habitants qui n'aient perdu leur petit doigt (') Mariner, t.U, p. r;4 et s)!iv.
en entier ou en partie. L'opération ne paraît pas être douloureuse, car Mariner a vu maintes fois des enfants se disputer à qui obtiendrait la préférence de le faire amputer. Le doigt étant posé à ptat sur un billot, une personne tient un couteau, une hache ou une pierre aiguë, à l'endroit où l'on veut le couper, et un autre frappe dessus avec un maillet ou une grosse pierre, et l'opération est terminée. La violence du coup est telle que la blessure ne saigne presque pas. L'enfant tient ensuite son doigt dans la fumée d'un feu d'herbes fraîches, ce qui arrête t'hémorragie. On ne lave Ja blessure que dix jours après l'opération, et au bout de trois semaines elle se ferme sans qu'onyait mis d'appareil. L'amputation se fait ordinairement aux jointures mais si l'enfant compte dans sa famille un grand nombre de chefs, il demande qu'on lui en coupe une plus petite portion, pour pouvoir se faire faire l'opération plusieurs fois au même doigt (*).
Les &OM~<MM, ou cérémonies funèbres, sont les mêmes pour tous les enterrements, excepté qu'elles sont conduites avec plus ou moins de pompe, suivant )a qualité du défunt. Nous aurons l'occasion de les décrire en parlant de la mort de Finau, et nous y renvoyons d'avance le lecteur.
LE LANDGI.
La cérémonie du landgi est celle de l'enterrement du touï-tonga. Aussitôt après sa mort, on lui lave le corps avec de l'huile et de l'eau, et ses veuves viennent pleurer sur son corps. Le lendemain, tous les hommes, femmes et enfants, se rasent la tête. La cérémonie de t'enterrement est la même que celle du roi; mais la durée du deuil est fixée à quatre mois, et à quinze pour ses proches parents, et le tabou, pour avoir touché son corps et ses vêtements, à dix mois. Les hommes ne se rasent pas pendant un mois au moins et ne se frottent d'huile que la nuit, et (*) Mariner.
les femmes passent deux mois entiers dans le faïtoka.
Le soir de j'enterrement, des hommes, des femmes et des enfants, couverts de vieilles nattes, etc., et munis chacun d'un ~o~e ou torche, et d'un morceau de bolata, se réunissent au nombre d'environ deux mille, à la distance de quatre-vingts pas de la fosse. Une des pleureuses sort du fàïtoka et leur crie « Levez-vous et approchez. » La multitude se lève, s'avance d'environ quarante pas et s'assied de nouveau. Deux hommes placés derrière le faïtoka se mettent à sonner de la conque, tandis que six autres, tenant des torches allumées, de six pieds de long chacune, sortent de derrière le tertre, Î et courent cà et là en les brandissant. Ils remontent bientôt après sur le tertre, et au même instant tous les assistants prennent en main leurs bolatas, se rangent sur une seule ligne pour les suivre, et vont déposer leurs torches éteintes derrière le faïtoka, où ils reçoivent des remerciments des pleureuses. Lorsqu'ils sont de retour à leurs places, )e matabouiè qui conduit la cérémonie leur ordonne d'arracher l'herbe, les broussailles, etc., aux environs de la fosse, et chacun se retire ensuite dans la maison qu'il doit habiter pendant le deuil.
A la nuit tombante, plusieurs individus recommencent à sonner de la conque autour du faïtoka, tandis que d'autres entonnent un chant funèbre. Peu après, arrivent une soixantaine d'hommes qui, s'étant avancés jusqu'à la fosse, y attendent l'ordre d'exécuter une partie de la cérémonie, qui contraste étrangement avec les habitudes de propreté de ces insulaires. Une p!eureuse sort du faïtoka et leur parle en ces termes « Hommes, vous êtes rassemhtés ici pour remplir un devoir d'obligation; prenez courage, et faites tous vos efforts pour vous en acquitter convenablement. » Après cela, elle se retire, et les hommes se mettent en mesure de payer leur sale tribut à Cloacyne. Le lendemain, au point du jour, des dames du plus haut rang, toutes femmes ou NUes de chefs, se
rendent sur les lieux, accompagnées de leurs suivantes, munies de paniers et de grandes coquiiies pour enlever ce qui y a été déposé la veille. Cette cérémonie dégoûtante se renouvelle pendant les quatorze nuits suivantes. Le seizième jour, de très-bonne heure, les mêmes femmes se rassemblent de nouveau, mais elles sont alors parées de leurs plus beaux gnatous, de nattes de hamoa ornées de rubans, et portent autour du cou des guirlandes de fleurs; elles sont munies aussi de jolis paniers remplis de fleurs, et de petits balais artistement travaillés. Elles font mine de balayer la place comme les jours précédents et d'emporter les ordures dans leurs paniers; après quoi elles retournent à la moua, et reprennent leurs nattes de deuil et leurs feuilles d'ifi.
Toute personne qui touche un chef supérieur devient tabouée, mais cette interdiction n'a pas de suites fâcheuses si elle a recours au moë-moë. Une pièce de terre ou une maison consacrée à un dieu est tabouée. H en est de même d'un canot que' l'on place sous la protection d'A'to-A'io avant d'entreprendre un voyage lointain. Si un homme commet un vol, on dit qu'il a rompu le tabou; et comme on croit que les requins attaquent les voleurs de préférence aux honnêtes gens, on fait baigner les individus suspects dans un endroit fréquenté par ces animaux, et tous ceux qu'ils mordent ou dévorent sont réputés coupables. La chair de tortue et celle d'un certain poisson donnent aussi le tabou, si, avant d'en manger, on n'a pas eu soin d'en offrir aux dieux. On connaît les fleurs et les fruits taboués à un petit morceau de tapa taillé dans la forme d'un lézard ou d'un crocodile, qu'on place autour de la tige pour défendre d'y toucher. Lorsqu'on craint la disette de certaines denrées, on a coutume d'y mettre ie tabou pendant plusieurs mois de suite. Toute personne qui se serait tabouée en touchant un chef supérieur ou un objet quelconque lui appartenant, est obligée de recourir au moë-moë avant de pouvoir se servir de ses mains pour
mander. Cette cérémonie consiste à appliquer d'abord la paume et ensuite le dos de la main à la plante des pieds d'un chef supérieur, et à se laver ensuite les mains dans de l'eau, ou à se les frotter avec des feuilles de bananier ou de plantain; on peut alors manger en toute sûreté. Celui qui a eu le malheur de se servir de mains tabouées est obligé d'aller s'asseoir devant un chef, de prendre son pied et de se l'appliquer contre l'estomac pour que les aliments qu'il a pris ne lui fassent aucun mal, autrement son corps s'entrait et il s'ensuivrait une mort certaine. On se taboue aussi en mangeant en présence d'un parent supérieur, à moins qu'on ne lui tourne le dos, et en prenant des aliments qu'un chef aura marnés. Si t'en est taboué pour avoir touché le corps ou le vêtement du touï-tonga, lui seul peut en remettre la peine,parce qu'il n'existe pas de chef aussi grand que lui. Il a pour cet effet, à sa porte, un plat d'étain qui lui a été donné par le capitaine Cook, et qu'il suffit de toucher pour s'ôter le tabou. Le kava ne devient jamais taboue par l'attouchement d'un chef quelconque; de sorte qu'un simple toua peut le mâcher, même s'il a passé par les mains du touïtonga.
Le tougou-kava consiste à déposer devant une maison consacrée, ou un tombeau, un petit morceau de kava, dont on fait hommage à un dieu ou à l'âme d'un chef (*).
ALIMENTS.
L'igname, le taro, la banane, )e fruit a pain, la noix de coco, le poisson et les coquillages forment la nourriture habituelle de ces insulaires dans toutes les saisons de l'année les cochons, les volailles et les tortues sont des friandises réservées pour les chefs. Le bas peuple mange les rats. Le plus souvent its font cuire leurs aliments dans des fours creusés dans le sol, qu'ils recouvrent ensuite de feuilles de bananier et de terre. D'au(*) Mariner.
tres fois ils les font simplement rôtir sur les charbons ardents entm, quelquefois ils les font bouillir dans tes vases en terre qu'ils tirent des îles Viti. Leurs mets principaux sont
~aï-AoM, soupe de poissons faite avec une préparation d'eau et de noix de coco.
~a:-OM/t, ignames bouillies et écrasées dans une émulsion de noix de coco.
~aï-Ao/oa, bananes mures, coupées par tranches et bouillies dans une émulsion de noix de coco.
~ai-~c/M, espèce de gelée faite avec le ma, et le jus de la racine tchi (f~'aca~cB ~erMMts/M).
~at-M, espèce de fruit ( spondias cylherea) râpé et mêlé avec de l'eau, dont on extrait ensuite la partie liquide.
~o~oï, préparation de ma et de tchi, formant une gelée sembtabie au waï~c/M, mais plus compacte.
Boï, semblable à la précédente, sans être congelée.
.Faï/M&fM loto toutou, fruit à pain, battu et coupé par petits morceaux, pour le manger ensuite avec une emutsion de nom de.coco et le jus de ~eAt oudetacanneàsucre.
Lou-loloï, feuilles de taro chauffées ou bouillies avec le jus de la noix de coco.
Lou-effeniou, feuilles de taro cuites avec de la noix de coco râpée et fermentée.
Lou alo he &OMa!~Nt, feuilles de taro cuites avec un morceau de gras de porc, et conservées jusqu'à ce que le goût en soit fort.
Lou M, feuilles de taro cuites avec un peu d'eau de mer.
~a me, fruit à pain fermenté. MaAo;M, pâte de bananes fermentée. Ma matou bananes fermentées, bien pétries et cuites. ~o:, bananes fermentées et cuites avec te suc exprimé de la noix de coco.
Loloïfeke, chien de mer séché, cuit avec le suc de la noix de coco.
Tao goutou, espèce de gâteau cuit et composé avec ta racine de ma-Aos, la noix de coco et le sue de cette noix.
.fa/M Me, poudre de racine de Kia-/<oa, répandue dans l'eau chaude jusqu'à ce qu'elle forme une substance demi-géiatineuse.
~eAa/o,préparation dejeunes noix de coco, cuites avec leur lait.
~OM~a:, le dedans des jeunes noix de coco, et le jus de la racine tchi, meiés avec le lait de coco (*).
Les habitants de Tonga n'étaient point anthropophages mais, par un point d'honneur militaire, il arrivait quelquefois que les jeunes guerriers, à l'imitation de ceux de Viti, dévoraient la chair de leurs ennemis tués au combat.
y placent en même temps le foie de l'animal et des ignames, et en moins d'une demi-heure le cochon est cuit. Les gros sont ordinairement à moitié rôtis lorsqu'on les retire; on tes dépèce et on enveloppe de feuilles les morceaux que l'on fait cuire de la même manière. Les habitants se servent, pour tout ce qu'il est nécessaire de faire bouillir, de pots de terre fabriqués aux Îles Viti, ou de chaudières qu'ils se sont procurées par des échanges à bord de quelques bâtiments marchands; mais les volailles, les ignames, te fruit à pain, etc., sont toujours apprêtés de la manière indiquée ci-dessus
GASTRONOMIE.
Si les progrès dans l'art gastronomique sont un indice de la civilisation, les habitants de la plupart des îles de la mer du Sud peuvent passer pour très-avancés sous ce rapport. Par exemple, les naturels de Tonga connaissent trente ou quarante plats différents. Voici comment ils apprêtent le porc. On étourdit d'abord l'animal d'un coup de bâton, et on le tue ensuite en tefrappant à coups redoublés. On le frotte avec du jus de bananier, on le place sur un grand feu pendant quelques minutes, et lorsqu'il est chaud, on le gratte avec des coquilles de mouics ou des couteaux. Après l'avoir )avé,ies cuisiniers )e couchent sur le dos, lui ouvrent la gorge pour en ôter la trachée-artère et le gosier, et font ensuite une ouverture circulaire au ventre pour en retirer les entrailles, qu'ils lavent et cuisent sur des cendres chaudes. Ils remplissent ensuite l'intérieur de t'animai de pierres chaudes enveloppées de feuilles de l'arbre à pain, et le placent après, le ventre en bas, dans un trou garni de pierres échauffées par un feu qu'on a eu soin d'y allumer d'avance. Ils le couvrent alors de branches et de feuilles de bananier, sur lesquelles ils éièvent un monceau de terre pour que la vapeur ne puisse pas s'en échapper. lis (*) Mariner, 1.11, p. 198 etsuiv.
LE KAVA.
Le chef qui préside au kava est toujours le plus puissant de ceux présents à cette cérémonie. I! s'assied sur des nattes, le visage tourné vers Je malaï, où les assistants sont rangés en cercle. A ses côtés se tiennent deux mataboulès faisant l'oftice de maîtres des cérémonies viennent ensuite les autres chefs, les mataboulès et les mouas, qui prennent place selon leurs différents rangs. Un tiers du cercle environ est occupé par les jeunes chefs et les fils des matabouiès au service du chef qui préside; et au milieu d'eux se trouve, vis-à-vis du dernier, celui qui doit préparer Je kava c'est ie plus souvent un moua, un toua ou un cuisinier, et même quelquefois un chef. Derrière eux s'assevent une multitude de spectateurs, qui, dans des occasions extraordinaires, s'élèvent à trois ou quatre mille individus.
Ces dispositions faites. les cuisiniers du grand chef apportent les provisions. Un matabouiè fait alors signe à un d'entre eux de s'approcher de lui. Celui-ci se lève, traverse le cercle, et, étant arrivé près du mataboulè, il s'assied devant lui pour recevoir ses ordres. Le mataboulè lui commande d'aller prendre dans la maison du chef une certaine quantité de racine de kava, et de t'apporter. Le cuisinier part, revient de la même manière qu'auparavant, dépose le kava devant
le chef, et s'assied à terre. Le mataboulè lui ordonne alors d'aller le porter à la personne ptacéeàt'autre bout du cercle il se lève, et va le remettre à celui-ci, qui le fend avec une hache, le gratte avec des coquilles de moules, et le donne ensuite à mâcher à ceux qui l'entourent, en ayant soin de choisir les jeunes gens qui ont de bonnes dents, la bouche saine, et qui ne sont pas enrhumés. Quand la racine est suffisamment mâchée, chacun la retire de sa bouche, et la place sur une feuille de plantain ou de banane. On la transporte ensuite hors du cercle dans une grande jatte de bois que l'on place devant la personne chargée de faire l'infusion. Celle-ci baisse la jatte pour que Je chef puisse juger de la quantité qu'elle contient. S'ii trouve qu'il n'y en ait pas assez, il lui dit de la couvrir, et de !ui envoyer un homme, àqui]ematabou)èendonne davantage. Si, au contraire, il juge que fa quantité est suffisante, il ordonne de faire le mélange. Les deux hommes assis aux côtés du dernier sortent des rangs, et vont se placer à terre vis-àvis l'un de l'autre auprès de )a jatte. L'un d'eux prend une feuille de banane avec laquelle il chasse les mouches et l'autre, s'étant lavé les mains, pétrit le kava, et y verse de l'eau jusqu'à ce que le mataboutè lui ait dit qu'il y en a assez. Il prend alors une feuitte de bananier, et se met à chasser les mouches avec son camarade. Peu après, le mataboutè ordonne d'y mettre le fo, qui est une écorce d'arbre divisée en petits filaments, avec laquelle on retire le sédiment à trois reprises différentes, jusqu'à ce que la liqueur soit devenue tout à fait limpide.
Cette opération terminée, on procède à la distribution des comestibles. Ce sont ordinairement des ignames, des bananes, des plantains, et quelquefois un porc cuit au four, et de la volaille. Le mataboulè en ayant ordonné ]e partage, deux hommes sortent des rangs. Ils commencent par faire la part du chef qui préside, et qu'ils placent devant lui; puis ils servent les
autres convives. Cette distribution dure ordinairement trois ou quatre minutes.
Le kava étant bien passé, deux ou trois hommes sortent du cercle, des tasses à la main, et viennent s'asseoir autour de la jatte. L'un d'entre eux se lève alors, présente la tasse à là personne chargée de distribuer le kava, qui p)onge dans la jatte 'm rouleau de fo, et en laisse égoutter environ un tiers de pinte dans la tasse. Ce dernier se tourne ensuite vers le chef, et s'écrie à haute voix que le kava est versé. Le mataboulè lui ordonne de l'apporter à un tel, en l'indiquant par son nom. Celui-ci, en s'entendant nommer, claque deux fois des mains pour montrer où il est placé. L'échanson s'avance aussitôt vers lui, et lui présente le kava debout, à moins qu'il ne soit un grand chef, ou que le banquet ne soit présidé par fe touï-tonga. H est alors obh'gé de s'asseoir. Le chef qui préside reçoit ordinairement la première ou la 'troisième tasse mais cette dernière lui appartient de droit. Le mataboulè de service, suivant un usage très-ancien, adjuge la première à son collègue, si toutefois il n'y a pas parmi les convives un chef ou mataboulè des îlesvoisines. Si le kava a été offert par une des personnes présentes, on lui présente la première tasse par déférence. S'il se trouve parmi les personnes présentes deux ou plusieurs chefs, entre lesquels le mataboulè soit embarrassé de savoir auquel accorder la préférence, de crainte d'offenser les uns ou les autres, il fait porter la première au président, la seconde au mataboulè, son collègue, la troisième au chef du rang ie plus élevé, et ainsi de suite.
Quand la première jatte est vidée, le président en commande ordinairement une seconde, et c'est alors au tour de l'autre mataboulè de remplir les fonctions de maître des cérémomes. Lorsque le banquet est présidé par touï-tonga, les mataboulès de service sont obhgés de se tenir à six pieds de lui. Aucun chef ne se rend à une partie de kava donnée par son inférieur, à
moins qu'il ne consente à lui en céder ]a présidence. Quand un prêtre préside, la première tasse lui revient de droit.
Voici de quelle manière M. de Sainson fait le récit d'un kava
<' Le chef Tahofa m'engagea un matin à l'accompagner sur l'île Onéata, où ses gens se livraient à la pêche. Mon ami Lesson consentit à être de la partie, et nous étant fait mettre à terre sur Pangaï-Modou, nous traversâmes à pied ie récif qui, en ce moment, restait presque à découvert la nombreuse suite du chef marchait derrière nous. Arrivés sur une petite ne où brillait la plus fraîche verdure, nous ffmes halte, et nous vîmes, aux préparatifs qui se faisaient, qu'il s'agissait d'un hava. C'était la première occasion qui s'offrait à nous d'être témoins de cet acte si fréquent, et, selon les circonstances, si solennel quelquefois dans la vie des insulaires. Jamais ils ne se dispensent de prendre cette boisson forte le matin et si quelques graves événements, comme une guerre, un conseil, des funérailles, réunissent les naturels, l'assemblée débute toujours par un kava; le chef principal y préside, et les droits de préséance y sont réglés avec la plus sévère étiquette.
« Outre le goût nature) des insulaires pour )a boisson extraite du kava goût qu'ils portent quelquefois à un excès nuisible à leur santé, des idées superstitieuses s'attachent encore à la racine eHe-même. A l'instant où nous jetions l'ancre, la tamaha, ou reine mère, nous envoya par un exprès une grosse racine de kava, qui devait, pendant le reste du voyage, préserver l'Astrolabe de toute fâcheuse aventure. Par respect pour )e don de la vieille reine, son talisman fut suspendu à Pétai d'artimon, et ii y pendait encore vingt jours après, alors que nous étions sous le poids d'une nouvelle infortune, la guerre avec tes sauvages. Je reviens à Tahofa et à son kava sur )a petite île. Nous étions assis sur l'herbe, formant un cercle aiiongé; Tahofa occupait le haut bout, Lesson
et )tMi à sa droite. En face du chef, au tout opposé, un de ses principaux mataboulès se fit apporter un plat rond en ))ois, et à trois pieds; l'intérieur de ce plat, enduit d'un vernis blanc, attestait qu'il avait longtemps servi au noble usage pour lequel il était uniquenent réserve.
« Derrière ce grave fonctionnaire, une troupe de jeunes garçons se pressa sans ordre on leur distribua aussitôt des morceaux de racine, qu'ils soumirent à une mastication vigoureuse. Cett~' opération terminée, les racines mâchées sont réunies dans un p)at on jette dessus une sorte de masse par poignées, puis une certaine quantité d'eau; alors )e mataboulè principal retourne et presse avec ses mains le séduisant mélange jusqu'à ce qu'il en juge le degré de force suffisante. Pendant ce temps, les autres mataboulès font avec des feuilles de bananier, des tasses extrêmementéiégantes. Les choses en étaient à ce point, lorsqu'on nous pria dé replier nos jambes à la façon des indigènes nous obéîmes volontiers puis un homme se leva, se paca debout au milieu du cercle, et la distribution commença.
« Le serviteur qui avait composé cet étrarge nectar, en remplissait les tasses; il en passa une à f'homme du milieu, qui la porta au chef; ceiui-ci avala le breuvage, et jeta la coupe. Le Gan) mode tenait déjà une autre tasse pleins Tahofa nomina celui qui devait la recevoir d'après son rang, en prononçant ~eMa~MtSM (donne à Finau). Le e ]ef désigné frappa des mains en signe d'assentiment, puis it butetjeta ieva.ie. Notre tour arriva, et nous nous soumîmes d'assez bonne grâce auc'rémonia). La boisson favorite de Tonga nous sembla d'abord peu agréa bfe; son goût est amer, et son passage dans fa gorge laisse un sentiment de chaleur comme nos liqueurs fortes; pourtant l'habitude peut la faire trouver supportable. J'eus occasion de renouveler plusieurs fois cet acte de complaisance et de respect pour les usages de nos hôtes, et l'idée que j'ai c )nservée de la liqueur du liava,
malgré son étrange fabrication, n'est pas une idée de dégoût." »
Voici maintenant comment M. Bennett, le voyageur le plus récent qui ait visité l'archipel de Tonga, raconte une partie d'ava ou kava chez le toubou. «Jemerendis.ditM.Bennett, à)a résidence du toubou, où j'eusoccasion d'assister à la cérémonie qui a lieu quand on boit le kava. Le toubou était assis, et recevait de quelques chefs qui venaient d'arriver de districts étonnes, des hommages de respect et des présents, qui consistaient en étoffes du pays, en ignames bananes, racines de hava, etc. Par cet acte ces chffs étrangers reconnaissaient le toubou pour leur souverain. Un des serviteurs prit les présents, et un autre apporta )e kava on forma un cercle autour du roi, qui conserva toujours un air grave et solennel les naturels d'un rang intérieur formaient un second cercle derrière. Les chefs étrangers étaient assis sur des nattes communes, en signe d'humilité. On mit devant un des chefs des racines de kava; celui-ci fit d'abord couper les racines par deux serviteurs, qui firent usage pour ceta de bâtons très-pointus; ensuite il les distribua entre plusieurs naturels; ceux-ci commencèrent par râper le kava avec une coquille, puis ils soumirent ces racines à une forte mastication un autre naturel fut chargé de préparer la coupe destinée à recevoir cette boisson. Quand le kava eut été suffisamment maché, on le mit dans la coupe. (On veille avec te-ptus grand soin à ce que les personnes qui mâchent la racine de kava ne soient affectées d'aucune maladie. ) Le vase dont on se sert dans cette solennité, est de diverses grandeurs le bois dont il est fait vient des nés Fidgi, et s'appelle fahi; on fait aussi de ces coupes avec le bois de leki-leki elles sont à trois pieds, très-larges, et peu profondes. « Lorsqu'on eut mis dans le vase les racines de kava, on le présenta au roi, qui fit verser sur ces racines l'eau qu'on venait d'apporter dans des coques de coco; puis on eut soin d'ajouter de l'eau graduettement un naturel
exprimait dans le vase le jus du bava, et retournait ces racines avec ses deux mains. En même temps, on préparait un autre breuvage avec des feuilles de plantain. Bientôt on apporta les coupes, et quand elles furent ptemes, le serviteur qui était chargé de cette préparation dit à haute voix Le hava est dans la coupe Alors un des chefs appela par son nom le roi, en l'honneur de qui se donnait la fête, et celuici frappa fortement ses mains J'une contre l'autre en signe de renierc!ment. On a coutume de distribuer des bananes dans cette cérémonie.
« Je désirais vivement goûter le kava mais comme je montrais de la répugnance à cause du mode de préparation, Je toubou me fit apporter du kava râpé qu'on versa dans un petit vase. Je trouvais à cette boisson un goût amer et légèrement piquant. Tant que dure )a cérémonie du kava, les chefs et les naturels chargés de préparer ce breuvage observent un religieux silence. H arrive quelquefois qu'on reste à boire pendant fort longtemps; au reste, ceci dépend du nombre des conviés dans cette circonstance, nous n'étions pas plus de trente.»
MOEURS ET COUTUMES. ADMIRATION POCH LES ACTIONS GÉNÉREUSES
Les habitants des îles de Tonga sont pleins d'admiration pour tout ce qui est généreux et libéral. Si un chef voit chez un autre un objet qui lui fasse plaisir, il n'a qu'à le lui demander pour l'obtenir. Les étrangers sont exempts de toute espèce de tribut ou d'impôt, quand bien même ils possèdent de grandes propriétés. On les dispense aussi de se conformer aux usages établis, ou de montrer du respect pour les dieux, parce que, dit-on, ce ne sont pas les leurs. Un chef ou tout autre se met-it à table, it commence par partager ce qu'il a avec ceux qui l'entourent, autrement it serait accusé de bassesse et d'égoïsme. Pour les repas, les étrangers ont la préférence, et les femmes sont servies avec les hommes du même rang. On consi*
dère le respect dû aux chefs comme un devoir sacré, aussi agréable aux dieux que s'ils en étaient eux-mêmes l'objet. La vénération qu'ils ont pour la vieillesse est encore un des beaux traits du caractère de ces insulaires; et l'attachement qu'ils témoignent pour leurs parents ferait honneur à la nation la plus civilisée les chefs ont un profond respect pour leur sœur aînée, et le lui prouvent en ne mettant jamais les pieds dans la maison qu'elle habite. lis placent au nombre des devoirs religieux la défense des droits qu'ils tiennent de leurs ancêtres. Ils affectionnent particulièrement t'îte qui les a Yusnaj'tre,et toutes les îles Tonga, en générai, parce qu'elles forment un pays soumis aux mêmes lois, et où l'on parle le même langage. Mais on peut supposer que t'amcur de la patrie, dans son acception la plus étendue, n'existe pas chez eux, par la raison qu'ils n'ont jamais de guerre à soutenir contre les ennemis extérieurs.
JUSTICE.
Leurs notions de l'honneur et de la justice diffèrent des nôtres sous plusieurs rapports..Par exemple, ils regardent comme un devoir t'obéissance aveugle des subordonnés envers leurs chefs. I) s'ensuit que si ces derniers ontrésotu d'assassiner un des leurs ou de surprendre un vaisseau européen, ils sont assurés d'avance de la coopération des autres. D'un autre côté, il serait injuste de dire que les sentiments d'honneur tels que nous les concevons ne sont point entendus aux îles Tonga. Est-il, par exempte rien de plus honorable de la part d'un roi accoutumé à se voir obéir au premier ordre que la manière dont il accueillit le refus que lui lit Mariner de tirer sur une malheureuse femme qui avait perdu l'esprit? La conduite de Finau Fidji, à la mort de son frère, est au-dessus de tout éloge. Un parti puissant le portait au trône, et le pressait d'accepter la couronne; mais il refusa, en disant qu'il était trop jaloux de son honneur pour con-
sentir jamais à dépouiller son neveu de ses droits. Si un homme se trouve dans une île dont le chef, pendant ta visite, déclare la guerre à celle d'où il vi ent, l'honneur lui commande de se ranger de son côté. C'est ainsi que Fin JU Fidji, qui était à Vavaou lorsque le roi son frère déclara la guerre contre cette île, crut qu'il était de son devoir de faire cause commune avec ToëOumou, et de servir contre TouboTos etles assassins deToubou-Nouha. HAINE CONTRE LES MÉDISANTS.
T.ien ne leur paraît à )a fois plus ridicule et ptus injuste que la manie que nous autres Européens avons de revoter les défauts de nos semblables, et rous Français, en particulier, ceux de nos compatriotes. « En effet, di« sent-ils, quel bien résulte-t-il de la « calomnie pour son auteur? aucun; «mais quel mal ne fait-elle pas à « ce lui qui en est l'objet Il vaut beau« ecup mieux l'assassiner que d'atta« quer sa réputation. Dans le premier <'css, on le prive de son existence, « qu'il eût fini par perdre tôt ou tard « mais, en le calomniant, on lui ravit « ce qu'il eût pu porter avec lui sans « tache dans la tombe, et qui eût fait f'rfspecter sa mémoire. » Ici, cependant, comme partout ailleurs, les femmei aiment à s'entretenir des défauts de leurs compagnes; mais elles le font ave; si peu de malice, que ce qu'ettes en disent peut bien passer pour de simples plaisanteries; elles ne se quereitent d'ailleurs que très-rarement. ]\a basse flatterre répugne également à ces insulaires, et lorsqu'une personne a f< it une action vraiment digne d'étog~'s, on ne la toue jamais en sa présente, de crainte de la rendre trop vaine.
Il est du devoir d'une femme de demeurer fidète à son époux, bien qu'elle l'ai; souvent pris contre sa volonté. Près d'un tiers des femmes sont fiancée dans leur enfance à des chefs, à des matabouiès, à des mouas les deux autres tiers contractent des mariages d'iriclination. Toute femme doit rester
avec son mari, qu'elle le veuille ou non, jusqu'à ce qu'il plaise à celui-ci de la renvoyer; un assez grand nombre ne s'en séparent qu'à la mort. Personne n'a eu une meilleure occasion d'étudier les mœurs des femmes de ces !)es que Mariner; parce qu'en sa qualité d'étranger, on le dispensait de se conformer à la plupart des usages auxquels les naturels sont soumis. Il pouvait, par exemple entrer dans la maison des femmes de Finau ou de tout autre chef, et s'entretenir librement avec elles tant qu'il lui plaisait. Sa mère adoptive, qui était une femme trèssensée, le consultait sur tout ce qui pouvait tendre au bonheur de ses compagnes, et c'est d'elle qu'il tenait la plupart des renseignements qu'il a eus sur le beau sexe en général. H pense que l'infidélité des femmes est comparativement très-rare, et il ne se rappelle que trois intrigues qui eurent lieu pendant son séjour dans ces îles. Ces sortes de liaisons sont d'autant moins fréquentes que la bienséance ne permettant pas qu'une femme d'un certain rang sorte sans être accompagnée de ses suivantes, il faudrait que celles-ci fussent dans le secret de leur maîtresse. La crainte contribue peutêtre aussi à les rendre très-réservées car si un chef surprend sa femme en thgrantdétit.itestendroitdeiatuer; celles d'un rang inférieur en sont quittes pour une rude correction corporelle.
Un homme divorce avec sa femme, en lui disant de sortir de chez lui. Celle-ci devient alors entièrement maîtresse de ses actions, et peut se remarier deux jours après, sans que sa réputation en souffre en aucune manière. Rien n'oblige les hommes à la <idé)ité conjugale, et, s'ils ne se livrent pas à des excès condamnables, ils sont libres de partager leurs affections entre plusieurs femmes. Ils ont soin toutefois que leurs épouses ignorent ces transgressions à )a foi promise, de crainte d'exciter leur jalousie et de leur causer du chagrin; car on doit dire, à la touange des hommes, qu'ils sont singulièrement attentifs au bon-
heur de celles auxquelles ils sont unis. Les femmes sont, pour la plupart, des mères bien tendres; et, comme elles sont chargées de l'éducation de leurs enfants, il est admis, en cas dedivorce, qu'elles les conservent auprès d'elles. Au reste, les femmes sont généralement respectées à cause de leur sexe, acception faite du rang qu'elles tiennent de leur noblesse. Celles qui sont nobies ont droit aux mêmes honneurs que les hommes d'un rang égal. Si une femme du peuple épouse un mataboutè, elle en a le rang; mais si elle est noble, elle lui est supérieure, ainsi que ses enfants mâles et femelles, et n'est tenue de se soumettre à sa volonté que pour ce qui concerne les affaires domestiques. Les femmes fabriquent un grand nombre d'objets de parure celles des ctnsses supérieures en font à la fois une source d'amusement et de profit sans déroger à leur rang.
MALANES ET MÉDECINS.
Les indigènes de Tonga ont plus de confiance dans les dieux pour la guérison de leurs maladies que dans i'habileté de leurs médecins. Ils n'usent presque pas de remèdes internes, si l'on en excepte quelques infusions de plantes, qui, du reste, ne produisent aucun effet. Les insulaires des iics Viti, qui ont ia réputation de savoir bien traiter les maladies internes, leur en ont les premiers donné l'idée. Mariner ressentant un jour des maux de tête et d'estomac, un médecin des îles Haouaï et un autre des îles Tonga vinrent lui offrir leurs services. Le premier lui ordonna un émétique et un cathartique composé de patates douces râpées, mëtées à du jus de canne à sucre, et de quelque autre plante. Le docteur de Tonga rit beaucoup de ce remède, qui, dit-il, rendrait malade un homme bien portant. Il ne voyait de salut pour lui que dans la saignée, et il voulait à toute force le scarifier avec des coquilles. Mariner ne savait auquel des deux se fier: cependant, comme l'Hippocrate d'Haouaï, pour lui donner de la confiance dans sa dro-
gué, en avala une dose, il se résigna à en prendre aussi. L'émétique opéra au bout d'une heure, -le cathartique deux heures et demie après, et le lendemain matin il se trouva parfaitement guéri, au grand étonnement du docteur de Tonga.
CHIRURGIENS.
Aucun habitant de cette île n'est admis à exercer la chirurgie s'il n'a été aux îles Viti, dont les naturels vivent dans un état continuel de guerre, et où il a, par conséquent, plus d'occasions d'apprendre son art. Ils n'entreprennent jamais une opération sérieuse, s'ils ne se sentent pas l'habileté nécessaire pour l'exécuter. Les principales sont le c<MO et le tocolosi. La première a pour objet t'épanchement du sang extravasé qui s'est formé dans la partie du thorax, par suite de blessures ou l'extraction d'une flèche cassée. Ils n'ont d'autres instruments qu'un morceau de bambou ou un éclat de coquille, et pour sonde qu'une grosse côte de feuille de cocotier. Mariner vit faire cette opération sur un naturel des îles Viti, qui avait reçu la veille une flèche barbée dans le côté droit, entre la cinquième et la sixième côte. La flèche s'était rompue à trois pouces de la pointe, et était entièrement cachée. On coucha le patient sur le dos, en le tenant un peu penché sur le côté gauche. L'opérateur commença par tracer avec du charbon la marque de l'incision qu'il se proposait de faire des deux côtés de la biessurc, et, prenant alors un morceau de bambou, il fit une entaille d'environ deux pouces de long entre les deux côtes, assez grande pour qu'il pût y mettre l'index et le pouce. Ayant aperçu le bout de la flèche, il la saisit avec deux doigts de la main gauche, tandis qu'avec la droite il y passa un fil. Il élargit de nouveau la blessure, y enfonça tes deux doigts de la main droite pour écarter les chairs, et tira la flèche avec l'autre. En moins de deux ou trois minutes elle fut extraite. Pendant l'opération, le patient, qui avait perdu connaissance, était tenu par plusieurs hommes, de crainte
d'événement. On Je retourna ensuite doucement sur le coté droit pour faciliter l'écoulement du sang. Quand il fut revenu à lui, le chirurgien lui dit de respirer fortement, et lui demanda s'il en ressentait de la douleur; le patieat lui ayant répondu que non, il lui prescrivit de recommencer plusieurs foi:! la même chose, et de se mouvoir doucement, mais de prendre garde de se fatiguer. Le sang coula alors avec abondance. Quelques heures après, l'opérateur introduisit entre les côtes un morceau de feuille de bananier enduite d'huile de coco, en guise de plumaiseau, pour tenir la blessure ouverte. Il recommanda ensuite à ses gens de le laisser reposer, de ne pas lui parler, et de ne rien faire qui pût exciter son attention. JI lui prescrivit de manger beaucoup de iégumes, mais le moins de viande possible, et du poulet de préférence au porc, et enfin de boire autant de lait de coco qu'il pourrait. La première nuit le malade souffrit considérablement; il éprouva une soif ardente et dormit peu, mais le lendemain il se trouva soulagé; il avait perdu une grande quantité de sang pendant la nuit, et on changea son plumasseau. Huit ou dix jours après, qua~d la blessure ne rendit plus de sani;, le chirurgien y enfonça une sonde pou' s'assurer que rien ne s'opposait à son écoulement, et il y mit un appareil plus léger pour qu'elle ne se fermât pas trop vite; il lui permit aussi de charger momentanément de position. A mesure qu'il guérissait, il lui permettait de manger une plus grande quantité de viande; mais l'usage du kavE lui fut interdit jusqu'à parfaite guérison. La blessure se cicatrisa en six semaines, sans qu'on l'eût pansée ni i.tvée. Le malade fut sur pied au bout de deux mois, et à ia fin de l'année il jouissait d'une santé parfaite. O.i défend à un homme qui a été biesié par une arme aiguë de se laver, de se raser, ou de se couper tes cheveux et les ongles avant d'être hors de danger, de crainte qu'il n'en résulte le yita 3u le tétanos. Les blessures aux extrémités, mais particulièrement aux
pieds, sont presque toujours suivies de la même maladie. Toutefois, elle n'est pas aussi fréquente à Tonga qu'aux îles Viti.
H n'est guère d'individus, dans ces différentes îles, qui ne s'entende à traiter les fractures et les dislocations des extrémités. Dans le cas de fracture du crâne, ils laissent la nature suivre son cours. Ils guérissent les foulures en frottant la partie affligée avec un méiange d'huileet d'eau, et quelquefois seulement avec la main. Pour les blessures faites par une arme à feu, ils ouvrent la plaie le plus qu'ils peuvent pour tâcher d'extraire la balle, et pour qu'elle se cicatrise plus facilement. L'amputation d'un membre, qui est une opération très-rare, se pratique à peu près comme l'amputation du petit doigt, dont il a déjà été parlé.
GROSSESSE.
Les femmes jouissent en général d'une très-bonne santé. Pendant leur grossesse, elles se frottent te corps avec un métange d'huile et de curcuma pour se garantir du froid, et elles en font autant après leurs couches. Les accouchements difficiles sont très-rares. Mariner vit un jour une femme, à qui les douleurs avaient troublé la tête, se dégager des mains de ses suivantes, et courir comme une folle à travers les champs. Celles-ci ne firent aucune tentative pour lui porter du secours; elles se contentèrent de prier les dieux à haute voix de lui accorder une prompte et heureuse détivrance; mais, lorsqu'elle fut épuisée de fatigue, elles l'emportèrent chez elle, où elle accoucha au bout de trois jours.
TATOUAGE.
.L'instrument qui sert à faire l'opération du tataou, ou tatouage, ressemble assez à un peigne fin. L opérateur le trempe dans un mélange d'eau et de suie; il trace d'abord le contour du tabou, puis il enfonce les dents de son instrument dans la peau, en frappant dessus avec un petit bâton; il lave
le sang qui sort des piqûres avec de l'eau froide, et repasse plusieurs fois sur le même endroit. L'opération étant douloureuse, il n'en fait qu'une petite partie à la fois, pour laisser au patient quelques jours de répit; ce qui fait que souvent elle n'est pas terminée au bout de deux mois. Le tatouage prend depuis deux pouces au-dessus du genou jusqu'à trois pouces au-dessus du nombril. Les naturels croient qu'il est indispensable pour un homme d'être tatoué, et il y en a peu qui, ayant atteint l'âge viril, ne se prêtent à cette opération les femmes en sont exemptes. )t)DUSTME.
Nous dirons maintenant quelques mots sur l'état des arts et des manufactures dans les îles Tonga. Plusieurs professions sont héréditaires: les unes sont exercées par les hommes et les autres par les femmes. Ils ont emprunté des habitants des îles Viti une grande partie de leurs connaissances dans l'art de construire et de gréer leurs pirogues. Ces derniers bâtissent les leurs avec un bois dur appelé ~ë/M, qui n'est jamais rongé des vers. Cet arbre n'existant pas à Tonga, les pirogues qu'on y construit ne sont pas aussi grandes que celles des îles Viti, mais le travail en est plus soigné, et on les polit avec la pierre ponce. Us les manœuvrent habilement au milieu des récifs (voy. pl. 205.)
ART DU FONOLE.
L'art du fonolé, c'est-à-dire de tailler des ornements de dents de baleine pour le cou, leur vient aussi des îles Viti, mais celui de marqueter avec la même matière des massues, des oreillers de bois, etc., est de leur invention. On est étonné de la netteté du travail de ces premières, quand on considère qu'ils n'ont d'autre outil qu'un togi ou doloire, faite d'un ciseau, d'un morceau de scie, et souvent même d'un clou aplati, auxquels ils mettent un manche. Ils n'ornent de cette manière que les massues d'une
forme et d'un bois particuliers, et celles qui ont déjà servi utilement contre l'ennemi. Ces ornements sont en grande partie exécutés par les constructeurs de canots.
La manière de fabriquer les filets est la même que la nôtre. Le fil est fait de l'écorce intérieure de l'arbre appelé olonga.
CONSTMCTtON DES MAISONS.
Chaque homme est censé savoir bâtir une maison, ce que l'on appelle /SM<jrc /a~' mais il en est qui en font leur métier, et qui sont particulièrement chargés de la construction des grands bâtiments sur les maiaïs, des maisons consacrées et des habitationsdes chefs. La forme de leurs maisons est oMongue ou presque ovale; elles sont fermées sur les côtés, et ouvertes sur la façade etsurle derrière. Ces clôtures sont artistement faites (voy. pl. 204). Le toit est soutenu par quatre ou six pieux, et quelquefois davantage, et hs bords descendent jusqu'à quatre pieds de terre. Le principal est de savoir bien assurer les poutres; ce qui se fait avec des tresses de différentes couleurs, rouges, noires et jaunes, qui, disposées avec goût, donnent à la maison uue jolie apparence. On emploie pour la toiture des grandes maisons, des feuiiie's sèches de la canne à sucre, qui durent ordinairement de sept a huit ans, et pour les petites, une espèce de natte en feuilles de cocotier, qui ont besoin de réparation tous les deux ou trois ans. Le plancher est élevé d'un pied environ au-dessus de la surface du sol; la terre, d'abord battue, est ensuite recouverte de feuilles de cocotier et d'ifi, et d'herbes sèches, sur lesquelles on étend un natte blanchie, faite de jeunes feuilles de cocotier. Les maisons ne contiennent à proprement parler qu'un seul appartement, divisé par des cloisons de sept huit pieds de haut. Lorsqu'il pleut, ou pendant les nuits froides, on baisse une espèce de jalousie en natte, laquelle est attachée au toit.
BARBtEM.
Les habitants de Tonga ont deux manières de se raser, l'une avec les deux vaives d'une espèce particulière de coquillage appelé bibi, et l'autre avec la pierre ponce. La dernière est employéeparia personne eile-même, et F )utre par ceux qui sont barbiers de profession. Ils appliquent une coquith; au-dessous d'une des touffes de leur barbe; ils placent la seconde audessus, et ils enlèvent les poils. lis réussissent ainsi à se faire la barbe tres-prèsdela peau.Cette opération, qui est longue, mais non pasdouloureuse, se f(!nouvei)e .ordinairement tous les huit ]u dix jours. Les femmes rasent la tête de leurs enfants avec une dent de rejuin.
FABRICATION DES CORDES.
Ils fabriquent des cordes de deux espèces l'une avec des fibres extérieures de la coquille de noix de coco, qui est la plus forte, et l'autre avec Fécotce extérieure du foou. Leurs arcs sont en bois de mander, et la corde, qui est d'une grande force, est faite avec de l'écorce intérieure d'un arbre nomné olonga. Leurs flèches ne sont autre chose que des roseaux armés de points, d'un bois très-dur appelé ca~Msrt~a!, et qui ont jusqu'à trois ou quatre barbes dentelées. Les plus formidahies ont )e bout garni d'un os de )a raie à aiguillon. Leurs massues ont différentes formes, et sont faites par les constructeurs de canots.
FABRICATION DU GNATOU, DES NATTES, Ere. Le:i femmes sont chargées de )a fahriqu du gnatou. C'est une substance dont la texture ressemble assez à celle du papier. Elle est faite de t'écorce intérieure du mûrier-papier de la Chine, et s'emploie principalement pour vêtemerts. Cet arbre a rarement plus de six ou sept pieds de haut, et quatre pouces de diamètre. On ie coupe le plus près de la racine qu'il est possible, et quauc on en a abattu un certain nom-
bre, on les expose au soleil pendant deux jours pour pouvoir en arracher l'écorce plus facilement. On laisse alors tremper cette dernière dans de l'eau pendant vingt-quatre heures, et on en enlève ensuite les parties grossières avec une coquille de moule. Afin de détruire )a convexité qu'a prise l'écorce autour de la tige, on la roule en sens contraire et on la fait .macérer encore un jour dans de l'eau, après quoi elle s'enfle, devient plus visqueuse et plus propre à être convertie en une substance qui ait de la fermeté. On l'étend alors sur un tronc d'arbre formant une espèce d'établi, et on la bat avec un instrument de bois carré d'environ un pied de longueur, lequel est uni d'un côté et couvert de grosses rainures de l'autre. L'étoffe se trouve ainsi fabriquée, mais on ia remet souvent sur le métier; on la déroule, on la replie à diverses reprises, et on )a bat de nouveau pour en resserrer plutôt que pour en amincir le tissu. Dès que ce travail est achevé, on étend la pièce, afin de )a sécher. La longueur des pièces est de quatre à six pieds, mais il y en a de ptus grandes; leur largeur est moindre de moitié. On réunit ensuite les pièces, et on les enduit du suc visqueux d'une baie appelée toe. Quand l'étoffé a la longueur qu'on veut lui donner, on la place sur une large pièce de bois, audessus d'une empreinte en relief composée des substances fibreuses de la coque de noix de coco, et l'ouvrière, plongeant un morceau de linge dans le suc de l'écorce d'un arbre nommé coca, eu frotte t'étoffe qui prend une couleur brune, et devient lustrée. On continue ces opérations du collage et de la teinture jusqu'à ce que la pièce ait la longueur et la )argeur nécessaires. Les côtes offrent ordinairement une bordure d'un pied de large qui n'est pas peinte; il y en a une seconde plus large aux deux extrémités. La pièce finie, on la plie soigneusement, et on l'expose à la chaleur, dans une espèce de four souterrain, pour en rendre la couleur plus foncée. Après cela, on l'étend sur l'herbe ou sur le sable; on
la teint de nouveau en plusieurs endroits avec le suc du.hea, qui est d'un rouge brillant, et on ]a laisse exposée à la rosée pendant l'espace d'une nuit.
Les femmes font aussi toutes sortes de nattes, de paniers de différentes espèces, des peignes et du fil. Les aiguilles, fabriquées par les charpentiers, sont faites de l'os fémoral des ennemis tués à la guerre; mais on ne s'en sert que pour coudre les voiles.
DANSES.
Des hommes de la suite de Finau donnèrent à Cook le spectacle d'une danse tonga. Ils formèrent un double cercle de vingt-quatre chacun autour du chœur, et entonnèrent un air assez agréable, accompagné de mouvements analogues de la tête et des mains. Cette danse, après avoir duré trèslongtemps sur le même ton, devint beaucoup plus vive, et les acteurs répétèrent, ainsi que cela avait déjà eu lieu, des sentences conjointement avec le chœur de musiciens. Ils s~ retirèrent ensuite très-)entement jusqu'au fond de l'arène, comme avaient fait les femmes puis ils s'avancèrent de même de chaque coté, sur trois rangs, en inclinant le corps sur une jambe tandis qu'ils avançaient l'autre, en la posant à terre, de manière à former un demi-cercle. Cet exercice fut aussi accompagné d'un air assez mélodieux mais on y substitua bientôt des sentences prononcées d'une voix forte. La danse prit un grand degré de vivacité, et finit par une acclamation générale et des battements de mains. Ils répétèrent ces figures plusieurs fois, et toujours en formant une double chaîne, comme au commencement.
La fête se termina par une danse qu'exécutèrent les principaux chefs présents; elle ressemblait, sous plusieurs rapports, à la précédente, excepté que chaque pose ne finissait pas de la même manière; car leurs mouvements acquéraient alors une telle vélocité, et ils remuaient la tête d'une
épaule à l'autre avec tant de force, que celui qui n'aurait pas été habitué à ce genre de spectacle, aurait raisonnablement pu croire qu'ils allaient 6e disloquer le cou. Les danseurs formèrent ensuite un triple demicercle, comme l'avaient fait ceux qui les avaient précédés, et l'un d'eux, qui s'avança à l'extrémité d'un des côtés du demi-cercle, prononca une espèce de récitatif avec une grâce que beaucoup de nos meilleurs acteurs auraient pu envier. Un autre, placé à ['extrémite opposée du demi-cercle, lui répondit de la même manière. Ceci ayant été répété plusieurs fois, les deux côtés du demi-cercle prirent part au dialogue de leurs coryphées, et finirent par chanter et danser comme ils avaient commencé.
Ces deux dernières danses furent exécutées avec tant de vivacité et de précision que les acteurs furent couverts d'applaudissements. Certains spectateurs indigènes, qui étaient sans doute très-bons juges en pareille matière, ne purent souvent retenir l'expression de leur contentement et Cook avoue que les Anglais, moins habitués que les indigènes à ces différents exercices, partagèrent souvent leur satisfaction car, bien qu'en général il régnât l'ensemble le plus parfait dans ces exercices, beaucoup de gestes étaient si expressifs que l'on pouvait dire qu'ils peignaient on ne peut mieux le langage qui les accompagnait si l'on admet qu'il y ait quelque rapport entre le mouvement et le son.
L'endroit où ces danses eurent lieu, était un espace ouvert, entouré d'arbres, près du bord de la mer, éclairé par des lumières placées tout à l'entour à de petits intervalles. On ycomptait environ cinq mille spectateurs. Le capitaine Cook na a décrit que deux des principales danses de ces insulaires mais il en est deux autres aussi remarquables appelées A~ù! et oula, que nous emprunterons à Mariner. La première est une des plus anciennesdes îles Tonga, et n'est exécutée que par les chefs ou par les mataboulès. Elle est très-dimcile, non-seulement à &Û" Livraison. (OCE~NtE.) T. UI.
cause des gestes qu'elle exige, mais encore à cause du chant. Le choeur se compose d'environ dix ou douze chefs ou nutaboutès, au milieu desquels s'assied )m homme, qui frappe en mesure sur me planche d'environ trois pieds de longueur avec deux petits bâtons qu'il tient dans chaque main. On doit principah'ment s'attacher à conserver la mesure, et cela est d'autant plus difficile, que le chef d'orchestre la bat avec une < xtreme vitesse, surtout quand il arrive vers la fin. Les danseurs, qui sont :ous des hommes, font en même tempii autour du chœur plusieurs évotutions, pendant lesquelles ils prennent les attitudes les plus gracieuses. Cette dans! conforme, suivant eux, à la dignité et aux habitudes de gens bien nés, est une partie indispensable de l'éducation d'un chef ou d'un mataboutè.
La danse nocturne, appelée oula, qui e!!t aussi très-ancienne, n'était jadis en usage que parmi les dernières classes du peuple. Mais un chef de Tong.), rav) de la grâce avec laquelle on t'exécuta devant lui à Samoa, où elle fit, dit-on, inventée, la mit à la mode à son retour dans son île. Depuis cette époque, l'oula de Tonga est tombée dans le discrédit, car Mariner ne se raj)pei)e l'avoir vu danser qu'une seule fois. Les figures sont semblables à ceti ss des autres danses déjà décrites mais les mouvements des pieds et les attitudes du corps sont bien différente! et t'exécution en est beaucoup plus animée (voy. 202).
MCSXfUE ET INSTRUMENTS DE MUSIQUE, POESIE, CONTES ET JEUX.
Ces divertissements nous conduisent naturellement à parler de la musique et de la poésie. Tous les instruments de musique des insulaires de Tonga sont jes bambous creusés, le m<ï/a, espèce de tambour, et uneuûte appelée /s)!b!M~o, qui s'embouche par le nez.Js placent ordinairement le bec de cette lûte dans ta narine droite, et bouchent l'autre avec le pouce de la main gauct e. H y en a qui ont cinq trous en
&
dessus et un en dessous, et d'autres qui en ont quatre et six. Le son en est doux et grave. Cet instrument ne sert que pour accompagner une espèce de chant appelé oubé.
La plupart de leurs chansons contiennent des descriptions de quelque site a:{réab)e ou le récit d'événements passés; d'autres ont trait à des endroits inconnus, tels que Bolotou et la terre des Papatana;uis. Ce dernier mot est une corruption du mot /r(tK~;M, Européens. La peinture qu'ils font du pays des Européens est vraiment comique. Le poète commence par décrire les animaux du pays. Il dit, entre autres choses, qu'on voit paître dans les champs des cochons prodigieux avec des cornes, et que dans les mouas on rencontre souvent d'énormes oiseaux qui trainent des maisons. Les femmes, dit-i! ensuite, sont tellement surchargées de vêtements, qu'un habitant de Tonga étant entré dans une maison, prit une femme pour un paquet de ~?<6!<OM pa~a/a/yM ( linge), et la chargea sur ses épautes pour t'emporter. Atais quel fut son étonnement lorsque le paquet sauta en bas et se sauva! Une de ces chansons retrace les principaux événements des visites du capitaine Cook et de J'amiral d'Entrecasteaux et une autre, la révolution de Tonga et )a fameuse bataille qui s'y livra, etc. It y en a qui n'ont ni rime ni mesure, et d'autres qui ont les deux. Leurs poëtes se retirent souvent pendant plusieurs jours de suite dans les lieux les plus solitaires et les plus romantiques de t'ite, pour donner un libre cours à feur imagination poétique, et ils rapportent ordinairement à la moua plusieurs compositions nouvelles.
Leurs jeux et leurs divertissements sont très-nombreux. Celui du liaclgi est le premier et le plus important, en ce que les chefs et les mataboules en ont seuls le monopole. H faut réunir deux ou quatre personnes, pour pouvoir le jouer. Les joueurs s'asseyent vis-à-vis l'un de l'autre, et se mettent à faire simultanément des signes avec la main. Celui dont le tour
est arrivé, présente brusquement à son adversaire sa main ouverte ou fermée, ou simplement l'index étendu; et si celui-ci fait en même temps le même mouvement, c'est alors à son tour. Si, au contraire, le premier réussit cinq fois de suite à taire un de ces signes sans que l'autre fait imité il jette à terre un des cinq petits bâtons qu'il tient à la main. Celui qui s'en défait le premier a gagné la partie. Le jeu de balles plaît beaucoup aux jeunes filles (voy. pl. 201 et 2()3).
Un autre jeu consiste à lancer en l'air une lourde lance, de manière à ce qu'elle se fiche en tombant sur un morceau de bois tendre placé au bout d'un pieu. Ils sont ordinairement six ou huit joueurs de chaque côté, et celui qui réussit le plus souvent dans trois coups gagne ta partie. Le pieu a environ cinq ou six pieds de long, et le but a neuf pouces de diamètre. Le joueur peut se placer à la distance qu'il juge convenable.
ï! y a un dernier jeu qui consiste à porter une pierre sous l'eau entre deux pieux placés à trente-cinq toises de distance l'un de l'autre. Lorsqu'il s'élève quelque dtspute pendant ces jeux, les hommes ta vident par un combat à la lutte, sans qu'il en résutte jamais rien de sérieux.
Les indigènes prennent grand plaisir à s'entretenir avec les personnes qui ont voyagé. Ils aiment beaucoup les contes et les anecdotes, et it y en a parmi eux qui ne se font aucun scruputed'en inventer. Ils se piaisent principalement à parier des mœurs et des coutumes des Papalanguis. Ils se rassemblent pour causer, non-seulement à de certaines heuresdu jour, mais encore pendant la nuit. Si)'un d'entre eux "se réveille et ne se sent plus envie de dormir, il appelle le voisin pour causer avec lui, et pour peu que celui-ci en réveUte un autre tous les gens de la maison, au nombre d'environ trente ou quarante, prennent bientôt part à la conversation. Le chef ordonne quelquefois à ses cuisiniers de faire cuire un porc et des ignames, et de les lui
appofter tout chauds au milieu de la nuit. On n))umea)ors les torches et tout le monde se lève pour participer au festin après quoi, les uns se recouchent et les autres restent à jaser jusqu'au matin.
EMPLOfDUTEMPS.
Ils se lèvent au point du jour, s'enveloppent de leurs gnatous et vont se baigner dans la mer ou dans un étang voisin. lis ont grand soin de leur bouche, et frottent souvent leurs dents avec de la coque de coco ou du charbon. En sortant du bain ils rentrent chez eux, et s'enduisent le corps d'huile de coco parfumée de l'essence de certaines fleurs ou du bois de sandal, puis ils s'habillent. Les hommes portent autour du corps une pièce de guatou de cinq, six ou huit pieds de tong, drapée avec assez de goût. Il y a deux ou trois manières de la mettre; mais !à plus étégante est celle que suivent les chefs. Leur gnatou prend du milieu du corps, en laissant la poitrine, les épaules et les bras à découvert, et descend jusqu'à la cheville des pieds. Ils portent au-dessus des hanches une cemture très-iarge de la même étoffe, qui se détache tacitement, et dont ils se couvrent la tête lorsqu'ils sortent pendant la nuit.
It y a très-peu de différence entre le costume des hommes et celui des femmes; on distingue ces dernières à une petite nappe d'un pied de large qu'elles portent autour de la ceinture. Les femmes enceintes et les personnes âgées se voiient le sein.
Après les parties de kava du matin, qui durent ordinairement de deux à cinq heures, les vieitbrds rentrent chez eux pour dormir et pour causer. Les jeunes gens accompagnent les chefs partout où il leur plaît de les conduire. Vers midi, un mataboulè leur fait une distribution des comestibles envoyés aux chefs par leurs vassaux et leurs amis. Dans l'après-midi les uns se rassemblent pour causer, les autres vont douner la chasse aux rats, et la journée se termine
presque toujours par des chants et des dames, qui se prolongent assez avant daM la nuit. Quand ces divertissements n'ont pas lieu, ils se retirent dans feurs habitations respectives aussitôt le coucher du soleil. lis n'ont pas d'heure fixe pou; leurs repas. Ils mangent ordinairement le matin, à midi et dans )a soin'e mais cela dépend entièrement des occupations des chefs ou des provisicns qu'ils ont reçues.
JOURNAL D'UN ARTISTE DISTINGUÉ ('), DU.RANT SON SÉJOUR. A TONGA.
Les habitants de Tonga observent re)igieusement)*usage remarqué par les plus anciens navigateurs de changer de n~m avec l'ami qu'ils ont choisi. Les dMH chefsPalou et Lavaka, qui, depuis l'échouage de i'~ro~e, étaient restés es fidè'es commensaux du bord, avaient adopte des amis parmi les officie 's, et les gens de leur suite avaient aussi fait leur choix parmi [e reste de F équipage. Pour moi, dit M. Sainson, dessinateur habile et exact de l'expéditicn, non moins qu'homme d'esprit, occupe presque tout le jour à dessiner les sujets variés qui se présentaient en foule, j'avais eu peu de relations particulières avec les indigènes, lorsque dem jours après notre ancrage, l'Ang)ais Ritchett, que j'avais eu occasion d'ob igeren renouvelant son accoutrement européen, m'aborda sur le pont, etmemontrantunhommeassisàt'écart sur le bastingage, me dit que cet homme "ouiait être mon ami. Je demandai a Ritchett quel était ce personnage que je n'avais pas encore aperçu parmi les autres insulaires «Oh! Monsieur, me tépondit l'Anglais, c'est un grand chef et un grand guerrier cet homme est le Napoléon de Tonga-Tabou, a A une aussi imposante dénomination je ne balançai pas, je m'avançai vers le chef qui me tendit la main en souriant, j'appuyai mon nez contre ie sien. Je lui dis mon nom, il m'apprit le sien, et dis ce moment je devins pour toute (* M. de Sainson, Voyage de l'clabe.
5.
la population de t'He un autre luimême. Mon nouvel ami se nommait Tahofa.
L'Angtais ne m'avait pas trompé, Tahofa jouissait d'une autorité et d'un crédit fort étendus; nous en eûmes plus tard des preuves qui nous coutèrent malheureusement trop cher. Ce chef, qui eut une influence si fatale sur notre séjour à Tonga, pouvait avoir quarante ans sa taille n'excédait pas cinq pieds trois pouces. Ses belles formes accusaient une grande vigueur musculaire: sur toute sa personne régnait une propreté remarquable; comme tous les insulaires, il portait autourdesreins un large jupon d'étoffe d'hibiscus, sans aucun ornement qui annonçât son rang suprême. Sa figure imposante empruntait un caractère singulièrement noble d'un front élevé qui~ allait s'élargissant vers les tempes, et que couronnaient des cheveux bruns, rares et frisés. Son regard était doux et vif en même temps; ses lèvres minces et vermeilles affectaient souvent un sourire qui n'avait rien de franc. Enfin sa figure, sa voix insinuante, ses habitudes flatteuses, décelaient un homme infiniment plus avancé que ses compatriotes dans les voies de la civilisation, mais peut-être aussi de la perfidie. Tahofa était sans doute par sa bravoure l'Achille de ces parages, mais nous trouvâmes aussi en lui plus d'un rapport avec le sage Ulvsse.
Dans l'état politique qui régissait alors Tonga, t'autorité suprême, partagée en apparence entre les trois chefs, se trouvait réellement réunie dans les seules mains de Tahofa. Lorsque les habitants de l'île eurent chassé !a race antique de leurs rois, Palou .'voyez leurs portraitspl. 191), Lavaka et Tahofa furent conjointement investis de la souveraine puissance. Tahofa, doué de qualités guerrières. rendit au pays d'éminpnts services dans les combats, et dès lors il s'éleva dans l'opinion des insutaires bien au-dessus de ses deux couègues, qui, à des goûts tout pacifiques, joignaient l'indolence et t'mcapacité. Bien
plus, par une politique qui dénote un degré peu commun d'intrigue et d'habileté, Tahofa, devenu père d'un garçon, réussit à le faire adopter par la tamaha, mère du roi chassé, et la seule personne de la branche souveraine qui fût restée dans t'îie. En vertu de cette adoption, nous pûmes voir le peuple de Tonga, et Tahofa tui-même, rendre humblement à un enfant de trois ans les honneurs dus au rang suprême et à la race vénérée des touïtongas. On voit que, pour un sauvage, Tahofa avait assez bien préparé l'avenir de sa famille.
N'était-il pas merveilleux de retrouver aux extrémités du monde, dans une île presque imperceptible sur la carte du globe, une parodie si vraie, si frappante des grands événements qui, lorsque nous étions encore enfants, avaient agité l'Europe entière? Ainsi la mer du Sud avait aussi son Napoléon. Peut-être n'avait-il manqué au guerrier sauvage qu'un plus vaste théatre pour remplir aussi un hémisphère de son nom et de sa renommée. N'est-il pas au moins étonnant de voir, aux deux points opposés de la terre, deux ambitions procéder par les mê,mes moyens, et s'avancer vers un même but ? Entre Napotéon et Tahofa, la distance est énorme, sans doute mais aussi entre la France et TongaTabou
L'incognito de mon illustre ami ne fut pas longtemps gardé à bord. Palou )e présenta au commandant comme l'un des trois chefs de l'île régnant plus particulièrement sur le district de Béa, grand village dans l'intérieur des terres. Tahofa reçut, comme ses eoitègues, des présents considérables, et devint, ainsi qu'eux, habitant du navire.
Chacun des chefs de Tonga-Tabou entretient une cour fort nombreuse, qui, comme cela se pratique dans d'autres contrées, disstpe largement avec le maître ce que le peuple récolte péniblement. Le nombre et le mérite personnel de ces courtisans rapportent au chef plus ou moins de considération ils sont en même temps les conseillers
et les gardes du corps du patron qu'ils servent on les nomme mataboutès. Nos trois hôtes, qui ne quittèrent pas la corvette, s'étaient fait accompagner d'un assez grand nombre de ces mataboulès, de sorte que nous possédions quantité de convives que nous fêtions de notre mieux pour répondre aux politesses des chefs. Aussitôt qu'on avait desservi nos tables. les cuisiniers se remettaient à t'œuvre pour nos hôtes et leur suite, et ce n'était pas un spectacle peu récréatif pour nous que de voir ces messieurs assis gravement à la table, imiter tant bien que mal nos usages, et se faire servir par nos domestiques, qui avaient ordre de ne leur rien refuser. Nous remarquions surtout le gros Palou qui, ayant des Anglais à son service, se piquait de savoir les belles manières, et qui, pour le prouver, tendait à chaque instant son verre, demandait du rhum, et buvait tour à tour à la santé des convives, non sans faire quelques grimaces. 1
Pendant que nous menions à bord du navire cette vie tout à la fois tranquille et confortable, l'extérieur de ia corvette offrait du matin au soir les scènes les plus variées. Dès que le soleil se montrait à l'horizon, une foule de pirogues nous entouraient de toutes parts les naturels qu'elles apportaient grimpaient aussitôt contre les flancs du bâtiment, et malgré la protection de nos filets d'abordage, qui étaient constamment hissés, les tactionnnaires ne pouvaient qu'avec peine empêcher les plus entreprenants de s'introduire sur le pont. Un triple rang d'hommes et de femmes chargeait nos porte haubans, et leurs cris assourdissants ne laissaient pas de nous être incommodes. C'était à travers les mailles du filet qu'avaient lieu les échanges auxquels les indigènes et notre équipage se livraient avec une ardeur égale. Sans parler de t'extrême abondance de vivres que nous achetâmes en peu de jours, le navire fut rempli de curiosités, de coquilles, d'objets d'histoire naturelle, que l'équipage se procurait avec un empres-
sentent sans exemple. Les matelots, qui remarquaient ie zèle infatigable de nos naturalistes, ne pouvaient se persuajer que leurs collections n'eussent qu'une valeur purement relative. Dans !id<'e qu'un intérêt p)usréet s'attachait à d<s objets si soigneusement recherche: l'équipage entier s'appliquait à en réunir fa plus grande masse possibie.Cesco)tecteurséc)airéstravainèrent de telle sorte que, dans la suite du voyage, l'autorité des officiers dut arrêter cette fureur scientifique, et qu'en jeta à la mer, au grand désappointement des propriétaires, une fout; de ballots qui encombraient réellement le navire, et nuisaient à la salubrité.
Comme tous les naturels de ces vastes mers, nous trouvâmes les naturels de Tonga-Tabou fort empressés de se procurer du fer; mais une marchandise dont nous ne soupçonnions pas l'importance, acquit tout à coup une valeur incroyable chez ces insulaires c'étaient les'perles de verre bleu clair. I) ef.t impossible de se figurer avec quelle avidité cette précieuse matière était recherchée à Tonga. Je ne crois pas f xagérer en assurant que chez nous celui qui donnerait des diamants pour des fp)ng)es, n'aurait pas plus de gens à contenter. Les coiiers de verre bleu excitaient l'envie de tous les habitants, depuis tes chefs jusqu'aux derniers rang:! du peuple. Dès qu'ils s'étaient procurés ce trésor, ils le cachaient avec un soin extrême, revenaient à la charge pour tâcher d'ajouter encore à leurs richesses, en nous offrant tout ce qu'iis pouvaient imaginer de plus tentant pour nous. Cette fureur d'acquérir nous valut quelques offres réellement singulières; mais il n'était rien dont un insulaire ne pût faire le sacrifice Mur ces beaux colliers bleus. Combien n'en ai-je pas vu réunir à granf.'peine quelques bagatelles qui faisaient tout leur bien, et solliciter à ce prix quelques grains du verre tant désire Aussi de cet engouement pour un objet particulier naissait-il une dépréciation considérable de tous les autre et tel nous accordait pour une
seule perle, ce qu'il aurait refuse de livrer pour plusieurs ustensiles de fer d'une valeur incomparablement supérieure.
Notre équipage avait grand besoin, pour réparer ses forces, de l'excellent régime nutritif dont nous jouissions Tonga; car il était soumis aux plus rudes travaux par suite de notre ma)~neureux échouage. Nous avions laissé au fond des eaux de la passe d'entrée des ancres qu'il nous était trop précieux de retrouver pour qu'on négligeât d'en faire la tentative. Ainsi, outre les travaux ordinaires du bord, les approvisionnements de bois et d'eau, nos matelots durent encore, pendant plusieurs jours, sur une grosse mer, et brûlés par un soleil ardent, user leurs forces à cette pénible pêche, qui eut d'assez heureux résultats, mais qui jeta parmi eux un découragement qui faillit plus tard nous devenir funeste. Accablés par la fatigue du moment, ces hommes insouciants oubliaient qu'ils travaillaient pour euxmêmes. et que ces ancres, sipéniblement arrachées du fond des coraux, leur sauveraient plus d'une fois la vie dans la suite du voyage. Les officiers du bord commandaient ordinairement ces iongues corvées*; la relâche presque entière fut emptoyée par eux en travaux fastidieux. Plus heureux, tes naturalistes et moi, nous pouvions nous livrer à des excursions qui grossissaient leurs collections et mon portefeuille, tandis que nos pauvres camarades ne nous accompagnaient que dans les intervalles que le service leur laissait.
Dans tes premiers jours de notre relâche, nous trouvions sur l'île de Pangaï-Modou une chasse abondante d'oiseaux très-variés. Cette île servait surtout de retraite à une charmante espèce de colombe dont le plumage est vert et la tête amarante..Nous aimions aussi à aller nous asseoir sous pes beaux ombrages, sans autre but eue de jouir de notre bien-être présent, si doux en comparaison des traverses que nous avions essuyées dès le commencement de notre périlleuse cam-
pagne. Couchés sous les belles voûtes de cette large végétation, souvent j'esquissais avec soin tous les arbres nouveaux pour moi, que j'embrassais d'un seul coup d'œi). C'étaient t'éiégant bananier, qui fournit à la fois aux habitants de Tonga un fruit excédent, de vastes serviettes pour étaler leurs mets, des torches pour chasser les ténèbres, des coupes qui ne servent qu'une fois pour boire le hava, et après le repas, de ses nervures ouvertes, une eau assez abondante pour laver les doigts et les lèvres des coquets insulaires le'papaycr aux fruits dorés, qui se distinguent par un goût et une odeur fortement prononcés; le tatanier, qui donne aux femmes de Tonga de légers éventails pour chasser loin du chef qui dort les insectes importuns le vaquois avec ses bizarres rejetons, qui, d'un seul arbre, font cent arbres issus d'une tige commune; le frêle /n&MC!M, dontt'écorcegiutineuse s'étend en étoffes immenses; les élégantes fougères, dont les dessins déliés ornent ces mêmes étoffes telles étaient les riches productions de la nature dont j'étais entouré et puis dessus tout cela se balançait majestueusement le cocotier, cet arbre bienfaisant qui désaltère les hommes et nourrit les animaux, qui donne à ces peuplades une huile douce et suave pour la parure, du bois pour élever tes maisons, un chaume impénétrable pour les couvrir, et des cordes pour gréer les pirogues. Souvent, au milieu de ce magniGque spectacle, favorisé par le silence des bois, je me suis involontairement laissé aller à des rêveries dont les heureux mensonges me reportaient au milieu de ma famille et de mes amis car la France était toujours le but de nos pensées même lorsque mille émotions nouvelles venaient nous charmer par leur variété. Et puis, si je venais a songer quette distance nous séparait de la patrie, par combien de dangers nous devions acheter notre retour, j'osais à peine espérer que nous reverrions un jour notre cher pays!
Quelques cabanes éparses sous leS
arbres servaient de demeuresàun petit nombre d'insulaires. Lorsque nous arrivions chez ces bonnes gens, ils nous invitaient fort poliment à nous asseoir sur la natte qui couvre te sot; les jeunes gens montaient aussitôt au sommet du cocotier le plus prochain, et en faisaient tomber !es fruits; ils se servaient détours dents poiircniever le brou tenace et tandreux qui entoure la noix, et cette opération exige beaucoup de force et d'adresse; puis, lorsque le bois est mis à nu, ils enlèvent adroitement le dessus du fruit, du côté de la pointe, et l'offrent à leurs hôtes, qui n ont plus qu'à boire la fraîche liqueur.
Lorsque nos hôtes avaient montré pour nous ces aimables prévenances, nous les en récompensions au moyen de quelques grains de verre, et certes nous nous montrions généreux; aussi ne nous laissaient-ils partir qu'en nous enga~eantàrevenir souvent les visiter. Bientôt nos promenades durent prendre plus d'extension, car ies oiseaux, effarouchés par nos coups de fusil,. avaient déserté Pangaî-Modou. Au moyen de la marée basse,qui ne laissait sur ce récif qu'un ou deux pieds d'eau, nous passions dans les petites îles voisines, jusqu'à celle qu'on nomme Onéata, qui offre une assez grande étendue. Là se bornèrent nos courses, pendant quejques jours; mais nos liaisons avec les chefs, et la confiance que nous avions dans les insulaires, nous inspirèrent bientôt le désir de voir mieux le pays, et d'atterchex les naturels eux-mêmes étudier leurs mœurs et leurs usages.
Un jour, M. de Sainson, et son ami, M.Lesson,seren<jirentàt'i!eOnéata. A quelques pas, sous les arbres, dit le premier, nous découvrîmes l'établissement de pêche de Tahofa, disposé comme un hameau de cinq ou six cabanes. La principale, destinée à la famiite du chef, s'élevait sur le bord de la mer, et se distinguait par sa propreté iintérieure et la finesse des nattes éten<}uessurteso)(voy.p/. (92). Nous trouvâmes ta une petite partie de la famille de Tahofa avec l'épouse du chef, mère
de l'enfant mate adopté par la tamaha. Cftenfant,âgé de trois ans et demi, et doué d'une charmante figure, jouait à côté de sa mère;i) était vêtu d'unepetite étoffe,qui laissait nus les bras et la poitrine; un eoitier de verre bleu, marque insigne de luxe, pendait à son co i sa tête, rasée à la mode des enfants de Tonga, était ornée, sur les tempes, de deux touffes de cheveux frisés, tout briffants d'huile de coco. Dtns un coin do la maison, plusieurs jemesËffes. dont les formes et fa figure étaient ravissantes, s'occupaient de je ne sais quels détails de ménage. Ces jolies filles étaient les odalisques du seigneur Tahofa.qu), au diredeRitci~ett, en comptait vingt-trois dans sa maison de Béa. Assurément, nous n'aurions p:);, mieux demandé nous-mêmes que de faire connaissance avec eiies; mais le regard du maître les tenait cfouées à leu place, et je compris que le vieux sultan, en me cédant son nom, n'avait pas prétendu pousser piusioin la communauté.
.\près avoir offert à la femme du chef un présent convenante de colliers et de bagues, nous prîmes place sur ta na te. Les femmes sortirent aussitôt, et un fit les préparatifs du déjeuner. D'abord on étendit devant nous de grandes feuilles de bananier, puis on y p~ca des bananes cuites et crues et désignâmes; un instant après, on sel vit diverses sortes de poissons cuits.Ur mataboulè, qui ne mangeait pas, préparait, pour le chef et pour nous, dei. morceaux qu'il dépeçait fort proprement; enfin, on apporta deux poissons argentés, que le même serviteur out'rit encore vivants, car ils sortaient de la mer, et nous vîmes avec surprise notre hôte en manger,sans autre préparation que de tremper des morceaux da ts de l'eau de mer. Tahofa, devenant sans doute ce qui causait notre étonnement, nous engagea à plusieurs reprises à faire comme lui; et, les premiers dégoûts une fois vaincus, je fus tout étonné de trouver cette nourriture sans apprêt beaucoup plus supportable qu* je ne l'eusse jamais imaginé. Le repas achevé, on présenta aux chefs
deux ou trois fragments de bananier; il les fendit, en exprima l'eau, et s'en lava les lèvres et le bout des doigts. Après cette ablution, tout le monde rentra dans la cabane la femme et l'enfant du chef vinrent se placer près de nous, et le reste des serviteurs se tint debout au fond de la maison, du côté de la mer.
Alors commença une scène que nous observâmes avec d'autant plus d'i ntérêt qu'etie nous donna mieux que tous les hvres possibles une mesure exacte du caractère et de la etviiisationrafSnée de ces peuples, que nous nommons encore sauvages. Tahofa, qui était à demi étendu sur la natte, se leva tout à coup, se prosterna devant l'enfant, en appliquant son front contre terre; il saisit le pied de son fils, se le posa sur la nuque, et resta quelques instants dans cette posture; après quoi, se relevant gravement, il reprit sa ptace accoutumée. Cet exemple fut suivi par la mère du petit garçon, et successivement par tous les serviteurs du chef, qui s'avancèrent tour a tour pour donner à l'enfant cette marque de respect, laquelle ils ajoutaient encore un baiser sur le pied. C'était ainsi que Tahofa travaillait à consolider t'édince de puissance qu'il avait ëtevé pour sa dynastie. L'adoption de l'enfant par la tamaha l'élevait de droit à toutes les prérogatives de la race royale, dont cette vieille femme était le seul membre survivant dans l'île, et Tahofa, en profond politique, se soumettait le premier à toutes ces momeries de respect, pour lesquelles il avait probablement dans son coeur un profond mépris. Pendant tout ce baise-pied, le petit bonhomme jouait, allait, venait, sans se prêter le moins du monde aux hommages de sa cour, qui saisissait l'instant favorable pours'acquitterde son devoir. La maison fut encore une fois quittée par les serviteurs de Tahofa; il ne' resta plus avec le maître et nous qu'une ou deux vieilles femmes. On apporta des rouleaux d'étoffes qui devaient nous servir de traversins. Le chef s'étendit sur le dos et ne tarda pas à eommeitter.
LANGAGE.
La langue des insulaires de Tonga est radicalement la même que celle des nouveaux Zeelandais cependant ils admettent de plus que ceux-ci les sons d, tch, f et s; en outre, il suffit de jeter les yeux sur le vocabulaire de Mariner pour reconnaître qu'ils ont aussi un grand nombre de mots étrangers à la langue polynésienne, et qu'ils auront probablement reçus de leurs voisins de l'Ouest.
Du reste, cette langue est douce, mélodieuse, et moins monotone que celles de Taïti et de Nouka-Hiva. Le discours de Finau, l'histoire de Tanaloa et de ses fils, et le chant sur l'île de Likou, prouvent aussi qu'elle ne manque ni d'énergie, ni de richesse, ni de grâces naturelles. Mariner a observé qu'elle emploie fréquemment ce genre d'ironie qui consiste à dire le contraire de ce que l'on veut exprimer, pour mieux convaincre la personne a laquelle on s'adresse.
Un jour que M. Gaimard se rendait chez le chef Palou, où il était invité à dîner, les insulaires qui dirigeaient sa pirogue chantaient les paroles suivantes, dont i! lui fut impossible de connaître le sens. Les Anglais qui demeurent à Tonga-Tabou, dit M. Gaimard, nous ont assuré que les naturels euxmêmes ne le connaissaient pas. Les voici
"Tho Ma
Otou vouaï mnbouM
Au-hi-ha-hé,
Otou vouai' taffé.* n
Une partie des nageurs chante, Tho Ao!N!, et l'autre partie répond, Otou vouaï mabouna: les premiers reprennent et disent, ~M-At-As-~e; les seconds répondent, 0<M<!70Ms! taffé; et ces quatre vers sont psalmodies péndant des heures et des journées entières.
AMOURS HE LA PRINCESSE OZELA ET D'UN JEUNE ANGLAIS. MASSACRE DU CAPtTAmE POWELL.
On ne lira pas sans un vif intérêt le
récit suivant, que nous devons à M. Jules de Biossevitte, navigateur d'un rare mérite, chargé par le gouvernement de l'exploration de l'Islande, du Groëutand et autres contrées septentrionales, et qui, peut-être en ce moment, a subi Je sort de la Pérouse, au grand regret de la science, de la patrie et de t'amitié.
« Nous étions à Sidney. Dans nos communications avec ces intrépides navigateurs, et dans celles que nous eûmes avec les hardis explorateurs de la Nouvelle-Galles, MM. Oxley, Lawson, Cunningham, Powell, et avec notre ami, M. Uniacke, toute différence de nation avait disparu; nos connaissances, nos travaux semblables, nos dispositions cosmopolites, avaient éteint toute distinction, toute rivalité. « Dans ces rendez-vous de marins et de voyageurs, auxquels aucun point du globe n'était inconnu,, nous avions remarqué particulièrement le capitaine Georges Powell; sa jeunesse, ses manières aisées, son caractère entreprenant, étaient de fortes présomptions en sa faveur; à t'âge de vingt-trois ans, il se recommandait déjà par la découverte du groupe austral qui porte son nom, par une exploration detaittée de la Nouvette-Shetiund, et par un travail il sur le détroit de Magettan; soupirant t avec ardeur après les grandes aventures, les rencontres périlleuses, il promettait de remplir une carrière e féconde en événements, et nous rappelait, sous quelques points de vue, e caractère de certains flibustiers, dépouillé de la soif de l'or et de la cruauté.
« Lorsque nous allions visiter ce capitaine aventureux à bord du navire baleinier le Rambler, qu'il commandait, nous trouvions auprès de lui un jeune homme d'une assez jolie figure, mais d'une disposition apathique, qui lui avait été recommandé, avec de grandes instances, par sa famille. Nous ne nous doutions guère alors que nous avions devant les veux la victime et la cause d'une sangta'nte tragédie, dont le milieu du grand Océan allait être le théâtre, et qu'il nous faudrait aborder,
quelques années plus tard, dans une !ie de l'océan Atlantique et sur les cotes du Pegou, pour en recueillir les débits circonstanciés.
Le Rambler partit avant la Coa'Mt~e pour ia pêche du cachalot, dans fe grand Océan, sans avoir un plan hier fixe, mais avec le désir de faire des découvertes dans des parages peu fréquentés. Le capitaine Powell fut accompagné de tous nos vœux; nous n'avons aucun motif d'être plus inquiets sur son sort que nous ne t'étions sur le nôtre. Nous ne tardâmes poict à apprendre qu'il avait fait une courte apparition à la. Baie des Des, dam la Nouvelle-Zeeland.
Dans le mois de septembre de la même année, nous apprîmes, en abordant à l'île de France, que le capitaine Powell avait été tué par les naturels d'une île où il avait retaché. On ne savait pasd'autresdétaits. Nous voulûmes douter de la sincérité d'une nouvelle aussi vague; mais malheureusement elle nous fut confirmée, peu de temps après, à Sainte-Hélène, où nous rencontrâmes le chirurgien du Rambler; son navire ayant été désarmé au port Jackson, il revenait en Europe, et nous donra des détails trop positifs. Quelques articles du ~MMOKKa~y 7ieyM<er instruisirent )e public du sort de la victiDe, en outrageant injustement sa mémoire. Un critique distingué compare, dans une Revue, le sort de Powell à celui de Cook le détail des cirecnstances de sa fin rendra ce rapprochement bien plus sensible encore pour tous tes esprits.
« Au mois de décembre 1827, la rencontre la plus singulière me fit trouver ia fois, sur les côtes du Pegou, dans ie pilote anglais qui conduisit la Chetrette au mouillage de Rangoun, un officier du Brampton (perdu à la Baie des Iles) et du Rambler, qui me raconta la fin tragique de Georges Powdi.
« Kn s'éteignant des rivages de la Nouvelle-Zeeland, le Rambler, se dirigeant vers les ues Tonga, vint mouiller dans le Port-Refuge, sur la côte ouest de Vavao. Des relations d'inti-
mité s'établirent aussitôt avec les naturels elles duraient depuis trois jours sans le moindre nuage; des provisions étaient fournies en abondance; le roi Houtoutafa était presque toujours à bord; il y avait même couché; et sa fille, la belle Ozela, partageant Je goût de toutes tes Polynésiennes pour les enfants de l'Europe, avait conçu la plus vive affection pour John, le jeune protégé du capitaine. Qui aurait prévu que cette heureuse harmouie atjait cesser tout à coup? qu'une mésintelligence légère et i'an)our d'une jeune fille causeraient les plus grands désastres, en devenant aussi fatals aux naturels qu'aux étrangers?
« Le quatrième jour de sa relâche, la nuit commençait à s'étendre sur te mouillage, quand un émissaire vint prier le roi de descendre à terre. Celuici se rendit à ce désir avec une précipitation qui inspira des soupcons trop tardifs. Il n'était ptus possible de le retenir, quand t'appet de l'équipage fit découvrir l'absence de cinq hommes; John était du nombre. La méfiance devint extrême, et toutes les craintes furent augmentées par le rapport d'un Indien, qui, après un séjour de quelques années dans i'!)e, venait de prendre service sur le Rambler s'étant chargé d'aller à terre, it avatt trouvé toute la population agitée et se disposant à prendre le parti des déserteurs. Persévérant dans son dévouement, il accepta une nouvelle mission auprès du chef, avec lequel il reçut ordre de traiter d'abord pour le renvoi des cinq hommes, et, en cas de non réussite, pour la rancon du seul John. Rien ne put décider Houloulala à renvoyer tous les blancs qui s'étaient joints à sa peuplade mais il se montra plus accessible quand, pour t'échange de John, on lui offrit quelques livres de poudre, une provision de baltes, des pierres à fusil et un mousquet. Le marché allait se conclure; mais, au moment décisif, la spéculation du potitique et du commerçant céda à la tendresse du père. Il ne put résister aux pleurs d'Ozeta, aui le supplia, avec toute t'étoquence du désespoir, de ne point la séparer de
son amant; elle aimait mieux le suivre en Europe, que de le voir quitter Vavao. Le roi finit par agir en père. Les conditions furent refusées, et l'envoyé revint à bord sans avoir couru de grands dangers. On i'avmt empêche soigneusement d'avoir aucune communication avec les déserteurs.
aïi fallut avoir recours à'd'autres moyens deux grandes pirogues de guerre, des Mes Hapaï, se trouvaient au mouillage entre le Rambler et la cote. Si l'on parvenait à s'en saisir, elles devenaient d'excellents otages, car Houioutata, étant cause de leur capture, devait s'attendre à voir bientôt fondre sur son île toutes les forces des îles Hapaï. Des coups de fusil furent tirés pour faire évacuer ces pirogues; mais les hommes chargés de leur garde se jetèrent dans l'eau du rivage, et abrités parvinrent adroitement à les haler à terre.
« Powell, désespéré de ce mauvais succès, assembla ses officiers pour leur peindre sa positiou. Chargé par une famiite respectable de veiller sur un enfant chéri, envisageant cette responsabilité dans toute son étendue, il se croyait obligé par honneur à n'épargner aucun efibrt pour arracher l'imprudent au sort qu'il se préparait. Il demandait si tout autre à sa place ne serait pas entraîné par les mêmes scrupules, et ne ferait pas usage de tous les moyens pour s'assurer quelque otage. Quant à lui, mettant de coté tout interêt personne), il lui semblait honorable de seconder un pareil projet il n'hésiterait à ie faire pour personne.
« Le capitaine Powell avait beaucoup 1) d'ascendant sur ses officiers; tous lui étaient fortement, attachés; les avis furent unanimes on remit au point du jour jes nouvelles tentatives.
« Le 3 avril, au lever du soleil, beaucoup de naturels couvraient les plages du Port-Rffuge et considéraient le .HoMMe~ Les pirogues des îles Hapaï avaient disparu, mais on finit par reconnaître qu'e))e<t avaient été halées sur te rivage dans un point é)oigné de la baie. Powei), certain du dévouement
de ses compagnons, fait aussitôt appareiller son navire, tire quelques coups de canon pour effrayer les naturds, et se dirige vers les pirogues. Lorsqu'il est près d'elles, il arme deux baleinières, s'embarque, et, protégé par'te feu de son navire, réussit à mettre à la mer la plus grande des deux pirogues qu'il amène à la remorque. « Le succès du plan était certain Powell eut le malheur d'en douter, et ce doute causa sa perte. Il voulut plus de certitude et crut qu'il lui serait aussi facile de s'emparer de la sesonde pirogue que de la première, pensant qu~iors sans nul doute les déserteurs lui seraient tous rendus. « H repart avec un seul canot et débarque sans obstacle; plein d'une téméraire confiance, la curiosité t'entraîne à quelques pas du rivage. Dans ce moment même, par une fataHté inconcevable, le Rambler trouvant l'eau peu profonde, est forcé de virer debord; les insulaires, armés de lances, de haches et de casse tête étaient en embuscade derrière des dunes et des buissons. Ils observent avec une étonnante sagacité que le nav:re leur présente son avant, qu'ils sont à i'abri de ses èanons. L'occasion est précieuse. Ils s'élancent avec la rapidité de l'éclair et en viennent aux mains avec les envahisseurs de leur sol. Les étrangers, revenus de leur premier étonnement, se défendent avec une bravoure inutile; ils ne peuvent faire qu'une décharge; le nombre va les accabler: leur canot est encore à flot; ils tentent d'y rentrer et de fuir. Dans ce mouvement, Powell est atteint par derrière d'un coup de hache. A peine a-t-il le temps de s'écrier « Je suis perdu que son crâne est fendu jusqu'aux épaules. Quatre Anglais partagent son sort; deux seulement ont le bonheur de gagner leur navire à la nage; l'un d'eux, dangereusement blessé d'un coup de sagaie, était celui-là même qui m'a raconté cette déplorable histoire.
« Partout retentissait le bruit de la conque guerrière, partout on courait aux armes. Les pirogues de guerre se
réunissaient pour une attaque générait. Dans cette situation péritteuse at'Hibti par la perte de dix hommes, l'équipage du /<aM!& n'eut d'autre ressource que d'abandonner sa prise, de orcer de voiles et de s'éloigner en tou :e hâte d'une terre qui lui avait été si funeste. Sa campagne se termina au por.Jackson.
« Je n'essayerai point de peindre que s ont du être le désespoir et le regrel des parents de John son existent~ ne cessera point d'être empoison lée de remords. Je n'ai pas su s'il avait pu contempler et baigner de larmes le corps inanimé du protecteur qui avait péri en voulant t'arracher aux conséquences funestes de son étourderie. C'est également en vain que j'ai cherché à connaître le résultat de ses ,arac urs consacrées par le sang. » MISSfONNAIMS.
Nous verrons dans l'histoire des peuples de l'archipel deTonga, qu'après beaucoup d'efforts et d'insuccès, les mis'ionnaires parvinrent à y rester, et à fa re des prosélytes. Maintenant ils sont solidement établis M. Bennett visita, en 1830, MM. Turner et Cross. Leurs maisons, voisines de la chapelle des 'nisbions, sont construites en bois comme celles des naturels elles sont propres et commodes. Jts ont à coté de i<!ur habitation des jardins entretenus avec soin, où ils ont acclimaté un grand nombre de végétaux d'Europe; mai:, les haricots n'ont point encore réussi. Les maisons des naturels offrent un aspect agréable; elles sont en bois, soutenues par des perches et des roseaux, et couvertes de feuilles de p6fK</<MMM. Ces maisons sont d'une grande propreté; te sol est couvert de natt.'s, et le toit est si incliné qu'on est forcé de se baisser pour entrer; mais l'intérieur est assez élevé. La nuit, on a coutume de fermer les maisons avec des feuilles de cocotier. ]\ous nous sommes procuré, depuis la publication du voyage de M. Bennett des documents qui arrivent jusques et y compris le premier trimestre
de l'année courante ( 1835), qui ne laissent plus aucun doute sur le triomphe de l'Évangile, et sur l'établissement du christianisme dans l'archipel de Tonga. Voici l'histoire d'une Pentecôte à Tonga et de )' établissement du christianisme dans t'archipet, telle que nous l'avons reçue dans le journal des missions évangétiques.
NOUVELLE PENTECOTE ET ETABUSSEMENT DU CHRISTIANISME A TONGA.
Une opinion assez généralement répandue parmi les chrétiens, est qu'il n'y a jamais eu depuis les temps apostoliques, et qu'il n'y aura jamais jusqu'à la fin des siecles, une époque dans t'Ëgtise que J'on puisse comparer à celle de la première Pentecôte. L'on pense que jamais l'effusion du Saint-Esprit ne fut plus abondante, son action plus puissante, ses opérations plus extraordinaires; que te jour où, descendant du ciel, le consolateur promis, le Paraclet, vint reposer sur les premiers disciples. Sans vouloir nous inscrire en faux contre cette opinion, et juger sa valeur intrinsèque, nous allons citer des faits qui contribueront peut-être à la modifier. Ce qui se passe depuis quelques années dans les !tes des Amis, à l'ouest de l'océan Pacifique, est de nature à nous fortifier dans la pensée que les sources de la grâce ne sont point taries, et à nous faire supposer que des conversions aussi nombreuses que celles qui eurent lieu à Jérusalem à la première Pentecôte, peuvent se renouveler encore de nos jours.
Les îles des Amis se composent de plusieurs groupes plus ou moins considérables. Dans celui de Vavaou, un reveil extraordinaire commença vers le milieu de l'année 1834; c'était le 23 juillet. Un prédicateur indigène avait prêché sur ce texte de la parole sainte où le Christ nous est représenté versant des larmes sur l'endurcissement des Juifs. Cette exhortation simple, mais forte, produisit une telle impression sur l'assemblée, que la conscience de plusieurs fut réveittée, et
qu'un grand nombre commença à manifester un désir ardent d'être sauve. Telle était la profondeur de leurs sentiments, qu'i)s passèrent en prières une partie de la nuit. C'est dans le village Utui qu'avait eu lieu la scène dont nous venons de parler. Le dimanche suivant, le même phénomène se répéta à Féléton, autre village de l'île, où cinq cents personnes environ furent vivement impressionnées par la grâce divine, et décidées à s'occuper sérieusement de leur salut. C'est ainsi que de lieu en lieu le réveil se propagea, si bien que, huit jours après, l'on comptait mille personnes réveiuées du sommeil de la mort et converties à Dieu. H y avait eu, il est vrai, précédeinment dans t'ne une œuvre de conversion, mais tout extérieure, et qui n'avait consisté que dans )e passage du paganisme~ un christianisme de forme. Depuis longtemps -les missionnaires gémissaient de ne pas découvrir chez les prosélytes des marques d'une piété réelle; ils avaient prié pour obtenir cette grâce, et maintenant ils étaient témoins des larmes de repentance que versaient, et des manifestations de paix et de joie que donnaient des hommes naguère étrangers aux expériences de la vie chrétienne. « Dieu soit béni! entendaient-ils répéter de toute part, ~MÇM'tC< MOM ne connaissions pas ./MM; N~/OM'<fAMt nous le connaissons il nous a a'eNt~'ex de Mo~pce~M nous l'aimons. » Ou bien « OA/ que n'avons-nous des COM<~ assez larges pour aimer comme il faut, et louer fKyM€mem< le ~e~MMr. »
L'île entière est maintenant soumise au sceptre de Jéhovah trois mille soixante-six personnes se sont fait admettre membres de l'Église, et dans ce nombre, deux mille environ ont été convertifsdanst'espacedesix semaines. Il y a actuellement dans l'ile vingt lieux de culte, vingt écoles pour les adultes, autant pour les femmes, et quarante prédications indigènes, sans compter les missionnaires européens. Une action tout aussi puissante de la parole de vie s'est fait sentir dans le groupe des Hapa!. Sous la date du
10 septembre 1834, le missionnaire Tuker annonce que des torrents de la grâce ont été versés sur )a population de Lifouka et des environs, que des milliers de genoux se sont pliés devant Jéhovah, et que des milliers de bouches ont confessé que le Christ était le Seigneur, à la gtoire de Dieu le Père. L'atguiffon de la parole céleste est resté enfoncé dans beaucoup d'âmes, et pendant la durée de la prédication, p)usieurs étaient contraints de s'écrier, ainsi que le péager 0 Dieu! aie pitié de moi, qui suis un grand joeeAeMf. Parmi les pénitents, l'on a vu )eroi et ia reine, d'abord humitiés dans le sentiment de leurs péchés, se relever ensuite avec l'assurance de leur réconciliation. Chaque jour était un dimanche où quatre à cinq services devenaient nécessaires pour répondre aux besoins de toutes ces âmes atfamëes et altérées de )a justice. Dé Lifouka, le réveil s'est étendu à presque toutes les îles de ce groupe, et le missionnaire termine son rapport en disant qu'il estime qu'en quinze jours deux mille personnes ont été réveillées.
Le groupe de Tonga n'est pas non plus demeuré inaccessible à ce remarquable réveil. Un prédicateur indigène, nommé Joel Mappies, venu des îles Hapaï à Noukoualofa, en fut t'occasion et l'instrument. Il raconta, dans la chapelle et devant une nombreuse assemblée, les choses merveilleuses dont it avait été témoin dans le voisinage; et, excités à une sainte jalousie plusieurs des habitants de cet endroit tournèrent leurs cœurs vers Dieu. Pendant plusieurs jours, ce ne fut que réunions, prières, chants de cantiques, expressions de joie et de reconnaissance. Mais aussi ce spectacle, digne du regard des anges, réveilla l'inimitié des païens. Ennuyés de ces continuelles réunions de prières, ils prirent la résolution d'y mettre fin. Ayant à leur tête quelques-uns des chefs, ils profitèrent d'un jour de fête pour mettre à exécution leurs perfides desseins. Les chrétiens furent assaillis, battus, menacés de la mort, et une hache fut mêmelevée sur la tête d'un chef pieux
nommé Toubou la Providence heureusement détourna ]e coup qui devait le frapper. Mais le feu fut mis à la chapetL', et la station de Talafour fut ruir ee de fond en comble. De'l'aiatbur, la persécution se propagea dans trois autres stations les chrétiens en furent chassés, leurs maisons pittées, t eghse incendiée. Mais cette epreuve n'a joint ébranlé la foi des chrétiens, qui sont demeurés fidèles, et qui ont préféré la croix du Christ et son opprobre à tous les biens dont l'esprit de persécution les a dépouillés.
A Tonga, les missionnaires trava)t)3nt sous la protection et avec l'assenti ment du chef principal, ou roi nommé Toubou. Les îles Hapaï et Vavaou sont aujourd'hui réunies sous le gouvernement d'un prince et d'une princesse pieux. Le roi Georges et )a reine Charlotte sont tous deux chrétiens sincères, actifs et zélés. Ils font des tournées fréquentes dans les îles qui !eur appartiennent, accompagnés de t'!]n ou de l'autre des missionnaires, dans le but avoué de s'assurer des progrès du christianisme parmi les msutaires. Partout où ils passent, on les accueille avec des chants de cantiques, qui ont remplacé les salves cle mou!.queterie. ti arrive quetquefois que le rci préside lui-même les réunions religieuses où on explique Je cathéchisme aux indigènes. Heureux le pays qui possède de pareils princes! Il n'y a pect-être pas une contrée au monde qui soit aussi sagement et aussi paternellement gouvernée.
Depuis que l'Evangile a été introduit dans les îles des Amis, la polygamin et les guerres y ont cessé les mdtgmes ont fait des progrès dans fart de construire les maisons; ils ont eux-mêmes étevé les chapelles ou ils pri ent et écoutent la parole de Dieu, et le bonheur domestique règne partout au milieu d'eux.
De Vavaou, Hapaï et Tonga, le christianisme a pénétré dans les îles voisines de Viti, Keppel et Nivafou ou Bosc:wen, par le moyen des insulaires convfrtis. La manière dont il s'est établi dans la dernière de ces nés. qui
est très-peuptée et aussi considérable que Vavaou, est surtout fort remarquable et coïncide avec plusieurs autres faits de l'histoire des missions dans l'océan Pacifique. Voici le récit qu'a tracé de cet événement tout providenti'*[, le missionnaire Watkm de Lifouha, dans Hapaï.
«Un assez grand nômbred'habitants de t'ïte Vavaou avaient été conduire leur vieux roi Finau à Niva, et s'étaient remis en mer pour retourner dans leur île; mais la petite flotte, composée de quatre grands canots, ayant soixante à soixante-dix personnes à bord, fut submergée; ses débris, que te vent poussa vers notre rivage, nous en apportèrent bientôt la triste nouvelle. Deux autres canots, après une navigation longue et pénible, a la suite de grands dangers et avec des avaries considérables, arrivèrent enfin ici. Le quatrième, dont je veux surtout vous entretenir, fut d'abord iongtemps poussé de côté et d'autre, et aborda enfin à Nivafou. Sans doute qu'après tant de périls et d'agoisses la vue. de la terre terme était une chose réjouissante mais nos navigateurs savaient qu'ils devaient s'attendre à recevoir peu de témoignages d'amitié de la part de ces insulaires car cette île était renommée entre toutes les autres pour sa cruauté et sa soif de sang humain. Au bout d'un moment ils apercurent bientôt que leurs craintes à cet égard n'étaient pas sans fondement, car dès qu'ils approchèrent du rivage pour débarquer, ils virent les habitants accourir en armes pour les empêcher de mettre pied à terre, et les forcer à regagner la haute mer. Alors on tint conseil sur te canot, pour savoir ce qu'il y avait à faire se mettre en mer après tes fatigues qu'ils venaientd'éprouver, c'eût été aller audevant d'une mort certaine c'est pourquoi, après avoir examiné leur position sous ses différentes faces, its résolurent de braver tous les dangers et de débarquer. Comme ils avaient à bord des fusils et de la poudre en assez grande quantité, its pouvaient, pendant quelque temps au moins, se mesurer avec
leurs ennemis. Ils chargèrent donc teurs armes, mais à poudre seulement, et ils ramèrent courageusement vers la terre. A la première décharge, ils demeurèrent maîtres du champ de bataille; car tous les habitants de t'ne, effrayés par les éclairs et le tonnerre de leurs armes à feu, s'enfuirent rapidement. Mais nos insulaires navigateurs ne firent aucun mauvais usage de tcur facite et innocente victoire. Quoique tout nouvellement éclairés de la lumière de t'Évangiie, non-seutement ils ne firent aucun mal à ces hommes inhospitaliers, mais, au contraire, ils s'occupèrent tout d'abord des moyens de leur être utiles selon leur pouvoir et leur position. Aussitôt que les ennemis furent revenus au rivage, pour demander pardon à leurs vainqueurs et leur apporter des dons et des gages de paix, nos nouveaux chrétiens leur pardonnèrentyotontiers, et commencèrent aussitôt à leur parler de leur mieux de la religion de Dieu, de i'Évangite. Ils leur racontèrent tout ce qu'ils savaient de Jéhovah et de Jésus-Christ. Leurs discours et leurs exhortations firent impression. Le chef supérieur de l'île se déclara pour t'Évangite; beaucoupd'autres t'imitèrent, et en peu de temps le plus grand nombre des habitants de t'ite prit parti pour la vérité; pendant tout le temps que les nôtres demeurèrent à Nivafou, leur principale occupation. fut de prier, de chanter des cantiques, et de profiter de toutes les occasions et de tous les moyens d'éclairer et de fortifier les habitants de t'ite et lorsqu'ils partirent, le pius avancé en connaissances et en instruction leur fut laissé avec les livres dont.ils pouvaient strictement se passer. L'instituteur devait rester au milieu d'eux jusqu'à ce qu'on pût leur en envoyer d'autres, ou même teur procurer un missionnaire. Je suis peine de devoir dire que jusqu'aujourd'hui cela n'a pu encore avoir lieu car notre nombre présent ne répond pas même aux besoins des stations actuellement existantes; et quoique j'aie beaucoup et longtemps désiré de visiter cette île, cela m a été impossible jusqu'à présent. »
te même missionnaire ajoute sous une date plus récente ( la lettre précédente est de février 1835)
<' Aujourd'hui T' mars, j'ai reçu de Samuel, l'instituteur indigène que j'ai envoyé à Niva, une fettre bien réjouissante. Tout le peuple de t'iie fait maintenant profession ouverte du christianisme.
« Un missionnaire, quelque isolé et éloigné qu'il doive se trouver là, y est absolument nécessaire. Samuel m'annonce qu'il est déjà bien pauvre en livres~ il m'en demande avec instances, et il termine par appeler sur son oeuvre le secours de mes prières. H avait d'abord résolu de venir ici avec le bâtiment qui a apporté sa lettre; mais les besoins spirituels des habitants ne Ie lui ont pas permis. La manière dont il s'est~décidéà à rester avec eux, est si intéressante que je ne puis m'empêcher de vous la rapporter. Ii était déjà sur le vaisseau, prêt à partir, quand une telle multitude des habitants de l'île y vint pour l'en empêcher, que le vaisseau commençait à enfoncer. '< (?M'e~-ce que cec: f" s'écria Samuel étonné « Tu veux t'en aller, lui répondirent-ils aussitôt, toi, notre seul instituteur? Dans ce cas nous voulons aussi partir avec toi; car qui nous instruira quand tu seras loin de nous? Sont-ce les arbres qui nous instruiront ? est-ce la maison où nous nous assemblons qui pourra nous enseigner? Non: eh bien nous partons avec toi. » Vaincu par des instances aussi énergiques, Samuel leur dit « Eh bien qu'il en soit ainsi, je reste avec vous et je vous instruirai aussi bien que je pourrai. » Là-dessus il retourna avec eux dans i'ije, et le vaisseau partit sans nous t'amener.
« Je dois ajouter encore quelque chose au sujet de Samuel il est chef et d'un rang assez étevë, et aujourd'hui il est, non-seu !ement l'instituteur, mais encore le gouverneur de Niva; car ie chef précédent l'a reconnu et nommé son successeur.
« Depuis qu'il est en charge, un bâtiment anglais qui fait la pêche de la baleine jeta l'ancre près de l'île. Aussi-
tôt L'capitaine vint au rivage avec des désir impurs, et lui fit une proposition scandaleuse; mais Samuetlu) donna pour réponse ce peu de mots Ikoï am6: /Vo~aMtaM. Cependant l'impudent capitaine réitéra sa demande, en lui offrant de le récompenser largement s'il y consentait, et en lui montrant pour le séduire une quantité de choses très-utiles dont il lui ferait présent. Mais Samuel répondit par un non 'ncore plus prononcé que la première fois; et ajouta :n La grâce de Dieu m'est plus précieuse que toute cette vile récompense du péché, et mem; que tous les trésors du monde entie Vaincu par une si noble fermeté, )e pauvre capitaine, dont je pourrais (~ire te nom si cela était nécessaire, fut obligé de se retirer sans avoir accompli ses mauvais desseins, et il dut la bonne leçon qu'il reçut dans cette circonstance à la consciencieuse énergie c'un jeune chef païen devenu chrétien. tf est probable qu'à l'exempte de Kotzcbue et de tant d~autres ajouta le narrateur, ce capitaine s'en ira dire aussi que le christianisme fait un to -t incroyable dans la mer du Sud. Soit le blâme de tels hommes est un titre d'honneur. »
Nous allons maintenant passer à l'histoire de ce peuple intéressant. Ses annahs'modernes nous offriront des hommes qui eussent reçu le nom de grands s'ils avaient nguré sur un plus grand théâtre.
HISTOIRE DE TONGA.
Lf célèbre navigateur hollandais Tasman est le véritable découvreur des Tonga. C'est le t9 janvier 1643 qu'il aperçut l'îlePylstart. It reconnut ensuite i'de Eoa, et plus tard l'île Tonga-Tabou, qu'il nomma l'une Middetbourg et l'autre A msterdam. H reçut à son bord la visite des indigènes qui étaieot sans armes et dont la conduite fut pleine de bienveillance, et, sans quelques larcins de peu de conséquence, ce grand découvreur n'aurait pas eu le moinf re reproche à leur faire. t) cingla vers t'îie Namouka à laquelle it
donna le nom de Rotterdam. Écoutons le récit naïf du bon Tasman << Les naturels de l'île que nous avons nommée Rotterdam ressemblent à ceux de F!)e précédente (Amsterdam ou TongaTabou). Ils sont doux et n'ont point d'armes, mais sont grands voteurs.Oti y fit de l'eau, et on y trouva quelques autres rafraîchissements. Nous fûmes d'un bout à l'autre de cette île, et nous y vîmes quantitéde cocotiers placés fort régulièrement les uns auprès des autres, et de très-beaux jardins bien ordonnés et garnis de toutes sortes d'arbres fruitiers, tous plantés en droite ligne, ce qui faisait un très-bel effet. Après avoir quitté Rotterdam, on découvrit quelques autres îles. »
Tasman a laissé peu de détails sur l'archipel de Tonga. Ce fut cent trente ans après le navigateur hollandais que le capitaine Cook mouiiïa en pleine côte sous le vent de t'ïte Eoa. Les indigènes recurent les Anglais de la maniere la pfus affectueuse. Le savant naturatisteForster dit à ce sujet « Les vieillards et les jeunes gens les hommes et les femmes, nous comblaient des plus tendres caresses; ils baisaient nos mains avec l'affection la plus cordiale ils les mettaient sur leur sein en jetant sur nous des regards d'affection qui nous attendrissaient. Matgré ces dehors pacifiques, les insulaires étaient presque tous armés; ils avaient des casse-tête de toutes les formes, des arcs, des lances, des <Ièches. Ces armes, alors inoffensives, n'étaient pas sans doute disposées à se reposer toujours.
Rien ne troubla pourtant la bonne harmonie entre les Anglais et leurs hôtes. Forster parcourut les environs du mouillage il y vit la plus belle campagne. « Nous montâmes sur la colline, dit le naturaliste, pour exami- iner l'intérieur du pays, traversant de riches plantations ou jardins, enfermées par des haies de bambou ou des haies vives d'erythrina corallodendron. Ensuite'nous atteignîmes un petit sentier entre deux enclos, et nous vîmes des ignames et des bananes plantées dei deux c~tés, avec autant d'ordre et
de régularité que nous en mettons dans nos jardins. Ce sentier débouchait au milieu d'une plaine d'une grande étendue, et couverte de riches pâturages.A )'autre extrémité régnaitune promenade déticieuse, d'environ un mille de long, formée de quatre rangsde cocotiers, qui aboutissaient à un nouveau sentier entre des plantations fort régulières, environnées de pamplemousses, etc. Ce sentier conduisait à une vatfée cultivée, à un endroit où plusieurs chemins se croisaient. Nous découvrîmes là une jolie prairie revêtue d'un gazon vert et Bn, entourée de tous cotés par de grands arbres touffus. Une maison sans habitants occupait l'un des cotés. Les propriétaires se trouvaient probablement alors sur le rivage. M. Hodges s'assit pour dessiner ce paysage charmant; nous respirions un air délicieux et parfumé; la brise de mer jouait dans nos cheveux et dans nos vêtements: elle tempérait et rafraîchissait t'atmosphère une foule d'oiseaux gazouillaient, et les colombes roucoulaient dans le feuil)age. Les racines de l'arbre qui nous servait d'abri étaient fort remarquables elles s'éievaient de la tige à peu près de huit pieds au-dessus du terrain les cosses avaient plus d'une verge de long, et deux ou trois pouces de large. Ce lieu fertile et solitaire nous donna l'idée des bosquets enchantés sur lesquels les romanciers répandent toutes les beautés imaginables. Il serait impossibte, en effet, de trouver un coin de terre plus favorable à la retraite, s'il y existait une fontaine limpide ou un ruisseau mais malheureusement l'eau est la seule chose qui manque à cette îte agréable. Je découvris a notre gauche une promenade couverte qui menait à une autre prairie, au fond de laquelle nous aperçûmes une petite montagne et deux buttes par-dessus.Desbambouspiantés en terre, à la distance d'un pied l'un de l'autre, environnaient la colline, et l'on voyait sur le devant plusieurs casuarinas. Les naturels qui nous accompagnaient ne voulurent point en approcher. Nous avançâmes seuls, et
parvînmes avec beaucoup de peine à regarder dans les huttes, parce que l'extrémité du toit était à un palme au plus au-dessus du sol. L'une de ces huttes contenait un cadavre déposé depuis peu, l'autre était vide. » Cook alla mouiller le lendemain devant Hifo à Tonga-Tabou. U y éprouva la même hospitalité, et les naturels s'empressèrent d'échanger des vivres en abondance contre quelques bagatelles.
Cook revint l'année d'après dans l'archipel, et cette fois il mouitia sur la bande nord de Namouka. Quelques larcins des indigènes troublerent la paix; l'inflexible capitaine lit saisir deux grandes pirogues doubles, et un Tonga ayant voulu défendre les pirogues, il fit tirer de près sur lui, mais seuiement à dragées. Le pauvre Tonga, crihié de blessures, poussa des cris qui auraient ému tout autre homme que Faustère Cook. Le chirurgien de son vaisseau vint panser le blessé. I) voulut appliquer sur ses pjaies un cataplasme de bananes mais les naturets lui préparèreut les pulpes de quelques cannes a sucre que le chirurgien reconnut être plus efficaces. A peine l'appareil étaitil posé que les insulaires, oubliant le châtiment cruel de leur compatriote, témoignèrent de nouveau aux Anglais les démonstrations les plus amicales. « Les femmes, dit Forster, qui assistèrent au pansement du pauvre blessé, paraissaient fort jalouses de rétablir la paix, et leurs timides regards nous reprochaient notre superbe et violente conduite. Elles s'assirent sur un joli gazon, et formant un groupe de plus de cinquante, elles nous invitèrent à nous placer à leurs côtés, en nous prodiguant toutes les marques possibles de tendresse et d'affection. L'amie du chirurgien fut une des plus caressantes elleoccupaitun des premiers rangs parmi les beautés de t'iie; sa taille avait de la grâce et ses formes d'heureuses proportions ses traits, parfaitement réguliers, étaient pleins de douceur et de charme; ses grands yeux noirs étincelaient; son teint était plus blanc que celui du bas peuple. Elle 66* Z.!M'OMOM. (OCI'A~) T. U).
portait une étoffe brune qui lui serrait ieccrps au-dessous du sein, et qui en.suite s'élargissait par le bas. Ce vêtement avait plus de grâce qu'une élégant'' robe européenne. »
Cette seconde retâche fut suivie de la reconnaissance des îles Hapai, au nord de Namouka. Cook passa entre Kao et Tofoua, et s'assura que cette dern ère avait un volcan actif.
Le troisième voyage de Cook dans ces ~es eut lieu en 1777, et ce fut le plus important de ses voyages dans l'archipel de Tonga auquel it avait imposé le nom d'M desAmis. Il venait de mouitter sur la rade de Namouka, lorsqu'il reçut à son bord la visite d'un ëgui (chef) nommé Toubo. Quelques jours après unchefplus puissant,Fiuau, homme d'une haute et imposante stature, vint le trouver. Finau se disait le souverain de toutes les îles de l'archipel. ]) invita Cook à faire une relâche aux Hes Hapaï;its s'y rendirent tous deux. Mais le véritable souverain ne tarda pas à paraître; c'était PoulahoFata-Faï, le touï-tonga du pays (voy. son portrait, p/. 197). Nous avons fait connaître les priviléges de ce chef sacré dbnt t'influence religieuse s'étendait non-seulement dans t'archipet, mais encore sur les îles Niouha, et dcns les groupes de Samoa et de Viti. Nous avons décrit le cérémonial particulier dont on faisait usage à son mariage, à sesfunéraittes et à son deuil. Nous ajouterons qu'il était exempt du tatouage et de la circoncision; qu'on employait en parlant de lui une langue particulière,et que dans la fête solen.nelle du natchi, on mettait à ses pieds les prémices de toutes les productions de l'archipel, qui étaient tabouées ou interdites jusqu'à ce moment.
Après le touï-tonga, l'ambitieux FinaL n'était pas moins le chef le plus redoutable de ces îles, et il était d'ailleurs son cousin. Après lui venait MariWaeui, beau-père de Poulaho, et alors chef de la famille de Toubo, oncle de Finau. qui était mort depuis peu. Tous les chefs s'empressèrent de traiter Cook et rivalisèrent d'efforts pour régaler leur hôte.
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Cette station de plus d'un mois fut une fête continuette.
Voici les défaits d'une fête donnéeau capitaineanglais par fadroit Finau.Une multitude d'habitantsétant rassemblés, Ceok se doutait qu'il y avait quelque çhose d'extraordinaire, mais sans pouvoir deviner ceque c'était nil'apprendre deMai.Le capitaine et les chefs vinrent s'asseoir; une centaine de naturels parurent et s'avancèrent chargés d'ignames, de fruits à pain, de bananes, de cocos et de cannes à sucre. Ils déposèrent teurs fardeaux et en firent deux pyramides à notre gauche, qui était !e côté par lequel ils étaient entrés. Bientôt il en parut cent autres à notre droite, portant une quantité à peu près semblable des mêmes fruits dont ils firent aussi deux pyramides. lis attachèrent à celle-ci deux cochons de lait et six poules et aux deux autres six cochons de lait etdeux tortues. Un chef s'assit devant les pyramides du côté gauche, et un autre chef devant celles du côté droit; chacun d'eux se tenait sans doute auprès de ce qu'il avait recueilli par ordre de Finau qui leur avait imposé cette contribution, et qui paraissait être aveuglément obéi. Dès que toutes ces provisions eurent été déposées en ordre et rangées avec beaucoup de symétrie, ceux qui les avaient apportées se joignirent à la fouie, et ton fit un grand cercle autour. Aussitôt un certain nombre d'hommes s'avancèrent au milieu du cercle, armés de massues faites de branches vertes de cocotier. Ils figurèrent quelques instants, puis se retirèrent moitié d'un côté, moitié de l'autre, et s'assirent devant les spectateurs. Peu après commencèrent les combats d'homme à homme. Un champion sortait de son rang s'avançait vers le rang opposé, et défiait par une pantomime expressive plutôt que par des paroles quelqu'un au combat. Si le defi était accepté, tes combattants faisaient leurs dispositions, puis s'attaquaient aussitot. Le combat durait jusqu'à ce que l'un des deux antagonistesS'avouât vaincu ouque quelques armes fussent brisées. A l'issue de cha-
que combat le vainqueur venait se mettre par terre devant le chef, après quoi il se levait et se retirait. Les vieillards qui faisaient les fonctions de juges du camp le complimentaient en peu de mots le public et surtout les hommes du parti auquel il appartenait, cétebraient l'avantage qu'il venait de remporter, par deux ou trois acclamations (voy. p<. 20 ).) .)
Ce spectacle était interrompu de temps en temps les intervalles étaient remplis par des combats à la lutte ou au pugilat. Les premiers s'exécutaient comme à Taïti, et les autres à peu près comme en Angleterre. Mais ce qui surprit le plus le capitaine Cook, fut de voir deux femmes très-robustes s'avancer, et faire le coup de poing sans cérémonie, et avec autant d'adresse que les hommes. Toutefois, elles furent assez peu de temps aux prises, et au bout de vingt à trente secondes il y en eut une hors de combat. Celle qui fut victorieuse recut les mêmes félicitations que les hommes. Quoique les Anglais ne témoignassent pas un grand plaisir de ce dernier combat, cela n'empêcha pas deux autres femmes d'entrer en lice. Elles étaient jeunes et remplies de courage, et elles se seraient cruellement houspillées si deux vieilles femmes ne les avaient pas séparées (voy. pl. 208). Ces différents combats se livraient devant plus de trois mi lie spectateurs; et tout se passa très-gaiement de part et d'autre, quoique plusieurs des champions, tant hommes quefemmes, eussent été assez maltraités.
Les provisions du côté droit furent destinées à Mat, et celles de la gauche, qui formaient à peu près les deux tiers de la totalité, au capitaine. Finau dit à Cook qu'it pourrait les enlever quand il voudrait; mais qu'il était inutile de les faire garder, parce que les naturels n'y toucheraient pas. En effet, lorsqu'on les embarqua l'aprèsmidi pour les conduire à bord, il n'y manquait pas le plus petit objet. It y en avait de quoi charger quatre chaloupes. Le navigateurangtats fut frappé de la munificence de Finau. Aucun des
rois de toutes tes ftesqu'it avait visitées jusque-là ne s'était encore montré auss) généreux; aussi s'empressa-t-il de lui offrir tout ce qu'il crut devoir lui faire plaisir; et le chef tonga fut tellement satisfait de ses présents, que dès qu'il fut à terre, il lui envoya encore deux beaux cochons,et une grande quantité d'étoffes et d'ignames. "Le roi Finau avait témoigné le désir de voir faire l'exercice à nos soldats de marine, dit Cook. Voulant lui procurer cette satisfaction, je fis débarquer tous ceux de nos deux bâtiments. Nous leur fîmes faire d'abord quelques évolutions, et ensuite t'exeroce à feu. Les spectateurs en furent enchantés. Finau nous donna à son tour un spectacle qui, à mon avis, fut exécuté avec une dextérité et une précision fort au-dessus de nos exercices militaires. C'était une espèce de danse si différente de tout ce que nous avions vu jusque-là, qu'il n'est pas aisé d'en faire la description. Elle fut exécutée par cent cinq hommes, ayant chacun en main une espèce de rame de deux pieds et demi de long avec un petit manche, laquelle nous parut très-légère. Ainsi armés et places sur trois rangs, ils firent diverses évolutions, accompagnées chacune d'une attitude différente. Ils conservaient peu de temps la même position, et leurs changements s'opératent avec assez de vitesse. Tantôt ils ne formaient qu'une seule ligne, tantôt un demi cercle, quelquefois deux colonnes, et enfin un bataillon carré. Lorsqu'ils exécutaient ce dernier mouvement, un danseur s'avançait chaque fois vers moi. Le tout se termina par une danse grotesque.
Leurs instruments de musique se composaient de deux tambours ou plutôt de deux blocs de bois creux, dont ils tiraient quelques sons en frappant dessus avec deux baguettes. Cependant les danseurs semblaient moins dirigés par ces sons que par un chœur de musique vocale formé par les danseurs eux-mêmes. Leur chant avait une mélodie assez agréable, et tous les mouvements qui y correspondaient étaient d'une telle précision, que les danseurs
ressemblaient à autant d'automate~. Je n* doute pas qu'un pareil battet exécuté sur un de nos théâtres n'eût le phs grand succès. Quant à nos instruments, ils n'en font aucun cas, surtout du cor de chasse le tambour seul avait trouvé grâce à leurs yeux ·, encore le croyaient-its inférieur au, leur.
« ABn de leur donner une idée plus favorable de nos amusements, et de les convaincre de notre supériorité d'une mani ère frappante, j'ordonnai de prépare;' un feu d'artifice qu'on tira dès que la nuit fut venue, en présence de Finau, des autres chefs et d'un grand concours de peupte. Quelques-unes des piècfs étaient endommagées, mais les autres répondirent parfaitement à l'effet que j'en attendais. Nos fusées surtout tes surprirent au delà de toute expression. Nous eûmes décidément la palme.
"Toutefois cette supériorité ne servit qu'à piquer davantage leur émulation. Dès que le feu d'artifice fut terminé, les danses, que Finau avait ordonnées pour notre amusement, commencèrent auss tôt par un concert de dix-huit hommes, qui s'assirent devant nous au centre du cercle formé par tes nombreux spectateurs, et où les exercices et le; danses devaient avoir lieu. Cinq ou sx d'entre eux tenaient chacun, à peu j)rès verticalement, un gros morceau de bambou de trois, cinq et six pied:, de long, et dont l'une des extrémités était ouverte, et l'autre bouchée par un des noeuds. Les musiciens frappaient constamment la terre avec celuici, et produisaient ainsi différents sons dans le ton grave, selon le plus ou m<Kns de longueur du bambou. Pour forrr er une espèce de dessus, un autre mus cien frappait vivement et sans inte<ruption avec deux baguettes sur un tr orceau de bambou fendu et étendu par terre, lequel rendait des sons assez aisui. Le reste de la troupe, et ceux même qui jouaient de ce dernter instrument, chantaient un air lent et dout, qui tempérait si bien la dureté du i!on des instruments, que ceJat d'entre nous qui avait t'oreitfe la ptus
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musicale, était forcé de convenir de l'effet agréable de cette harmonie si simple.
« Le concert durait depuis environ un quart d'heure, lorsque vingt femmes entrèrent dans Farène. La plupart d'entre elles avaient la tête ornée des fleurs cramoisies de la rose de Chine ou d'autres quelques-unes aussi étaient parées de feuilles d'arbres trèsingénieusement découpées. Elles formerent un cercle autour des musiciens, le visage tourné de leur coté, et chantèrent un air auquel ceux-ci repondirent sur le même ton, et ainsi alternativement. Pendant ce temps, les femmes accompagnaient leurs chants de mouvements très-gracieux, et en faisant constamment un pas en avant et l'autre en arrière. Peu après, elles se tournèrent vers )'assemb)ée, chantèrent pendant quelque temps, et se retirèrent ensuite lentement en corps à l'endroit de l'arène qui était opposé à celui où étaient les spectateurs; il s'en détacha alors une de chaque côté qui se rencontrèrent, passèrent l'une devant l'autre, et continuèrent à tourner autour de Farène jusqu'à ce qu'elles eussent rejoint leurs compagnes. Celles-ci rendues à leur place, quatre autres de chaque côtése levèrent, deux desquelles passèrent aussi l'une devant l'autre, et allèrent s'asseoir; mais les deux premières étant restées où elles se trouvaient, furent rejointes, l'une après l'autre, par la troupe entière, qui forma de nouveau un cercle autour des musiciens.
« Bientôt la danse prit un caractère plus vif. Les danseuses faisaient des espèces de demi-tours en sautant; elles battaient des mains, faisaient claquer leurs doigts, et répétaient quelques mots avec le chœur des musiciens. Comme vers la fin la vitesse de la mesure allait toujours en augmentant, leurs gestes et leurs attitudes variaient avec une vélocité et une souplesse étonnante. Peut-être y aurait-on trouvé quelque chose à dire du côté de la modestie; mais il nous parut que les danseuses avaient plutôt en vue de montrer leur agitité qu'autre chose
Ce ballet de femmes fut suivi d'un autre exécute, par quinze hommes. Quelques-uns paraissaient vieux; mais l'âge ne leur avait rien ôté de leur vivacité et de leur ardeur pour la danse. Ils formaient une espèce de fer à cheval, et ne faisaient face ni à t'assemblée ni au choeur, mais ils étaient tournés de biais dans deux sens opposés. Tantôt ils chantaient lentement en accompagnant le chœur, et en faisant avec leurs mains beaucoup de gestes très-gracieux, mais différents de ceux des femmes. Ils s'inclinaient alternativement à droite et à gauche, en levant une jambe qu'ils tenaient étendue, tandis qu'ils se reposaient sur l'autre, avant le bras du même côté aussi étendu. Dans un autre moment, ils psalmodiaient quelques sentences auxquelles ]e chœur répondait et à de certains intervalles, ils accéléraient la mesure de la danse en frappant des mains et en redoublant le mouvement des pieds, sans cependant changer ceux-ci de place. A la fin, la rapidité de la mesure devint telle, qu'il était difGcite de distinguer les différents mouvements que faisaient les danseurs, quoiqu'ils dussent être très- fatigués, attendu que le ballet avait duré près d'une demi-heure. « Après un assez long entr'acte, il parut douze hommes qui se placèrent sur deux rangs, en face les uns des autres, sur tes cotés opposés de t'arène. Un autre qui était posté à part comme une espèce de coryphée, répétait aussi quelques paroles auxquelles les douze hommes et le chœur répondaient également. Ils chantèrent d'abord lentement, mais allant toujours crescendo. Ils finirent par chanter et danser avec la même vélocité que les premiers danseurs.
« Neuf femmes se présentèrent ensuite, et s'assirent en face de la cabane où était Finau. Un homme se leva et asséna un coup de poing dans le dos à la première de ces femmes, puis à la seconde et à la troisième; mais quand il fut à ta quatrième, soit par méprise ou exprès, il la frappa à la poitrine. Un homme sortit alors brus-
quement de )a foule, et porta au premier un coup de poing à la tête qui l'étendit par terre sans mouvement après quoi on t'emporta sans que personne eût l'air d'y faire la moindre attention. Toutefois, cetévénementne sauva pas les autres femmes d'une attaqueaussicruettequ'extraordinaire; car un troisième homme se présenta dans la lice qui les traita tout aussi mal; et, pour comble de disgrâce, elles eurent )a mortification d'être improuvées deux fois de suite, et obligées de recommencer leurs exercices, qui furent, à quelque chose près, les mêmes que ceux qui avaient été exécutés par les premières femmes. Ensuite parut un loustig, un <yracKMo~ qui fit quelques plaisanteries sur le feu d'artifice, ce qui provoqua le rire de la muttitude aux dépens de Cook et de ses compagnons.
Mais le spectacle le plus curieux auquel assistèrent les An~tais, fut la grande solennité du Ma~e/M, que personne n'a revue depuis Cook, et qui ne se reproduira probablement plus. ]\pus empruntons la description entière de cette solennité à la plume élégante de M. Revbaud.
La fête eut heu te 8 juillet. Dans la matinée, Cook et ses compagnons débarquèrent à Moua, où ils trouvèrent, dans un enclos assez mal tenu, Poulaho présidant un kava. Vers les dix heures seulement, on se rendit au grand mataï. Bientôt, par tous les chemins qui aboutissaient à cette place, arrivèrent des groupes d'hommes armés de lances et de casse-tête; rangés sur le matai, ils psalmodièrent en chœur un chant plaintif et doux. Pendant ce temps, le reste des insulaires doutaient un à un, chacun portant au bout d'une perche un igname, qu'il déposait aux pieds des chanteurs. Le touï-tonga et son fils, âgé de douze ans, parurent à leur tour, et s'assirent sur le gazon. Alors seulement on invita les Angiais à aller se placer auprès de ces illustres personnages; mais, comme marque de déférence, on leur fit quitter leurs souliers,'et défier leurs cheveux. Quand tous les
pcrteurs d'ignames furent arrivés,on releva chaque perche, que l'on plaça sur les épaules de deux hommes. Ces porteurs, se disposant d'une manière processionnelle, marchèrent par groupes de dix ou douze, et traversèrent ainsi )e malaï au pas accélère. Chaque peloton était conduit par un guerrier armé d'une massue ou d'une espèce de sabre, et escorté par d'autres guerriers. Un naturel, portant un pigeon en vie sur une perche onée, suivait cette troupe, composée de deux cent cinquante personnes environ. Ces individus se dirigèrent vers )e;'aï-tokavoisin,où les ignames furent déposées en deux tas.
Quand ces préliminaires furent achevé; Poulaho fit dire à Gooh qu'il devait retenir ses équipages dans leurs canots, attendu qu'un tabou solennel allait bientôt frapper toute l'île, et que les personnes que l'on trouverait dans la campagne, étrangers ou indigènes, couraient Je risque d'être Ma~ assor-imées. Le capitaine insista pour ëtr~ admis, ou seul, ou faibtement accompagné, au restede la cérémonie. Le touï-tonga s'y refusa; il -chercha des biais, et ce fut après de grands efforts que Coolt, longtemps repoussé par les naturels, parvint a se placer dars un endroit d'où il put voir toute la ~cène du faïtoka.
Un grand nombre de naturels se trouvaient déjà groupes dans l'enceinte. Ils marchaient encore processionnellement avec des perches, an bout desquelles rendait un petit morceau de boii! simulant une igname, et ils affectaient l'allure d'hommes accablés sous leur fardeau. Ils défitèrent ainsi devant les Anglais, avant de se rendre vers la grande case de Poulaho. Là, nouvel obs,acle pour Cook et pour ses compagnons, nouvelle et rigoureuse consigne. Enfin, ils parvinrent à obtenir unepfacederrièreies palissades élevées, qui leur eussent masqué tout le coup d'œii, sans de larges trouées qu'ils y pratiquèrent avec leurs couteaux. La place du malaï et ses avenues étaunt couvertes d'une foule éparse, au travers de laquelle on voyait arriver
des hommes portant de petits bâtons et des feuilles de cocotier. Un vieillard alla au-devant d'eux, s'assit au tnilieu du chemin, leur adressa gravement un long discours, et se retira ensuite. Les survenants construisirent ator~ à la hâte un petit hangar au milieu du matai, s'accroupirent un moment après l'avoir terminé, puis se confondirent dans la foule. Le fils de Poulaho, précédé de quatre ou cinq naturels, alla s'asseoir a son tour près du hangar, et une douzaine de femmes d'un rang élevé se dirigèrent vers lui deux à deux, chaque couple tenant dans les mains une pièce d'étoffe blanche de deux ou trois aunes de longueur, déployée dans l'intervalle qui séparait tes deux couples. Cela formait comme une immense draperie vivante. Arrivées auprès du jeune prince, elles s'accroupirent, passèrent autour de son corps quelques-unes de ces pièces; après quoi elles revinrent se mêler au reste de l'assistance.
Alors Poulaho parut, précédé de quatre hommes, et alla s'asseoir à la gauche du jeune prince; ce qui obligea ce dernier à se lever pour prendre place, parmi les chefs de ta suite, sous le hangar voisin. Ce mouvement donna lieu à quelques manœuvres singulières. Des hommes coururent versle bout de la pelouse, et s'en retournèrent ensuite d'autres s'élancèrent vers le prince avec des rameaux verts puis, après diverses haltes, reprirent leurs places.
A ce moment arriva la grande procession venue du faï-toka par de tongs détours. Elle se dirigea vers la droite du hangar, où se tenait le jeune prince, se prosterna, déposa ses ignames simutées, se retira dans une attitude recueittie, et alla s'accroupir sur les côtés du malai. Pendant ce long défilé, trois hommes, assis auprès du prince, prononçaient une sorte de formule sacramentelle, lenteetmonotone. Après Une nouvette pause, un orateur, placé au haut de la prairie, débita un long discours, qu'il interrompait de temps à autre pour venir briser les bâtons apportés par les hommes de la pro-
cession du faï-toka. Quand cette ha" rangue ou prière fut dite, le prince et sa suite se relevèrent,traversèrent une double haie d'assistants et d'acteurs, et disparurent. L'assemblée se dispersa aussi les bâtons brisés restèrent épars sur la pelouse du mata). Ainsi finit le premier jour du natchi. Les cérémonies recommencèrent le jour suivant de fort bonne heure, et, malgré tes'rést'stances des naturels, Cook y assista encore. Quand il arriva, la foule était déjà nombreuse, et sur le soi gisaient dispersés de petits pa.quets de feuilles de cocotier attachés à des bâtons. Tout ce que le capitaine put apprendre, c'est qu'ils étaient tabous. Peu à peu la multitude augmentait et, à chaque groupe survenu, un dignitaire prépose ad hoc adressait une harangue, dans laquelle se trouvait souvent le mot <ïW~.
Cependant, l'heure solennelle approchant, on voulut encore éloigner ]e capitaine. I) tint bon avec son opiniâtreté habituelle, et, par une sorte de compromis, on toléra de nouveau sa présence, à la condition qu'il mettrait ses épaules à découvert comme les sauvages. Cook ne reeuta pas devant la formalité exigée. A demi-nu, il put rester et voir. C'était l'instant où le prince, les femmes et le roi arrivaient dans le malaï. On recommença les cérémonies de la veille, la marche des femmes avec des étoffes, les courses et les prières. Dans un moment où la troupe évoluait à deux ou trois pas de Cook, on l'obligea à tenir les yeux baissés, et à prendre l'air réservé et modeste d une jeune fille. C'était une loi un peu dure pour ce visage rébarbatif et cet oeil si altier d'habitude.
Comme la veille, la procession entra sur le mata!;ettedéfi)a comme la veille. Seulement, au lieu d'une igname vraie ou simutée, les naturels portaient une feuille de cocotier au milieu de leurs bâtons. Ces bâtons, une fois déposés à terre, une autre bande arriva, dont chaque couple tenait à la main un panier en feuilles depalmier; puis une troisième avec diverses sortes
de petits poissons au bout de bâtons fourchus. Les bâtons furent places aux pieds d'un vieillard, qui les prit tour à tour, et les déposa sur le sol en marmottant une sorte de prière. Quant aux poissons, on les présenta à deux hommes armés de rameaux verts en déposant le premier poisson à leur droite, le second à leur gauche. Cela se fit avec ordre; mais, au troisième poisson, un insulaire, assis derrière les deux officiers s'éfanca vers l'objet pour le saisir. Ceux-ci, de leur côté, le disputèrent, et il en résulta que le poisson fut déchiré en plusieurs morceaux. L'agresseur jetait derrière lui tous les tombeaux qu'il pouvait empoigner les deux autres continuaient à les placer à leurs côtés. Cette scène burlesque dura jusqu'à ce que le tiers survenu eut pu enlever un poisson entier; alors t'assemblée applaudit en criant ~a&'e.'wa;/M/( bravo! bravo!). Après cet incident, le classement du poisson continua sans conteste. Cette opération finie, des prières eurent lieu pour préparer l'assistance à l'acte essentiel de la fête. C'était le moment où le roi allait admettre son fils à t'insigne faveur de manger en même temps que lui, cérémonie qui se consommait avec un morceau d'igname grillée servie à la fois à t'nn et a l'autre. Pendant cette solennelle minute, 1 on fit tourner le dos à Cook, afin qu'il ne put rien voir. Le capitaine viola bien la consigne, mais un mur de naturels le séparait du lieu de la scène il n'en put distinguer aucun détail. D'autres marches, contre-marches, évolutions, processions, tantôt silencieuses, tantôt accompagnées de chants bruyants, de mouvements de mainset de pieds, suivirent cette cérémonie du natchi entre Je père et le fils. La fête se termina par des combats simulés de troupe à troupe, de champion à champion, par des scènes de tutte et de pugilat, accessoire obligé de tous les divertissements populaires.
Évidemment ce natchi, si dépourvu de sens pour un spectateur européen, devait avoir sa signification allégorique. Les ignames, les bâtons qui en
tenaient lieu, les feuilles de cocotier, les longues perches, les prières, fes combats, les défilés, le cérémonia), la communion entre le fils et le père, tout cela était autant d'emblèmes religieux et de mythes indigènes. Il était impossible de s'y tromper à i'air recueilli de l'assistance, à l'appareil gr! ve et prévu de toute cette fête, au choix des témoins et des acteurs, tous pris dans les hautes classes; enfin à rë<iquette rigoureuse à laquelle on SOL mit même tes Européens présents. Pour satisfaire leur curiosité, les Anglais furent obligés de se découvrir jusqu'à la ceinture, de laisser ftotter leu's cheveux sur leurs épauies, de s'a: seoir par terre les jambes croisées, et d'y affecter une posture humble et mojeste. Du reste, ce natchi, au dire des insulaires, n'était pas l'un des plus solennels. On apprit à Cook que tro s mois plus tard, Tonga-Tabou en cetfbrerait un autre, où acourraient tous les naturels de l'île et ceux de Hapaï et de Vavao, avec des tributs de tous genres; cérémonie terrible et imposante, que devaient consacrer des sacrifices humains.
I.e 10 juillet i777, Cook quitta To ga-Tabou, et alla mouiller devant l'île Éoa. Cette relâche n'offrit rien d'important, excepté t'aventure suivante. Le séducteur d'une femme tabou (invio)ab)e) fut surpris avec elle en flagrant défit. Amené au milieu du peuple, on lui ouvrit le crâne, et on lui brisa une cuisse à coups de casse-tête. On se contenta d'administrer quelques coups de bâton à la ternie, grâce à sa haute naissance. Cook mit à )a voile le 17 juiHft, après avoir reconnu tout l'archipel, sauf VavM et les écueils voisins de cette île.
Maurelle, commandant )a Princesa, frégate espagnole, découvrit l'île ~Mt.!r<yM~a!, le 26 février 178), sans ym~uifter; mais i'état de dénùment dans lequel il se trouvait le forca de relâcher dans un port beau et sur de l'île Vavao, qu'il nomma Port du Refige.
L'abondance vint bientôt succéder
à la disette. Les indigènes lui apportèrent toutes sortes de provisions, et ]e toubou (*) (c'est ainsi que le nomme Maurelle), homme âgé, et d'une telle corpulence qu'il fallut le hisser à bord, vint s'asseoir avec sa jeune et jolie femme sur le banc de quart. Maurelle lui rendit sa visite le 7 mars, et reçut les honneurs d'un kava. Quand le capitaine espagnol parut devant le toubou, celui-cI lui fit les plus grandes caresses, et l'embrassa cent fois. Son cortége s'assit, formant un grand cercle dans le même ordre qu'il était arrivé. On apporta deux tapis de palmes le roi s'assit sur l'un, et le fit asseoir sur l'autre à sa droite. Tous gardaient un profond silence seulement ceux qui étaient près du toubou, et que leur grand âge rendait sans doute les plus respectables, répétaient fidèlement toutes ses paroles. On apporta bientôt des racines, avec lesquelles on fit, dans des espèces d'auges, une boisson, qui devait être sans doute fort amère, à en juger par les gestes de ceux qui en burent. Ce rafraîchissement fut servi dans des vases faits de feuilles de bananier. Trois ou quatre jeunes indigènes en offrirent à MaureUe et au roi. Le premier n'en goûta point, la vue seule lui soulevait le cœur. L'insulaire le plus voisin du toubou désigna ceux qui devaient en boire. On n'en servit point aux autres. On mit ensuite devant le capitaine des patates grillées et des bananes parfaitement mûres; il en mangea. Peu après, il vit paraître des canots remp))'s de provisions semblables, destinées à être réparties entre ses soldats.
La reine parut à cette audience, précédée de dix femmes de )5à<8 ans, qui la soutenaient; car elle était tellement chargée d'étoffes qu'elle avait bien de la peine à marcher. Elle sourit à Maurelle, en disant Lélé! ~e/ (bien! bien!). ).
Voici comment te capitaine espagnol rend compte des fêtes et des preuves (*) C'était ~raisemh)ab)ement le Toubo <ieCook,onc)ede[''inau.
d'affection qu'il reçut à Vavao « Le roi m'invita à une réjouissance qu'il avait dessein de me donner. Quand je débarquai le t2, je vis dans le bois touffu qui avoisinait le bord, un vaste espace circulaire qu'on avait fait essorer, de manière à ce qu'il n'y restât plus le moindre tronc. Peu après, les Indiens, deux à deux, se.rendirent dans la maison du toubou, portant sur leurs épaules de longues perches d'où pendaient beaucoup de patates, de bananes, de cocos et de poissons le toubou fit conduire ces provisions au camp nouvellement défriché; on en fit un monceau de forme cubique haut de deux vares.
« Les éguis et les vénérables anciens arrivèrent pour conduire le toubou, qui me prit par la main, et nous nous rendimes au vaste cercle, où nous étions attendus par plus de deux mille Indiens. Nous nous assîmes sur des tapis de palmes préparés à cet effet; tout te peuple en fit autant, mais en conservant toujours la distinction des castes et des famittes, les unes ne se mêlant point avec les autres.
t Le roi m'offrit alors tous ses fruits, et les fit porter à la chaloupe qui en fut entièrement remplie. Les porteurs étant de retour leurs postes respectifs, on fit un profond silence pendant que le roi parlait; ceux à qui leur âge ou leur dignité avait donné le droit d'être assis auprès du roi, répétaient toutes ses paroles.
« Je ne savais à quoi tout cela aboutirait, et cependant j'ordonnai à ceux. de mes soldats qui avaient à leur tête le premier pilote, de se tenir prêts à faire feu de leurs fusils et de leurs pistolets s'ils s'apercevaient de quelques mouvements hostites.
« II sortit aussitôt des rangs un jeune homme fort et robuste, la main gauche sur la poitrine et frappant de la droite sur son coude. Il fit autour de la place beaucoup de gambades visà-vis des groupes qui n'étaient pas de sa tribu. Un autre de ceux-ci, s'étant présenté en faisant les mêmes gestes, ils commencèrent à lutter, se prenant corps à corps, se poussant et repous-
sant avec tant d'animosité que leurs veines et leurs nerfs paraissaient trèsgros. Enfin un des deux tomba si violemment que je crus qu'il ne pourrait jamais se relever. li se releva pourtant tout couvert de poussière, et se retira sans oser retourner la tête. Le vainqueur vint présenter son hommage au roi, et ceux de sa tribu chantèrent; je ne sais si c'était à la honte du vaincu ou à l'honneur du vainqueur.
Ces combats de lutte durèrent plusieurs heures, un des combattants eut un bras rompu; j'en vis d'autres recevoir des coups terribles. Pendant que cette lutte continuait, d'autres champions se présentèrent, les poignets et les mains enveloppés de grosses cordes, ce qui leur servait comme de cestes. Cette espèce de combat était bien plus terrible que la lutte. Dès les premiers coups,, tes combattants se frappaient au front, aux sourciis, aux joues, à toutes les parties du visage, et ceux qui recevaient ces fières décharges en devenaient plus impétueux et plus ardents. J'en vis qui étaient renversés du premier coup de poing qu'ils recevaient. Les assistants regardaient ces combats avec un certain respect, et tous n'y étaient pas indifféremment admis.
<' Des femmes, surtout cènes qui servaient la reine, assistèrent à cette fête. Je les trouvai tout autres qu'elles ne m'avaient paru jusqu'alors. Je ne les avais pas jugées désagréabfes mais ce jour-ià elles étaient parées de leurs beaux atours, ayant leurs mantes bien repliées et assujetties par un grand nœud sur le côté gauche, portant des chapelets à gros grains de verre à leur cou, les cheveux bien arrangés, le corps lavé et parfumé d'une huile dont j'odeur était assez suave, et la peau si propre qu'elles n'auraient pu y souffrir le plus léger grain de sable. Elles fixèrent toute mon attention, et me parurent beaucoup plus belles. <t Le roi commanda que les femmes se battissent à coups de poing comme les hommes. Elles le ûrent avec tant d'acharnement qu'elles ne se seraient pas laissé une dent, si, de temps à autre,
on ne les eût séparées. Ce spectacle me toucha l'âme je priai le roi de mett'eCn au combat; il accéda à ma prière, et tous célébrèrent la compassion que j'avais eue de ces jeunes demc iselles.
« Le toubou fit ensuite chanter une vieith femme qui portait au cou une burette d'étuin elle ne cessa de chanter pendant une demi-heure, accompagnant son chant d'actions et de gestes qui auraient pu la faire prendre pour une actrice déclamant sur un théâtre. Enfin tejeu se termina, et nous retournâmes à la maison du roi; j'y trou~ ai )a reine qui me reçut avec les marques accoutumées de sa bienveillance je lui demandai pourquoi elle n'avait pas assisté à la fête; elle me reperdit que ces sortes de combats lui déplaisaient.
« Les nœuds de notre amitié ainsi resserrés au point que )e toubou me nomriait son hoxa, c'est-'à-dire son fils (plutôt ofa, ami) je pris congé de lui et de la reine, etje retournai m'embarquer. La plage était toute couverte d'Indiens qui faisaient mille caresses à me:; gens sur ce qu'ils avaient bien voulu assister à leur fête.
« Les vainqueurs me prirent sur leurs épaules, et me placèrent dans la chaloupe. Le toubou, qui, de sa maison. voyait cette multitude, et qui savan combien je souffrais quand les Indiens se mêlaient avec mes gens, ordonna à ses capitaines de poursuivre ces insulaires, et il entra lui-même dans une telle colère, qu'il sortit avec un gros bâton frappant ceux qui lui tombaient sous la main. Tous se sauvèrent dans les bois; deux, plus maltraites que les autres, furent laissés comme morts sur la place. J'ignore s'ils se sont rétablis.
Celte narration, pteinede simplicité, ne manque pas de charme, et nous aurions craint de la gâter, si nous l'avicns reproduite sous une autre form~
Mcurelte laissa à ce groupe le nom de Z'OM A~r~m de Ma~on/a;, dont Vava~ est là terre principale, et dont le véritable nom est Hafoulou-Nou,
Maurelle vit encore plusieurs i)es de cet archipel.
La Pérouse s'y montra vers la fin de décembre 1787. En avril <789, Bligh parut à son tour. Edwards toucha deux fois à Namouka en )79t. D'Ëntrecasteaux mouilla à Tonga-Tabou le 2!! mars t793. On voit dans son récit un Finau qui joue un grand rôle. Nous ignorons quel était ce Finau, nom assez commun dans la famille des Toubo. Sans le départ assez prompt de ce brave et savant général, il aurait pu être victime d'un guet-apens, selon ce que Singleton avait appris de R.ea, son ancien protecteur.
Ensuite arriva, en avril 1797, le capitaine Wilson du Duff navire e chargé de missionnaires. Les fonctions de touï-tonga étaient alors remplies par Foua-Nounouï-Hava, que Wilson désigne sous le nom générique de Fatafaï. A peine le Duff eut pris son poste au mouiOage, le capitaine Wilson descendit à terre pour sonder les dispositions des chefs ceux-ci répondirent aux premières ouvertures qu'ils seraient charmés d'avoir parmi eux quelques Européens. Sur cette assurance, dix missionnaires débarquèrent, et s'établirent à Hifo, sous le patronage du terrible 'Epugou-Aho. « C'était, dit Wilson, un homme d'une quarantaine d'années, d'un maintien sombre et taciturne. t) pariait peu mais quand il était en colère, les éclats de sa voix retentissaient comme les rugissements du lion. Fata-Faï, au contraire, homme à peu près du même âge, vigoureux aussi, et bien proportionné, avait des manières gracieuses, affables et prévenantes sa démarche était noble et majestueuse, et tout en lui annonçait i'intenigeuce et le désir de s'instruire.
Tougou-Aho, ou Talaï-Tabou, régnait à cette époque en vrai boucher, et l'île était en proie à la guerre civile. Trois missionnaires furent égorgés. Après une longue anarchie, les autres missionnaires furent obtigés de se retirer deTonga-Tabou. Mais l'anarchie ne fit qu'empirer après leur départ. Craignant pour sa vie, au milieu de désor-
dres pareils, le touï-tonga fie retira sur Vavao, où les naturels de tous les groupes se rendirent de temps à autre pour honorer son caractère divin. Finau, rival de Tougou, triomphait la présence du pontife Tougou tégitimait ses droits; it se vantait hautetement de cette éclatante adhésion. H ne qualifiait plus les chefs, ses rivaux, que d'impies et de rebelles.
Dans une situation aussi déplorable, Tonga-Tabou n'était plus abordable pour les Européens. Peu de temps après le massacre des missionnaires, t'équipage du navire ~r</o, qui, naufragé sur le groupe Viti, avait pu gagner Tonga, y périt dans des combats avec les naturels, à l'exception d'un seul homme recueilli par un bâtiment de passage. Bientôt un attentat plus grave se commit sur ces côtes. Jusque ta, n'ayant eu affaire qu'à des navires de guerre bien équipés et bien armés, les naturels avaient vu échouer tous leurs complots. Ils eurent plus facilement raison des bâtiments marchands. Le Duke of Portland, capitaine Melon, fut leur première victime. Par suite de la trahison d'un Ma)ai et d'un déserteur américain nommé Doyle, l'équipage fut assassiné tout entier, à l'exception d'un vieillard décrépit, de quatre mousses et d'une femme de couleur, nommée Eliza Mosey. Ces individus n'avaient eu la vie sauve qu'à cause de leur âge. On les destinait à aider au déchargement et à la destruction du navire, sauf à les immoler plus tard pour anéantir toutes les traces de cet attentat. Doyle présidait aux travaux il était i'âme et le bras de ce pillage. Le déchargement durait depuis plusieurs jours, lorsqu'un matin, le vieillard et les quatre mousses surprirent le traître, le tuèrent, chassèrent du navire les naturels qui s'y trouvaient, coupèrent les câbles, et prirent le large, laissant sur l'île Eliza Mosey. On n'eut plus de nouvelles de ces malheureux, qui allèrent se perdre sans doute sur une autre plage (*).
(") D'Urville.
L'M~'OM, de New-York, capitaine IsaacPendieton, perdit son capitaine etpiusieurs hommes de son équipage, et si te second,nommé Wrigt, n'eut fait couper les câbles, ]e navire eût été enlevé par les naturels furieux, et la la mort aurait frappé officiers et matelots. On voulait encore attirer un des canots à terre, et lui ménager une fin pareille. Mais Eliza s'était dévouée; elle s'était offerte comme devant faciliter l'exécution du second guet-apens, et elle avait demande qu'on t'envoyât le long du bord pour persuader et tromper l'officier qui commandait )'~n:oK, mais, averti par cette femme courageuse qui se jeta à la nage, il la fit monter à bord, et l'Union mit aussitôt à ta voile. Hé!as c'était pour tomber en des mains plus cruellesencore. Une impbcabie fatalité pesait sur ce navire quelques jours après, il se perdit sur les îles Viti et son équipage fut rôti et dévoré par les cannibales de cet archipel. Depuis iedésastre de i'f/yMOH, peu de navires marchands s'arrêtèrent sur Tonga. Turnbull passa à Éoa en 1803, sans s'y arrêter. Camphell du /7<y?'tK<~o~, arrivé à Tonga-Tabou en 1809, n'osa point y prendre terre.Moins prudent, le capitaine Brown fut victime de la perfide cruauté des habitants de l'île fatale.
Le Port-au-,Prince, armé de vingtquatre canons de douze, et de huit caronnades du même caLbre vint mouiller à Lefouga, sur )c groupe Hapaï, le 29 novembre 1806. Mariner, à qui nous devons le récit de sa destructon, de ses propres aventures, et tes dctai)s)esphjs exacts et les plus importants qui suivront, s'embarqua à )'âge de quatorze ans, avecle capitaine Duck, qui commandait le Porta~-PyMtce. Ce beau bâtiment, monté par une équipage d'un centaine d'hommes, avait été armé pour se livrer à la fois à la pêche de la baleine et à ia course contre les Espagnols sur les cotes occidentaiesdei'Amérique.Après avoir fait plusieurs prises dans ces parages, )e capitaine Duck mourut dans Fiie de Céros sur la côte de )a Californie, le 11 août 1806, et fut rem-
placé dans son commandement par un capitaine baleinier nommé Brown. Cetui ci se détér!nina aussitôt à faire voile pour les îles Haouaï, afin d'y répar'r le bâtiment de manière à pouvoir gagner le port Jackson, où il avait le projet de lui faire subir un radoub complet. Il refâcha à Haouaï, et ensuite à Ouahou, où il recruta son équipage de huit indigènes. Il se dirigea de )à vers Taïti mais un courant contraire lui avant fait manquer cette île, il se détermina à ciagter h l'ouest vers les îles Tonga. Le 27 novembre, le Port-au-Prince signala les lies Hapaï, qui en font partie, (tie 24, il jeta l'ancre au nordouest de Lefouga, où Cook avait aussi mouiHé. Le soir même, un grand nombre de chefs indigènes vinrent à bord avec des provisions. Ils étaient accon'pagnes parun insulaire d'Haouaï, qui pa riait un peu anglais. Cet homme, nomrré Touï-Touï, chercha, par tous les moyens en son pouvoir, à persuader à l'équipage que les indigènes étaient on ne peut mieux disposés en leur faveur. Mais un autre insulaire, faisant partie des huit que le Port-au.PnHC? avait pris à Ouahou ut entendre qj'i) n'en était rien, et conseilla même au capitaine Brown qui avait pris h; commandement du Port-aujPf:Kc? depuis ia mort du capitaine Duck de se tenir soigneusement sur ses gardes. Malheureusement il n'en fit rien. Le lendemain Brown ordonna de travailler à caréner Je bâtiment, ce qui excita beaucoup de méconter~ement parmi l'équipage, attendu que c'était un dimanche; il s'ensuivit même ia révolte d'une vingtaine d'hommes (lui se rendirent à terre. Dans taprèi-diner, le reste de l'équipage alla trouver le capitaine, etl'ititorma qu'un très-grand nombre d'insulaires, armés de lances et de massues, s'étaient réunis dans l'entrepont, et paraissaient disposés à s'emparer du bâtiment. Le capitaine n'en voulut d'abord rien croire; mais lorsque Marin "r lui eut confirmé la vérité du. fait, il se décida à s'en assurer luimême Il monta sur le pont, suivi par
deux chefs qui se trouvaient avec lui dans ce moment. Ceux-ci, croyant leur comp!ot découvert et teur vie en danger, pâlirent, et manifestèrent la plus grande anxiété.Toutefois,voyantqu'ii n'en était rien, et que le capitaine trouvait seulement à redire qu'il y eût autant d'hommes armés sur le pont, ils s'empressèrent de faire jeter les armes à la mer, et de renvoyer les insulaires. Néanmoins Mariner remarqua qu'ils conservèrent soigneusement leurs meilleures massues et leurs meilleures lances, et qu'ils ne jetèrent que les plus mauvaises.
Après le départ des insulaires, le charpentier et le voilier conseiitèrent au capitaine de faire quelques dispositions pour les empêcher de revenir à bord, parce qu'il était impossible de travailler au milieu de tant de monde. Le capitaine, toujours sourd aux représentations qui lui étaient faites, ne prit pas la moindre précaution. Le lendemain, 1~ décembre )806, le bâtiment était déjà rempli d'insulaires. Vers neuf heures, le perfide TouïTouï vint trouver le capitaine, et l'invita à se rendre à terre pour visiter le pays celui-ci y consentit sur-le-champ, et eut même l'imprudence de ne pas se munir d'armes. Une demi-heure après son départ, les insulaires pousserent un grand cri, et assaillirent les hommes de l'équipage. Mariner se réfugia d'abord à la sainte-barbe, où se trouvait déjà le tonnelier. Là, après s'être consultés pendant quelques instants, ils résolurent de faire sauter le bâtiment. Toutefois, n'ayant pu se procurer du feu, ils se déterminèrent à monter sur le pont, aimant mieux mourir en se défendant, que de s'exposer à périr au milieu des plus affreux tourments. Mariner passa ie premier. Mais, ayant aperçu Touï-Touï dans la chambre du capitaine, il se présenta à lui sans armes, en lui disant que si on avait résolu de le faire mourir, il venait présenter sa tête. TouiTouï lui promit la vie, à condition qu'il lui dirait combien il y avait encore d'hommes dans le navire. Mariner lui répondit qu'il n'y en avait plus qu'un,
et il appela aussitôt le tonnelier, qui ne l'avait pas suivi, ainsi qu'its en étaient convenus. Tou'i-Toui les conduisit tous deux sur le pont par-devant le chef qui avait dirigé l'expédition. En y arrivant, il fut frappé d'horreur à la vue de vingt-deux cadavres rangés côte à côte, entièrement dépouiffés, et méconnaissables par les coups de massue qu'ils avaient recus, et du chef luimême, assis sur )e capuchon de dunette, ayant sur une épaule une veste de matelot ensanglantée, et sur l'autre une massue encore couverte de la cervelle des malheureux qu'il avait assommés. Ce sauvage, après avoir considéré un moment Mariner, le fit remettre entre les mains d'un chef subalterne, qui l'emmena à terre. Chemin faisant, celui-ci le dépouiiia de sa chemise.
Mariner fut conduit du rivage à la partie la plus septentrionale de l'île, à un endroit nommé Ko-Oulo, où il vit le cadavre du capitaine étendu sur Je rivage. Les insulaires lui demandèrent s'il approuvait sa mort. Mariner, n'ayant pas répondu à cette question, l'un des individus présents leva sa massue pour fe tuer; toutefois un chef lui arrêta ie bras, et ordonna de conduire le prisonnier à bord d'un grand canot qui était alors à la voile. Une demi-heure après, plusieurs indigènes vinrent le reprendre dans le canot, et le menèrent auprès d'un grand feu, où il eut encore la douleur de voir les cadavres de trois hommes de l'équipage, qui avaient abandonné le bâtiment la veille du désastre. Après avoir fait rôtir quelques cochons, les insulaires conduisirent Mariner du côté de l'île de Foa. Pendant le trajet, ils s'arrêtèrent à une habitation où, malgré ses prières, ils le dépouiiterent de son pantalon, fe dernier vêtement qui lui restât. Ils le promenèrent ensuite dans le pays, pieds nus et exposé à un sofeif tef)ement ardent, qu'il lui faisait lever des cloches sur tout le corps. Les habitants accouraient de tous côtés pour le voir ils le tâtaient, comparaient sa peau à'fa leur, et disaient que par sa couleur elle ressemblait à
Un cochon sans soie. L'un lui crachait au nez, un autre )e poussait, un troisième lui jetait des bâtons, des noix de coco, etc. Après mille avanies de cette espèce, une femme qui passait prit pitié de lui et lui donna un tablier de feuilles de slaea toulou, dont on lui permit de se couvrir. Enfin ses conducteurs entrèrent dans une hutte pour boire du kava (*), et lui ordonnèrent par signes de s'asseoir car, dans ces !!es, c'est manquer au respect que de rester debout devant un supérieur. Pendant qu'ils se reposaient, un homme entra précipitamment dans la cabane, et, après avoir adressé quelques mots aux indigènes, il emmena Mariner. Celui-ci rencontra en route un des insulaires de Vavao, qui lui apprit que c'était à Finau, roi de ce pays, qu'il devait sa délivrance, et qu'il allait lui être présenté. En effet, on le conduisit devant ce chef, qui lui fit signe de venir s'asseoir à côté de lui. Dès que ses femmes, qui étaient à l'autre extrémité de la chambre, virent le triste état où était ce malheureux jeune homme, elles poussèrent des cris lamentables, et se frappèrent la poitrine. Le roi avait concu beaucoup d'amitié pour Mariner dès la première, fois qu'il t'avait vu a bord du bâtiment. Il l'avait pris pour le fils du capitaine, ou au moins pourquelque jeune chef de distinction dans sa patrie, et avait ordonné qu'on t'épargnât, dans le cas où il aurait fallu tuer tous les autres blancs. Finau toucha du nez le front de Mariner, ce qui est une marque d'amitié dans les {tes Tonga. S'étant aperçu qu'il était blessé et couvert de boue, il ordonna à une de ses femmes de le conduire à un étang voi* sin pour qu'il pût se laver. Cette opération faite, il se présenta de nouveau devant le roi, qui t'envoya dans une autre partie de la maison, où on le frotta par tout le corps d'huile de bois de sandal; cette huile, d'une odeur suave, apaisa un peu les douleurs aiguës que lui causaient ses blessu(*) C'est le piper nMf/tjr~eMm que ces insulaires boivent en infusion.
res. On lui donna ensuite une natte pour se coucher. Accablé de sommeil et de fatigue, il s'étendit dessus, et ne tarda pas à s'endormir profondément. Pendant )a nuit, il fut réveillé par une femme qui lui apporta du porc et de l'yam. I) refusa la viande, de crainte que ce ne fut de la chair humaine; mais il mangea t'yam avec avidité, attendu qu'il n'avait rien pris depuis trente-six heures.
Lorsque Mariner se leva le lendemain matin, il fut assez surpris de voir que tous les insulaires s'étaient rasé la tête; c'est un usage qui se pratique toujours à la mort d'un grand personnage.
Dans la matinée, Finau conduisit Mariner à bord du bâtiment, où il eut le plaisir de recevoir plusieurs hommes de l'équipage, qui y avaient été envoyés pour l'amener à terre. Touï-Touï avait prévenu Finau qu'il serait impossible de manœuvrer le bâtiment avec les quatorze marins qui restaient, si les indigènes, au nombre d'environ quatre cents, ne se tenaient pas immobiles. Le roi donna ses ordres en conséquence, et dès ce moment le calme et le silence te plus parfait régnèrent à bord. Les Anglais coupèrent les câbles, et, passant par un passage très-étroit et presque impraticable, à cause des récifs et des bas-fonds, ils amenèrent le navire à une demi-encablure du rivage, où ils t'échouèrent, d'après les ordres de Finau.
Cette opération faite, les insulaires s'occupèrent pendant deux ou trois jours à amener le mât, et à décharger deux caronades et huit barils de poudre, les seuls qui fussent intacts. Ils enlevèrent aussi tout ]e fer qu'ils purent trouver dans le haut du navire. Finau aperçut un indigène occupé à couper une clef au graud mât de perroquet. H ne crut pas convenable de te laisser achever, et s'adressant à un insulaire des !tes Haouaï, qui s'amusait sur le pont à tirer des coups de fusil il lui dit d'essayer s'it ne pourrait pas faire descendre cet homme.-Celui-ci le mettant aussitôt en joue, le coucha
roide mort. La balle l'atteignit dans le corps, et en tombant il se cassa les deux cuisses et se brisa !a tête. Finau se mit à rire aux éclats, en voyant avecquelle promptitudeson ordre avait été exécuté. Lorsque Mariner put se faire comprendre, il demanda au roi pourquoi il avait eu la cruauté de faire tuer aussi gratuitement ce pauvre homme. Sa majesté tonga répondit que ce n'était qu'un cuisinier (*), et que la vie comme la mort d'un être semblable intéressait peu la société.
Le 9 décembre au soir, les insulaires mirent le feu au bâtiment, afin d'avoir plus aisément le fer qui s'y trouvait. Comme tous les canons étaient chargés, la chaleur produite par l'incendie tes fit partir t'un après l'autre,ce qui jeta l'épouvante dans l'île. Mariner qui vit plusieurs Indiens entrer précipitamment dans la maison où il dormatt, eut bien de la peine à les rassurer et à les décider à retourner chez eux. Pendant une semaine entière, Mariner, de l'avis de Finau, sortit rarement, afin de ne pas s'exposer aux insuttesdesind~ènes;tel6décembre il accompagna Finau dans un voyage qu'il fit à Hte de Wiha pour faire la chasse aux rats et aux oiseaux (**). Il y eut de grandes réjouissances à cette. occasion.
Pendant son séjour dans cette !te, quelques indigènes apportèrent à Mariner sa montre qu'ils avaient trouvée dans sa malle, et lui firent entendre qu'ils désiraient savoir ce que c'était. Le jeune Européen monta la montre et l'approcha de l'oreille d'un insulaire. Aussitôt chacun voulut s'en emparer; c'était à qui la regarderait, la porterait à son oreille. La prenant pour un animal vivant, ils la frappaient, ils la (") Dans ces Mes on croit que ceux qui exercent une profession vile n'ont point d'âme, et l'on regarde l'état de cuisinier comme le plus méprisable de tous, tandis que celui de charpentier est considère comme le plus honorable.
(**) Les gens de la basse classe mangent ces rats, mais tes chefs ne les tuent que par amusement.
serraient dans leurs mains pour la faire crier. Ils se regardaient ensuite avec surprise, riaient aux éclats, faisaient claquer leurs doigts, et marquaient leur surprise en imitant, avec leur langue, le gloussement d'une poule. Mariner ayant ouvert sa montre pour leur en faire voir le mouvement, l'un des spectateurs s'en empara et s'enfuit à toutes jambes. Les autres le poursuivirent, et dans un instant )a montre fut disloquée. Mais comme elle n'allait plus, il s'ensuivit une violente rixe, qui ne s'apaisa qu'à l'arrivée d'un indigène, qui ayant appris l'usage des montres à bord d'un bâtiment français, leur fit comprendre qu'elles servaient à indiquer l'heure. Mariner ne tarda pas à retourner à Lefouga avec Finau. It continua a y être en butte aux insultes des indigènes des basses classes, et sa vie même n'était pas à l'abri de tout danger. Touï-Touï chercha à persuader au roi qu'il était dans son intérêt de se défaire de tous les Anglais, dans la crainte que si quelque bâtiment de cette nation arrivait dans ces parages, ils n'informassent ceux qui le monteraient du sort du Port-au-Prince, et ne les déterminassent à venger d'une manière éclatante le massacre de leurs infortunés compatriotes. Heureusement Finau ne fut pas de cet avis.
Mariner avait sauvé quelques livres et du papier à écrire qu'il conservait précieusement. Un jour le roi le pria de les lui remettre. It obéit; mais il eut bientôt le regret d'apprendre que tout avait été livré aux flammes. Lorsqu'il demanda le motif d'une mesure aussi rigoureuse, Touï-Touï lui répondit de la part du roi, qu'aucun motif d'amitié ne pouvait le porter à tolérer l'usage de livres et de papiers qui étaient autant d'instruments de magie, destinés à attirer sur le pays )a peste ou quelque autre ftéau semblable.Voici comment un peu plus tard Finau expliqua tui-même à Mariner sonopinionacetégard.
Un convict anglais, échappé de l'Australie et étabt) dans t'îte, s'étant pris de dispute avec des missionnaires
arrivés après lui, les accusa d'être la cause d'une maladie épidémique qui désolait les différentes îles, et soutint que leurs cérémonies retigieusesétaient des conjurations, et leurs livres des instruments de sorti!ége. Les indigènes furieux tombèrent alors sur les missionnaires et les massacrèrent. Mariner et ses compagnons d'infortune ne connaissant ni la langue, ni les usages du pays, étaient souvent fort embarrassés pour se procurer les moyens de subsister. Quelquefois on leur apportait des vivres, quelquefois des indigènes les invitaient à venir manger chez eux; mais le plus souvent on les oubliait, et ils étaient réduits à dérober ce qui leur était nécessaire. Enfin Mariner parvint, par l'entremise de Touï-Touf, à faire connaître leur malheureuse position au roi qui s'en étonna beaucoup. Après s'être informé comment les choses se pratiquaient en Europe à cet égard, il en rit de bon cceur, etdit.à à Mariner que l'usage des îles Tonga était bien préférable, et que dorénavant, lorsqu'il aurait faim, il n'avait qu'à entrer dans la première maison venue, et y demander à boire et à manger.
Las du genre de vie qu'ils menaient, Mariner et ses compagnons, au nombre de cinq, prièrent le roi de leur accorder un grand canot, pour tacher de gagner l'île Norfolk, et de là l'Australie. Finau s'y refusa, sous prétexte qu'une aussi frêle embarcation ne pourrait pas tenir la mer. Toutefois, cédant à leurs instances, illeur permit de construire une chaloupe; mais, ayant eu le malheur d'ébréeher une hache, la seule qu'ils eussent, on la leur retira, et ils durent cesser leurs travaux.
Ainsi privés de tout espoir de retourner dans teur patrie pour le moment, les Anglais sentirent la nécessité de se plier aux usages du pays où )e sortles avait jetés. Bientôt l'activité et les vicissitudes d'une expédition guerrièreentreprise par Finau, vint leur fournir d'utiles distractions, en donnant un autre cours à leurs pensées. Un jour le roi demanda à Mariner
si sa mère vivait encore, et sur sa réponse affirmative, it témoigna combien Il était fâché qu'il se trouvât ainsi séparé d'elle. li est d'usage aux )ies Tonga que les hommes, et quelquefois les femmes se choisissent une mère adoptive, même du vivant de leur propre mère, afin d'être mieux pourvus de toutes les commodités de la vie. Le roi désigna, en conséquence, comme mère adoptive de Mariner, MaC-Habe, l'une de ses femmes qui, par la suite, eut autant de tendresse et d'affection pour lui, que s'il avait été réellement son fils.
H y avait à cette époque dans l'île de Lefouga une femme qui avait perdu la raison par suite du violent chagrin qu'ette avait éprouvé à la mort d'un de ses proches parents et à celle d'un de ses enfants, qu'on avait offert en sacrifice aux dieux pour obtenir la guérison de son père. Cette infortunée était considérée comme inutile à ta société Finau désirait s'en débarrasser, et pria un jour Mariner de lui tirer un coup de fusil. Cetui-ci s'en excusa en disant qu'il était prêt à sacrifier sa vie en combattant contre les ennemis du roi, mais que sa religion lui défendait de tuer de sang-froid un de ses semblables. Finau admit cette exeuse sans s'en offenser, et la vie de la malheureuse femme fut épargnée, mais pour quelque temps seulement; car elle fut tuée peu de jours après par un insulaire des îtes Haouaï, au moment où elle se promenait sur le rivage.
Mariner ayant appris que les bâtiments européens touchaient à l'île Tonga plutôt qu'aux autres îles du même groupe, eut l'idée de laisser au chef de /)fa/<:M~<M (~D'a:K coMt'ae/'e), dont nous parlerons plus tard, une lettre par )aque!ie il annonçait sa situation et celle de ses compagnons d'infortune. Finau envoya chercher cette. lettre, et se la fit traduire par l'un des Anglais en l'absence de Mariner. Cette manière de communiquer ses pensées était pour le roi une énigme inexplicable. Il regardait le papier, le tournait dans tous les sens et n'en
était pas plus avancé. Enfin, il appela Mariner, et lui dit d'écrire quelque chose, comme, par exemple, son nom. I) appda alors un autre Anglais, qui n'était pas présent pendant que Mariner avait écrit, et lui dit de prononcer ce qui était sur le papier, ce qu'il fit sur-le-champ. Le roi saisit alors le papier, le regarda dans tous les sens, et finit par s'écrier Mais cela ne ressemble ni à moi, ni à ma personne! Où sont donc mes jambes? Comment pouvez-vous savoir que c'est moi?" » Pendant deux ou trois heures entières le roi occupa Mariner à écrire différents mots, et à les faire lire par l'autre Anglais ce qui amusa et étonna surtout beaucoup les indigènes qui se trouvaient présents. Tout à coup le roi s'imagina avoir trouvé la solution du problème, et expliqua à ceux qui l'entouraient comment deux personnes pouvaient convenir d'employer un signe particulier pour chacun des objets qu'elles avaient vus. Quel fut son étonnement lorsque Mariner lui dit qu'on pouvait écrire à volonté le nom de choses que t'en n'avait jamais vues! Finau lui dit alors bas à l'oreille d'écrire le nom de Tonga-Ahou ( ce même roi qui avait été assassiné longtemps avant l'arrivée de Mariner). L'autre Ang)ais le lut aussitôt, à la grande surprise de tout l'auditoire. Le jeune Européen dit ensuite au roi que dans différentes parties du monde on envoyait à de grandes distances des messages écrits de la même manière, et dont le contenu restait ignoré de celui qui les portait, et ajouta que l'histoire des nations était transmise à la postérité par le même moyen. Finau avoua que c'était une invention admirable; mais qu'elle ne conviendrait point du tout aux îles Tonga, parce qu'elle n'v serait bonne qu'à fomenter des troubles, et à orgamser des conspirations.
Le roi avait en vain voulu s'emparer du fort de Vavao, malgré le feu de sa mousqueterie et de quatre caronades qu'il avait eues dans le pillage du .P<M'<-aM-P?'MCf, et ma)gré te secours de Mariner, de ses compagnons et d'un
noir des États-Unis, il fut contraint de lever le siège, et de s'enfermer luimême, à quelque distance de là dans un camp retranché. Dès ce moment, la guerre dégénéra en de simples escarmouches, où les deux partis se faisaient mutuellement quelques prisonniers, contre lesquels on exerçait, de part et d'autre, les vengeances les plus horribles avec unesortede tégèretë ptus atroce que la barbarie réfléchie des sauvages de t'Amérique. Ceux-ci du moins ne se livrent a des actes d'une cruauté raffinée que contre les ennemis de leur nation, contre des individus qu'ils ont été accoutumés de tout temps à considérer comme des êtres dévoués à leur vengeance, si le sort des armes les fait tomber entre leurs mains. Mais les insulaires des îles Tonga se portent gratuitement à des actes d'une cruauté qui révolte l'imagination. Par exemple pendant le cours-de cette campagne, quatre habitants de Vavao, surpris au moment où ils cachaient en terre quelques provisions de bouche, furent condamnés à avoir la tête séparée du corps avec une scie d'écailles d'huître, et cet ordre exécrable reçut son exécution.
Une des femmes de Finau, qui avait à se plaindre de la jalousie et de la tyrannique influence de l'épouse favorite, prit le parti de s'enfuir, et passa par hasard dans un endroit hors de t'enceinte du camp, où Mariner était occupé à cueillir des chadeks. Se voyant découverte, elle se jeta aux genoux de l'étranger, lui exposa ses chagrins, et le supplia, au nom de sa propre mère, au nom de ce qu'il avait de plus cher au monde, de ne pas mettre obstacle à sa fuite. Mariner, touché de ses larmes et de sa malheureuse position, la releva et promit de ne pas divulguer sa fuite.
Pour se venger de cette perte, Finau résolut de prendre et de faire massacrer un certain nombre de femmes de Vavao, qui étaient dans l'habitude de se réunir à la marée basse pour ramasser des moules et autres coquillages sur un banc de rocher qui traverse la
baie non loin de Fellétoa. Quelques hommes de leur parti s'amusaient à les surprendre comme s'ils eussent été des ennemis, et avaient si fréquemment répété cette plaisanterie, qu'à la longue elles finirent par en rire, et ne s'enfuyaient plus, comme elles le faisaient d'abord. Instruits de leur sécurité, les gens de Finau arrêtèrent leur ptaa en conséquence. Ils s'embarquèrent dans un canot, et se dirigèrent vers une partie de l'île, où il leur était possible de débarquer sans être vus. Arrivés là, à un signal convenu, ils se précipitèrent sur les femmes, qui les prirent pour leurs amis mais reconnaissant bientôt leur erreur, et voyant trois ou quatre d'entre elles assommées à coups de massue, elles se mirent à fuir avec autant de célérité qu'elles purent. De trente qu'elles étaient, cinq furent tuées, et treize faites prisonnières les douze autres parvinrent heureusement à gagner le fort. De ce nombre était celle que Mariner rencontra fuyant du camp de Finau. Peu s'en fallut qu'elle ne fût atteinte par un jeune chef qui la poursuivait, la massue levée. Dans la rapidité de sa course, son gnatou, l'unique vêtement qu'elle eût, glissa et tomba dans t'eau par un mouvement de modestie, elle se retourna pour le rattraper; mais, poursuivie de trop près pour que le moindre retard ne lui fût pas funeste, elle dut l'abandonner. Déjà son ennemi avait le bras levé pour la frapper, lorsque, épuisé par les efforts qu'il avait faits pour l'atteindre, il tomba de fatigue, et elle échappa.
A l'arrivée des prisonnières, il s'éleva une dispute très-vive entre les parents qui les réclamèrent, et ceux qui les avaient prises. Le féroce Finau témoigna une grande colère de ce qu'on n'avait pas suivi ses ordres, en les exterminant sur la place, et, pour arranger les prétentions de part et d'autre, il proposa de couper chacune de ces femmes en deux parties égates, et de les distribuer ainsi entre ceux qui les réclamaient mais l'affaire eut lieu à l'amiable. Bientôt après, Finau fit 57° ~M0/ (OCEANIE.) T. III.
la paix avec ses adversaires de Vavao. Ils convinrent qu'il résiderait à Vavao avec ses mataboutès;qu'it renverrait ses guerriers aux îles Hapaï, et qu'il remettrait le gouvernement de ces îles entre les mains de Toubo-Toa, qui lui payerait le tribut ordinaire. Ce tribut consiste en yams, nattes, gnatou, poisson salé, oiseaux vivants, etc., et on le lève sur tous les individus en proportion de leurs biens. On le perçoit deux fois par an la première, vers le mois d'octobre et la seconde fois à une époque indéterminée. Vers cette époque, la plus jeune des filles du roi, nommée ~o-OKMMLalangui, c'est-à-dire en langue samoa, Nommée par le ciel, tomba malade; elle avait alors à peu près sept ans. Pour se concilier la faveur du dieu qui était considéré comme le patron de la famille des Hous, dont descendait Finau, elle fut transférée dans un édifice consacré à cette divinité, à laquelle on sacrifiait journellement un cochon cuit. Toutefois, Finau, voyant que sa fille allait de plus en plus mal, ordonna de lancer ses grands canots, et la conduisit à l'île de Hounga, où résidait un prêtre que l'on supposait inspiré par la divinité tutélaire de la famille. Ici des offrandes et des invocations avaient lieu aussi chaque jour, et les mataboulès se rendaient fréquemment auprès du prêtre pour savoir quelle serait la décision du dieu.
Dans une de ces visites, Finau étant absent, le prêtre déclara que la maladie de la fille du roi était pour le bien général du pays. Finau, ayant appris cette réponse, fit venir le prêtre et lui parla ainsi:
« Si les dieux sont irrités contre nous, que le poids de leur vengeance pèse sur ma tête. Je ne la crains pas mais épargnez ma fille, et je vous demande avec instance. Toubo-Tataï, d'exercer toute votre influence auprès des autres dieux, pour que je subisse seul la peine qu'ils veulent nous infliger. v
Le dieu n'ayant rien répondu à cette prière, son ministre alla se mêler 7
parmi le peuple, et les chefs se séparèrent.
Le roi regagna sa demeure, plein de tristesse et vivement blessé dans son orgueil. Le lendemain il se sentit gravement indisposé et s'étendit sur sa natte. Son mal empirait d'heure en heure, et ayant, comme il le dit iui-même, le sentiment de sa fin prochaine, les femmes attachées à son service allèrent en prévenir ses chefs et ses matabouiès. Ceux-ci, s'étant rendus aussitôt près de lui, Je trouvèrent presque sans voix. Dès qu'il les vit, il chercha en vain à réunir ses idées, et parut suffoqué par la véhémence des sentiments qui l'agitaient. Enfin les larmes vinrent à son secours, et après en avoir répandu abondamment, il reconnut la justice des dieux, tout en déplorant la fatalité de sa position, qu) le condamnait à mourir douloureusement chez lui, au lieu de périr de la mort des braves. Après une courte pause, il ajouta d'un ton calme et ferme Je tremble à l'idée des maux qui menacent mon pays et je prévois qu'après ma mort l'état des affaires subira de fâcheux changements car j'ai eu de fréquentes preuves que l'obéissance que me montrent mes sujets vient moins de leur amour pour moi, que de la crainte que je leur mspire.
En s'éveillant le lendemain matin, il se trouva presque aussi bien que de coutume mais il eut bientôt la douleur de voir qu'il n'en était pas de même de sa lille, dont la fin fut sans doute hâtée par tout ce que l'on fit pour la prévenir; car, dans leur pieux empressement, ceux qui l'entouraient ne cessèrent de la transporter d'un tien consacré à un autre, jusqu'à ce qu'elle eût rendu le dernier soupir.
Après cet événement, contre la coutume générale des îles Tonga Finau ordonna qu'il ne serait fait aucune démonstration d'aftliction publique. Malgré cette injonction, les serviteurs de la jeune princesse n'en manifestèrent pas moins leurs regrets. La conduite du roi dans cette circonstance fut regardée comme un signe de me-
contentement contre les dieux. L< vingtième jour après le décès, le peuple fut assemble par ses ordres, et Je corps, placé dans un cercueil de bois poli fait dans la forme d'un canot, fut déposé dans Je faïtoka, ou cimetière. Cette cérémonie fut suivie d'abondantes distributions de vivres et de kava, et les indigènes se livrèrent aux assauts de la lutte.
Après que les hommes eurent montre leur force et leur dextérité dans des exercices seul à seul, leroi ordonna que toutes les femmes qui demeuraient au nord de Moua se placassent d'un côté, et se tinssent prêtes à combattre toutes celles qui demeuraient au sud. Il n'était pas rare, dans les jours de réjouissances publiques, de voir les femmes combattre deux à deux, mais on n'en avait encore jamais vu trois mille divisées en deux troupes épates. Néanmoins, elles commencèrent le combat sans hésiter, et le maintinrent avec la plus opiniâtre bravoure, pendant à peu près une heure, sans perdre un pouce de terrain. IJ est même probable qu'il ne se serait pas terminé aussi promptement, si Finau, témoin de l'acharnement qu'y mettaient les combattantes, ne leur eût pas ordonné d'y mettre fin; il en coûta de part et d'autre quelques bras et jambes cassés.
Les hommes, à leur tour, se divisèrent en deux bandes, et engagèrent aussitôt une affaire générale, qui se soutint de part et d'autre avec une égale bravoure, jusqu'à ce qu'enfin ceux qui habitaient la partie de l'lie où était la demeure du roi commencèrent à tacher pied. Dès que Finau s'en aperçut, il s'éianca de la maison d'où il observait ce qui se passait, afin de les exciter par sa présence et ses efforts. Son exemple fut si efficace que ie parti opposé recula à son tour, et finit par être entièrement chassé du terrain qu'il occupait.
On ne sait si le roi fut blessé dans cette circonstance, ou si le mouvement extraordinaire qu'il se donna lui occasionna une rechute, mais à peine fut-il rentré chez lui, qu'il tomba presque
aussitôt sans connaissance. Pour apaiser les dieux, et obtenir sa guërison, on étrangla un enfant qu'il avait eu d'une de ses concubines. On doit dire toutefois que ce barbare sacrifice eut lieu à son insu.Néanmoins, le mal de Finau ne fit qu'empirer, et il expira peu après.
D'après ce que le capitaine Cook a dit de ce chef à l'époque où il aborda aux îles des Amis, Finau devait avoir environ cinquante ans au moment de sa mort. Sa taille était de cinq pieds sept pouces; il était fort et nerveux; il portait la tête haute, et avait !e regard assuré, les épaules larges et bien faites, les membres bien découpés et les mouvements gracieux. Ses cheveux, d'un noir de jais, mais non taineux, frisaient sur son front, qui éta<t très-élevé. Il avait les yeux grands, pleins de feu et pénétrants. Ses sourcils étaient larges, et lui donnaient un air un peu austère. Son tangage était éloquent. It parlait d'une manière fort distincte, et soit qu'il fût de bonne ou de mauvaise humeur, on l'entendait toujours à une très-grande dis- tance (*). Finau possédait un esprit profond et rusé, constamment disposé à favoriser tous les projets qui pourraient servir ses intérêts, mais excessivement circonspect sur les vues qu'il pouvait avoir.
La maxime des gouvernements despotiques, qu'il est prudent de détruire tout ce qui peut nous être contraire, est l'une de celles que Finau mit toujours en pratique. On a vu comment, après s'être emparé des principaux chefs et guerriers de Vavao, il les fit périr tous d'une manière ou d'autre. On reconnaît une grande similitude de caractère entre ce chef et son prédécesseur Tougou-Hao. Finau pouvait marcher l'égal du mortel le plus ambitieux. (*) Son éloquence était si persuasive, que la plupart de ses ennemis craignaient de récouter, de peur d'être obligés de se rendre à ses raisons, et de compromettre ainsi leurs intérêts. Dans son intérieur, il ne parlait que d'une voix très-douce et avec beaucoup de retenue.
I) ne lui a manqué que l'éducation et un plus vaste champ d'action pour devenir infiniment plus puissant qu'il ne l'était. Doué par la nature d'un de ces esprits vigoureux qui embrassent tout ce qui est à leur portée, et qui ensuite, mécontents de ce qu'ils ont obtenu, cherchent à obtenir davantage, combien dut lui paraître fatigante et ennuyeuse la domination de quelques nés, qu'il n'osait quitter pour en conquérir d'autres, de peur de s'en voir déposséder par la trahison de quelques-uns de ses chefs, et l'inconstance d'une armée indisciplinée!
Quant à ses sentiments religieux, il est difCcite de croire qu'il en eût aucun il est certain du moins qu'il n'ajoutait aucune croyance aux oracles rendus par les prêtres. Car, bien qu'il les crût réellement inspirés lorsqu'ils feignaient de l'être, il pensait néanmoins qu'il leur arrivait souvent d'attribuer aux dieux leurs propres sentiments, surtout ceux qui ne s'accordaient pas avec sa manière de voir. Toutefois, il n'émettait jamais d'opinion à cet égard en public, quoiqu'il s'exprimât d une mamére très-franche devant Mariner et quelques-uns de ses confidents. It avait coutume de dire qu'à la guerre, les dieux favorisent toujours le parti qui a les chefs et les guerriers les plus braves. It ne croyait pas d'ailleurs que les dieux s'occupassent beaucoup de nos intérêts ici-bas, et il ne voyait pas, disait-il, pour quelle raison ils le feraient. Comme te reste de ses compatriotes, il croyait à une vie future, et il pensait que les chefs et mataboulès, qui ont des âmes, vivent dans 6o/o~oM (le paradis) d'après leurs différents rangs dans ce monde mais que les gens du peuple, n'ayant pas d'âme, ne jouissent pas de cetavantage. Tel était le dernier roi des îles Tonga, homme doué d'un grand caractere, très-remarquabie sous quelques rapports mais surtout éminemment dramatique. Nous l'avons dépeint un peu au long, parce que de pareils hommes s'offrent rarement en Océanie à notre observation, et pour nous excuser, nous dirons qu'il est important .7.
de conna!trecequenossemb)ab!es sont et peuvent être dans l'état sauvage, si nous voulons juger avec quelque exactitude de leur caractère dans l'état de civilisation, afin qu'en comparant l'un à l'autre, nous puissions parvenir à porter un jugement exact sur la nature humaine et sur l'anthropologie ou la science de l'homme, qui doit être pour nous la première de toutes les sciences.
Nous croyons à propos d'entrer ici dans quetquesdétaits sur tes cérémonies funèbres qui eurent lieu à l'occasion de la mort de ce chef, parce qu'ils offrent un grand nombre de particularités remarquables.
Dès que l'on eut perdu toute espérance, et que l'on fut bien certain que Finau avait cessé de vivre, son corps,, que l'on avait transporté d'un sanctuaire à l'autre, fut placé dans une grande maison sur le mataï. Parmi les chefs et mataboulès qui se trouvaient réunis parla circonstance, il s'en trouvait un nommé Vouna, au-devant duquel le prince s'avança pour lui faire part de la nécessité de transporter le corps de son père à Fellétoa. It eût été irrespectueux d'en agir autrement, parce que Vouna était un grand chef, bien au-dessus de Finau lui-même. Ceci peutparaitre extraordinaire; mais il arrive souvent que le roi est choisi, à cause de sa valéur et de la supériorité de sa sagesse, dans une famille qui n'est pas du premier rang, et c'est ]e cas dans la famille actuellement régnante. De là vient que le roi est souvent obligé de rendre certains devoirs d'étiquette à plusieurs chefs, et même à de petits enfants,- qui sont d'une noblesse plus relevée que la sienne. Tous les chefs et mataboutès présents, vêtus de nattes, s'assirent en attendant l'arrivée du corps du feu roi. Les pleureuses, composées de ses parentes, veuves, concubines, servantes et autres femmes d'un certain rang, qui, "par respect, assistaient à ta cérémonie, se trouvaient assemblées dans la maison et assises autour du corps, lequel était déposé sur des balles de gnatou. Toutes étaient vêtues de vieilles nattes
déchirées, emblème de leur chagrin et de l'abattement de leur esprit. Leur extérieur était fait pour inspirer la pitié et la tristesse, que l'on fut ou non accoutumé à de pareilles scènes. Elles avaient les yeux si gonflés des larmes qu'elles avaient versées la nuit précédente, et les pommettes tellement meurtries des coups de poing qu'elles s'étaient donnés, qu'à peine pouvaientelles y voir.
Parmi les chefs et mataboulès qui étaient assis dans ie mataï, tous ceux qui étaient particulièrement attachés à Finau, ou à sa cause, témoignaient leurs regrets par des actions, à la vérité en usage parmi ces peuples à l'occasion de la mort d'un parent ou d'un grand chef, mais qui n'en sont pas moins d'une extrême barbarie. Ils se coupaient et se blessaient de mille manières différentes avec des massues, des pierres, des couteaux, des coquillages tranchants, et cela en courant deux ou trois à la fois au milieu du cercle formé par les spectateurs. D'autres, plus calmes et plus modérés dans leurs regrets, allaient et venaient d'un pas incertain, et l'air égaré; puis, brandissant les massues dont ils étaient armés, et dont ils se frappaient violemment la tête, ils disaient n Hélas ma mas"sue, qui m'eût dit que tu m'aurais « rendu ce service et mis à même a de donner ainsi un témoignage de «mon respect pour Finau! Jamais, "non, jamais, tu ne serviras plus à faire voler les cervelles de ses ennemis Hélas quel grand, quel puissant guerrier a succombé 0 Finau, cesse de douter de ma loyauté; sois convaincu de ma fidélité Mais quelles absurdités dis-je ? si j'avais été « un traître, j'aurais éprouvé le sort « de ces nombreux guerriers victimes « de ta juste vengeance. Cependant ne '< crois pas, Finau, que je te fasse des « reproches; non, je ne cherche qu'à te N convaincre de mon innocence; car quel est celui qui, ayant envie de c nuire à ses chefs, verra comme moi «sa tête blanchir? 0 dieux cruels, « nous priver ainsi de notre père, de « notre seule espérance, pour qui seul
nous désirions vivre! Nous avons, "it est vrai, d'autres chefs, mais ils <'nont pour eux que leur rang, et ne sont pas comme toi, hétas grands et puissants à la guerre. grands
Après trois heures environ de gestes et de semblables discours, le prince ordonna que Je corps de son père fût conduit à Fellétoa. A cet effet on le placa sur une balle de gnatou, que l'on mit sur une espèce de ctaie. Le prince ordonna que, comme son père avait le premier introduit l'usage de l'artillerie dans tes Îles Tonga, il serait tiré deux coups de caronade avant que le cortége se mît en marche, et quatre lorsqu'il serait sorti du matai. Il prescrivit aussi qu'on retirât du faïtoka le corps de sa fille, et qu'on le piacât dans un canot pour lui faire suivre le corps de son père, qui avait témoigné le désir d'être inhumé près d'elle. Ces préparatifs termines, Mariner chargea les caronades à poudre, et tira quatre salves. Le convoi commença alors à se mettre en mouvement. Les femmes et les servantes du défunt ouvraient la marche venaient ensuite le corps de tmau, celui de sa fille, les mataboulès, et enfin le jeune prince et sa suite. Lorsque le cortège fut sorti du fort. et qu'il eut défile devant l'endroit ou les caronades étaient en batterie, Ma- riner fit tirer deux nouvelles salves i puis les ayant chargées à mitraille, il marcha mèche allumée à la suite du i convoi. Le jeune prince avait cru de- i voir prendre cette précaution pour 1 en imposer aux chefs qui seraient ten- 1 tés de se révolter. 1 Au bout de deux heures, le convoi r arriva a Fellétoa, et le corps fut déposé t dans une maison située sur le matai à e quelque distance de la fosse, en atten- L dant qu'on y transportât une autre s maison plus petite, ce qui fut exécuté b en moins d'une heure. Le corps fut d alors conduit et placé dans l'intérieur d de celle-ci, sur une balle de gnatou- 1 l'habitation entière était tendue de q gnatou noir depuis le toit jusqu'au sol. b A cette partie de ta cérémonie, les si femmes assises autour du corps pous- p serent un cri lamentable, et les hom- 1(
mes se mn-entacreuser fa fosse dans le faïtoka, suivant les instructions d'un matahouiè. Arrivés au caveau qui se trouvait à la profondeur de dix pieds, ils s attachèrent une corde à l'extrémité de la pierre qui en fermait i'entrée, et cent cinquante à deux cents hommes se présentèrent pour la soulever. Le corps de Finau ayant été oint d'huile de sandal et enveloppé dans des nattes de Samoa, y fut descendu sur une balle de gnatou, que le mataboulè de service emporta après la cérémonie. Celui de sa fille y fut descendu ensuite de la même manière, et toute l'assemblée jeta un grand cri. Alors des guerriers et des matabouiès se mirent à courir comme des forcenés autour du iaïtoka, en s'écriant «Héias que notre « perte est grande! Finau, vous n'êtes plus, recevez ce témoignage de notre amour et de notre loyauté. » En disant cela, ils se faisaient des coupures et des meurtrissures à la tête avec des massues, des couteaux, des haches, etc.
Le cortége s'étant formé ensuite sur une seule ligne, les femmes en tête, prit le chemin de Lico pour v ramasser du sable. Tous les assistants chantaient à haute voix le long de la route, pour avertir ceux qui pouvaient se trouver sur le passage, qu'ils eussent à se cacher au plusvite; carsi quelqu'un .avait eu le malheur de se trouver là, il eût été immanquabiement assommé à coups de massue. La même chose se pratique à l'enterrement de tous les habitants sans distinction; et si le roi lui-même rencontrait le cortége sur la route, il serait force de se cacher; autrement ii commettrait un sacrilége et encourrait la disgrâce des dieux de Bolotou, qui sont toujours censés présents à cette cérémonie. Arrivés au bord de la mer, les assistants firent de petits paniers avec des feuilles de cocotier, et les remplirent de sable. Les hommes en prirent chacun deux, qu'ils placèrent aux extrémités d'un bâton, et qu'ils tenaient en équilibre sur leurs épauies; les femmes n'en portaient qu'un seul. Ils retournèrent tous sur leurs pas dans le même ordre,
et défilant devant la fosse, qu'on avait t eu soin de ne pas combler entière- s ment:i!s y versèrent leur sable. La ¡ maison fut ensuite abattue, et tes dé- < bris jetés avec les petits paniers et la 1 terre de la fosse, dans le trou que l'on avait creusé pour former le tertre sur lequel le faïtoka était élevé. Pendant cette cérémonie, les assistants, couverts de leurs nattes, et portant autour du cou des feuilles d'ifi, étaient assis sur l'herbe vis-à-vis du faïtoka. La cérémonie finie, ils se levèrent tous, et s'étant rendus à leurs habitations respectives, ils se rasèrent la tête, se brutèrent les joues avec un petit rouleau de tapa allumé-, et frottèrent la brûlure avec le suc astringent de la baie du matchi, pour la faire saigner; aprèsquoi les hommes se construisirent de petites huttes pour y passer les vingt jours que dure le deuil. Pendant cet intervalle ils répétèrent régulièrement tous les jours t'opératiou douloureuse de se bruter les joues, ils laissèrent croître leur barbe et négligèrent de s'oindre le corps. Les femmes, qui s'étaient tabouées en touchant le défunt, ne sortirent du faïtoka que pour aller se faire donner à manger; ce fut le jeune prince qui leur fournit les provisions nécessaires. Le cinquième et le sixième jour, il leur en fit porter une plus grande quantité que d'ordinaire, et te vingtIème, elles en reçurent encore davantage. Il leur envoyait aussi chaque jour des tomés ou torches pour éciairer te faïtoka pendant la nuit, une d'elles devant constamment tenir deux de ces torches aUumées à la main; lorsqu'elle se sentait fatiguée, elle se faisait relever par une de ses compagnes. Pendant la durée du deuil, il fut enjoint à tous ceux qui passaient près du faitoka de marcher doucement, d'inctiner la tête et de joindre les mains. Dans la matinée du vingtième jour, tous les parents du défunt, les gens de sa maison et les femmes qui avaient gardé son corps, se rendirent à Lico afin d'v ramasser des cailloux pour en parsemer t'intérieur du faïtoka. Cette opération terminée, on entoura la maison d'un treillis depuis le
.oit jusqu'à la terre. L'assemblée s'asiit alors en silence, pour prendre part ) un repas, dont les frais avaient été 'aits par Finau et les chefs; et tous retournèrent ensuite pour se préparer à un grand combat de lutteurs, et à une fête où les pêcheurs du feu roi devaient exécuter la danse du MM tou bougui, et se meurtrir la tête avec leurs pagaies, en signe d'attachement à sa personne.
Finau I" étant mort, il était à craindre que divers chefs, et surtoutTouboToa, Vouna-Lahi et Finau Fidgi, ne disputassent le gouvernement à son fils aîné Moë-Ngongo. Mais ce jeune prince, aidé des conseils de son oncle Finau Fidgi, s'empara hardiment de l'autorité, et à force de prudence et de modération il succéda à son père. Calculant, dit d'Urviite, que ta division de son autorité pourrait l'affaiblir et la compromettre, il se désista de tous ses droits sur les îles Hapa!, et déclara qu'il se bornerait à gouverner le groupe de Hafoulou-Hou. Cette zone de l'archipel Tonga convenait mieux au jeune prince, qui avait passé à Samoa une partie de son adolescence, et en avait ramené deux épouses. En effet, a son retour, deux tittes de chefs de Hapaï avaient complété son harem. Il se décida à une scission qui était conseillée par une politique prudente. Le nouveau roi de Vavao, qui avait pris le nom de Finau II, convoqua ses sujets sur le matai de Naï-Afou, et, après un kava solennel, il prononça la harangue suivante, véritable chefd'œuvre d'éloquence et de politique, noble programme du nouveau règne, et que son oncle Finau Fidji, le plus sage des chefs de Vavao, lui avait sans doute dicté.
.Écoutez-moi, chefs et guerriers! « Si quelqu'un parmi vous est mécontent de l'état actuel des affaires de Vavao, c' est le moment d'aller à Hapaï.
K Car personne ne restera à Hafoulou-Hou avec un esprit mécontent et porté vers d'autres lieux.
« Mon âme a été attristée en contemplant les ravages causés par les
guerres continuelles du chef dont le corps repose actuellement au malaï. « Nous avons, il est vrai, beaucoup fait mais quel en est le résultat ? Le pays est dépeupfé la terre est envahie par la mauvaise herbe, et il n'y a personne pour la défricher. Mais si nous étions restés en paix, notre pavs serait encore peuplé et productif. Les principaux chefs et guerriers ne sont plus, et nous sommes ob!igés de nous contenter de la société des dernières classes. Quelle démence! La vie n'est-elle pas déjà trop courte!
M'est-ce pas la preuve d'un noble caractère dans un homme de rester paisible et satisfait de sa position ? C'est donc une fotie de chercher à abréger ce qui n'est déjà que trop court.
« Qui parmi vous peut dire Je désire la mort, je suis fatigué de la vie? P
Voyez, n'avez-vous pas agi comme des insensés?
« Nous avons recherché une chose qui nous priva de tout ce qui nous était réeHement nécessaire.
"Je ne vous dirai pourtant point: renoncez à tout désir de combattre. Que le front de la guerre approche de nos terres et que l'ennemi vienne pour ravager nos possessions, nous saurons lui résister avec d'autant plus de bravoure, que nos p!antations seront devenues plus étendues.
Apptiquons-nousdoncà à la culture de la terre, puisqu'elle seule peut sauver notre pays.
Pourquoi donc serions-nous jaloux d'un accroissement de territoire? a Le nôtre n'est-il pas assez grand pour nous procurer notre subsistance ? Nous ne pourrons jamais consommer tout ce qu'il produit.
Mais, peut-être, je ne vous parle point avec sagesse. Les vieux matabouies sont assis près de moi, je le sais, et je les prie de dire si j'ai tort.
« Je ne suis qu'un jeune homme, je le sais, et je n'agirais pas avec sagesse, si, à t'exempte du chef défunt, je voulais gouverner suivant mes pro-
près idéex, et sans écouter leurs conseils.
Recevez mes remerciments pour l'amour et la fidélité que vous lui avez portés.
Finau-Fidgi et les matabouiès ici présents savent combien j'ai cherché a m'instruire de ce qui pouvait être avantageux à notre gouvernement. '< Ne dites pas alors en vous-mêmes Pourquoi écouterions-nous le babil frivole d'un jeune garçon ? P
« Rappelez-vous qu'en pariant ainsi, ma voix est t'écho des sentiments de Touï-Omou et d'Ouiou-Vaiou, et d'Afou, et de Foutou, et d'A)o, et encore de tous les chefs et mataboulès de Vavao.
Écoutez-moi! Je vous rappelle que, parmi vous, si quoiqu'un est mécontent de l'état actuel des affaires, voici la seule occasion que je vous procurerai pour quitter i'!ie; car, passe ce moment, nous n'aurons plus de communication avec Hapaï.
Choisissez donc le lieu de votre demeure il y a Fidji (*), il y a Samoa il y a Hapaï, il y a Fatouna et Lotouma.
« Ceux-là dont le vœu est unanime, ceux-fà qui désirent vivre dans une paix constante, ceux-là seuls pourront demeurer à Houfoulou-Hou.
« Pourtant je ne veux point comprimer l'élan d'un cœur belliqueux. « Voyez les terres de Tonga et de Fidji sont constamment en guerre. Choisissez celle où vous désirez aller pour y déployer votre vaillance. Levez-vous! Rendez-vous chacun chez vous, et réuéchissez sérieusement sur )e départ des pirogues qui aura lieu demain pour Hapaï. » Quel contraste entre ce discours et les paroles ambitieuses et non moins éloquentes de son père Finau I",qui s'écriait unjourdevantMariner: "Ah! que mon royaume est étroit pour mes vastes projets. Pourquoi les dieux ne m'ont-ils pas fait roi d'Angleterre! Il n'y a pas une île dans le monde entier, (*) C'est ainsi que dans l'archipel de Tonga on nomme les îles Viti.
si petite qu'elle fût, qui ne serait soumise à mon pouvoir. Le roi d'Angleterre ne mérite pas la puissance qu'il possède. Maître de tant de grands vaisseaux, pourquoi souffre-t-il que de petites îles comme Tonga insultent continuellement ses sujets par des actes de trahison? Si j'étais à sa place, enverrais-je d'un ton paisible demander des cochons et des ignames? Non j'arriverais avec le front de la bataille et avec le tonnerre de Bolotane (Grande-Bretagne); je leur apprendrais qui mérite d'être le maître. Les hommes d'un esprit entreprenant devraient seuls posséder des canons ceux-là devraient gouverner le monde; et ceux qui se laissent insulter sans en tirer vengeance, sont faits pour être leurs vassaux. M
Un mois après les funérailles, Finau II, qui ne s'était pas mutilé ia tête au tombeau de son père, de crainte qu'on ne prit sa douleur pour de l'affectation, résolut de s'acquitter de ce devoir en présence d'un petit nombre de ses guerriers. Mariner, qui se trouvait de ce nombre, eut le malheur d'éternuer en entrant dans la maison. Aussitôt tous les assistants jetèrent leurs massues à terre, et déclarèrent qu'après un présage aussi sinistre, il serait imprudent de rien entreprendre ce jour là. Finau lança à Mariner un regard p)ein de colère, et l'accabla d'imprécations, puis, saisissânt une massue, il s'avança sur lui pour l'en frapper. Heureusement quelques chefs se jetèrent entre eux, et parvinrent à faire esquiver le coupable. Le roi tint aussitôt conseil avec les chefs pour savoir ce qu'il avait à faire. Il fut décidé que Mariner, attendu sa qualité d'étranger, et adorant d'autres dieux que ceux de Bolotou, pouvait éternuer sans inconvénient. Cette consultation finie, tous les assistants se rendirent au tombeau où, dans leur enthousiasme Finau et sa suite se meurtrirent la tête de la manière la plus horrible, Finau, non content de se servir des instruments usités en pareil cas, saisit une scie d'écaille d'huître, avec laquelle il se fit de si profondes incisions a la tête qu'il
faillit se trouver mal en rentrant chez lui, tant il avait perdu de sang. Aux îles Tonga, on a l'opinion la plus défavorable de celui qui achète par soumission le pardon d'un supérieur aussi Mariner, qui savait trèsbien que le roi serait le premier à le blâmer s'il lui proposait de se réconcilier, et qui s'était retiré dans sa plantation après l'événement dont il vient d'être question, était bien décidé à ne faire aucune avance. Dans la soirée du même jour, une petite fille vint le trouver de la part de sa mère adoptive, qui lui faisait dire de se tranquilliser, que Finau reconnaissait ses torts, et qu'elle lui conseillait d'attendre qu'il vînt lui faire ses excuses en personne. Il suivit son conseil. Pendant dix jours consécutifs, le roi l'envoya régulièrement prier de revenir auprès de lui; mais Mariner s'y refusa constamment, et menaça même de tirer sur ses messagers s'ils paraissaient de nouveau avec de semblables propositions. Finau s'étant alors décidé à l'aller trouver luimême, se rendit auprès du jeune Papalangui de très-bon matin, le réveilla, lui demanda pardon de sa conduite, et se jeta dans ses bras en versant un torrent de larmes. Depuis lors, ils furent les meilleurs amis du monde. s Vers la même époque, une horrible tempête ravagea l'île de Vavao, et le touï-tonga expira après une maladie de six semaines, malgré le sacrifice de quatre enfants offerts aux dieux pour sa délivrance, et par l'entremise des prêtres, dont les dieux furent inexorables.
Le roi, soit pour épargner de grandes dépenses à ses sujets, soit plutôt pour se défaire d'un chef d'une origine supérieure à la sienne, abolit entièrement cette haute dignité, et il ne paraît pas qu'elle ait été rétablie depuis car il fut défendu au fils (jeune homme de dix-sept ans, nommé T~ë/M LaFiti-Tonga), de prendre ce titre à la mort de son père; mais il est toujours considéré comme un chef du premier rang, et le peuple, à cause de son illustre et anhque origine, a néanmoins pour lui la plus grande vénération.
Finau II releva l'agriculture de l'état déplorable où les guerres l'avaient placée, et s'occupa aussi de la sûreté extérieure de son royaume. Il mit dans un état respectable de défense la forteresse de Fetlétoa.
En temps de paix, Mariner allait fréquemment avec Finau et les autres chefs, et quelquefois tout seul, passer un jour ou deux dans les petites îles voisines de Vavao, pour y prendre le plaisir de la pêche. Un soir qu'il revenait d'une de ces excursions, il découvrit un vaisseau au loin. Cette vue le transporta de joie, et il ordonna aussitôt aux rameurs qui l'accompagnaient de virer de bord, et de se diriger du côté du bâtiment. Toutefois ils lui déclarèrent que la crainte du supplice qui les attendait à leur retour, s'ils le laissaient échapper, l'emportait sur le respect qu'ils lui devaient, et qu'ils se voyaient dans l'impossibilité d'obtempérer à sa demande après quoi ils se mirent à faire force de rames vers la côte. Mariner, élevant alors la voix, voulut parler en maître. Mais l'un des rameurs lui ayant déclaré qu'ils étaient décidés à mourir plutôt que de lui obéir, il saisit son fusil et lui en asséna un coup dans le côté, qui l'étendit sans connaissance au fond du canot; puis ayant menacé les autres de leur casser la tête s'ils ne lui obéissaient pas surle-champ, ils se décidèrent à ramer dans la direction du bâtiment qu'ils abordèrent le lendemain matin à la pointe du jour. Mariner, trop impatient pour parlementer, sauta aussitôt dans les haubans du grand mât, au risque d'être renversé par l'un des hommes de quart qui, à son accoutrement, ne pouvait guère le prendre que pour un sauvage. Mais dès que Mariner lui eut dit qu'il était Anglais, il lui permit de monter à bord, et le conduisit au capitaine. Celui-ci l'accueillit avec obligeance, et lui fit aussitôt changer son tablier de feuilles de e/M contre une culotte et une chemise. C'était la Favorite, un brick pêcheur de perles, capitaine Fisk, venant du port Jackson. Ce bâtiment avait pour chargement environ quatre-vingt-dix
tonneaux de nacre de perle, qu'il s'était procurés aux îles Taïti. Le capitaine avait le projet de toucher aux îles Viti, pour y prendre du bois de sandal, et de là faire voile pour la Chine. A la sollicitation de Mariner, le capitaine Fisk du brick la Favorite fit présent aux hommes de son canot de quelques grains de verroterie, et les chargea de porter une hache à Finau en t'invitant à venir à bord. En un instant le bâtiment fut entouré par pius de deux cents petits canots et par plusieurs grands, et toute la population de Vavao fut bientôt sur le rivage. Finau, accompagné de sa sœur et de plusieurs femmes de sa suite, se rendit vers midi à bord du brick; il apportait en présent à Mariner c~inq gros porcs et quarante ignames pesant chacunetrente à quarante livres.Les chefs, effrayés pour sa sûreté, lui envoyèrent message sur message pour l'inviter à revenir; mais il ne tint aucun compte de leurs frayeurs, et demanda au capitaine la permission de coucher à bord, ce qui lui fut aussitôt accordé. Cependant les femmes de sa société, qui ne se souciaient guère de passer la nuit au milieu d'un aussi grand nombre d'étrangers, prièrent Mariner de les reconduire à terre. Mais oelui-ci ayant levé leurs scrupules, elles se déterminèrent à rester, à condition qu'il les envelopperait dans une voile, où elles passèrent la nuit très-commodément. Quant à Finau, il fit étendre une voile sur les planches de la chambre du capitaine et y dormit non moins bien. Le lendemain, le peuple, craignant qu'il ne prît la résolution de visiter la terre des Papalanguis,lui députa plusieurs chefs pour l'engager à revenir à Vavao. Ceux-ci lui apportaienten même temps du kava; mais il refusa d'en boire, disant qu'il en avait pris de bien meilleur (c'est-à-dire, du vm) à bord, et que l'idée du kava lui répugnait. Il déjeuna avec le capitaine, et fit copieusement honneur au porc rôti et à tout ce que l'on'servit. Les dames mangèrent aussi d'un très-bon appétit. C'était la première fois que Finau se servait d'un couteau et d'une fourchette, et,
chose assez remarquable, il les maniait avec beaucoup d'adresse. Quelquefois, il est vrai, il s'oubliait et prenait la viande avec ses doigts; mais il se reprenait en disant: ~oe.OMCt~~Ma;/c'/ Hé! je ~'OMMc; s'étant couché dans ]e lit du capitaine, après lui en avoir demandé la permission, il s'y trouva fort à son aise et s'imagina être transporté en Angleterre. Resté seul un instant dans la chambre, il ne toucha à rien, seulement le chapeau du capitaine lui fit envie; mais il ne voulut le mettre qu'après que celui-ci le lui eût aussi permis. Vers midi il se rendit à terre pour tranquilliser ses sujets, que son absence commençait à inquiéter; mais il ne tarda pas à retourner à bord du brick avec une ample provisionde viandes apprêtées et d'ignames pour l'équipage, auxquelles étaient joints une lance et une massue, une grosse balle de gnatou, un porc énorme, une centaine d'ignames et deux canots chargés de cocos pour le capitaine. Il était si émerveillé de tout ce qu'il voyait à bord, et il avait concu une idée tellement favorable des Papatanguis, qu'il ne put s'empêcher de demander plusieurs fois à Mariner de t'emmener en Angleterre. Le jour du départ, avant renouvelé sa demande avec encore plus d'instances, Mariner en instruisit le capitaine. Toutefois, celui-ci, par différents motifs assez fondés, crut devoir ne pas se rendre à ses désirs. Son refus attrista le pauvre Finau, qui eût volontiers abdiqué sa couronne pour apprendre à lire et à écrire, et à penser comme un Papatanpui. Cependant il fit jurer à Mariner, au nom de son père et du dieu qu'ils adoraient, de revenir un jour dans un grand canot (vaisseau) pour le mener en Angleterre ajoutant que si ses sujets s'opposaientàson départ, t'effectuerait de vive force. Après quoi, il l'embrassa et fondit en larmes. Le capitaine avait à bord une grande quantité de perles, ornement dont les habitants de ces îles font beaucoup de cas, parce que celles qu'ils ont ne sont pas susceptibles d'un aussi beau poli. I) en offrit plusieurs à Fina:) qui les reçut avec reconnaissance. Mais il était
un autre objet qui t'intéressait bien plus vivement. Il ne lui restait plus qu'une petite quantité de pierres a fusil, et il pensait avec raison qu'il lui en faudrait peut-être bientôt pour défendre son nouveau royaume contre les attaques des habitants des îles Hapaï. H en demanda en conséquent au capitaine, qui lui en donna une ample provision. Le lecteur n'a pas oublié peut-être que Finau F', le dernier roi, avait ordonné à Mariner de lui remettre tous ses livres et ses papiers, et les avait condamnés au feu comme des instruments de sorcellerie. Mariner était cependant parvenu à soustraire le journal du navire le Port-au-Prince; mais craignant qu'il ne fût découvert s'il le gardait en sa possession, il l'avait confié à Mafi-Habé, sa mère adoptive, qui en avait eu le plus grand son, et l'avait caché dans une balle de gnatou. Lorsque, après la mort de Finau I" celle-ci retourna chez son père aux îles Hapaï, ette)erenditàMariner qui le placa dans un baril de poudre. Comme il attachait beaucoup de prix à ce journal, il engagea le capitaine à retenir à son bord Finau-Fidji, l'oncle du roi, jusqu'à ce qu'on le fui eût apporté; et envoya aussitôt pour le chercher deux naturels., à qui il ordonna en même temps d'amener trois autres Anglais qui se trouvaient dans l'île. FinauFidji se voyant retenu prisonnier, parut très-ému et commença à craindre qu'on ne t'emmenât dans le pays des Papalanguis, où l'on se vengerait sur lui du massacre de l'équipage du fo~SM-PWKee. Toutefois Mariner le rassura en lui disant, que comme il n'avait pas pris part à ce massacre, les Anglais étaient trop justes pour lui faire aucun mal. C'est vrai, répondit Finau-Fidji,et vous savez que j'aitou<' jours été votre ami; que je ne suis pas un traître, et que toind'aider à prendre un vaisseau papalangui je ferais tout mon possible pour m'y opposer. o Mariner en convint, ce qui rassura un peuFinau-Fidji; mais il n'en était pas de même de ceux qui se trouvaient dans les canots. Ils demandèrent à grands cris son élargissement, et il
fallut, pour apaiser leurs clameurs, que Finau vînt )ui-meme leur donner l'assurance qu'il était libre. Bientôt après arriva )e canot avec le journal et les Anglais, à l'exception d'un d'entre eux qui, vieux et infirme, et prévoyant qu'il aurait beaucoupde peine à gagner sa vie en Angleterre, aima mieux rester à Vavao, où il ne manquait de rien.
La sœur du roi, jeune fille de quinze ans, extrêmement enjouée, se rendit à terre, afin d'amener à bord du bâtiment anglais plusieurs femmes de chefs. Elle brûiait d'envie de voir les femmes blanches, et demanda, en plaisantant, si on voulait la mener en Angleterre. « Me permettrait-on, dit« elle, d'y porter ce costume de Tonga? n mais il ne serait pas assez chaud « dans un pays où il fait si froid pen't dant J'hiver. J'ignore ce que je de« viendrais alors; mais Togui m'a dit 't que vous aviez des serres pour les piantes des climats chauds, et j'y <- passerais toute cette saison. Pourrais-je me baigner deux ou trois fois par jour sans être vue? Croyez-vous « que je trouverais à me marier ? ma « peau brune ne répugnerait-elle pas aux jeunes Papalanguis? Ce serait grand dommage de laisser à Vavao <' tant ds jeunes et beaux chefs, pour al« ieren Angleterre vivre dans ie cetibat <' La seule chose qui m'engagerait à y aHer, serait pour amasser une grande K quantité de verroteries, et revenir à Tonga, car, ajouta-t-elle, cet or« nement est si commun chez vous qu'il « n'ajouterait pas à mes charmes, et je « souffrirais trop de ne pouvoir faire <' des jalouses.
Mariner fut chargé de différents messages de la part des chefs de Vavao pour ceux de Hapaï. Le roi lui recommanda de dire à Toubo-Toa de se contenter de la possession des îles de Hupaï, et de ne pas songer à conquérir Vavao. « Rappelez-lui de ma « part, que ie plus sur moyen de ren« dre une nation puissante et de la « mettre à couvert des attaques de ses « ennemis, est d'encourager l'agricul« ture; car elle aura alors quelque chose
« à défendre, et eUe saura combattre « pour Je conserver. Telle a été ma conduite, et je le détie de rien entre« prendre contre Vavao. »
Finau remit à Mariner un présent consistant en une balle de gnatou fin, cinq ou six colliers de verre, et trois nattes précieuses de Samoa, destiné par sa femme à Maû-Habé; après quoi it lit ses derniers adieux à son ami, en lui rappelant sa promesse, et on se sépara de part et d'autre en versant d'abondantes larmes.
Le bâtiment anglais mit presque aussitôt à la voile, se dirigeant vers les îles Hapaï, où il mouitta deux jours pour prendre quelques autres Anglais appartenant à l'équipage du .Pwi'-aMfrMtce. De là il se rendit aux îles Viti, atin d'y effectuer son chargement de bois de sandal. Après être resté six jours à Pau, il appareiita pour Macao, où il arriva cinq semaines après. Mariner ne possédait que 50 à 60 dollars (275 à 320 fr.) provenant du Port-au-Prince, et qui lui avaient été (tonnés par Mafi-Habé et un de ses amis à Lafouga. Cette somme étant insuffisante pour payer son passage en Angleterre, il se détermina à se mettre au service de quelque capitaine de la Compagnie des Indes, dont )e bâtiment serait en charge pour ce premier pays. Toutefois, le capitaine du navire le CM//Kf~ touché de sa malheureuse position, iui accorda ie passage gratis. H arriva au mois de juin 1811 à Gravesende, d'où il se rendit auprès de son père qu'il trouva en deuil de sa mère.
Au départ de Mariner, c'est-à-dire en 1810, s'arrête l'histoire précise et authentique de cet archipel. It paraît seulement qu'après des luttes longues et sanglantes, la guerre civile cessa par suite de la lassitude de tous les partis. Tonga-Tabou fut alors divisée entre trois différents chefs, qui restèrent indépendants en respectant leurs droits réciproques. Hâta se maintint chef de Hifo; Tarkaï, chef de Béa, laissa à sa mort ce district à son frère Tahofa, brave et rusé comme lui; le pere de Palou, dont le nom est ignoré,
s'installa dans le district de Moua, domaine des anciens Fata-Faïs, en ne laissant à véachi et à la tamaha, successeurs de cette ancienne famille, que de simples droits honorifiques. Dans Niokou-Lafa végéta le successeur de l'ancienne et puissante famille des Toubos; enfin le touï-tonga luimême, que Finau avait dépossédé enfant encore, ce dieu chassé de son Olympe, renversé de son piédestal, LaSti-Tonga, exilédeVavao, vécut désormais inconnu, presque oublié et reduit à un petit domaine patrimonial quant à Finau, il mourut peu de temps après le départ de Mariner, sans qu'on ait pu savoir encore qui a été son successeur.
Dans cette période d'années, peu de navires touchèrent sur cet archipel. Trois désastres accomplis et une foule de tentatives à grand'peine déjouées, avaient fait regarder cette terre comme fatale pour les armements européens. Ils l'évitaient ou ne l'abordaient qu'en tremblant. Enfin, en 1822, des missionnaires se montrèrent plus hardis, Je zèle évangétique donna l'exemple d'une intrépide initiative à la timidité commerciale. La société des méthodistes ou des sectateurs de Wesley se décida à envoyer une mission dans cet archipel. M. Walter Lawry, sa femme et deux artisans, Tilly et Tyndall, arrivèrent à Tonga-Tabou )e 16 août sur le ~'sm-;MeAae/. Accueillis favorablement par le chef Palou, ils s'établirent à Moua, et purent y construire une habitation agréabie et saine sur les bords de la mer. A peine installés, ils s'occupèrent d'améliorations agricoles et d'enseignements religieux. Mais un séjour de quatorze mois n'avait guère avancé la double besogne, quand la santé de madame Lawry exigea un changement de climat. Le missionnaire retourna à Port-Jackson; les deux artisans persistèrent; mais, menacés par les naturels, ils furent obligés bientôt, sur l'ordre même de Palou, de quitter le presbytère. L'un, Tilly, s'embarqua; l'autre, Tyndall, alla se mettre sous la protection de Hata, chef de Hifo.
D'autres missionnaires, envoyés p!us tard dans l'archipel, MM. J. Thomas et J. Hutchinson, trouvèrent, au mois de juin 1826, M.Tyndatt encore établi sur le district de Hifo. Ils s'y fixèrent eux-mêmes et recommencèrent t'œuvre de la conversion. Elle n'eut pas plus de succès. Hata se refusait non-seutement à donner l'exemple, mais il voyait encore de mauvais œit tes efforts que faisaient ses t)ôtes pour vaincre l'insouciance et l'antipathie des insulaires. Deux naturels de Taiti, chrétiens et apôtres, furent plus heureux auprès de Toubou, chef de Nioukou-Lafa; ils le baptisèrent, lui, sa famille et un grand nombre de ses sujets. Mais cet exemple n'influa point sur l'opiniâtreté des autres chefs; Toubo seul y perdit le reste de son autorité, déjà compromise par la timidité de son caractère.
Voilà quelle était la situation de Tonga-Tabou quand la corvette t'~strolabe y parut en avril 1827. L'intention du capitaine d'Urville qui la commandait, était de n'y faire qu'une courte relâche pour y régler ses montres marines et s'y procurer quelques provisions; mais la fatalité en avait ordonné autrement. Arrivée dès le 9 avril à la hauteur d'Ësa, la corvette française comptait mouitier le lendemain devant Pangaï-Nodou, quand une violente tempête du nord-ouest l'accueillit et la jeta hors de la route. Pendant dix jours entiers l'Astrolabe eut ainsi à lutter contre le vent et les courants. Enfin, le 20 à midi, à la suite d'un grain furieux, la corvette, poussée par une brise du sud-est, donna dans la passe de t'Est. Une ou deux heures encore, et elle atteignait le mouiitage; mais le vent ne s'y prêta point, Il mollit jusqu'au calme plat, livrant ainsi le navire au jeu des courants dans un chenal hérissé de récifs. L'Astrolabe, dressée par l'action des eaux, alla donner contre les brisantsdu nord. Une prompte manoeuvre l'en releva bientôt; mais le vent, revenu au sud-sud-est, tint la corvette adossée contre ce mur de coraux sous-marins, véritable rempart verticat; aux
accores duquel on ne trouvait point de fond à quatre-vingts brasses.
La situation était critique; le capitaine d'tJrvitte fit tout ce qui était humainement possible pour conjurer le danger. Des ancres à jet furent élongées mais le tranchant des coraux eut bientôt coupé tes.eâbtes, et les menues ancres furent perdues. Les deux chaînes seules résistèrent pendant trois jours et trois nuits; qu'un seul de leurs anneaux cassât, ett'a&e, broyée par ces récifs, livrait ses lambeaux comme une proie facile aux cupides insulaires, et tout cet équipage français demeurait à la merci d'une population dont on pouvait à bon droit suspecter la bienveiiiance. Adieu les grands travaux déjà accomplis, adieu les documents scientifiques, rassemblés à travers tant de fatigues et de périls! Une expédition importante pour le monde savant et maritime échouait ainsi presque ignorée sur un écueil de Tonga-Tabou Qu'on juge des angoisses du capitaine son agonie fut aussi crueite que celle de son beau navire. Cependant, dès les premières heures de l'échouage, l'Astrolabe avait eu'des visiteurs. Les premiers furent trois Anglais établis dans t'îte, Singteton, vieux colon de Tonga-Tabou, et compagnon deMariner, et deux autres, Read et Ritchett. Ces hommes, le premier surtout, offrirent leurs services au capitaine français ils lui furent utiles, et comme porteurs de paroles et comme interprètes. Après ces Européens, parurent des chefs, et Palou le premier de tous. Pour s'assurer quelques garanties contre une surprise, te capitaine d'Urville demanda que cet égui restât à bord comme otage, et Palou ayant accepté, te commandant lui céda sa propre chambre. Le chef Tahofa ne parut à bord de la corvette que le lendemain. Vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis que la corvette se maintenait dans son poste périlleux. Plus la situation se prolongeait, plus elle devenait horrible; les chaînes avaient déjà cédé, et, dans les profondes oscillations de la houle, le flanc droit du
navire allait s'abattre à cinq ou six pieds tout au plus du mur de coraux. Trois ou quatre heurts contre cette masse auraient suffi pour briser i'trolabe la coque eût été fendue et dispersée en lambeaux, la mâture effemême n'eût pas tenu devant le choc; en supposant un désastre de nuit, le nombre des victimes était incalculable. Le capitaine d'Urville réfléchit à cette affreuse ëventuaiité; il voulut au moins assurer, par une mesure de prévoyance, le salut d'une portion de son équipage. Encouragé par les protestations amicales des chefs, enhardi par les rapports des Anglais il se décida à envoyer la majeure partie de son monde sur la petite île de Pangaï-Modou, où elle aurait campé sous la protection de Tahofa, tandis qu'il resterait iui-même à bord avec Palou et le reste des Français pour attendre l'événement. Ce qui le faisait incliner pour cette résolution toute d'humanité, c'est qu'aucune manœuvre n'était désormais ni possible, ni utile pour le salut commun; il fallait attendre les bras croisés, et faire seulement des vœux pour la bonne tenue des ancres; si elles maintenaient la corvette jusqu'au changement de la brise, on pouvait appareiller et quitter cet écueil avec les hommes qui restaient.
La portion de f'équipage désignée pour le débarquement avait déjà préparé ses bagages, quand arriva à bord l'artisan attaché à l'établissement des missionnaires. A la vue de la chaloupe prête à déborder, il interrogea les marins sur sa destination, et lorsqu'il la connut « Vous voulez donc faire périr votre monde, dit-il vivement au capitaine d'Urville, ou tout au moins le faire dépouiller complétement; tant qu'ifs ne seront pas nus, ils courront danger de la vie. » A cela le capitaine repondit qu'il avait cru pouvoir se confier aux bonnes dispositions de Tahofa et de Palou, et aux assurances favorables des Anglais. Commandant, répliqua l'interlocuteur, ne vous liez en aucune sorte à ces gens-là. Les insulaires et leurs chefs sont des hommes perfides, et les Anglais qui les sou-
tiennent ne valent guère mieux; d'aUleurs, quand Tahofa et Palou seraient de bonne foi, leur autorité serait méconnue par la population. On vous -pillera tous, vous dis-je, et si vous vous défendez, on vous tuera. Cet homme paraissait bien informé le capitaine rénéchit à ses paroles. Déjà, d'ailleurs, à la vue des bagages qu'emportait la chaloupe, les naturels, paisibles jusque-là, avaient fait entendre de longs murmures. lis semblaient convoiter tant de 'richesses avec un oeil farouche, et la crainte d'un péril était bien peu de chose pour eux auprès de la perspective d'un tel butin. A l'aspect de ce mouvement, le capitaine n'hésita plus. A l'instant même un contre-ordre fut donné. Les matelots, déjà descendus dans les chaloupés remontèrent à bord; on hissa les bagages et les malles. L'équipage de l'Astrolabe ne devait avoir désormais qu'une seule et même fortune seulement, pour sauverd'un sinistre possible les travaux de l'expédition, le commandant fit emballer dans une caisse en tôle les papiers, les journaux, les documents scientifiques, et les embarqua dans le bot. Un matelot du bord et l'agent des missionnaires, décidé non sans quelque peine, se chargèrent (!e les transporter à Hifo, où ils devaient être mis sous la sauvegarde de MM. Thomas et Hutchinson. Ainsi la partie du voyage qui intéressait le monde savant n'était pas perdue. Le bot, d'ailleurs frêle et petite embarcation, n'était presque d'aucun secours en cas de bris sur les écueils.
Le bot était parti à peine que la brise fraîchit et que le ressac augmenta. L'ro~a&c présentait l'aspect le plus sinistre; les matelots jusque-tà assez confiants, ayant trouvé dans les échanges avec les naturels une distraction aux périls qu'ils couraient, ne purent pas s'abuser pourtant sur l'imminence d'un naufrage. Cette nuit fut une nuit de transes. Le capitaine continua à prendre toutesles mesures de précaution indiquées. Vers le soir on descendit dans la yole les montres marines, quelques instruments, les instructions
officielles, les lettres de recommandations des divers gouvernements, et ce nouveau convoi d'objets fut dirigé sur l'établissement des missionnaires sous la conduite d'un officier du bord. En même temps, pour prévenir le désordre d'un embarquement nocturne, on ordonnait à la moitié de l'équipage de se jeter dans les embarcations. Si l'événement funeste arrivait, toutes les mesures étaient prises, tous les ordres étaient donnés.
Cette nuit affreuse finit, et le jour survint sans que la situation fût changée. Au milieu de cette crise, les chefs Tahofa et Palou restaient toujours à bord, bien traités, bien repus, faisant honneur au vin et au rhum du capitaine. Le sort de la corvette semblait fort peu les préoccuper; ils avaient l'air indifférents au spectacle de ce beau navire se débattant contre la mort, se roulant sur ses ancres à quelques pas de l'écueil. On eût dit à les voir que ce drame ne pouvait les toucher en aucune sorte. C'était pour eux, toutefois, comme pour d'autres chefs dont la joie secrète se trahissait mieux, une question de pitiage et de fortune. Mais nul symptôme ne décelait chez eux ni désir ni crainte ils se montraient toujours affectueux, graves, bienveillants, prêts à réprimer l'importunité des naturels qui voulaient forcer la consigne. Un troisième chef, qui survint et que les Anglais présentaient comme ie chef le plus puissant de l'île, témoigna une impassibilité bien plus grande encore. C'était un nommé Lavaka, homme d'une grande nullité, influent seulement par ses richesses.
Le missionnaire Thomas, qui parut dans la journée du 22, conduisait avec lui le chef Toubo ce seul égui chrétien de rite Toubo semblait se trouver mat à son aise vis-à-vis des trois chefs ses rivaux; il ne cessait de les dépeindre comme des hommes fort dangereux sa haine contre eux n'allait pas toutefois jusqu'à vouloir les affronter en face. Réfléchissant à la situation le capitaine d'Urvitte comprit que s'il pouvait intéresser à sa cause un seul
des chefs qui se partageaient TongaTabou, avec son renfort d'hommes, de fusils et de canons, il pourrait, un malheur arrivant, se créer un parti dans Hie, avec des chances pour vaincre ou pour neutraliser les autres. Il proposa donc à Toubo une alliance offensive et défensive; il lui offrit de combattre pour lui, de le réintégrer dans ses droits de touï-kana-kaboio, et de lui assurer la prépondérance sur ses voisins. A de telles propositions, i] fallut voir ce pauvre Toubo et son ami le missionnaire se récrier d'étonnement et d'effroi « Ne songez pas à cela dirent-ils, Tahofa et Palou sont trop puissants pour qu'on les brave. Nous nous perdrions sans vous sauver. Eh bien insista le commandant, en cas de sinistre, quelle conduite faut-il tenir? AeepyoM7't'/Mp/ f conservez votre navire, répliqua le missionnaire. Eton ne put pas ie sortir de là Keep your ~:p/!< Le capitaine n'avait plus a prendre conseil que de iui-meme. Il laissa M. Thomas et )e chef Toubo livrés à leurs prudentes inspirations. Affectant l'air calme pour rassurer t'équipage, il parut s'absorber dans un travail de classement, que faisaient alors les naturalistes du bord, comme s'ils eussent été dans leur cabinet.
Cependant )e 22, entre trois et quatre heures, le vent ayant paru varier, toutes les voiles hautes et basses furent mises dehors. Les canots agirent sur t'ayant de la corvette, et l'on fila les amarres par le bout. Un instant on crut que I'o~a6e se détachait du récif; mais quel rude mécompte, quelle consternation, lorsqu'au bout de huit ou dix minutes la corvette donna sur l'écueil! Elle n'avait que quatre pieds d'eau sous la poulaine. Cette fois c'en était fait: i'échouage si longtemps évité se trouvait accompli il ne s'agissait plus que de forcer les chefs sauvages à des explications décisives et catégoriques. Prenant sur le champ son parti, le capitaine lit descendre dans la chambre les trois chefs, Palou, Tahofa et Lavaka; il ne leurcacha pas fa situation où se trouvait son bâtiment,
leur demanda ce qu'ils comptaient faire, les adjura de protéger l'équipage que la force majeure allait jeter sûr leurs côtes. I) leur promit de ne pas leur disputer les objets que contenait le navire, pourvu qu'on iaissât aux Français ce qui leur était nécessaire pour pouvoir regagner leur patrie. Les chefs écoutèrent avec attention; puis, 1 l'orateur du triumvirat, Palou prit la parole. Au nom de ses collègues et au sien, il accéda à l'espèce de compromis formulé par le capitaine. Mais il insinua que la bienveillance )e guidait en cela plus que la cupidité, et qu'il périrait plutôt que de laisser mattraiter ses amis les Français. En effet, au moment de l'échouage, une foule de pirogues s'étaient précipitées sur i'oM&e, comme sur une proie facile à peine monté sur le pont, Palou leur signifia d'un ton ferme de se retirer. Un heureux incident voulut que les bonnes dispositions des trois chefs ne fussent pas mises a une plus longue épreuve. Pendant que durait ia conférence, on avait pu ressaisir les amarres filées par le bout, au moment de l'appareiiiage. Quand le capitaine d'Urville reparut sur le pont, ia corvette était a Hot dans la même position que ia veille, toujours exposée sans doute, mais non désespérée. Ce premier bonheur releva tous les courages. Dégagée d'une façon presque miraculeuse, t'strolabe n'était pas destinée à périr; elle devait achever son utile et rude campagne.
En effet, la nuit suivante se passa sans que la situation eût empiré; le lendemain 23, on s'écarta des récifs, de quelques toises. Enfin, le 24, après quatre-vingt-quatorze heures d'angoisses, la corvette, au moyen de quelques risées folles du nord-est et de la touline des embarcations, put quitter les accores de ce triste récif, et reprendre ientementie chemin du mouiiiage.Dans l'intérieur des passes, elle toucha encore, mais avec bien moins de danger; elle fit encore deux ou trois haltes, et ne jeta i'ancre devant la petite îie de Pangaï-Modou que le 26 au soir. Pendant toute la durée de ce péril,
les trois chefs tongas n'avaient pas démenti un seul instant leur conduite affectueuse des premiers jours. Au plus fort de la crise, on a vu ce que le capitaine d'Urville obtint d'eux; quand elle se fut dénouée heureusement, ils s'en réjouirent d'une façon qui parut sincère. Quelques présents faits a propos semblèrent les gagner mieux encore. Le même accord régnait entre les équipages et les naturels; la décence et t'honnêteté présidaient aux échanges. A diverses reprises, les officiers et les naturalistes s'étaient rendus à terre; ils y avaient même passé la nuit sans qu'aucun acte de violence vînt autoriser le soupçon. Matgré tous ces gages donnés, le capitaine continuait son système de surveillance et de précaution les filets d'abordage demeuraient toujours tendus; les sentinelles se relevaient régulièrement avec des consignes rigoureuses.
Rassuré par ces dispositions, le capitaine put songer à des travaux d'un autre ordre. Son désir était bien de quitter au plus tôt cette île funeste; mais les menues ancres, laissées devant le récif, étaient une pertè tellement irréparable pour la corvette, qu'il voulut essayer au moins d'en retirer quelques-unes du fond de l'eau. Pendant plusieurs jours les cbatoupes y travaillèrent avec plus de peme que de succès. D'autres embarcations étaient aussi employées, soit à des relevés géographiques, soit au ravitaillement 3u bord.. rf
Dans la première semaine, les officiers et les naturalistes se rendirent seuls à terre, où on leur fit le meilleur accueil. Le capitaine persistait à garder le bord pour qu'on ne s'y relâchât pas du système de défiance qu'il avait etabli. Enfin, le 4 mai, il s'embarqua sur la Baleinière pour aller rendre une visite aux missionnaires de Hifo; la journée fut longue et fatigante. It fallut faire une portion de chemin avec de l'eau jusqu'à mi-jambe. Les missionnaires se montrerent empressés et polis. Ils conduisirent le capitaine au Pangaï, belle maison publique d'une grande étendue, au faïtoka de Mou-
Moui et aux chapelles des Hotouas. Une entrevue avec Hota, le chef de ce district, termina cette excursion. Les jours suivants le capitaine visita encore Nioukou-Lafa, Mafanga et Moua. Cette dernière course fut faite avec une sorte de cérémonie. Le chef Palou avait, à diverses reprises, témoigné le désir de recevoir le navigateur français, et le jour de cette audience avait été réglé avec une espèce d'appareil. Le commandant, les officiers en uniforme s'embarquèrent le 9 mai dans le grand canot. Mais au lieu de trouver sur les lieux une foule empressée, un hôte affable et gai, des jeux, des festins, des danses, des fêtes, les Français ne rencontrèrent que quelques hommes du peuple, quelques femmes ou enfants. Palou les accueillit avec un air sérieux et contraint. tt offrit un pauvre kava à des hommes qui avaient besoin d'une politesse plus substantielle. Il se tint sur la réserve, lui jusque-là cordial et communicatif. Pour pallier le mauvais effet de cet accueil, t'intreptète annonça au commandant que Palou avait naguère perdu un de ses enfants, et qu'il était menacé d'en perdre un second. Cette explication vraie ou fausse satisfit le capitaine. Il poursuivit son rôle d'explorateur, visita les tombeaux de Finau, Je TougouHao et de Tafoa, monuments assez mat entretenus et cachés sous les buissons qui les enveloppaient. Du reste, ils différaient peu de ceux de Hifo, et cette promenade à terre aurait offert un assez médiocre intérêt sans une visite que M. d'Urville rendit à la tamaha.
Je fus, dit ce savant navigateur, conduit à la résidence de la tamaha, située dans une position fort agréable au bord de la mer, dans le petit village de Palea-Mahou. La tamaha, dont le nom propre est FanaKana, me reçut entourée de ses femmes et avec là plus aimable politesse. C'est une femme de cinquante-cinq à soixante ans. qui a dû être trèsbien dans sa jeunesse et qui conserve encore les traits les plus réguliers, les manières les plus aisées, et je dirai
même un mélange de grâces, de noblesse et de décence, bien remarquable au milieu d'un peuple sauvage. C'était d'elle que j'attendais les renseignements les plus précieux, et je ne fus pas trompé dans mon attente.
Elle se rappelait avec beaucoup de satisfaction )e passage des vaisseaux de M. -d'Entrecasteaux, qu'elle avait visités avec sa mère, veuve du touïtonga Poulaho. Le nom de yt~ que donne ce navigateur à la soeur ainée du même Poulaho, qui occupait alors le premier rang dans Tonga, s'est trouvé d'abord inconnu, non-seulement de la tamaha, mais encore de tous ceux qui se trouvaient présents à l'entretien. Il paraît cependant qu'il aurait eu rapport à Tineï-Takata, qui avait alors Je rang de touï-tonga-fafiné.
La tamaha ne se souvenait que confusément des vaisseaux de Cook, n'ayant alors que neuf ou dix ans, ce qu'elle m'exprimait en me montrant une jeune nue de cet âge.
Alors je voulus savoir si, entre Cook et d'Entrecasteaux, il n'était pas venu d'autres Européens à Tonga. Après avoir réfléchi quelques moments, elle m'expliqua très-chirement que peu d'années avant le passage de d'Entrecasteaux, deux grands navires, semblables aux siens, avec des canons et beaucoup d'Européens, avaient mouiiié-à Namouka où ils étaient restés dix jours.. Leur pavillon était tout blanc et non pas semblable à celui des Anglais. Les étrangers étaient fort bien avec les naturels; on leur donna une maison à terre où se faisaient les échanges. Un naturel, qui avait vendu, moyennant un couteau, un coussinet en bois à un officier, fut tué par celuici d'un coup de fusil, pour avoir voulu remporter sa marchandise après en avoir reçu le prix. Du reste, cela ne troubla point la paix, parce que le naturel avait tort en cette affaire. Les vaisseaux de la Pérouse furent désignés par les naturels sous le nom de ~o:ic! de même que ceux de d'Entrecasteaux )e furent sous celui de ~'eMgf: (dérivé de général).
58' .M'c'~M?. (OCE~NIE.) T. Ur.
« Dès lors, il ne me resta plus de doutes que la Pérouse n'eût mouillé à Namouka, à son retour de Botany-Bay, comme il en avait eu l'intention. » Pendant que le capitaine d'Urville utilisait ainsi ses visites à terre, les officiers, les naturalistes, le chirurgien, le dessinateur de l'Astrolabe se livraient,de leur côté, à des recherches spéciales. Ils restaient sur TongaTabou une partie de la journée, et souvent même ils s'arrangeaient pour y passer ia nuit chez un de leurs ofas ou amis. Aucun incident fâcheux ne fit d'abord regretter cette confiance; mais bientôt survinrent des embarras d'un autre genre, plus graves et plus généraux.
Livrés à leurs seules inspirations, peut-être les naturels seraient-ils demeurés avec les Français dans les termes de bienveillance simulée, et probablement de sourde convoitise, qui les avaient caractérisés jusque-ià. Apres trois semaines de relache, l'Astrolabe seraitrepartie, ayant plutôt à s'en louer qu'à s'en plaindre; mais la trahison s'en mêlant, leur attitude changea; de calme elle devint offensive.
Pour expliquer cette réaction, il faut savoir que l'équipage de la corvette, hâtivement rassemblé à Toulon, comptait quelques mauvais sujets tirés dés cachots pour finir leur temps dans un voyage de découverte. Pour le malheur et le déshonneur de l'expédition, il y avait là des hommes capables de la trahir au profit des sauvages, sauf à partager avec eux ses dépouilles. Le capitaine d'Urville savait cela il avait voulu éviter, autant que possible, tout rapport trop familier entre ses marins et les chefs de l'île; il désirait surtout abréger son séjour, pour que le temps manquât à de mauvais desseins; mais t'échouage et les travaux qu'il nécessita, la drague des ancres, le manque de munitions et de vivres trompèrent ses calculs; il fallut s'attarder sur la route de Pangaï-Madou, et les défais furent utilisés par les déserteurs et les traîtres.
Un complot se forma; il poussa de telles ramifications dans t'tte, que le 8
capitaine en fut informé par un message des missionnaires; son parti fut pris. Prévenu le 12, il résolut d'avancer son départ, d'appareiller le 13, et non le t4, comme il l'avait annoncé. En même temps il iit redoubler la surveillance de jour et de nuit, afin que personne ne pût quitter le bord. Le 13 donc, vers huit heures du matin, tout était prêt pour t'appareiltage. Il restait encore à envoyer la yole a terre pour y prendre le chef de timonerie et quelques sacs de sable. On t'y expédia. En jnême temps, faisant ses adieux aux chefs venus à bord comme de coutume, le capitaine leur distribua quelques derniers présents. On se sépara avec tous les dehors d'une bonne intelligence. Les chefs semblaient regretter [gs Francais; mais rien n'indiquait qu'Us voulussent les retenir par la violence.
Les choses en étaient là à neuf heures du matin, quand un bruit confus et. subit s'éteva de la plage. Les insulaires attaquaient la yole et cherchaient à entrainer les matelots qui la montaient (voy. 212). Ceux-ci, vaincus par le nombre, cédèrent; alors le capitaine ordonna que le grand canot fût armé; vingt-trois hommes s'y embarquèrent sous les ordres des officiers Gressien et paris. Le chirurgien Gaimard voulut se joindre à eux mais vainement cette petite troupe ebercha-t-elle à couper la retraite aux ravisseurs. Les sauvages échappèrent avec leur proie (voy. p<. 213). D'ailleurs le grand canot tirait trop d'eau pour pouvoir accoster la terre. A quelque distance, il fallut que l'équipage se jetât àl'eau etfît de làuM guerre de tirailleurs contre les sauvages qui tiraient de la grève. Quand cett( petite troupe fut arrivée en terre ferme tout avait disparu, sauvages et Euro p~ens. Tout ce qu'elle put faire, fut di recueillir trois hommes, le chef de ti monerie, l'élève de marine Dudemaim qui avait passé la nuit chez son ofa et un jeune matelot nommé Cannac Les autres demeuraient prisonniers Cette scène, rapidement accomplie, tu cependant caractéristique, en ce sen qu'on ne put point douter du concour
de Tahofa dans cette surprise. Ayant rencontré l'élève Dudemaine, il lui asséna un grand coup de poing. Plus humain vis-à-vis de Cannac, et touché sans doute de son extrême jeunesse, il lui permit de réjoindre l'équipage du grand canot. Le nombre des captifs se réduisait alors à neuf personnes, l'élève Faraguet et huit matelots. Cette attaque subite des naturels fût restée une énigme pour les Français, si l'on ne se fût aperçu qu'un des matelots de l'Astrolabe, un mauvais sujet, nommé Simonnet, avait déserté. D'après l'explication que recueillit depuis le capitaine Dillon, Simonnet, dont la fuite était méditée de longue main, se glissa le 12 au matin, dans une des pirogues de Tahofa, et un des canotiers de la yole,'nommé Reboul, suivit son exemple à terre. Tahofa allait ainsi avoir deux Européens à son service, avantage rare et fort apprécié dans le pays. La jalousie des autres chefs s'en était émue; ils avaient voulu se ménager une compensation, en enlevant les hommes de la yole. Telle est du moins l'excuse donnée qu capitaine anglais. Quant à la complicité de Simonnet, elle était évidente, et il s'en cachait si peu, que l'élève Dudemaine l'aperçut parmi les naturels, armé et habitte, tandis que les autres matelots avaient été dépouillés complètement. Après avoir incendié les habitations des îles Pangaï-Modou et Manima, le grand canot revint à bord vers les trois heures et demie, et en repartit L presque sur-le-champ, armé d'officiers, de maîtres et d'officiers mariniers, hommes sûrs etéprouvés. Danst'impossibitité où l'on était d'attaquer Tahofa dans sa forteresse de Béa (voy. 1M), la petite troupe de vingt hommes bien armés devait marcher le long du rivage, brûlant les habitations, et les pirogues, tirant sur ce qui résistait, e épargnant les vieillards et les femmes. Le but du capitaine d'Urville était alors d'obtenir par la terreur la restitution des prisonniers.
it L'expédition fut conduite avec ins telligencc. Les villages de Nougous Nougou et d'Oléva furent livrés aux
flammes (voy. pl. 198); cinq belles pirogues furent détruites puis le petit corps marcha vers Mafanga. Mais à mesure qu'on approchait du lieu saint, les naturels; qui avaient fui jusque-)à, se rassemblaient et résistaient. Un Français du détachement, le caporal Richard, s'étant aventuré dans un taillis', à la poursuite d'un sauvage, se vit assailli par huit d'entre eux, cerné, assommé avec leurs massues et criblé avec leurs baïonnettes. Transporté à bord, ce malheureux mourut dans la nuit et fut enterré le lendemain sur t'nePangaï-Modou. Cette perte rappela les Francais à des mesures de prudence. Engagés au milieu de halliers, ils recevaient ia fusillade ennemie sans pouvoir lui répondre avec avantage. D'aiUeurs cette guerre d'embuscades n'aboutissait à rien. L'incendie des villages suffisait pour jeter la terreur dans la contrée. Pour le premier jour, c'était une représaille utile. Le lendemain, il fallait aviser à des moyens décisifs.
Le capitaine d'Urville savait que Mafanga était le lieu saint de l'île, et que, si on l'attaquait, Tonga-Tabou tout entière serait intéressée à la querelle. Ainsi les divers chefs interviendraient dans une affaire où Tahofa jusqu'alors s'était trouvé seul mêlé, et les jalousies rivales, autant que le désir de sauver le sanctuaire indigène, pouvaient amener la prompte restitution des prisonniers. Malgré tout le danger d'une côte bordée de récifs, le capitaine résolut de canonner Mafanga. Pendant qu'on se préparait à cette attaque contrariée par les vents du sud-est, une pirogue ramena à bord l'élève Faraguet et l'interprète Singleton. L'officier français avait été le captif de Palou, qui,"n'ayant pu iedécider à se fixer auprès de lui, le renvoyait à bord de t'o~a6e. Aucun doute ne resta alors sur le chef du complot. L'honneur en revenait tout entier à Tahofa et à ses mataboulès. Singleton ajoutait même que les autres chefs avaient censuré sa conduite dans le conseil du matin. Mais Tahofa était )e Napoléon, l'Achille de Tonga;
il pouvait faire la loi, seul contre tous. Par une sorte de compromis, Singleton se disait autorisé à promettre que tous les hommes qui se refuseraient à rester dans le pays, seraient rendus à P~ro/a&e. Le capitaine d'Urville crut une pareille transaction indignede lui. On y reconnaissait la main de Simonnet qui demandait presque une capitulation personnetie. « Aucun des hommes que le roi m'a connés dit-il à Singleton, ne restera à Tonga-Tabou Si demain tes chefs des insulaires ne sont pas à bord, Mafanga sera canonné. » En effet, le 15 la corvette s'embossa comme son capitaine l'avait dit, hissa la grande enseigne et l'appuya d'un coup de canon. Les naturels y répondirent en ajoutant plusieurs pavillons blancs au bout de longues perches. Dans l'espoir que ces pavittons étaient un signal de paix, on envoya le canot à terre; mais un coup de fusil, qui perça le canot de part en part, trahit les véritables dispositions des insulaires. Il fallait que la force coupât court à tant de perfidie.
Le canon tonna le lendemain 16, dans la matinée. Trente coups de caronade furent tirés tant à boulet qu'à mitraille (voy. pl. 211). La première décharge coupa en deux une branche d'un grand figuierqui ombrageait le malaï, alors place d'armes de Tahofa. Sa chute fut saluée par des cris aigus et perçants, que suivit un profond silence. Abrités derrière un rempart de sable, ou dans le creux de quelques fossés improvisés, les sauvages ne souffraient pas beaucoup de ce feu, et ils y gagnaient quelques boulets enterrés dans les sables. Dans t'après-midi, la corvette se trouva si près du récif, qu'à la marée basse les naturels pouvaient s'approcher d'elle à une distance de vingt toises. Pendant les trois jours qui suivirent, i'roMe se maintint dans ce poste critique. Le temps, beau jusquetà, était devenu incertain et tempétueux le vent soufflait par rafales violentes, et menaçait de jeter le navire sur ces récifs où la mer déferlait avec violence. C'était une épreuve non moins péritteuse que celle à laquelle on 8.
avait naguère échappé. En cas de siriistre, on n'avait pas même de quartier à espérer cette fois: on était en guerre ouverte, et peut-être l'ennemi avait-il des morts a venger. Secouée par le ressac, la corvette semblait à toute minute près de se détacher de ses ancres pour aller se heurter contre les pointes du banc. L'équipage paraissait inquiet, préoccupé on eût dit qu'il regrettait le sort des camarades captifs que l'on apercevait de temps à autre sur la greve; tout le monde voyait l'avenir en noir. Cette guerre faite à deux pas de l'écueil, ces décharges d'artillerie qui, de temps à autre, rompaient le silence de la terre et du bord, cette incertitude de l'avenir, cette obstination des chefs tongas, tout saisissait, tout attristait la pensée; on en était venu à craindre L-n complot parmi les marins, et le capitaine d'UrviIte allait renoncer peut-être à son projet, quand une petite pirogue déborda de la plage vis-à-vis Mafanga, dans la journée du 19 elle portait un des matelots, le nommé Martineng, qui venait, de la part de Tahofa, promettre au capitaine la restitution des prisonniers, s'il consentait à suspendre les hostilités le canon de retraite de la veille,
charge à mitraille, ayant tué un chef inférieur, cet incident avait déterminé des ouvertures pacifiques.
Elles furent conduites à bonne fin. L'un des mataboulès de Tahofa, WaïTotaï, vint tout tremblant expliquer qu'il était impossible de restituer les déserteurs Simonnetet Reboul alors en -fuite, mais que les autres Français allaient être rendus. Jaloux de quitter les acores de t'écuei), le capitaine d'Urville passa sur cette difficulté. I) fit semblant d'oublier aussi les objets enlevés dans )e pillage de la yole. Un canot alla vers Mafanga pour recueillir les prisonniers ils arrivèrent dans ie plus bizarre accoutrement, revêtus d'étoffes indigènes que Tahofa leur avait fait donner, après qu'on les eut dépouiUës de leurs habits. Tirée ainsi de ce mauvais pas, le lendemain, 21 mai, l's<rMa6e quittait TongaTabou, après un mois de désastreux séjour, échappée à tous les périls et à toutes les misères, le naufrage, la guerre, la révolte.
Nous empruntons au savant et intrépide M. Gaimard le tableau suivant des chefs de l'archipel, qu'il a recueilli durant l'expédition de t'~ro~t&f
TABLEAU DES PRINCIPAUX CHEFS DE TOJfCA-TABOU, ~M/~ s~~ les noms de leurs districts, de & héritiers de leur puissance, et de leurs ~'Mcyau~ mataboulès.
NOMS NOMS NOMS NOMS NOMS des a< ~premiers '*MMB3. BftITTJ~. MtTtMTLtt. Ata. mfo. Pn, Lato..F~haoa. Ko~M. Palou. M.UA. K~n~a. KMM.Gat. M..).ub.. Tahof. Ma. Ma<l. Kaou. Ka.ouKoulitajM.
Lava~ BM. ]<aot,.0,.rionri. TMun-ha.mhifo. To~ To.b..u. N~aMa. M~a. Mafo. tn~M.0~. Maïa. Facfa. Ot. To.I.Fotogot. T..oM.ha-T.ba. Va~a. Ouma. FtMu-M~uJalo.. Naou-;noukay.i.. Ah~. T.Vagan. Nougou-Nougou. Lato~ V,M,m~t< T.ht. N~ou. Ha~ Finau. M..Mo: Mo~.to.ha. T..i.F.ua. Nayc.-T.ka. Hifo. Kcti<,u.M.uh~.Ma6c. ~!ahaf< VaM. L~n. Finau.Tah~ Mo~. jKai.o.-Kava. M~gMa. Fo.tcM. M.tafa! Toh.. T..b<,u.Maf. 0~Ha. M.ata.K.~u. M.I.To.ui. M.t.u-Apo.aka. T~.i. ,M.mMf. Mah<,ki. K.G~.ch.. Faga-FtLnoua. Mafan~ FeM. p~ou. T.Mi.Me. T~-T~a. O~a. FiMa. F~aMa-F~. A~a. raM..M.ho~ Ah-Valou. V.Papa)a~ ~.Le.a:. Mooutam.u. Foua-M.h.u. Finau.I.~)~ VehiMt. A),o. ~ouM-To~a.. B.~ao. Pop.a. N.ap.intd-.nfa~
Le capitaine Waldegrave, commandant le sloop de guerre le SeringapatMam, mouilla à Pangaï-Modou vers la fin de mai 1830; if n'eut que des re!ations pacifiques avec les indigènes. Le touï-tonga avait reparu à Tonga-Tabou et, quoique Tahota fût encore le chef
le plus puissant, une réaction avait eu lieu en faveur de Toubo, chrétien dévoué, et on lui avait restitué ses priviléges de famille. Nous verrons bientôt que l'établissement solide du christianisme a amené un autre ordre de choses.
Waldegrave fut invité à une fête remarquabie que donna au touï-tonga un chef de Mori, nommé Parton, à son retour des îles Hapaï. Voici le récit du capitaine
"A neuf heures du matin, le tomtonga s'était assis sous une vaste maison à kava, bâtiment ovale ouvert de toutes parts, et ses officiers s'étaient rangés sur les côtés. A sa droite, se p!aça une femme âgée chargée de le servi):. Le bâtiment n'était pas tout à fait au milieu de l'enclos. En face, et à vingt-cinq toises environ du touïtonga, étaient disposés par terre deux grands verres à kava, et de chaque côté, en demi-cercle, se tenaient accroupis les chefs et les principaux personnages derrière eux, le reste de t'assemblée était debout. Une sorte d'échanson en chef, à gauche du touïtonga, annonçait à haute voix le nom de la personnne à laquelle chaque coupe de kava devait être portée., à mesure qu'elle était remplie, et les porteurs allaient la porter en s'accroupissant. .< Le kava uni, une partie de jeu eutlieu entre deux bandes de chefs, chacune de vingt individus le touï-tonga se trouvait dans l'une d'elles. Le jeu consistait à ficher perpendiculairement des lances sur un pieu épais d'un pied environ et planté dans le sol. Le joueur se place à quinze pieds environ de la marque, et vise ensuite à toucher d'une manière perpendiculaire cette sorte de cible. Le premier envoya sa lance horizontalement, puis les autres de manière à ce que leurs pointes tombassent dans un sens vertical. C'était un tour d'adresse fort difficile sur vingt lances, cinq seulement réussirent dans l'une et l'autre bande. La partie était en trente coups; mais aucune des deux troupes n'atteignit ce nombre, quoiqu'on eût recommencé plusieurs fois. Le touï-tonga planta une lance, et Parton deux. Quand le jeu fut fini, on porta dans l'enceinte des cochons que J'en compta, et que le toui-tonga distribua ensuite; nous en reçûmes quatre avec des ignames à proportion. Après le dîner, les danses commencèrent. A la nuit, on se remit de nouveau dans t en-
dos, qui fut éciaire par des hommes portant des torches. La cour, placée au centre du cercle, consistait en trente ou quarante hommes. Le chef d'orchestre avait trois bambous creux placés à terre, sur lesquels il battait; d'autres faisaient tabasse, en frappant contre le sol d'autres bambous fermés dans leur partie inférieure; d'autres claquaient des mains en guise de cymbales le chef chantait une note de ténor, dont le son se faisait entendre sans interruption. J'essayai en vain d'apprendre comment cela s'exécutait. La mesure était parfaite et les voix en cadencé très-exacte. Durant cinq heures, le chœur ne changea que deux fois. La danse commença par des femmes rangées en cercle,' faisant face au chœur, observant parfaitement sa mesure, et l'accompagnant avec un chant. Les mains et la tête dans un mouvement perpétuel, ces femmes gardaient les attitudes les plus gracieuses, tantôt se détournant légèrement, d'autres fois faisant un tour entier ou un demi-tour sur elles-mêmes, de la facon la plus harmonieuse. Quatre-vingts femmes figurèrent dans chaque danse, et chacune d'elles remuait la tête au même instant et de la même manière. La mesure, lente d'abord, devint par degrés plus vive, jusqu'à ce qu'elle se précipitât rapidement; de la tête aux pieds, le corps semblait éprouver des convulsions enfin, cette danse finit par une acclamation générate.
« Une autre danse, avec un nombre éga) de femmes, suivit celle-là, et fut suivie par quatre danses d'hommes. La seu!e différence des unes aux autres, c'est que les hommes agitaient fréquemment leurs pieds, tandis que les femmes les détachaient à peine du sol. Cela formait un spectacle char mant. Les femmes n'étaient vêtues que de la ceinture aux pieds, les bras et le sein nus, et découvrant ainsi leurs beaux bustes aux regards des spectateurs. L'habillement, riche et drapé avec goût, consistait en bandes de tapa, ornées de verroteries et de fleurs. ]\ous primes beaucoup de plaisir à assister a leur toilette, et ce fut un passe-
temps agréabie pour nous d'examiner les ornements à mesure qu'on les apportait. Nous les admirâmes ainsi un a un, jusqu'au moment où, pour dernier ravinement, on versa des flots d'huile de coco parfumée de bois de sandal sur leurs têtes, sur leurs épaules, sur leur cou et sur )e reste du corps. Ces femmes nous parurent modestes, mais affables. La fille de Parton présidait à l'une des danses, sa sœur à l'autre; c'étaient, deux charmantes créatures de quinze ans environ. Le toui-tonga presida à l'une des danses d'hommes; son fils, enfant de onze ans, à une autre. Il faut de ]a vigueur pour danser et chanter en même temps, surtout vers la fin des figures. J'essayai d'accompagner- Je chant durant un quart d'heure, et j'en fus fatigué, quoique assis. Les hommes étaient vêtus uniformément, à part les chefs de bandes. Ils n'avaient de découvert que les bras; le reste étuit entouré d'étoffés. La quantité de tapa enroujé autour de la ceinture était si considérable, qu'eife se projetait de six pouces au dehors, et masquait entièrement les formes. A onze heures et demie, la danse cessa.
De Tonga-Tabou, Waldegrave se dirigea sur Vavao, et descendit à terre pour y prendre des renseignements sur deux navires baleiniers qui avaient été attaqués naguère par les indigènes de Tonga. Il demanda raison aux chefs du pays de l'insulte faite au pavillon britannique. Écoutons la fin de sa relation
« On me conduisit, dit-il, dans une grande maison à kava, où je trouvai le roi assis. Un Anglais nommé Brown était à sa gauche; de chaque coté se rangeaient les principaux chefs, et en face les moins élevés en rang. Autour de la maison, sur la pelouse, entre ie faïtoka du feu roi et la maison du kava, se groupaient trois mille hommes du peuple. Le roi me pria de m'asseoir. Debout devant lui, avec mon chapeau sur la tête, ainsi que mes officiers, je lui répondis a Le roi Georges m'envoie 1 pour vous demander, Finau, pourquoi ) 1 vous avez massacré le capitaine de (
l'Élisabeth et les baleiniers du RantMer? puis-je m'asseoir jusqu'à ce que vous m'ayez dit pourquoi vous avez commis ces horribles meurtres ?" A ces mots, Finau se mit à trembler autant de crainte que de colère. C'était la première fois qu'on l'interrogeait de la sorte devant son peuple. « Voyez ce prêtre (un missionnaire), ajoutai-je, il vous dira que je ne suis pas venu pour punir, mais pour informer sur ces actes. » Alors Finau déclara, d'un son de voix fort bas, que le maître du Rambler et lui avaient commercé fort amicalement, quand deux hommes de t'équipa~e vinrent à déserter. Au lieu de Jes lui demander à lui, le roi de t'îte, le maître voulut obtenir raison par la force, et fit feu sur les hommes du rivage. Les déserteurs furent rendus mais le capitaine ayant commis ensuite l'imprudence de revenir à terre, le peuple se souleva et le massacra, ainsi que, ('équipage de son canot. Quant à r~7tM&e~, suivant Finau, ses premières relations avec le rivage avaient été si amicales, que le maître charmé lui avait promis le don d'un mousquet; mais, au moment de partir, le maître refusa le mousquet. Alors Finau se prit à réfléchir « L'aMA, comme le Rambler, se dit-il à tui-méme, va faire feu sur le peupje; il vaut mieux le devancer, et ii tua Je maître et quelques matelots. Du reste, il ajouta qu'il était très-fâché d'en avoir agi de la sorte, et qu'it ne recommencerait plus. -Bien, réptiquai-je à cette explication; j'informerai le roi Georges de ce que vous me dites. Pardonnezvous, insista Finau? -Je n'ai pas le droit de pardonner; je suis venu pour informer seulement. Boirez-vous le kava? » Je me découvris et m'accroupis à ses côtés. Le peuple salua cet acte par une vive acclamation; le kava fut apporté et j'en pris ma part; puis, Finau m'ayant invité à passer la nuit à terre, j'en délibérai avec mes officiers et j'acceptai l'offre.
Après le kava, nous nous retirâmes dans une case remarquable par sa propreté et sa jolie apparence; une double natte de fibres de coco couvrait
le plancher. Le roi me pria de faire sortir mes officiers, et pendant trois heures il me répéta l'histoire du massacre, et me renouvela ses regrets. Après Je dîner, il voulut me rendre témoin de son adresse: il prit un fusil, manqua tous les oiseaux sur lesquels il tira, et finit par tuer une malheureuse poule, qui fut plumée, rôtie et mangée sur-le-champ. Un autre kava eut ensuite lieu. Pendant qu'il durait, Finau me demanda mon chapeau avec tant d'instance que je le lui donnai. Le soir nous eûmes une danse dans la grande maison du kava; et, après deux nouveaux soupers, nous gagnâmes ia case où nous devions passer la nuit. Le jour suivant, après le déjeuner, je lui proposai de venir à bord avec moi; il y consentit; mais son ministre vint me prier de donner ma parole qu'il serait permis au roi de retourner à terre. J'offris un otage, et j'ajoutai «Mon chirurgien va à quatre milles d'ici, dans l'intérieur de Hte, pour visiter votre neveu favori; mon chapelain l'accompagne; les laisserais-je entre vos mains si gavais l'intention de vous maltraiter? Le roi Georges me pendrait si je vous faisais du mal 'après avoir engagé ma parole. C'est bien, allons-nous-en, dit-il. » Nous nous embarquâmes sur deux canots, accompagnés de vingtneuf personnes. Comme nous passions à travers les pirogues, les naturels poussèrent un cri de joie. Lorsque Finau fut monté à bord, il vit manœuvrer les soldats de marine, et on lui servit deux fois du vin, ainsi qu'aux chefs de sa suite. Ii parcourut tout le navire, nomma chaque chose, et essaya de souffler dans le sifflet du maître d'équipage. Entendant le tambour qui annonçait le dîner des officiers, il suivit les domestiques et alla s'asseoir à leur table. Quand il eut dîné avec eux, il les quitta et vint dans ma chambre, où il s'assit aussi pour prendre part à mon dîner. Les soldats de marine manœuvrèrent de nouveau durant une demiJieure,et les naturels enchantés poussèrent encore un cri de joie. A trois heures et demie de l'après-midi, Finau et sa suite quittèrent le navire dans la
chaloupe; et, à neuf heures, celle-ci revint chargée d'ignames dont il nous faisait présent.
Finau est un roi absolu ses ordres sont scrupuleusement et à l'instant exécutés il a moins de trente ans; c'est un païen. Il a deux enfants et trois femmes; il ne peut épouser que des filles de grands chefs son héritier est l'enfant de celle de ses femmes qui provient de la plus noble famille; ses concubines sont nombreuses. » Le dernier voyageur qui ait visité Tonga est M. Bennett; le navire qui )e portait, était en vue de l'île TongaTabou le 26 juillet i829, à la distance d'environ quinze milles; l'heure avancée et les difficultés du passage ne permirent point d'entrer dans la baie, et il fallut louvoyer jusqu'au lendemain. La scène la plus belle et la plus pittoresque s'offrit à ses regards aussitôt que le navire fut dans le port, dont l'entrée était fort resserrée par un grand nombre d'ilots clair-semés, et par des récifs à fleur d'eau très-étendus, et présentant de grands dangers. Quand ils eurent traversé le port dans toute sa longueur, la côte leur offrit une grande ressemblance avec celle de Ceytan, et ils virent poindre de côté et d'autre les habitations des naturels, à travers les feuilles des cocotiers, et d'autres arbres qui abondent dans le voisinage. On jeta l'ancre à environ un mille de la côte. Bientôt on vit s'avancer vers le navire plusieurs canots aux formes élégantes, et en peu d'instants il fut entouré de tous côtés par une multitude de naturels apportant divers articles d'échange. D'après M. Bennett, les habitants de Tonga-Tabou sont généralement bien faits; leurs formes sont musculaires, et les traits de leur visage sont réguliers; ils aiment à porter les cheveux longs, et les laissent tomber sur leurs épaules; quelquefois ils les ramassent en touffes sur la tête. Ces insulaires, dit-il, ont généralement le teint cuivré; quetques-uns sont très-noirs et ont tes cheveux frisés, ce qu'il faut attribuer sans doute à leur mélange avec les naturels de quelques-unes
des Des Viti ou Fidgi; car ces deux peuples vivent dans la plus parfaite intelligence, et l'on distingue particulièrement, à Tonga-Tabou, un chef qui sait parler la langue de Viti. Les chefs ont un n embonpoint remarquable; néanmoins cesontdetrès-beauxhommes;uneforte corpulence est si générate parmi l'aristocratie, qu'on peut dire qu'elle est toujours un signe de dignité. Le capitaine en second, M. Jones, qui était excessivement gros, fut constamment regardé, à Tonga-Tabou et dans toutes les autres îles de la Polynésie, comme le chef, et l'on eut toujours pour lui plus d'égards et de respect que pour te capitaine en premier, qui était maigre et de taille moyenne. Les femmes sont modestes, réservées, et belles généralement. Leur costume est un simple jupon d'étoffe du pays, qu'elles attachent autour de )a ceinture, et qui tombe jusqu'à la cheville; la partie supérieure du corps reste toujours nue. Les femmes ont aussi le teint généralement cuivré; elles se frottent le corps avec l'huile de la noix du coco, parfumée avec du bois de sandal qui leur vient des îles Viti, ou avec des fleurs odoriférantes,comme te jasminet le tato, qui sont indigènes. Les femmes portent les cheveux très-courts; cette coutume est très-défavorable à leur beauté; elles parurent ainsi moins intéressantes à M. Bennett. accoutumé à ces étoffes et à ces boucles gracieuses qui donnent tant de charmes au visage des Européennes. Elles ont coutume de se parer avec des As~/s, ou bonquets de fleurs qui répandent une odeur délicieuse; elles attachent ces bouquets sur leur gorge nne,ou les tressent en couronnes, qu'elles posent gracieusement sur leur tête. Ces femmes aiment à parer les étrangers de ces bouquets, et le goût et le sentiment président toujours à l'arrangement des fleurs dont elles les composent.
Leroi, nommé Toubou,etMM.Turner et Cross, missionnaires qui résident dans cette île, vinrent à bord aussitôt que le navire, que montait M. Bennett, eut jeté l'ancre. Le port et les manières du roi étaient pleins de di-
gnité, et la bonté était empreinte sur son visage; il était gros, mais sa taille était proportionnée à son embonpoint. Son costume consistait en une simple chemise blanche, et un petit jupon d'étoffé du pays attaché autour des reins. Toubou s'empressa de dire que le sloop de guerre le Satellite, capitaine Laws, avait visité son île peu de temps auparavant, et il parut très-satisfait des honneurs qu'il avait reçus de cet officier; car, à son arrivée, il f'avait salué de sept coups de canon, et avait fait ranger ses soldats sur le pont. C'est le seul vaisseau de guerre, ajouta Toubou, qui ait reiâché à Tonga-Tabou depuis la visite du capitaine Cook. M. Bennett descendit à terre avec les missionnaires. En avançant dans le pays, il remarqua que les maisons des habitants étaient dtsséminées chaque case était garnie d'une haie qui entourait aussi le jardin, pfanté d'arbres de toutes sortes, et surtout de cocotiers et de légumes exotiques. Le papayer (carica papaya) yest de la plus grande beauté; mais les naturels ne font nul cas de son fruit; il ne sert qu'à la nourriture des cochons. Les feuilles d'un grand nombre de cocotiers étaient dévorées par une espèce de moustiques de couleur verte, qui commettent de grands ravages, et sans doute les naturels n'éprouvèrent point de regrets en voyant ce voyageur serrer dans son portefeuille quelques-uns de ces insectes. La végétation lui parut du reste extrêmement riche fV~MCM~/MMM~. ou/aM, en pleine fleur, l'aleurites triloba, ou arbre à chandelle-( le toui-toui des naturels), croissaient en abondance de tous côtés.
M. Bennett accompagna les missionnaires à leur demeure; tout auprès est la petite chapelle de la mission. Les maisons de ces messieurs sont de bois, comme celles des naturels; elles ont plusieurs appartements, et des roseaux servent à former des cloisons; elles sont couvertes de feuilles de pandanus ou de cocotier.
Ce voyageur visita, )e 29, la ma~af~o, lieu d'un aspect très-pittoresque, et situé non loin de l'ancrage du
navire qui le portait. La mafanga est le cimetièredes chefs. Laplus grandetranquillité règne en ce lieu désert, et des arbres de casuarina. e~MM:b/:a, aux branches flexibles et )nc)inées vers la terre, en augmentent encore la triste solennité. M. Turner, l'un des missionnaires, lui dit qu'il avait assisté tout récemment à l'enterrement de la femme d'un chef qui était allié du roi. Le corps, enveloppé avec des nattes, futplacédans untombeau. On couvritle tombeau d'une pierre; puis des naturels s'avancèrent portant des corbeilles de fleurs qu'on répandit sur la tombe; d'autres portaient des corbeilles de sable qui recurent la même destination. Alors quelques insulaires vinrent au bord de la tombe et se coupèrent les cheveux, en poussant des cris et des sanglots, et donnant des marques de la plus vive douleur. On a coutume d'élever sur cette sépulture des maisons de pettte dimension. Les cimetières sont entourés d'une forte haie ou d'un mur de coraux; ils sont soigneusement entretenus et présentent un aspect agréable.
H remarqua chez presque tous les naturels de Tonga-Tabou une étrange muti)ation au petit doigt de la main gauche; et, chez un grand nombre, cette mutilation existait aux deux mains. La plupart de ces insulaires avaient perdu la première phalange seulement, d'autres deux, et quelques-uns n'avaient même plus de trace du petit doigt, ni à la main droite ni à la main gauche. H apprit que les naturels ont coutume de se couper une phalange du petit doigt lors d'une maladie grave ou à la mort d'un parent chéri, ou d'un chef révéré, et dè l'offrir en sacrifice à l'esprit de ces contrées. Cette coutume superstitieuse se retrouve, selon M. Burchell, chez la tribu des Bochmans, dans l'Afrique méridionale comme on en voit la preuve dans l'extrait suivant de son Voyage « Une « vieiiie femme de )a tribu, sachant que je désirais avoir les informations les plus amptes possib)c sur les mœurs des Bochmaus se présenta devant nmoi, et, me présentant ses deux
K mains, me fit observer qu'elle avait perdu deux phalanges au petit doigt « de la main droite, et une phalange « à la gauche. Cette femme dit qu'elle « s'était ainsi mutilée à trois reprises « différentes, en signe d'affliction et de « deuil, à la mort de ses trois (iUes. En considérant ensuite avec plus d'attention les naturels, je vis qu'un grand nombre de femmes, et même beaucoup d'hommes étaient mutités de la même façon; mais c'était toujours au petit doigt qu'avait lieu la mutilation, parce que l'absence de ce doigt ne cause sans doute aucune gêne.
On trouve dans !te Tonga-Tabou une place de refuge, qu'on appelle t'AoM/MKf/a. Un individu menacé de la peine capitale y trouve un asile inviolable; il est sacré dès qu'il a mis le pied dans ce sanctuaire. L'houfanga est une petite maison défendue par un mur d'enceinte tout atentour, le sol est couvert de gravier, et des arbres en garnissent les avenues.
M. Bennett, en sa qualité de docteur, visita ensuite, à la prière des missionnaires, plusieurs naturels, et des enfants qui étaient atteints de maladies graves. Les affections viscérales lui parurent très-communes. « Le magnifique ~OM~OM ou &<M'yMM/tonia, dit M. Bennett, croissait en abondance près de notre moulage. Le fruit de cette plante sert à la destruction du poisson, ainsi qu'un autre petit arbuste nommé kava-ho-ho. Les naturels emploient t'écorce quand la racine du kava est rare; ils la préparent de la même manière que le kava; seulement ils ont soin de n'en boire qu'une petite quantité, à cause du poison qu'elle contient.
« Les naturels donnent à leurs massues des formes élégantes. Les femmes font des peignes avec les tiges flexibles du cocotier. Leurs instruments de musique sont le fanghou-fansbou ou ]af)ûte nasaie,.)e mimia, Je nafa ou tambour, qui est un petit bloc de bois creusé. Les reptiles qu'on rencontre à TongaTabou sont le serpent aux cent pieds, un très-beau lézard vert, plusieurs autres animaux de la même espèce, et
une couleuvre aquatique qui se tient souvent sur tes arbres, au bord de la mer: cette couleuvre est d'une belle couleur bleue, avec des bandes noires circulaires autour du corps; elle est appelée ~AoMMW par les naturels. « Notre vaisseau fut largement approvisionné de fruit à pain, d'ignames, etc., en échange de haches, de coton, de drap, et de bouteilles pour l'huile qu'ils retirent de la noix de coco. Le fruit à pain est très-bon, mais il est cependant bien inférieur à la pomme de terre.
« Le 30 juillet, je visitai l'observatoire de Cook; j'enrichis macollection botanique de plantes rares, et je parvins à abattre quelques pigeons mais les oiseaux sont rares dans cette fie. Le 31, j'accompagnai le capitaine dans une visite qu'il fit à un chef nommé Fatou ou Palou, résidant au district de Takama-Tonga, à quinze milles environ de notre ancrage. Fatou était absent mais sa femme et sa fiiie nous firent un accueil très-poli. Celle-ci était une très-belle personne elle s'appelait Touboua-Han, et était liancée au roi de Vavao sa chevelure, d'un très-beau noir, tombait sur ses épaules; mais il n'est permis aux femmes de porter les cheveux longs que jusqu'au jour du mariage. Pendant qu'on préparait notre repas, nous fîmes une excursion dans l'intérieur de l'île, et nous visitâmes le lieu sacré où l'on suppose que réside la divinité; c'est une maison de chétive apparence, et entourée d'une forte haie. Aux jours de malheur et d'affliction, les naturels viennent déposer en ce lieu leurs offrandes et les premiers fruits de la saison.
« Les principaux personnages des villages que nous traversâmes vinrent nous présenter du kava, des ignames, etc. Chaque village a une maison destinée à la réception des étrangers. Nous étions suivis d'une multitude de naturels qui portaient volontiers nos fusils et notre bagage, et jamais nous ne nous aperçûmes du moindre vol. Touboua-Han ,')a fille de Palou, m'offrit après dîner un fort joli bouquet; elle me dit qu'il était composé d'Ae~a~,
poa, tetefa, ohi, langakali, co, oc/M, chialé, houni et pipi-houri, qui sont des fleurs indigènes. La nuit, on étendit par terre des nattes, surlesquellesnous dormîmes assez bien; et, au point du jour, nous retournâmes à bord. « Quand un inférieur se présente devant la femme ou la utte d'un chef, ou avant de commencer le repas en leur présence, l'étiquette commandé de les toucher légèrement au pied. Cette coutume est aussi observée aux îles Hapaï, Vavao et Samoa. Ce témoignage de respect est également donné par un inférieur, quand il paraît devant un chef, et par les chefs euxmêmes, quand ils se trouvent en présence du touï ou roi, de ses frères ou de ses parents. Le touï et les autres chefs doivent toucher aussi au pied le grand prêtre, qui est ordinairement un grand chef, et possède plus de puissance que le touï lui-même.
<' Les naturels de Tonga-Tabou ont des canots doubles, unis par une espèce de plate-forme, sur laquelle ils construisent une petite maison. Ces canots peuvent contenir environ de cent cinquante à deux cents hommes. J'en vis un qui pouvait avoir quatre-vingt-seize pîeds anglais de longueur. On construit ordinairement ces canots aux îles Fidgi (Viti); car à Tonga-Tabou on ne trouve pas de bois propre à ces constructions.
C'est à la visite de M. Bennett que finit pour nous l'histoire intéressante de l'archipel de Tonga.
GROUPE DE EERMADEC.
Nous venons de quitter la Polynésie intertropicale, et avant de décrire les grandes terres de la Nouvelle-Zeeland, nous passerons rapidement en revue les petites îles connues sous le nom de groupe de Kermadec (compagnon de d'Entrecasteaux.)
Ce groupe, situé au nord de ta ]Nouve)te-Zeetand, se compose des îles Raoul, Macauley, Curtis et Espérance. Sa position est du 29° 20' au 3f 28' de latitude sud, et du 178° 43' au 179" 3G' de longitude est. Curtis et Maeauley furent découvertes, en 1788, par
Wats, capitaine du Penrhyn. Raoul et Espérance furent découvertes, en 1793, par d'Entrecasteaux. Les Ang!ais ont donné le nom de Sunday à t'Ïle Raoul. Le capitaine d'Urville reconnut, en 1827, ces îles ou plutôt ces rochers, qui sont plus ou moins couverts de bois et de broussailles, sauf l'île Espérance, qui n'est qu'un rocher aride et élevé. Elles sont privées d'habitants mais il est probable qu'elles ont servi de point de relâche aux pirogues qui, de Tonga, ont dû amener une population polynésienne à la NouveIle-Zeeland.
NOUVELLE-ZEELAND.
Transporté maintenant par la pensée vers cette partie du globe qui nous est diamétralement opposée, nous décrirons cette terre, qui est l'antipode de quelques parties de la France; cette terre qui jouit de l'été quand l'hiver attriste nos climats, que le soleil réjouit quand la nuit commence à s'étendre sur nos villes, où les plantes potagères sont en floraison quand chez nous elles ont cessé de produire. Ses peuples, livrés au cannibalisme, ne nous inspireront plus longtemps l'horreur et l'effroi la sainte morale de l'Évangile y a déjà touché le coeur de quelques chefs. La NouveIle-Zeeland a eu un grand nombre de héros. Leurs sièges et leurs guerres sont pleins de faits glorieux. Aucun peuple ne surpasse en force physique, en courage, en constance, en intelligence naturelle, ce peuple intrépide. Pourquoi donc ne jouit-il il pas de la célébrité qu'il mérite ? C'est que de beaux faits ne suffisent pas à un peuple il lui faut un historien qui en consacre le souvenir.
G!OGRAPH)E.
La Nouvelle-Zeeland est une grande terre composée de deux îles, et qui offre une bande de quatre cents lieues de longueur sur une largeur moyenne de vingt-cinq à trente lieues. Elfe s'étend dans la direction du nord-est au sud-ouest, et est interrompue vers le
milieu par le canal de Cook, espèce d'entonnoir dont la bouche est tournée vers la mer Occidentale, le goulot vers la mer Orientale, et dont la largeur varie de quatre à vingt-cinq lieues. La circonférence des deux îles réunies n'est guère inférieure à celle des îles britanniques.
L'île septentrionale se nomme Ikana-Maouï, et celle du sud Ta.vaï-Pounamou. M. d'Urville nous apprend que le premier nom signifie poisson de Maouï, fondateur de ce peuple, et que le second indique le lac où se recueille le pounamou ou jade vert.
L'île du sud n'a jamais été explorée avec soin, à cause de sa conformation montueuse, et du peu de sûreté qu'un petit nombre de ports offrent aux navigateurs.
L'île septentrionale, au contraire, est pourvue par la nature de ports magnifiques et de havres habités.
Les ports fréquentés sont la baie Chalky, la baie Dusky, la baie Tasman, la baie de l'Amirauté, le canat de la Reine-Charlotte, la baie Cloudy, le port Otage et le havre Motyneux sur l'île Tavaï-Pounamou; la baie Mounou-Kao, le havre Kaï-Para, la baie Tara-Naké, la rivière Chouki-Anga la baie Nanga-Ourou, la baie Oudoudou, la baie Wangaroa, les haies Taoue-Roa, Hawke et des lies, le golfe Chouraki et ses havres nombreux.
Parmi les !tes qui sont des dépendances géographiques de la NouvelleZeeland, on remarque l'île Stewart, où l'on trouve le port Marion, le port Facile et le port Pégase, deux îles du nom de Résolution, t'ite d'Urville, les !tes Pain de Sucre (~Mya?'-Loa/'), Tou houa, Tea-Houra, Pouhia-i-Wakadi, Otea, Choutourou, les îles Mercure, les îles de la baie Chouraki, les îles Manaoua-Touï ou les Trois-Rois, les îles Motou-Koaou, et enfin les îles Taouiti-Rahi.
CDMAT.
Ces terres, et surtout ta grande île du nord, jouissent d'une température uniforme et modérée, qui rend leur
climat salubre et leur sol fertile. Mais, sur leurs cotes, les vents règnent avec fureur aussi la conformation de leurs rivages porte-t-elle l'empreinte de l'inclémence des éléments.
ASPECT.
Les rochers s'y montrent fréquemment nus et déchiquetés en forme de poissons et autres animaux, et souvent ceux qui sont exposés isolément à la fureur des vagues sont percés d'outre en outre, et forment des arcades de différentes grandeurs, dont la plus curieuse peut-être est celle de Tegadou qui est surmontée d'un pâ ou village fortuié, et sous laquelle passent les pirogues; ce qui forme un effet infiniment pittoresque (voy. 177). La Nouvelle-Zeeland est sitfonnée par plusieurs rivières qui sont considérables, quoique leur cours soit peu étendu. Elle a de grandes chaînes de montagnes, qui renferment des volcans des chutes d'eau en descendent en cascades majestueuses. Dans l'intérieur d Isa-na-Maouï se trouvent les deux lacs de Roto-Doua et de Maupere. mSTOiRE NATURELLE.
Le sol de )aNouve!)e-Zee)and est excellent, et peut supporter toute espèce de culture. Il est couvert d'arbres d'une beautéremarquaMe,surtoutdansi'intérieur des terres. Quelques-uns sont tellement gigantesques, qu'un seul tronc fournit une piroguedeguerrecontenant cinquante à soixante guerriers. Le plus beau lin du monde, le phormium tenax, y naît spontanément on le récolte surtout au bord de la mer, dans les crevasses des rochers. Les femmes le peignent, le nettoient avec soin et en fabriquent des étoffes soyeuses du plus beau tissu. Aussi, depuis que les Anglais ont établi un consul dans cette vaste contrée, cet admirable lin deviendra-t-il un grand objet d'expfoitation commerciale, lorsque la NouvetteZeeland aura établi avec eux des relations d'intf'rêt mutuel.
Ika-na-Maouï présente presque partout un soi riche, iertile, et, dans
quelques parties, la plus brillante vësétation. °
On dépeint Tavaï-Pounamou comme beaucoup moins favorisée à cet égard. D'après M. Wallis, la superficie des terres susceptibles d'être cultivées ne s eieve qu'à un dixième de la totalité. Néanmoins elles sont toutes les deux bien boisées, et les arbres y atteignent les plus grandes dimensions; on en voit de l'espèce du pin qui ont quatrevingt-dix pieds de haut et vingt de diamètre, mais sans une seule branche. L'arbre qui domine toutes les forêts est le cèdre à feuilles d'olivier. H en existe un grand nombre qui sont propres au charpentage, à la menuiserie et à l'ébénisterie. Au rapport des missionnaires, ces îles jouissent, en général, d'un climat doux et tempéré, egaiement éloigné des chaleurs brûlantes des contrées équinoxiales et du froid intense des régions septentrionales, excepté cependant l'extrémité nord de Tavaï-Pounamou, où il pleut trèsfréquemment. On n'y trouve aucun arbre dont ie fruit offre un aliment aux Européens, et à peine trois ou quatre qui présentent le même avantage aux mdtgènes. Ceux-ci se nourrissent principalement de ]a racine desfougeres.appeiée paries naturalistes p~M e~eM<.eM<a qui y croît en profusion, et qu'ils font. cuire, comme les pom-, mes de terre, dans des espèces de fours creusés en terre. On y récolte, entre autres plantes herbacées, du céleri et du persil sauvage, de l'herbe des Canaries, du plantain, une espèce de y~oraM l'ensata ou glaïeul. Enfin les naturels cultivent un peu de blé d'Inde, des pommes de terre en abondance, des choux, des navets, et une espèce d'yam, dont les semences leur ont été données par les premiers navigateurs européens qui les visitèrent.
Terminons ce que nous avons dit sur la botanique de la Nouveiie-Zeeland, par l'excellente observation que nous allons emprunter à l'auteur du Voyage de I'o/s6e.
Cook et Marion, les premiers, introduisirent dans la Nouveiie-Zeeland plusieurs piantes européennes, qui
y réussirent parfaitement, et se propagèrent ensuite naturellement sur diverses parties de l'île Ika-na-Maouï. Dus tard fut introduite la pomme de terre, qui a été nommée kapana. Depuis une quinzaine d'années que les missionnaires se sont établis sur le sot de cette ile, le nombre de ces plantes s'est bien accru. Dans un demi-siècle, il en sera de ces contrées voisines de nos antipodes, comme de toutes les terres où les Européens ont formé des colonies; leur flore aura subi des modifications considérables; aux espèces réellement indigènes se seront mëtées ces nombreuses plantes dont les semences, confondues avec d'autres graines plus utiles, participent aux soins qu'on donne à ces dernières, et réussissent le plus souvent beaucoup mieux dans leur nouvelle patrie. C'est désigner assez clairement les ceraistes, <MMMaMM, silene, ~MMM, plantains, et diverses sortes de graminées qu'on trouve aujourd'hui dans tous les lieux cultivés en Amérique, en Asie, et même dans l'Australie. Il est donc extrêmement important de fixer le plus tôt possible t'état de la végétation primittve dans ces contrées lointaipes afin d'éviter à la géographie botanique de nombreuses sources d'erreur. Sous ce rapport, l'essai dirigé parM. A. Richard sur les récoltes faites par M. A. Lesson, et par moi-même, à la Nouvelle-Zeeland, mérite donc tout l'intérêt des botanistes. En outre, je suis bien aise de leur annoncer que, dans le même été où j'explorais les côtes de la Nouvelle-Zeeland, mon ami, M. Ailan Cuningham, savant et infatigable botaniste de Port-Jackson, passa deux mois à parcourir ces terres australes, et pénétra à de grandes distances dans l'intervalle. Sans doute cet habile naturaliste publiera un jour le résultat de ses observations, et son travail laissera peu de chose à désirer sur les richesses végétales de la NouveHe-Zeeland. ))
On ne connaît jusqu'à présent, dans cette grande terre, d'autres quadrupèdes que des rats et des chiens, excepté une espèce de lézard assez gros
appelé gouana. Il n'y existe ni reptiles ni insectes venimeux. Quant aux oiseaux, quoique les espèces en soient peu variées, il en est plusieurs qui se distinguent autant par leur plumage que par [a mélodie de leur chant de ce nombre est le pou. li y a aussi des perroquets de différentes espèces, un petit oiseau qui ressemble à un moineau, un canard qui a le bec, les jambes et les pattes d'un rouge brillant, et le corps d'un beau noir; des canards sauvages, qui habitent les lieux marécageux, et une multitude d'oiseaux aquatiques, auxquels on peut ajouter des dindons, des oies, des poules et autres volatiles, dont les missionnaires anglais ont eu soin de se pourvoir en allant s'établir dans ces régions éloignées, et qui, en se multipliant, offriront bientot aux natures de nouvelles ressources alimentaires. Les rivières et la mer sont fréquentées par des ours, des lions de mer, et des cétacés, dont les naturels mangent la chair avec délice.
Une particularité digne de remarque, c'est que le centipède, qui est inconnu à la Nouvelle-Zeeland, abonde dans les trois petites !tes Manaoua-Touï, que Tasman nomma les Trois-Rois, et qui ne sont qu'à cinq lieues de l'extrémité nord-ouest de t !)e Ika-na-Maouï. LES PHOQUES, LEURS MGEfRS. LEURS HAB)TL'MtS; CHASSE A CES AMPHIBIES COMPA RM AUX StRÈNES.
Les phoques et l'éléphant marin sont les seuls animaux remarquables qu'on trouve sur les rivages de la MouveUeZeeland (*).Deux nations sontenpossession presque exclusive de ce commerce, et les bénéfices qu'elles ont faits dans ce genre de chasse sont énormes. Les Anglais et les Américains de l'Union entretiennent chaque année plus de soixante navires de deux cent cinquante à trois cents tonneaux au moins, et ayant chacun dix à quinze hommes (*) Extrait du dictionnaire de Déterville, qui a emprunté cet article en partie à Dubout, cité dans la Zoologie de MM. Quoy et Gaimard.
d'équipage. On concoit que des moyens de destruction si actifs ont en quelques années singulièrement diminué le nombre de ces amphibies, et c'est ce qui les force à émigrer en quelque sorte, et à se réfugier sur les îlots déserts du sud aussi, lorsqu'on vient à découvrir quetques-unes de ces terres avancées dans les hautes latitudes, les trouvet-on couvertes, sur leurs plages, de toutes sortes de phoques; il paraît même, à ce sujet, que les îles Shetland étaient connues de quelques pêcheurs américains, qui y firent des chasses immensément lucratives bien avant que leur découverte ait été publiée par un capitaine anglais Ces expéditions sont même confiées à des marins distingués et James Weddeti, par exemple, tout en chassant les phocacés des îles Shetland, a fait des découvertes importantes dans cet archipel, naguère comptétement ignoré. Les phoques sont chassés pour leurgraisse huiieuse,qui est usitée dans les arts; mais certaines espèces le sont principalement pour leur fourrure douce et fournie; quant aux autres secours que l'homme peut en retirer, ils sont bornés à certaines localités. La chasse des phoques par les Européens nécessite des mesures et des dépenses qui méritent d'être rapportées.
Les navires destinés pour cet armement sont du port de deux cents à trois cents tonneaux environ et solidement construits tout y est installé avec )a plus grande économie par cette raison, les fonds du na. vire sont doublés en bois. L'armement se compose, outre le gréement très-simple et très-solide, de barriques pour mettre l'huile, de six yoles armées comme pour la pêche de la baleine, et d'un petit bâtiment de quarante tonneaux mis en bottes à bord, et monté aux îles destinées a servir de théâtre à la chasse lors de t'arrivée. L'équipage d'un navire est d'environ vingt-quatre hommes, et on estime à vingt-cmq mille piastres la mise dehors d'une expédition ordinaire. Les marins qui font cette chasse ont généralement pour habitude d'explorer divers lieux
successivement, ou de se fixer sur un point d'une terre, et de faire des battues nombreuses aux environs. Ainsi il est très-ordinaire qu'un navire soit mouillé dans une anse sûre d'une îte, que ses agrès soient débarqués et abrités, et que les fourneaux destines à la fonte de ia graisse, soient placés sur la grève. Pendant que le navire est ainsi denrée, le petit bâtiment, trèsfin et très-!eger, et armé de la moitié environ de l'équipage, fait le tour des terres environnantes, en expédiant ses embarcations lorsqu'il voitdes phoques sur les rivages, ou laissant cà et ]à des hommes destinés à épier ceux qui sortent de la mer. La cargaison totale du petit navire se compose d'environ deux cents phoques coupés par gros morceaux, et qui peuvent fournir quatrevingts à cent barils d'huile, chaque baril contenant environ cent vingt litres, et valant à peu près quatre-vingts francs. Arrivé au .port où est mouiiié le navire principal, les chairs des phoques, coupées en morceaux, sont transportées sur ia grève où sont établies les chaudières, et sont fondues; les fibres musculaires, qui servent de résude, sont destinées à alimenter le feu. Les équipages des navires destinés à ces chasses sont à la part; chacun se trouve ainsi intéressé au succès de J'entreprise. La campagne dure quelquel'ois trois années, et au milieu des privations et des dangers )es_ plus mouïs. H arrive souvent que des navires destinés à ce genre de commerce, jettent des hommes sur une île pour y faire des chasses, et vont, deux mille lieues plus loin, en déposer quelques autres; et c'est ainsi que bien souvent des marins ont été laissés pendant de iongues années sur des terres désertes, parce que leur navire avait fait naufrage, et par conséquent n'avait pu les reprendre aux époques fixées. L'huile est importée en Europe ou aux ÉtatsUnis les fourrures se vendent en Chine.
Les chasseurs de phoques de la mer du Sud reconnaissent trois espèces principales et commerciales la première, recherchée pour l'huile, est le
lion marin, l'éléphant de mer (phoca proboscidea des naturalistes); la seconde, les phoques à crin (otaria molossina et ?'M6<~at), et les phoques à fourrure (otaria ursina). Mais il parait que sous ce nom, phoques à fourrure, les Américains confondent plusieurs espèces inconnues des naturalistes et bien distinctes. Ainsi, suivant eux,le phoque à fourrure de )a Patagonie a une bosse derrière la tête; celui de la Californie a une très-grande taille; le upland sea, ou phoque du haut de ]a terre, est petit, et habite exclusivement les îles Macquarie et Penantipodes; enfin, celui du sud de la NouvelleZeeland paraît avoir des caractères distincts. C'est en mai, juin, juillet, et dans une partie d'août, que les phoques à fourrure fréquentent la terre; ils y reviennent encore en novembre, décembre et janvier, époque à laquelle les femelles mettent bas. Les petits tettent pendant cinq ou six mois, et peutêtre davantage. Un fait notoire est l'usage constant qu'ont ces amphibies de se lester en quelque sorte avec des cailloux dont ils se chargent l'estomac pour aller à l'eau, et qu'ils revomissent en revenant au rivage.
Les phoques des mers du Kamtschatka et des îles Kouriles sont assez nombreux en espèces suivant Krachenninikoff (Voy. en Sibérie de Chappe, t. II, p. 420), ils remontent jusque dans les rivières pour suivre les poissons mais le naturaliste leur attribue des moeurs féroces qui sont exagérées; il dit aussi que jamais les phoques ne s'éloignent des côtes de plus de trente milles, et que leur présence est le signe le plus certain du voisinage de la terre. Ils s'accouplent sur la glace pendant le printemps, dans le mois d'avril, et quelquefois aussi sur la terre, ou sur ta mer quand elle est calme, et de la même manière que les hommes. Les femelles ne font qu'un petit à la fois. Les Tungouses se servent de leur lait comme médicament pour leurs enfants. Les Kamtschadales emploient divers moyens pour les chasser, et en tirent un grand parti pour divers usages avec leur peau on fait des baidars, sorte
de pirogues, et des vêtements; leur graisse sert à fabriquer de la chandelle, qui en même temps est une friandise pour ces peuples; la chair, desséchée an soleil ou fumée, forme la provision d'hiver, et la chair de phoque fraîche est l'aliment ordinaire des Russes et des Kamtschadales, qui pratiquent à ce sujet des cérémonies bizarres, racontées avec détail par Krachenninikoff. Les phoques ne fréquentent la terre que pendant un certain temps de l'année ceux des mers antarctiques habitent surtout les côtes les plus désertes des îles Malouines, de la terre de Feu, des îles de la Nouvelle-Shetland et des Nouvelles-Orcades, des îles Campbell et Macquarie, des côtes sud de la terre de Diémen et de l'Australie. Leur manière de cheminer sur la terre ne s'exécute que difficilement; ce n'est qu'avec des efforts pénibles, des ondulations embarrassées, qu'ils se traînent sur la partie postérieure du corps. Leur odorat estsubtil et leur intetiigence extrêmement développée. Certaines espèces recherchent les plages sablonneuses et abritées; d'autres, les rocs battus par la mer d'autres enfin, les touffes d'herbes épaisses des rivages. A chaque blessure que les phoques recoivent, le sang jaillit avec une extrême abondance. Les mailles du tissu cellulaire graisseux sont aussi très-fournies de vaisseaux; mais cependant les blessures, qui paraissent si dangereuses, compromettent rarement la vie de t'animal, qui ne meurt qu'à la longue et d'épuisement, et dans le cas ou elles sont très-profondes pour tuer les phoques, il faut donc atteindre un viscère principal, ou les frapper sur la face avec un bâton pesant. Ces amphibies se nourrissent de poissons et notamment de poulpes, et aussi d'oiseaux marins, tels que sternes et mouettes nous avons vu en effet un phoque attraper avec dextérité un de ces oiseaux occupé à recueillir les débris qui s'échappaient de son repas un instant auparavant. Pendant leur séjour à terre, ils paraissent ne pas manger; aussi dit-on qu'ils maigrissent beaucoup, et qu'ils se gonflent l'estomac en avalant
des pierres. Steller et Péron, ainsi que divers autres observateurs, leur accordent la faculté de pleurer; le cri que pousse l'espèce qu'on appelle veau marin (phoca vitulina), habttant les mers du Nord, est semblable, suivant les espèces, aux cris qui sont propres aux animaux terrestres dont on leur a donné le nom.
Les phoques de l'océan Pacifique du nord ont abso)ument les mêmes mœurs générales et les mêmes habitudes que ceux des mers antarctiques; il paraît qu'ils sont soumis à des migrations périodiques.
On trouve encore des phoques dans la Méditerranée et nous pensons que c'est au phoque que l'on doit rapporter tout ce que la mythologie a mis sur le compte de ces sirènes, ces enchanteresses qui captivaient les voyageurs par leur belle voix, leurs doux regards, et les dévoraient ensuite, laissant les rivages qu'elles fréquentaient blanchis des os de leurs victimes. En effet, suivant les poëtes, les sirènes habitaient les rivages déserts, dans des grottes profondes; or les phoques sont encore aujourd'hui reconnus pour aimer de semblables retraites, où ils viennent se reposer en sortant de la mer. Les sirènes charmaient les voyageurs par une expression trompeuse de bonté, par un regard expressif et tendre; et l'on sait que la tête arrondie, le front large et courbé, animé par deux grands veux à fleur de tête, et toujours brillants de douces étincelles, donnent aux phoques toute la physionomie bonne et douce du chien le plus affectionné à son maître. Le port gracieux, le buste relevé du phoque, lorsque son corps est couché a plat, sa large poitrine, un cou bien lié avec les épaules, donnent peut-être aussi à cet animal quelque chose de la structure extérieure d'une femme. Quant à la voix, la mythologie nous trompe ou s'est trompée; car, si les sirènes avaient une voix délicieuse, tous les phoques, au contraire, poussent de longs gémissements, ou plutôt des grognements très-forts, mais peu harmo59' /<VY!i(M. (OCÉANIE.) T. III.
nieux. En ce qui concerne cette queue de poisson, qui terminait honteusement, dit Horace, le corps de la sirène, nous )a retrouvons dans les phoques, indiquée par les deux membres postérieurs, serrés l'un contre l'autre en arrière, de manière à former un double aviron ou gouvernait, et achevés à leur extrémité en pieds palmés ou nageoires. Les sirènes dévoraient les voyageurs, ou plutôt, comme aujourd'hui, les phoques dont elles sont le mythe, elles se contentaient de poissons, et les historiens d'alors, effrayés ou ignorants, auront pris pour des os humains les carcasses des cétacés ou des poissons, abandonnées par les phoques sur les grèves, après d'opulents repas.
Ces animaux, tels que nous les connaissons aujourd'hui, soit à l'état sauvage, soit en captivité, sont d'une douceur de mœurs, d'une timidité, d'une facilité à reconnaître les soins du maître, à bien s'apprivoiser, qu'aucun animal ne surpasse, si ce n'est le chien, tel que nous nous le sommes fait par la domesticité. On a aussi remarqué que leur cerveau montre le développement qui est presque toujours l'indice du développement moral et, si les habitudes marines des phoques n'empêchaient de penser que l'on pourrait tes garder à l'état domestique, il n'y a pas de doute que l'on en pourrait tirer tout le parti possible pour la pêche. La graisse des phoques, comme celle des marsouins ou autres cétacés, se convertit en huile pour la corroierie et l'éclairage; les peaux, desséchées d'abord à l'air, sont vendues aux mégissiers. Il n'est pas profitable de les employer pour cutr de souliers mais, garni de son poil, le cuir de phoque est très-bon pour couvrir des malles, des havre-sacs de chasse ou de guerre, pour faire des bonnets et des manteaux impénétrables à la pluie.
Aujourd'hui, des armateurs français de Saint-Malo et de Nantes vont à la pêche du phoque à trompe, du phoque a crinière, vers le pôle austral; cette chasse est aussi profitable que celle des cétacés. Peut-être les armateurs & 9
ont'its tort de ne pas rapporter les os, dont la vente serait assurée pour la confection de l'ammoniaque et du noir animal.
ÉLÉPHANT MARIN (').
L'étephant marin a été décrit avec exactitude par A nson dans son Voyage autour du monde, mais les membres antérieur! et postérieurs de cet amphibie ont été mal figurés par le dessinateur.
L'éléphant marin est le miourong des noirs australiens du port Jackson (Péron, t. III, p. 61 Forster, deuxième Voyage de Cook, t.IV, p. 85). Ce phoque à trompe est long de vingt, vingt-. cinq ou trente pieds, sur quinze à dixhuit de circonférence. I) est grisâtre, ou d'un gris bleuâtre, plus rarement d'un brun noirâtre. Les canines inférieures sont longues, fortes, arquées et saillantes. Les soies des moustaches sont dures, rudes, très-longues, tordues comme une espèce de vis. Les yeux sont très-votumineux et proéminents. Les membres antérieurs sont robustes, et présentent à leur extrémité, tout près d'un bord postérieur, cinq petits ongles noirâtres. La queue est très-courte, peu apparente entre tes membres postérieurs qui sont horizontalement aplatis. Ce qui caractérise i'ëtéphant marin est, à l'époque des amours, un prolongement du nez, qui forme, pendant l'excitation, une trompe molle et élastique, longue quelquefois d'un pied; cette trompe érectile manque à la femelle, et paraît s'effacer peu à peu lorsque la saison du rut est passée. C'est un tissu cellulaire du nez, qui semble ainsi se gorger de sang et s'allonger à l'instar des panicutes charnues de quelques oiseaux gaHinacés lors de la reproduction. Le pelage des deux sexes est extrêmement ïude et grossier. L'éiéphant marin paraît habiter toutes les îles désertes de l'hémisphère austral; Péron dit qu'il n'existe pas sur les côtes de h Nouvelle-Hollande et de la terre de (*) Cet article est emprunte au même
KS~
Diémen, ce qui est peu probable. On le trouve très-abondamment surtout sur la terre de Kerguelen la NouvelleGéorgie, )a terre des États, les îles Matouines et Shetland, l'île de JuanFernandez, et l'archipel de Chiloë, les côtes du Chili; Péron dit qu'il émigre chaque année suivant la saison, et que, redoutant les trop grandes chaleurs, comme les froids trop vifs, il va dans l'hiver, du sud un peu plus au nord, et que dans )'ëté, il quitte les côtes nord de ses limites pour retourner au sud. Le système musculaire est enveloppé d'une couche huileuse qui a jusqu'à neuf pouces d'épaisseur. Sa nourriture principale consiste en céphalopodes, et ce sont les plages sablonneuses qu'il fréquente de préférence, et les lits épais de ~MKaWs gigantea sur lesquels il aime à se reposer. )~ans les quatre premiers mois de l'année, il se tient à la mer: dans les autres, il vient alternativement à terre. It est d'humeur douce, paisible, indolente, et se laisse approcher par l'homme; ce qui permet aux chasseurs de le frapper au cœur avec une longue tance. Un mâle a toujours plusieurs femelles. Il se bat à outrance avec ses rivaux pour leur possession. Le vainqueur choisit (en octobre), et compose son gré son sérail. La jouissance émoussant ses désirs, il abandonne ensuite a ceux qu'il a vaincus, la possession des femelles qu'il ne peut plus féconder chacune d'elles a deux petits (quelques auteurs disent un seul ) qui têtent deux ou trois mois, et qui naissent en juillet et août. L'étéphant marin se réunit par troupes de cent cinquante à deux cents individus, et chacun peut fournir environ deux mille livres en poids de chair. Tel était celui qui servit à t'équipage de la corvette i't/ra?Me, naufragée sur les Maiouines, et qui venait probablement expirer sur le rivage, près du camp qu'avait établi le capitaine de vaisseau Freyeinet. Ce qui fait rechercher cette espèce, c'est l'abondance d'huile qu'elle fournit. Pour d'autres détails très-intéressants, mais qu'it serait trop tons de rapporter ici on peut tire t'histoire pleine d'intérêt
qu'en a tracée Péron (Voyage aux terres australes,2° édit.,t. HI,p. 56
à 103).
Ces phoques de la grande espèce, surpris par )'homme, et regagnant la mer, sont hâtés par un ou plusieurs mâles d'un âge mûr, qui pressent la marche des mères et des jeunes, et, s'ils sont serrés de près, résistent à l'ennemi. Peut-être est-ce à l'éléphant marin qu'il faut rapporter cette grande espèce sans trompe érecti)e,vuepar Mortimer et Cox ( Observations and Remar& made during a voyage to the islands of Amsterdam, etc., 1791, p. 11) sur les ties d'Amsterdam et Saint-Paul, que Desmarets a décrite sous le nom de pAoes Co.M~ Nouv. dict. d'hist. natur., 2" édit. C'est peutêtre l'éléphant de mer avant l'époque du rut. Péron l'avait nommé phoca resima (t. 111, p. 113, 2' édit.); et c'est indubitablementle phoque urigne, phoca lupina, de Molina (Hist. nat. du Chili, p. 255), et très-probablement celui mentionné par Aubert du PetitThouars (p. 12), dans sa description de I'î)e de Tristan d'Acunha.
TOPOGRAPHIE. CURIOSITÉS.
LE LAC BLA~C. d.A SOURCE CHAUDE ET LE LAC MATJrERE.
M. Marsden découvrit, en 18)9, la source Blanche il la décrit comme un petit lac d'un demi-mille environ de circonférence. De loin, il paraît blanc comme du lait; mais cet effet diminue quand on se trouve sur le bord. A la distance d'un mille environ avant d'y arriver, il rencontra un autre bassin d'eau timpide, qui nourrissait une foule de canards sauvages; en divers endroits, la terre est jonchée de morceaux de pierre à chaux, dont il rapporta des échantillons. Toute la surface du pays, dans l'étenduede plusieurs milles, semble avoir été travaillée par l'action des volcans, et n'offre que des marais, des lacs et un sol dépouillé.
Il paraît qu'il a existé dans cet endroit un bois de pins, qui setrouve aujourd'hui consumé par le feu, de manière ce qu'il n'en reste pas un
seul arbre debout. On voit c~ et là quelques racines de pin, qui ont été brutées à la surface même du sol; d'autres fragments de racines sont disséminés par terre en tous sens. La na. ture de ce sot est extrêmement pierreuse, spongieuse, humide et blanchâtre, comme celle de la terre de p!pe. Les naturels apprirentà M. Marsden qu'il existait dans les environs plusieurs autres lacs d'une semblable na. ture. Il y a quantité de résine sur les bords du lac Blanc, et différentes par'ties de sa surface sont couvertes d'une gelée semblable au levain qui se forme sur la bière fraîche, quand elle travaille dans la cave. Il rapporta à Port-Jackson une bouteille de cette eau, dans l'espoir qu'on pourrait t'y analyser. La crique rocailleuse au travers de laquelle coule continuellement l'eau qui sort du lac, semble recouverte par la chaux que cette eau laisse déposer dans son cours au travers des rochers, et toutes les pierres de cette crique sont dures comme du silex. It en apporta des échantillons en Australie.
Cette source, également visitée par M. Marsden, est située dans un bois, à quatre milles de distance environ. L'eau était chaude, et d'une très-mauvaise qualité; it s'en exhale une fumée continuelle, et sa surface est couverte d'une écume semblable à l'ocre jaune dont les naturels se peignent te visage, mais d'une teinte un peu plus roageâtre. Cette eau répand une forte odeur sulfureuse. Il emporta des échantittons des pierres qui sont aux environs, et qui sont de leur nature dures et pesantes. Les naturels lui apprirent qu'il existait, à six milles environ du village, une autre source, dont l'eau était blanche et fort mauvaise; ni canards ni poules sauvages ne s'y étaient jamais montrés.
Le lac de Maupère abonde en poissons. Les naturels se servent de paniers de forme circulaire pcar les prendre. Ces paniers étaient faits avec Péeotoe de l'arbre appelé MMHtyM~ et habilement travailles; la bouche du panier se rétrécissait eomme celle d'une souricière, de sorte que le poissca qui y 9.
était une fois entré ne pouvait plus échapper. Il ressemblait fort aux bourdigues de la Provence, ou canaux de roseaux, dans lesquels le poisson vient ~e prendre sans pouvoir en sortir. J fA 00 FORT DE WAt.MATÉ
Une forte palissade en gros pieux plantés les uns près des autres, et hauts de vingt p<eds, forme la première enceintequi entourait la ville de Wa!-Maté. L'entrée est une poterne de cinq pieds de haut et de deux de large, accompagnée au dehors de quelques têtes humaines sculptées, qui respirent un air de vengeance, et semblent menacer les assaillants. En dedans de la palissade, et à la toucher dans toute son étendue, règne une iorteetoture d'osier, que les habitants ont élevée pour arrêter les lances de ieurs ennemis mais, à certains intervaMes~its ont pratiqué des meurtrières, a8n de pouvoir faire un feu de mous(metene sur les assaillants. A une petite distaaee de ce solide rempart, et dans l'intérieur, existe un espace de trente pieds de large environ, où l'on a creusé un fossé une fois rempli d'eau, il défend le côté de la colline qui est le plus accessible à t'extérieur. Derrière ce fossé, ils ont élevé un talus escarpé, sur lequel se trouve un second rang de palissades de la même hauteur
et de la même force que le premier. Le
fossé, qui a au moms neuf pieds de largeur, défend une issue fermée par une autre poterne. Entre celle-ci et la dermèfe, qui donne dans la ville, règne un espace intermédiaire de quatre-vingts pieds de large, à l'extrémité duquel la colline est taillée à pic dans une hauteur de quinze pieds environ. Au sommet s'étève un autre rang de palissades, qui entoure le pâ et complète ses fortifications.
Au sommet de ce pâ était placé le siège ou trône de Kangaroa. H était d'une forme curieuse, et s'élevait sur un pilier, à six j)ieds environ au-dessus du sol, enrichI de dessins grotesques en bas-relief. Pour l'aider à monter, il y avait aussi un degré, qui servait en même temps d'escabeau. C'était de ce
trône que le chef, élevé au-dessus de sonpeuple, donnait ses ordres, et dictait les lois avec autant d'autorité que le roi le plus absolu de l'Asie. Près de ce siège en était un autre exclusivement réservé pour la reine douairière, mère de Kangaroa, et tout auprès une petite caisse pour contenir les provisions de Sa Majesté.
WANGAMA.
Wangaroa est un lieu romantique d'une beauté singulière. Près de la pointe du nord est un gros rocher percé, qui présente l'aspect d'une arcade gothique; la mer roule ses flots au travers, et dans un temps calme les canots peuvent y passer. L'entrée de Wangaroa n'a pas plus d'un demi-mine de large, et de la mer il est impossible de l'apercevoir; mais il y a grand fond jusqu'à toucher la terre de chaque côté, et quand on est dedans, c'est un des plus beaux havres du monde. Les plus grandes flottes pourraient ymouiller, et seraient à l'abri de tous les vents.
ANSE DE L'ASTROLABE.
Voici comment l'anse curieuse découverte par d'Urviue('), et qui porte le nom det'~roM'e, est décrite dans son Voyage
« Dans l'anse de l'Astrolabe, vers midi, un canot de pêche s'étant dirigé sur une grande plage de sable situee au sud de notre mouillage, j'en profitai pour me faire débarquer de nouveau. Une lisière d'un tf-rrain uni et couvert de queiques herbes occupe le bord de la grève; puis, audelà, règne une forêt majestueuse, d'un abord facile. Au milieu coule un large torrent travers de gros blocs de granit, et ces blocs forment parfois, sur la pente du sol, des cascades charmantes, surmontées par des voûtes d'une verdure (*) Nos compositeurs ont oublié une note à la page 108, colonne de ce III' volume, dans laquelle nous avertissions nos lecteurs que le texte, depuis cette colonne jusqu'à la page n6, est emprunté au narrateur du Voyage pittoresque de M. d'Urville.
admirable. Sous ces ombrages s'ébattaient une foule d'oiseaux, dont le chant animait cette scène, aussi vivante, aussi gaie que celle de la veille s'était montrée triste et morne. A quelque trente ou quarante toises plus haut, ma chasse fut abondante; car aucune de ces espèces emplumées n'avait encore appris à craindre le fusil du chasseur; parmi ces oiseaux, je remarquai plus particulièrement une colombe à reflets métattiques, le glaucope cendré, et un étourneau, tous tes deux revêtus de caroncules rougeâtres, le gros perroquet nestor au ptumage sombre, le phélédon avec sa jotie cravate de plumes blanches recoquillées autour du cou, de petites perruches vertes presque semblables à celles de l'Australie, des tourterelles, des fauvettes, des mésanges, etc. Il faut citer encore un grimpereau d'une couleur brune, si familier qu'il vient se poser tout près des passants. L'un d'eux eut l'audace de venir se camper sur le bout même du canon de mon fusil, d'où il me regardait avec un air de curiosité complaisante.
« Revenu sur le rivage, j'y tuai encore quelques huîtriers et chevaliers, qui sont un gibier excellent; puis j'assistai à la levée des filets, qui revenaient pour la troisième fois chargés de superbes poissons appartenant surtout aux genres scombre, serran et labre. Ce fut là notre adieu à cette baie. »
CANALISATION.
Le baron de Thierry a conçu un projet de canalisation de l'isthme de Panama, destiné à raccourcir la communication avec l'océan Pacifique, et qu'i) rattache à un projet de canalisation de la Nouvelle-Zeeland. Il en est question dans un journal de la Jamaïque, dont nous citons le passage suivant
« La Nouvelle-Zeeland a jusqu'à présent été gouvernée par ses chefs indigènes (appelés arikis ou rois), et c'est de ces chefs que. le baron de Thierry a acheté, il y a quinze ans environ, plusieurs capitaineries, en vertu
desquelles il a été reconnu par eux chef souverain des possessionsqu'il a a acquises.
« La vive amitié qui s'est établie entre lui et les puissants chefs de la Nouve)te-Zee)and qui ont visité l'Angleterre, a engagé M. de Thierry à céder aux pressantes sollicitations qui lui ont été faites de gouverner ce pays avec le titre de chef des chefs, et de lui procurer les bienfaits de la civilisation et de la prospérité sociale. POPULATfON.
Nous avons trouvé, dit M. d'Urville, deux cent mille âmes pour Ikana-Maouï, et cinquante mille pour Tavaï-Pounamou. Mais il est bon d'observer que les guerres d'extermination occasionnées par l'introduction des armes à feu doivent réduire ce chiffre de jour en jour; et, si quelque circonstance heureuse et impfevue ne vient brusquement couper court à ce funeste fléau, il est probable que cette population décroîtra de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle arrive à une extinction complète.
Quant à nous, nous aimons à croire que l'extinction de tant de guerres, la destruction successive de la féodalité et de l'anthropophagie, et un plus grand soin des enmnts nouveau-nés, augmenteront cette population qui, si nous ne nous trompons, acquerra un nom distingué dans l'histoire des hommes.
Deux races existent dans ]aNouvet)eZeeland. Les individus de la première sont d'une taille qui dépasse onqpieda. quatre pouces; leur teint est semblable à celui d'un habitant des Algarves ou de Malte, et leurs cheveux sont plats, lisses, noirs ou châtains. Ceux de la deuxième sont plus petits, trapus, vélots, couleur de mulâtres et aux cheveux crépus. Les chefsappartiennent à la première race, les hommes du peuple la seconde; mais tous les Zeelandais (*) sont robustes et ont (*) Nous proposons d'appeler les Nouveaux-Zeetandats AfaoMM<M, du nom de 7~MAom qui ett l'île pnnc!ptte.
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tes muscles fermes et souples. Sans être pourvus d'embonpoint, ils portent la tête haute, les épaules effacées, et leur port ne manquerait pas d'une certaine Berté, sans 1 habitude de vivre accroupis dans leurs cabanes. Cette posture accoutume leurs jarrets à une flexion qui détruit la grâce de la démarche. Ces hommes sont fiers et braves. Leurs traits, fortement prononcés, offrent beaucoup de rapports avec la belle race juive, dont on voit de si beaux types à Constantinople, à Damas et à Bagdad, sauf le tatouage ou moko en usage parmi tes chefs. « La plupart de ceux que nous vîmes, dit M. Laplace, avaient la face presque entièrement couverte d'un tatouage symétrique, gravé avec un goût et une finesse admirables. Ces stigmates, dont ils sont glorieux, sont un brevet de valeur guerrière aussi remarquâmes-nous que les hommes d'un âge mûr étaient seuls décorés du tatouage complet, tandis que les jeunes gens n'avaient encore que quelques dessins légers sur lés ailes du nez ou vers le menton. Les guerriers portent la chevelure relevée et nouée sur le sommet de la tête. Cette coiffure, d'un beau caractère, est souvent ornée de quelques plumes d'oiseaux marins. Ils aiment à se parer de pendants d'oreilles ou de colliers composés communément de petits os humains ou de quelques dents, trophées d'une sanglante victoire. La peau de ces insutaires est brune, et l'ocre dont ils se frottent souvent, leur imprime une teinte rougeâtre qui n'est pomt désagréable. Les nattes dont !)s sont revêtus contractent par le frottement une couleur semblable. Ces vêtements, tissus du lin soyeux que le sol de ces contrées produit en abondance, sont de véritables chefs-d'œuvre d'art et de patience, si l'on songe à la simplicité des moyens que les naturels employent pour leur fabrications. » En générât, ces tissus durent fort longtemps.
NOMS PROPRES.
Les noms propres des Nouveaux-
Zeelandais, comme ceux des anciens Grecs, sont presque tous significatifs, et expriment tantôt un animal, une plante, un poisson, tantôt quelque qualité du corps et de Pâme, quelquefois enfin ils rappellent un exp!mt, une circonstance remarquable pour l'individu qui le porte. Voici de nombreux exemples de ces diverses sortes de désignations
~twa, espèce d'arbre; Koudi, autre espèce d'arbre; ~orafr~, reptile; Kiwi, espèce de casoar ~OMtOM~ pou Tara, oseau de mer; /&a~ posson Manou, oiseau; We, chenille etc. Kara-Tété, irascible; Chouraki, qui marche vite; Doudou, cache; Didi, en colère; ~Mt, qui tremble de fureur; Touma, qui regarde d'un air menaçant Kahi, qui foule aux pieds ~Ktou, cri d'un certain oiseau, etc. Dipiro, nom d'une certaine plage; PaAK-~MT-N!, arraché d'une terre rouge (le père de cet individu avait été tué au moment où il arrachait de la racine de fougère sur une terre rouge); Tau- 7'aAt, né la première année du mariage TauNga Oudou, né la deuxième année du mariage; 7'<MM:, borgne; 77:/M, rayons du soleil ~ai: Koumou, qui mange les membres de sonennemi; Doua 7'srs, tombe fréquentée par les oiseaux de mer Tepahi, le vaisseau ~are OMMMt, maison pour cuire les vivres; Moudi Waï, eau située à l'extrémité Patou Oné, combat sur la plage; etc.
C'est commettre la plus grave insulte envers une personne, que d'appliquer son nom à quelque objet que ce soit. Quand cela arrive, et que la personne offensée en a le pouvoir, elle ne manque jamais de s'en venger en détruisant ou en pillant les objets qui ont reçu le nom ainsi profané. Chongui détruisit un jour tous les cochons de Wangaroa, parce qu'un naturel, dans sa colère, avait donné le nom de Chongui à un de ces animaux.
M. Clarke, se rendant à la NouvelleZeeland sur la corvette française la Coquille, en 1824, avait eu la fantaisie de donner à un beau chien qu'il avait, le nom de Pomare; mais Taï-
Wanga le prévint que les amis de Pomare ne manqueraient pas de tuer son chien, dès qu'ils auraient connaissance de cette profanation. Alors M. Clarlie donna à cet animal )e nom de Pabi l'esclave attaché à Taï-Wanga. Tout esclave qu'était Pahi, il était facile de voir que cela ne lui plaisait nullement, et qu'il ne voyait pas d'un bon cei) l'animal qui portait son nom. Un esclave ayant donné le nom de Tapa-Tapa, femme du chefTekohé, aux patates de Kawa-Kawa, les habitants de cet endroit tremblèrent dans la crainte que leurs voisins ne vinssent leur enlever leurs patates.
Ce dernier exemple donnerait lieu de penser que, dans un pareil cas, non-seulement la personne injuriée, mais encore tous les étrangers ont fe droit de punir un semblable délit. Sans doute ils sont persuadés qu'une telle profanation est un crime grave envers l'atoua et qu'on ne saurait trop en prévenir les conséquences (*).
CONSTITUTION POLITIQUE.
Rien ne rappelle mieux les anciens clans d'Ecosse ou les septes de l'Irlande que les peuples de la NouvelleZeeland (**). Chaque tribu n'est, en quelque sorte, qu'une grande famine, qui reconnaît un chef (*) auquel tous les autres membres prêtent plutôt déférence et respect qu'une véritable obéissance. Les rangatiras ou chefs sont trèsfiers de leurs prérogatives; ils ne manquent jamais d'instruire les Européens de leur propre dignité en les abordant (*), et demandent ensuite aux étrangers quel est leur rang. Il était curieux de voir, dit M. d'Urville, avec quelle promptitude, avec quel discernement ils savaient établir, parmi les personnes de notre ,équi(*) Kendall, Williams et d'Um)!ë, qui a extrait cet artiete et autres qui suivent des pcr~s de divers voyageurs.
(**) Salage, pag. 26.
(*")Cook, 2''voyage, t. III, p. g~r. r. (*) Nicho!as, t. U p. 216; d'Ursule, Voyage de I'o/a~ 1.111, p. 681.
page, des assimilations aux divers ordres de la société chez eux. Le capitaine était )e7!a'M<yaHra-ra;A!, le second, le ~af~a~o-jo~rs-pafso; les divers officiers, Rangatira.Les autres personnes de Fêtât-major sans autorité, les élèves et les maîtres, Rangatira-iti, et les autres hommes de Féquipage, Tangata, jr<M)<yo~at-!jK, ya;Kya<N'-M7a7-t,et~o!<At,suivantqu'i)s étaientofnciers,mariniers,mateiots, ou domestiques. Ils s'efforçaient d'abord de conserver leur rang, en affectant une supériorité grotesque à t'égard des Européens des dernières classes mais comme ces Européens, tout inférieurs qu'ils étaient aux yeux des chefs pour le rang, leur montraient bientôt des objets qui étaient pour eux de véritables .trésors', ces orgueilleux' rangatiras ne tardaient pas à dépouiller leur Serté, et à déroger en se famiiia' risant avec les simptes matelots. Toutefois, dès qu'ils se retrouvaient à terre, et parmi leurs sujets, ils reprenaient toute leur importance, et, dans ce cas, il était rare qu'ils eussent voulu compromettre leur dignité avec des Européens trop au-dessous d'eux.
Les chefs de iaNouve)ie-Zec)andsont si chatouilleux sur t'articfe de la préséance et durant), qu'ils vivent dans une rivalité continuelle, dans un état de ja!ousie poussée à l'excès les uns à l'égard des autres. La médisance, la calomnie, les mensonges les plus grossiers ne leur coûtent pas à régard de leurs rivaux, et ils excitent sans cesse le courroux des Européens contre eux. C'est un fait qui a été observé par une foule de voyageurs (**).
Ce fut cet odieux sentiment qui porta Tara et Toupe à accuser, près des Anglais, leur rival Tepahi d'avoir dirigé l'attentat commis sur le 7?o~ accusation qui lui devint si funeste, ainsi qu'àson pe)jp)e(*). Les chefsdeHouaHoua et Chaki à !eur tête, empioyè(*.) Nichotas; d'Urviffe, t. III, p. 600 et
680.
(*") Cook 3" voyage, t. 1, p. 15g Nicho)a.t.I,p.2Q6.
("") Nichoias, t. II, p. 76.
rent toute sorte de moyens pour porter M. d'UrviHe à massacrer des chefs étrangers qui étaient venus !ui rendre visite (*). Scrupuleux observateurs du cerémonia), ces naturels n'abordent jamais un chef qu'en le traitant de rangatira mais ils apostrophent un homme du commun par t'épithète de tangata, homme, et plus souvent koro, jeune garçon. Il était plaisant de voir à bord les jeunes filles esclaves courir après les personnes avec lesquelles elles s'étaient familiarisées, en répétant à chaque instant E koro (E est le signe de 1 appellatif).
La guerre est aux yeux des Nouveaux-Zeelandais l'état le plus honorable pour l'homme et leurs pensées sont presque toutes dirigées vers les moyens de la faire avec succès ('*). Le motif ordinaire, ou du moins le prétexte apparent de toutes leurs guerres, est toujours de réclamer de leur ennemi une satisfaction outou, pour une offense réelle ou supposée de la part de cet ennemi (*). S'il consent à donner cette satisfaction, l'agresseur se retire (*) sinon les fureurs de la guerre continuent jusqu'au moment où l'un des partis est complétement défait et exterminé. Quand les deux partis viennent à faire la paix, il est b<en rare que l'un des deux n'offre pas un dédommagement à l'autre en guise de satisfaction, et ce gage ou OM~OM paraît seul susceptible de consolider la paix d'une manière stable. Après la guerre que Chongui et Semarangai eurent ensemble en 1820, et où le premier perdit vin pirogues, son ennemi, en faisant ta paix, lui offrit une pirogue de guerre en guise d'outou, pour sceller leur réconciliation (*).Dans leurs disputes avec les Européens, et même après (') D'Urv:I)e, t. H, p. 100 et suiv. (**) Cruise; d'Urville, p. 640.
(*") D'Urville, t. HI, pag. xSS.S, 3i6, 414.
(*) Marsden; d'Urville, t.III, p. 336; J. King; d'Urville, t. III, p. 3Q3 madame Williams; d'Urville, t. JII, p. 493. (") Cruise, p. 58.
qu'eues sont terminées, on lesvoit presque toujours réclamer l'outou comme une chose qui leur est due.
Les Zeelandais poursuivent avec une constance opiniâtre leurs projets de vengeance un fils ne pardonne jamais t'injure faite à son père; la nécessité seule pourra le forcer à la laisser impunie pendant un temps; mais il en tirera satisfaction dès qu'il le pourra (*). Avec de pareilles dispositions ces peuples ne peuvent jamais vivre dans un état paisible (**) aussi sont-ils continuellement sur leurs gardes (*), et l'on trouve bien rarement un guerrier zeetandais qui ne soit arme de toutes pièces.
Ces gens ne peuvent concevoir que les Européens n'aient pas lés mêmes opinions (*); et Taara se refusait à croire que les Anglais eussent renoncé à toute idée de vengeance contre lui en punition de l'attentat qu'il avait commis sur le navire anglais le ~oy<~ (").
Les fréquentes guerres où ces peuples sont engagés, et la faiblesse des tribus sont cause qu'elles se réunissent d'ordinaire plusieurs ensemble pour former des ligues offensives contre leurs ennemis (*). Jadis les tribus de la baie des lies et celle de ChoukiAnga s'unissaient habituellement avec celles du Chouraki pour aller ravager les peuplades de la baie d'Abondance et du cap Est. Dans les dernières années, les deux premiers peuples allaient combattre chaque année contre ceux du Chouraki et du Waï-Kato )igués ensemble (*). Dernièrement les guerriersde la baiedes Des en sont venus aux mains avec ceux du Chouki-Anga. Enfin on a vu des tribus combattre isolément l'une contre l'autre, comme quand Chongui alla attaquer les habi(*) Marsden; d'Urçille, t.III, p. 476. (") Musionnaryregister.d'UrviUe, t. III, p. 529.
("") Cook, 3' voyage, 1.1, p. 174, ipS. ("") W. WlUiams; d'UrviHe, t. 111,
p. N47.
(') Marsden; d'Urville,t.III, p.4S5. (") Quoy; d'UrvHte. t. 11, p. 284. (') D'Urville, t. II, p. !65.
tants de Wangaroa, quand Temarangai entra sur les terres de KidiKidi (*), quand Moudi-Waï et Matangui eurent querelle ensemMe(**). Dans les guerres importantes, où il s'agit du sort de plusieurs tribus réunies, avant d'entrer en campagne, tous les chefs d'un certain rang se réunissent en un conseil solennel, et délibèrent gravement sur les avantages et les inconvénients de )a guerre (*). Ils parlent l'un après l'autre avec noblesse et dignité, debout et en marchant, et leurs discours sont toujours écoutés dans le plus profond silence (*). Ces conseils durent quelquefois des journées entières; ils ont lieu en plein air les chefs sont accroupis sur leurs genoux en formant le cercle, et se tiennent dans un grand recueillement (*). Les prêtres y sont appeiés, et y exercent souvent unegrande influence.
On a reproché à ces insulaires leur perSdie et leurs ruses pour tâcher de surprendre leurs ennemis. H est cependant certain qu'un chef se met rarement en campagne sans avoir envoyé à ses ennemis des messagers pour leur signifier ses intentions, pour leur exposer les motifs qui lui ont fait prendre les armes, et leur demander s'ils sont disposés à lui donner satisfaction de )'injure ou du grief qui leur est imputé, ou bien s'ils veulent en venir à un appel aux armes (*). De la réponse faite aux envoyés dépend ordinairement le parti que prendra l'assaillant.
Quand la guerre a été déclarée suivant les formes requises, et que l'ennemi s'est refusé aux réetamations qui lui ont été adressées, les assaillants se dirigent, par mer ou par terre, vers les contrees qu'ils veulent attaquer. (*) J. Butter; d'Urville, t. III, p. 394. (") Marden; d'Urville, t. III, p. 331 et
miv.
(*) Savage, p. 28.
("") Marsden; d'Urville, t. III, p. 3a~ Williams, d'Urville, t. III p. 5Sg. (*) Marsiien;d'Urn[Ie, t.III, p. 409. (*) Marsden; d'Urvi))e, t. m,p, 3o8.
On a vu, dans les dernières années, les peuples du nord d'Ika-na-Maoui lever des armées de deux ou trois mille combattants, quantité prodigieuse eu égard à la faible population de chaque tribu, aux distances à parcourir, et au peu de ressources dont lestroupes pouvaient disposer dans le chemin (*).
Lorsque ces troupes sont en marche, elles campent sous des huttes en branchages et en fougères, que chaque tribu construit pour son usage; ou bien les guerriers se couchent sur la terre, et en plein air quand ils sont favorisés par le beau temps (**). Le poisson sec et la racine de fougère sont à peu près les seules provisions dont ils font usage en ces circonstances, comme les plus faciles à se procurer et à transporter. Quand ils sont vainqueurs ils se dédommagent aux dépens des vaincus de la diète forcée à laquelle ils ont été assujettis.
Quelquefois des bandes nombreuses d'esclaves sont employées à porter a de grandes distances les provisions nécessaires (*) puis on les renvoie dans la tribu quand on n'a plus besoin d'eux.
LE NAPOLÉON DE LA NOUVELLE-ZEELAND. Les indigènes de la Nouvelle-Zeeland ont une si haute idée de la valeur guerrière, qu'ils considéraient Napoléon-.comme le premier homme du monde. Ainsi la mémoire du premier capitaine des temps modernes étaitelle populaire parmi des sauvages p)acés presque à nos antipodes. Hihi, le plus célèbre guerrier des troupes de Chongui, reçut le surnom de Napoulon et de Ponapati ( Napoléon et Bonaparte). Ce Napoléon de la Nouvelle-Zeeland avait été ainsi nommé par Touai, chef zeeiandais, qui avait eu l'honneur de voir l'empereur des (*) Cruise; d'Urville, t. 111, p. 667. (**) Cook, premiervoyage, 1.111, p.ayS; Rutherford; d'Urville, t. m, p. 753. (*) Cruise; d'Urville, t. III, p. 6~3 et 679; Rutherford; d'Urville, t. m, p. 7~.
Français à Sainte-Hélène, et qui considérait ce jour comme le plus glorieux de sa vie. Le brave et sage Hihi s'est noyé il y a peu d'années dans les eaux du Waï-Tamata, pendant qu'il combattait comme un lion contre les habitants de Chouruki.
JUGEMENT SUR LES CHEFS ZEELANDAIS. Un capitaine de navire, dit M. Laplace (*), est à chaque instant obsédé par une foule de prétendus grands personnagesqui, pourappuyer leurs droits à ses libéralites, se parent de titres etde noms plus baroques les uns que les autres. Ils affluent à bord, avec leurs femmes, de tous les cantons d'alentour, s'installent sans façon sur le gaillard d'arrière, et y demeurent jusqu'à ce qu ns aient obtenu, par leur importunité, de la poudre, des balles ou quelques galettes de biscuit; puis ils s'en vont, après avoir toutefois prévenu officiellement les officiers de leur prochain retour. Il est difficile de reconnaître dans ces mendiants suspects, couverts de haillons et remplis de vermine, ces princes, ces nobles guerriers, ou rangatiras, dont les voyageurs nous racontent les visites avec tant de complaisance. Cependant la plupart des rois ou des héros qui figurent si brillamment dans les plus récentes relations, se trouvaient à Karera-Keka pendant le séjour de M. le capitaine Laplace. Les uns avaient pris une part très-active aux massacres épouvantables commis pendant les dernières guerres; les autres, plus jeunes, mais non moins féroces, se disposaient à venger leurs pères ou leurs oncles rôtis ou mangés par l'ennemi. Tous, vétérans ou conscrits, donnaient une bien triste idée de ceux qui n'existaient plus. Il reçut, à son grand chagrin, la visite de Bomaré, neveu d'u n fameux chef, que les habitants de la RivièreTamise, canton naguère très-florissant, et situé au sud Je la baie des Ifes, avaient dévoré avec ses deux fils l'an(') Ce chapitre est extrait du Voyage de la Favorite autour du monde.
née précédente. Ce sauvage,déjà re-douté par son courage et ses inclinations sanguinaires, pouvait être considéré comme le véritable type du rangatira. En effet, sa taille ëfevée, sa large poitrine, ses membres pleins, musculeux, et terminés par de larges pieds et de grosses mains, dénotaient une vigueur peu commune un front haut et découvert, des yeux jaunâtres, enfoncés, à demi ouverts, et qui lancaient des regards inquiets et sinistres un nez aquHin, dont les ailes servaient, pour amsi dire, de point d'appui à deux spirales tatouées en noir, qui, après avoir fait le tour des joues et des yeux, se réunissaient au milieu de son front, tandis qu'un ornement semblable, entourant la bouche en guise de moustaches, et cachant le menton ainsi qu'une partie du cou, faisait ressortir un dentier d'une blancheur éclatante enfin une chevelure longue et malpropre, et quelque chose de mobite et de traitre dans l'ensemble des traits achevait de rendre effrayante la physionomie de ce Bomaré. Sonbabillement, de même que celui de ses compatriotes, se composait de deux grossiers pagnes de formium dont la couleur, jadis blanchâtre, avait disparu sous la saleté. L'un de ces pagnes, fixé par une ceinture au milieu du corps, ne dépassait pas les genoux l'autre, plus épais et bariolé de couleurs rouge et noire, symétriquement disposées, était attaché autour du cou, et pendait par derrière jusqu'aux talons. Si à ce magnitique habiHement on ajoute des pendants d'oreilles et un collier de dents d'animaux, une petite figure plate de jade vert, suspendue sur la poitrine au moyen d'un cordon et presque aussi bien'modeiée que le bon homme de pain d'épicedont chez nous se régalent les enfants, plus un casse-tête de pierre très-dure, couleur émeraude, espèce de hachoir long de dix-huit pouces et tranchant des deux côtés, on aura une idée de la mine, de la tournureetdu costume d'un grand seigneur nouveau-zeelandais.
La détestable réputation de celui-ci parmi les Européens et que son air
ne justifiait que trop, m'engagea, dès le premier abord, a le traiter, ainsi que son Pilade Rewi-Rewi, vieux chef aussi méchant et plus rusé que lui, avec une déuance qui, au grand désappointement des deux princes et de feurs adhérents, restreignit beaucoup ma générosité à leur égard.
Leurs membres, leurs traits semblaient agités d'un mouvement convulsif, leurs yeux brillaient d'une ardeur féroce, leur main droite saisissait le redoutable casse-tête. Je pouvais alors comprendre ce que sont de pareils hommes, lorsque, entièrement nus, barbouillés de la tête aux pieds d'huile et d'ocré rouge, la figure renversée par les plus horribles contorsions, ivres de race et hurlant leurs chansons guerrières, ils se précipitent sur l'ennemi. Nos batailles ne ressemblent nullement à ces furieuses më)ées. La lame garnie d'arêtes de poissons, le javelot plus court, mais non moins meurtrier, la terrible hache d'armes dont le largetranchant et le long manche sont faits de la même pièce de bois, jonchent bientôt )e champ de bataille de morts et de blessés, que les femmes des vainqueurs achèvent à coups de poignard, traînent ensuite dans un lieu écarté et préparent pour l'horrible festin qui suivra le combat.
Mais comment se représenter sans frémir l'épouvantable spectacle que doit offrir pendant la nuit, la réunion de ces cannibales groupés autour d'immenses brasiers où cuisent les cadavres des vaincus tués durant l'action, et ceux des captives choisies pour augmentei la pâture de ces abominables monstres? Le reste de ces infortunées créatures, aussi bien que les enfants destinés comme elles à un esclavage éternel, ou bien à satisfaire plus tard l'appétit de leurs nouveaux maîtres, sont entassés pêle-mêle à peu de distance, et entendent avec effroi les chants de triomphe de leurs bourreaux.
Que nos misanthropes parcourent les archipets de ]a mer du Sud, qu'ils viennent à la Nouvelle-Zeeland, et ils verront si les natifs y avaient attendu
l'exemple des Européens pour se livrer à la superstition et à tous les genres d'iniquités! Ils trouveront les plus exécrables usages établis parmi eux de temps immémoria!. Une mu)titude de malheureux sacrifiés au génie du ma), puis dévorés en cérémonie; les mères ob)igées souvent de détruire ellesmêmes leurs filles nouveau-nées ou leurs fils contrefaits, comme des êtres également -à charge à la famille le meurtre presque toujours impuni; )e droit du plus fort tout à fait consacré enfin les indigènes partagés en deux classes bien distinctes,dont l'une, exclusivement adonnée à la guerre et au piHage, maîtresse du sol et des priviléges, tient l'autre dans une dure servitude, lui fait cultiver les terres, l'assujettit aux plus pénibles travaux, et la traite, en un mot, comme dans l'Europe du moyen âge les barbares traitaient les vaincus.
QueHe ressemblance y a-t-il entre le pana et le brame? ou, pour établir un rapprochement plus analogue aux mœurs et aux habitudes des NouveauxZeelandais, quelle similitude existait-il, chez nos ancêtres les Gaulois, entre les fiers leudes exercés dès l'enfance au métier des armes, ét le misérable reste de la population?
Cependant, i! faut l'avouer l'air humble du wari, ses membres grêles, ainsi que sa laide figure, privés de l'honneur du tatouage, et noircis par le soleil, ses inclinations basses et abjectes, tout, jusqu'à son habillement, composé de deux paillassons, dont l'un couvre ses épaules, tandis que l'autre cache à peine le reste de son corps, dénote qu'il est d'une autre race que le rangatira. Celui ci en effet paraît né pour lui commander. Son attitude martiale, les dessins bizarres, mais étégants, qui décorent sa ngure et sa poitrine, des traits prononcés, un regard assuré et une haute opinion de lui-même, annoncent l'homme libre qui ne connaît d'autre joug que celui de la nécessité aussi est-il orgueilleux, violent, susceptible, inconstant, jaloux de toute espèce de supériorité, et capable de se porter, par ven-
geance, aux atrocités les plus révoltantes.
Quelques voyageurs, entraînés par leur imagination, ou désireux de faire valoir leurs amis de la NouvelleZeeland, prétendent que les rangatiras rachètent ces défauts, conséquences naturelles, disent-ils, de i'état sauvage, par du désintéressement, de la loyauté, de la délicatesse, et cent autres belles qualités que les marins qui les fréquentent ne leur accordent certainement pas. Quant à moi, je demanderai si c'est par désintéressement que ces insulaires, non contents de dérober tout ce qui leur tombe sous la main à bord des navires où ils sont bien accueitiis, en égorgent et dévorent les équipages quand ils le peuvent, puis s'emparent de la cargaison ? si c'est par toyauté qu'ils calomnient )acbementleursrivaux auprès des capitaines des bâtiments armés, afin de satisfaire leur animosité sans aucun risque? enfin, si c'est par délicatesse que la plupart d'entre eux vendent sans hésiter, aux Européens, les faveurs de leurs filles pour de la poudre et des fusiis ? P Ne pouvant disconvenir de ces faits, les prôneurs des Nouveaux-Zeelandais cherchent à nous persuader que, chez eux, du moins, les femmes mariées sont d'une fidélité à toute épreuve, et ne se livrent jamais aux étrangers; sur ce point encore je ne suis point encore de leur avis, et je crois que la fidélité des Nouvelles-Zeelandaises provient non d'un excès de retenue, mais tout bonnement de la difficulté de trouver des chalands. Tout observateur impartial, qui verrait ces prétendus dragons de vertu avec leurs figures tatouées, leur énorme bouche ornée d'une pipe, et leurs regards sans expression,qui examinerait de près leur gorge ûétne, pendante et sittonnée, de même que tes autres parties du corps, de profondes cicatrices, et qui, de plus, sentirait l'odeur insupportable d'huile de poisson qu'exhalent leurs pagnes, cet observateur, dis-je, conviendrait sans peine de ce que j'avance et l'aristocratie femelle de la baie des Hes lui paraîtrait, comme eUe a paru à mes
plus intrépides jeunes gens, tout à fait a Fabri de la séduction.
Ces vilaines créatures, cependant, pouvaient passer, dans leur jeunesse, pour d'assez joues filles; leur taille, il est vrai, était courte et ramassée, mais elle n'était pas sans grâce elle avait même un air de volupté, que rendaient plus attrayant encore des seins bien p)acés et moeHeusement arrondis, ainsi que de petites mains et des pieds bien tournés; leurs traits réguners. leurs yeux doux et caressants, une bouche bien meublée, leur donnaient une physionomie fort avenante alors elles étaient sûres de plaire, surtout lorsqu'au temps des chaleurs les bains avaient restitué à leur peau sa fraîcheur et son velouté, et que, nouvelles sirènes, débarrassées de tout vêtement superflu, elles allaient par troupes, à la nage, visiter les navires depuis le soir jusqu'au matin.
Mais comment ces charmes auraientils résisté, je ne dirai pas aux travaux pénibles, partage du sexe le plus faible chez les peuples barbares, mais seulement aux cruelles privations qui, d'après les coutumes desNouveaux-Zeelandais, précèdent et suivent l'enfantement ? Reléguée, durant sa grossesse, loin de ses'amies et de ses parents, sous une hutte temporaire, que le vent et la pluie percent de toutes parts, !a pauvre femme attend ainsi plusieurs semaines le moment de sa délivrance, et ne recouvre la liberté que lorsque son nouveau né, réchauffé sur son sein, a bravé, pendant quelques jours, les intempéries de )a saison. Que d'enfants doivent succomber à ces privations Quelles souffrances, quels tourments pour celles qui leur donnent le jour! et doit- on s'étonner que plusieurs d'entre elles renoncent au bonheur d'être mères, et se dérobent, par des moyens violents, aux suites de leur fécondité
FtANÇAtLLES.
Quant à la cérémonie du mariage en e)!e-même, les opinions sont divisées sur ce chapitre. La plupart des voyageurs ont assuré que l'homme peut
choisir parmi toutes tes jeunes filles qui sont libres; et Je consentement des plus proches parents de celle-ci lui suffit, quelles que soient d'ailleurs les dispositions de la future (*). Le jeune homme en est quitte pour faire les cadeaux d'usage aux parents; puis il emmène chez lui cette qui a fixé son choix.
Cette manière de choisir et d'emmener sa future est un peu cavalière, et ne ressembteguèreà ceque M. d'Urvitte apprit de M. Kendall touchant la cérémonie. Souvent, disait ce missionnaire, le jeune homme choisit sa future tandis qu'elle est encore fort jeune, et va la demander à ses parents. Si ceux-ci consentent à l'union, il applique la main Bur l'épaule de sa future, en signe d'engagement ce qui correspond parfaitement à ce que nous nommions jadis fiançailles. Lorsque la jeune Site est nubi!e, l'époux, accompagné de ses amis, va la chercher au logis de ses parents, et l'emmène chez lui. Deux ou trois parentes de la future sont désignées pour l'accompagner et veiller sur elle jusqu'à la consommation du mariage. Alors c'est à l'époux à obtenir, par adresse ou par persuasion, les faveurs de sa belle; pour éprouver l'amour de son mari, celle-ci le fait soupirer des jours et des nuits entières, dit-on. Dès qu'il est heureux, il appelle les gardes de la jeune fille, qui, après s'être assurées du fait, se retirent leurs fonctions cessent, et elles s'en retournent chez elles. De ce moment seulement le mariage est définitivement ratifié.
La version de Doua-Tara aurait quelque rapport avec la précédente, sans supposer cependant une délicatesse aussi raffinée. Il disait simplement que l'amant doit se procurer d'abord le consentement des parents de sa future. S'ils le donnent, et que la jeune fitie ne pleure point à la proposition qui lui est faite, le mariage a lieu surle-champ; mais, si elle pleure la première fois qu'il fait sa visite, et qu'elle (*) Cruise, Ravage et Rutherford, trad. et comp. par d'Urville.
persiste dans ses refus à la seconde et a la troisième visite, le galant est obligé de renoncer à ses desseins (*). Probablement c'est cette façon de se marier que M. Kendall a désignée, dans sa Grammaire, sous le nom de adou kanga, épousailles par serment, de adou, faire la cour, et kanga, serment. Touaï assura à M. d'Urvi!)e que c'était ainsi qu'il avait été obligé d'en agir pour obtenir la main de sa femme Ehidi, et qu'il avait en outre fait présent à ses parents de trois fusils de deux esclaves, de trois canots, et d'une portion de terre.
Déjà Banks avait fait, touchant la conduite à tenir envers les jeunes filles et les égards qu'il fallait leur témoigner pour obtenir leurs faveurs, une observation qui donnerait lieu de penser que les assertions de M. Kendall et de Doua-Tara ne seraient pas dénuées de fondement (**).
Peut-être ces égards extraordinaires et cette délicatesse extrême pour des sauvages, mentionnés par M. Kendall, ne s'observent-ils qu'envers les femmes d'une haute naissance; tandis que, pour les autres, la demande et les présents aux parents de la future suffisent tout simplement pour obtenir sa main. Quoi qu'il en soit, il est certain que, dans le choix de leurs femmes, surtout de la principale, les chefs font beaucoup plus d'attention au rang et à l'influence de la famille à laquelle ils appartiennent,qu'à sa jeunesse et à sa beauté. La femme que Touaï chérissait tendrement, appartenait àl'une des plus nobles familles de la Zeeland. Chongui avait aussi beaucoup d'affection et de considération pour sa première femme, qui était aveugle et dépourvue d'attratts personnels, mais qui était d'une naissance illustre.
POLYGAMtE.
Ordinairement les époux vivent ensemble de bonne amitié, et les que(*) KendaU; d'Urville, t. In, p. iz3. (**) Coot, premier voyage,t.III, P. ~6y et 268.
relies sont rares entre eux (*); si le mari veut prendre plusieurs femmes ce qui lui est permis (**), il est obiigé, disait Touaï à M. d'Urville, de fournir à chacune d'elles un logement, et rarement il arrive que deux femmes habitent ensemble. Quelques rangatiras opulents ont eu jusqu'à dix femmes, comme Tareha. Chongui en avait sept, Koro-Koro trois; maisTouaï n'en avait jamais pris qu'une seule et, quand je lui en demandais la raison, c'était, disait-il, pour ne pas faire de peine à Ehidi.
Parmi ces diverses femmes, il en est toujours une qui occupe le premier rang et c'est celle qui sort de la famide la plus distinguée. Elle participe seule aux honneurs et aux dignités de son mari, et ses enfants sont destinés à succéder au père dans ses possessions et dans son pouvoir.
Les chefs épousent souvent plusieurs sœurs-à la fois. Tepahi, quoique trèsâgé et paralytique, avait épousé les quatre sœurs, et avait en outre plusieurs autres femmes. Rutherford épousa à la fois les deux filles de son chef Emaï, Eskou et Epeka.
RELATIONS DES FEMMES.
Toute espèce de relation est sévèrement interdite entre les personnes de famille noble et les esclaves. Le traitement barbare que Tepahi lit subir à sa propre fille, en la renfermant durant des années entières dans une cage étroite, démontre à quels excès l'orgueil nobiliaire offensé peut se porter, même sur les plages sauvages de la NouveUe-Zeetand. Rutherford assure néanmoins qu'un chef peut épouser une esclave, mais qu'il est exposé à être dépouillé de ses biens pour avoir violé la coutume. L'enfant d'une esclave est esclave, quand même son père serait un chef.
Quoique les rangatiras ne semblent (*) Rutherford; d'Urville, t. III, pag. 75o.
(**) Cook, troisième voyage, t p. 178; gavage, pag. 44.
voir qu'avec une sorte d'r orreur toute espèce de communicatior intime avec leurs esclaves, s'il arriva:! cependant, disait Touaï à M. d'Drvitt s, qu'un chef vînt à avoir un enfant ~'une de ses esclaves, sous peine d'être déshonoré aux yeux des siens, il serait obligé de l'épouser. Pour cela, il ui donnerait la liberté ou l'achèterait et irait ensuite la demander à ses parents avec les formalités requises. Nous ferons observer d'abord, dit le commandant de l'Astrolabe, qu'une telle manière d'agir démontreraitun scrupule d'honneur bien étonnant por de pareils hommes; qu'ensuite, fût etie sérieusement obligatoire par les coutumes du pays, elle n'obligerait te: chefs qui se trouveraientdans ce cas, que lorsqu'ils te voudraient bien. En eff:t, comme ils sont maîtres absolus de la vie de leurs esclaves, on sent bien qu'un rangatira serait toujours libre de faire disparate la malheureuse fille dont il aurait abusé, plutôt que de se laisser contraindre à l'épouser, si cela ne lui convenait pas. Du reste, il arrive souvent que des chefs épousant leurs prisonnieresde guerre (*); et :'estpeut-être en ces occasions qu'ils l~s mettent en liberté, et les demander t à leurs parents.
M. Dillon nous apprend que certaines prêtresses, et il cite WangaTaï pour exemple, sont d'une dignité trop éminente pour honorer de leur main un homme de leur nation(**). Alors elles choisissent l'Européen qu'elles veulent bien gratifier de leurs faveurs. Cela rappelle Mturettëment le cas d'exception ou se trouve, a Tonga-Tabou, la ~ma~a, dont aucun homme ne peut d< venir t'époux avéré. Reste à savoir si la conduite adoptée par Wanga Taï n'est pas un pur effet de son caprice, et n'a a pas pour but de donner a ses compatriotes une plus haute opinion de son caractère sacré. Peut-ëti'e Dareille restriction n'avait-elle jnnai& eu lieu (*) Kendait d'Urville, 1. III, p. 234. (") Kendall; d'Urville, t. III, p. ~37.
avant l'apparition des Européens dans ces contrées.
LICENCE DES FILLES. FIDÉLITÉ DES FEMMES (*).
Dans ce pays on ne pense pas qu'il y ait d'inconvenance de la part des femmes à faire les premières avances, ou même à accorder leurs faveurs avant la cérémonie du mariage; tant qu'elles sont filles, elles sont exemptes de toutes les entraves que la délicatesse leur impose chez les nations civilisées; mais, après le mariage, tout privilége de ce genre leur est interdit et elles sont généralement chastes.
II est peu de nations sauvages où les hommes tiennent autant qu'à la Nouvelle-Zeeland à la fidélité, à la chasteté de leurs femmes. Ces créatures, que les premiers voyageurs recevaient à bord de leurs navires, ou qu'on leur présentait dans leurs promenades à terre, n'étaient le plus souvent que des esclaves qui prodiguaient leurs faveurs pour obtenir quelques cadeaux des étrangers, et le fruit de ces avances ne reste pas même à ces malheureuses filles; tout appartient à leurs maîtres. C'est ainsi que Touaï et sa femme ne manquaient jamais d'appeler et de visiter chaque soir leurs esclaves pour s'emparer du produit de leur journée.
Il était curieux devoir ces filles, échos fidèles de leurs patrons, demander sans cesse poM/yet (de la poudre). En général elles étaient mieux que les femmes mariées. Quant à celles-ci, il était rare qu'elles montassent à bord, et elles ne quittaient pas un instant leurs parents et leurs maris. Une fille libre peut cependant accorder ses faveurs à qui lui plaît, pourvu que l'objet de son choix soit digne de son rang, autrement elle dérogerait. Pour la femme mariée, la mort est la punition de l'adultère. Cependant, quand elle appartient à une famille puissante que le mari craint d'offenser, quelquefois il se contente de la renvoyer chez ses [ (*)HaU,M.n'sdenetd'UrYiUe.
parents, et, de ce moment, elle redevient libre de sa personne. Quand des Français adressaientàdes femmes de chef des propositions galantes, elles étaient constamment repoussées avec une espèce d'horreur, par les mots Wahine sMo, ~spoM. Femme mariée, défendu.
JALOUSIE DES FEMMES.
Les femmes sontquelquefois portées à se donner la mort dans un accès de jalousie. Quand j'étais à )a NouvelleZeeland,j'en entendis raconter l'exemple suivant Un chef, nommé TurAo'HM;, qui venait quelquefois nous rendre visite à Tbamès, était marié :'< une femme qui lui était singulièrement attachée mais le chef, séduit par les charmes plus grands d'une belle aux yeux noirs, devint inndèie. La jeune femme, voyant que ses supplications et ses larmes étaient inutiles, guetta une nuit son mari lorsqu'il entrait dans ]a hutte de l'objet de son amour, et se pendit à i'entrée. Le premier objet qui frappa les yeux du chef, en voulant sortir delà hutte le lendemain matin, fut ie cadavre de cette femme dévouée et fidèle balancé par le vent. SOUMISSION DES ENFANTS ENVERS LEURS PARENTS.
En opposition à ce qu'avait avancé Forster, M. Nichofas fait la remarque suivante:
« Loin d'être insolents et indis;pti nés, j'ai, au contraire, observéqu'à h ]\ouveHe-Zee)and tous les enfants des deux sexes sont soumis et obéissants envers leur mère d'une manière remar quable; et pendant tout )e séjour que j'ai fait dans ce pays, je n'ai pas vu un seul exempte de conduite indécente. jamais on ne m'a dit que les enfants fussent dans l'habitude de traiter leur mère avec mépris, et quand ils seraient disposés à le faire, je ne pense pas qu'ils fussent protégés par leur père, contre le châtiment dû à ce manque de respect. »
FEMME QM SE SACRIFIE A LA MORT DE SON MARI.
A la mort de Doua-Tara cet homme extraordinaire, dont la grandeur d'âme tritta d'un éclat si remarquable au milieu de la barbarie dont il était environné, M. d'Urville nous apprend que sa première femme, Dehou, inconsolable de sa mort, se pendit presque immédiatement après; M. Kendall, dont il tenait ces détails, lui assura que toute la famille de Doua-Tara, ses parents et la population entière de Rangui-Hou, applaudirent à cette preuve désespérée de dévouement conjugal. H paraît, du reste, d'après les récits subséquents des missionnaires, que c'est une pratique commune à la NouvelleZeeland, que la femme se détruise à la mort de son mari.
VOL.
Quoique une grande partie des Nouveaux-Zeetandais ne se fassent aucune scrupule de voler, toutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion, cependant, par une étrange anomalie, le terme de voleur (tangata tae hae) est le plus grand reproche qu'on puisse leur faire, et c'est à leurs yeux l'épithète la plus injurieuse.
COUCHES.
Quand une femme est près d'accoucher, elle devient tapou; elle est, en conséquence, privée de toute communication avec les autres personnes, et reléguée sous un petit abri temporaire qui a été préparé pour elle. Là, elle est servie, suivant son rang, par une ou plusieurs femmes qui sont tapouées comme elle. Cet état d'exclusion de la société dure quelques jours après l'accouchement. La durée précise de cette espèce de quarantaine, et les formalités que la femme doit subir pour reparaître librement dans la société, sont encore inconnues.
On a remarqué que les femmes de ce pays cessent de bonne heure d'avoir des enfants (*). Cela tient sans doute (*) Nichotas, t. H, p. 3oi.
aux travaux pénibles au::quels elles sont assujetties, surtout aux privations qu'elles ont à subir pendant leur grossesse et au moment de leurs couches. NAISSANCE. ENFANTS.
Par suite des préjuges adoptés par ces peuples, la mère deva tt être reléguée, dans les derniers jours de sa grossesse, loin de son habitation, sous un simple abri de brancliages et de feuilles, presque entierem'nt exposé à la pluie, au vent et aux ardeurs du soleil, c'est là naturellenent que le nouveau-né vient au monde; c'est là qu'il doit rester encore ple sieurs jours après sa naissance, exposé à toutes les intempéries de la saison (* ).
Suivant M. Nicholas, les femmes accouchent en plein air, devant une assemblée de personnes de deux sexes, et sans pousser un seul ci Les assistants épient avec attention l'instant où l'enfant arrive au mo ide f et s'écrient, à sa vue, ?'<MM Tane. La mère elle-même coupe le cordon ombilical, se lève ensuite, et reprend ses travaux ordinaires, comme si de rien n'était~*).
Si, d'une part, des épreuves aussi rigoureuses doivent emporter, au moment de leur naissance, plusieurs de ces enfants, il faut convenir, d'un autre côté, qu'elles doiven< affermir la constitution de ceux qui peuvent y résister, et leur donner, de onne heure, cette force de corps, cette vigueur de tempérament, et cette altitude à endurer toutes sortes de pr vations, qui leur deviendront si nécessaires par la suite, dans l'existence acti ve et pénible à laquelle ils sont destinés.
Crozet, en voyant tous ces insulaires grands, robustes el bien faits, soupçonnait presque que l'on ne conservait point les enfants qui venaient au monde faibles ou difformes (*). Cette conjecture ne s'est point véri(*) Marsden; d'Urville, t. Uî, p. 195. (*')Nichotas, t !I,p. 172; Marsden; d'Urville, t. III, p. 196.
(*) Crozet; d'Urville, t. m, p. 53.
née; et les missionnaires n'ont rien découvert qui annonçât quelque chose de semblable dans les coutumes du pays. Sans doute il est certaines occasions où l'on ne se fait aucun scrupule de détruire les enfants, surtout quand -le nombre des filles dépasse le désir des parents (*) Alors c'est la mère ellemême qui fait périr son enfant aussitôt qu'il est né, en appuyant fortement son doigt sur la partie supérieure du crâne (**) à l'endroit nommé~bM~a;nelle mais cela est indépendant de la conformation de l'enfant. Quoi qu'il en soit, les personnes difformes et contrefaites sont fort'rares à la Nouvelle-Zeeland; dans le grand nombre de ceux qu'y virent les Français de l'expédition de l'Astrolabe, qui peut bien se monter à deux ou trois mille, ils n'observèrent qu'un bossu, que M. Sainson a dessiné.
M. Lesson y a observé que les enfants jouent avec des toupies analogues aux nôtres, en se servant d'un fouet pour les faire tourner; et cette légère re- marque, unie à une plus grande masse défaits, ne sera peut-être pas sans queiqueintérët.
NAtSSANCE ET BAPTEME DES JNDIGÈKES. Pour avoir des détails positifs sur la cérémonie de leur baptême ancien, M. d'Urville profita de la reconnais- sance qu'il avait inspirée à Touaï par quelques services, pour lui adresser quelques questions, auxquelles il répon- j dit d'une manière p)us satisfaisante que d'ordinaire. Je ferai observer, dit-il, que c'est une marche nécessaire pour quiconque vopdra s'instruire avec quelque e succes des coutumes et des opinions de ce peuple singutier, que de procéder avec beaucoup de circonspection, de paraître entrer dans ses opinions, et même de les respecter et de les admi- 1 rer jusqu'à un certain point; c~yees ] hommes sont très-sensibles au. mépris < et au dédain des Européens, et, par 1 a
(*)Crui!,e;(l'Urv:[Ie,t.m.p.664. i (**)Revuebritannic[ue;d'Urviife,t.III, j p. 723.
60' /.N~OtMOM. (OCEANIE.) T. UT.
tous les moyens possibles, ils cherchent à se soustraire à des sentiments humiliants pour leur vanité.
"Au début de l'entretien, ajoute-t-il, Touai ne cherchait qu'à éluder mes ques.tiens, soit par un, « Je ne sais pas, 1 don't AnoM? assez froid, soit en alléguant que ces cérémonies n'étaient que des niaiseries bonnes seulement pour des sauvages, soit enfin en prétextant que cela ne devait avoir aucun intérêt pour moi. Bientôt, devenu plus complaisant, il répondait à mes questions, il est vrai; mais souvent il débitait tout ce qui lui passait par la tête, fort indifférent au fond à ce que ces documents fussent vrais ou faux. Après l'avoir interrogé sur le baptême, et lui avoir récité les mots attribués par la grammaire à cette cérémonie, il répondit même d'abord qu'ils étaient conformes à ce qu'on pratiquait en pareil cas. Enfin, pressé de m en donner la signification en anglais, comme j'étais surpris de ne trouver aucun sens à sa traduction, il finit par convenir qu'effectivement ces mots ne signifiaient rien, et qu'il ne savait pas où l'on avait pu les recueillir. Ce fut alors seulement qu'après de nouvelles instances, il consentit à m&donner les paroles baptismales, telles du moins qu'on les avait employées à la naissance de son fils, avec tes rites qui furent suivis dans cette cérémonie; car il est trèsprobable que ces rites, comme ces paroles, varient de tribu en tribu, et peut-être dans les familles de la même tribu, suivant le caprice des arikis ou de ceux qui dirigent la cérémonie. Cinqjours après la naissancede l'enFant, la mère, assistée de ses amis et de ses parentes, le dépose sur une natte, et cette natte est soutenue sur deux monceaux de bois ou de sable. Toutes les femmes, l'une après l'autre, trempent une branche dans un vase rempli d'eau et en aspergent l'enfant m front. C'est en ce moment qu'on' ui impose son nom; le nom est une affaire sacrée pour ces peuples, et, à eurs yeux, il fait en quelque sorte partie d'eux-mêmes.
<' Cependant ils en changent quel10
quefois pour perpétuer te souvenir d'une circonstance, d'un exploit remarquable dans leur vie. Ainsi, en mémoire du lieu ou périt de maladie ~oro-Koro, à Witi-Anga, à la suite d'un combat, son frère Touaï prit le nom de Kati-Kati mais l'ancien a prévalu. il est arrivé le contraire à l'égard' de Pomare; dont l'ancien nom Wetoï était presque ouMié, comme ceux des chefs King-Georges et Georges, dont les noms primitifs étaient inconnus des Européens. Dans ces occasions, assurait Touaï il fallait que la cérémonie
du changement de nom fut consacrée par un nouveau baptême.
Voici les paroles empt~yees au baptême du fils deTouaï, d'aj'res sa propre diction, et conformémen. à notre prononciation. Quant à la vateur de chacun des mots séparément, e ne puis en répondre, dit M~ d'UrvU e; car ce chef l'ignorait lui-même, et n} pouvait distinguer les syiïabes isolées de celles qui devaient être réuni ;s en un seul mot. D'ai))eurs, il arriva souvent que certaines atiiances de mets donnent au composé une valeur toute différente de celle qu'ils ont par eLX-mëmes.
Que mon enfant
soit baptisé
Comme la baleine
puisse-t-i) être furieux!
puisse-t-itêtremenacant!
Qu'à cet enfant
la nourriture soit fonrnie
par l'Atoua mon père.
Puisse-t-il se bien porter,
être content!
Puisse-t-il recevoir sa nourriture, quand ses os seront relevés.
Takou taaama
J toï hia.
Ki te parawa
Kia didi,
KiaMgoui'hia.
Ko te tama
Neïkahi
Otou,
Kotingana,
Hia ou owe.
K.awakateka, Te kani hia ou we.
Fou'taYie. Pour la mort. Pourtant' Pour la mort.
"AFaidedu vocabulaire, dit M. d'Urville, j'entends passablement les huit premières lignes; it n'en est pas de même des quatre dernières, et je suis obligé de m~m rapporter implicitement à la traduction que Touai me donna, moitié par mots anglais décousus, moitié par signes et par gestes, à défaut d'expressions suffisantes pour rendre ses idées.
<' Quoi qu'il en soit, on voit que cette prière se compose de deux parties distinctes, l'une pour l'état de vie, l'autre pour le moment où l'individu sera réduit à la substance spirituelle. Dans toutes ses actions, dans toutes ses cérémonies, ce peuple singulier ne perd jamais de vue cet instant. Cette conviction intime d'une existence future, etde -la gloire qui's'y rattache quand ils peuvent triompher de leurs ennemis, doit pour beaucoup dans ce courage féroce, dans ce mépris de la mort qui les caractérise; car ils ne la redoutent guère, pourvu qu'ils soient assurés
que leurs corps recevroni, les honneurs funèbres. »
AFFECTION EXTRÊME POUI LES ENFANTS. Un jour M. Marsder entendit de profondes lamentations. Ayant dirigé ses pas vers l'endroit (.'ou elles venaient, il vit plusieurs femmes qui poussaient de grands cris, et dont la figure était couverte de ruisseaux de sang. Sur les questions qu'il leur fit, il apprit que la femme du chef qui nous avait accompagn's avait enterré un enfant peu de <emps auparavant, et les autres femmes étaient venues pour gémir et pteuter avec elle à cette occasion. Elles tenaient toutes leurs visages rapprochés les uns des autres, mefaient leurs lai mes avec leur sang, et poussaient de grands cris, en se déchirant en même temps avec des couteaux tranchants. M. Marsden fut vivement peiné de ce spectacle. Le chef s'avança vers lui, et dem Inda s'il avait
peur. Il lui répondit qu'il n'avait point peur, mais qu'il souffrait beaucoup de voir ces femmes se déchirer ainsi que cette coutume n'existait en aucun pcvs de l'Europe, et qu'elle était très-mauvaise. I! répliqua que les Nouveaux-Zeeiandais chérissaient tendrement leurs enfants, et qu'ils ne pouvaient témoigner leur affliction d'une manière suffisante sans verser leursang. M.Marsden lui fit remarquer qu'il était convenable de verser des larmes, mais nullement de se déchirer soi-même. Cette coutume barbare règne universellement parmi les habitants de cette île. t[OM OU TATOUAGE (').
On appe)!e moko, ou tatouage, ces dessins bizarres que les NouveauxZeelandais impriment sur leur visage et sur les diverses parties de leurcorps. Cet usage est généralement répandu parmi tous les insulaires de l'Océanie; mais ceux de la NouvelleZeeland se distinguent en creusant en véritables siuons cet ornement, qui partout ailleurs n'entame que la superficie de la peau. Ils emploient pour l'exécuter une manière de taille au ciseau, au lieu d'une simple suite de piqûres, comme le font les autres peupies. Ils paraissent aussi attacher à cette décoration des idées de distinction et de privilége bien plus positives qu'à Taïti, Tonga-Tabou, Haouaï, etc. L'opérateur commence par tracer sur la peau, avec du charbon, les dessins qu'il a l'intention d'exécuter; puis il prend un instrument composé d'un os d'albatros, ajusté à angle droit à un petit manche en bois de trois ou quatre pouces de long, danslaforme d'une lancette de vétérinaire. L'os est tantôt simplement tranchant à t'extrémité, tantôt aplati et muni de plusieurs dents aiguës comme un peigne. H applique cet instrument contre la peau, et frappe avec un petit bâton sur le dos du ciseau, pour le faire pénétrer dans l'épiderme et l'entailler d'une manière suffisante, (*) Crozet, Cook, Savage, NicMas, Cruise, Rutherford, Marsden, d'Urville et Rienzi.
en suivant le dessin préparatoire. On conçoit que )e sang doit couler en abondance; mais l'opérateur a soin de l'essuyer à mesure avec le revers de sa main ou avec une petite spatule en bois. A mesure que la peau est entaillée, la couleur ou Je moko est introduite dans la coupure au moyen d'un petit pinceau (voy. 180). EUe se compose de charbon pilé, de manganèse, suivant Kichotas, ou enfin d'une teinture Yégéta)e. Après quoi, le patient reste taboue durant trois jours. Rien n'est plus douloureux à subir que cette opération; il faut quelquefois plusieurs mois pour terminer un moko lessuites en sont souvent plus pénibles que l'opération elle-même, à cause des plaies qui en résultent, et que certaines circonstances peuvent envenimer d'une manière effrayante. Les naturels nous exprimaient par des gestes très-significatifs les douleurs intolérables que l'opérateur leur faisait éprouver quand il venait à attaquer le bord des lèvres, le coin de i'œil, et surtout la cloison des narines.
Les jeunes gens ne subissent guère les premières opérations du moko avant l'âge de vingt ans; il est rare aussi qu'ils soient admis à cet honneur avant d'avoir assisté à quelques combats. II est impossible de prétendre à aucune considération, à aucune influence dans sa tribu, sans avoir été soumis à cette opération. Le jeune homme qui s'y refuse, quand même il appartiendrait à une famille distinguée, est regardé comme un être pusillanime, efféminé et indigne de participer aux honneurs militaires; aussi est-il fort rare que ce cas se présente. Cet usage semble généralement répandu dans toute la Nouyelte-Zeeland, et les habitants du détroit de Cook nous ont paru aussi vains de leur tatouage que ceux des parties septentrionales d'Ika-na-Mawi. Signe de distinction, cet ornement est interdit aux koukis ou esclaves, aux hommes du peuple, et même à ceux qui n'osent se présenter aux combats, à moins qu'ils ne soient autorisés à le porter par une haute naissance. TouaïassuraàM.d'Urvillequetes 10.
hommes du peuple acquéraient le droit du moko par des exploits à la guerre, et qu'après une campagne honorable les chets se faisaient d'ordinaire ajouter quelque nouveau dessin pour en consacrer le souvenir. Il ajoutait qu'on repassait sur les mêmes dessins plusieurs fois dans la vie, quelquefois jusqu'à quatre ou cinq reprises différentes. Chongui, disait-i). avait reçu tous ses mokos; car sa figure avait subi cinq tatouages. Lui-même n'était arrivé qu'à son second tatouage, et il comptait obtenir le troisième au retour d'une expédition qu'il méditait alors (voy. pi. 18t). Peut-être ces gradations dans les honneurs du moko ne sont-elles pas aussi précises queTouaï voulait les établir; au moins est-il il certain que ces priviléges sont limités aux hommes d'une naissance distinguée, ou aux guerriers célèbres par leurs hauts faits, et qu'un Rangatira se croit d'autant plus honoré que son visage est plus décoré des dessins du moko.
Cette distinction n'est permise aux femmes, sur la figure, qu'aux sourcils, aux lèvres et au menton, et ne peut consister qu'en quelques traits de peu d'importance; mais elles peuvent se faire imprimer des dessins plus compliqués sur les épaules et d'autres parties de leur corps.
«Quand j'allai, dit M. d'Urville, visiter avec Touaï le vittagedeKahouwera, l'ariki Touao me montra sa femme, qui recevait la suite de son moko sur les épaules.Une moitiédeson dos étaitdéjà sillonnée de dessins profonds semblables à ceux qui ornent le visage des parents de Koro-Koro, et une esclave travaillait à décorer l'autre dans le même goût. Couchée sur le ventre, la malheureuse femme semblait beaucoup souffrir, et le sang ruisselait abondamment de ses plaies cependant elle ne poussait pas même un soupir, et elle se contenta de me regarder d'un air riant, sans se déranger, non plus que ta femme qui étatt chargée de cette importante opération. Touao semblait tout glorieux de l'honneur nouveau que sa femme allait acquérir
par ces décorations, tandis que Touaï ne faisait qu'en rire, pour montrer sa supériorité sur ses compa:riotes. « Parmi ces peuplades le moko m'a paru précisément l'équivalent de ces armoiries dont tant de familles européennes étaient si vaines dans les siècles de barbarie, et dont quelquesunes sont encore ridiculement infatuées aujourd'hui, malgré les progrès des lumières. Entre ces deux inventions, il y a pourtant un; différence remarquable, c'est que les armoiries des Européens n'attestaier t que le mérite individuel de celui qui le premier avait su les obtenir, san< rien prouver quant au mérite de i es enfants tandis que la décoration des NouveauxZeelandais atteste, d'une manière anthentique, que, pour avoi le droit de la porter, il a dû faire preuve d'un courage et d'une patience personnelle extraordinaire.
Rien ne pourra mieu:: démontrer les idées que les Nouveau t-Zeetandais attachent aux dessins du MtoAo, et lem analogie avec nos armoiries, que les observations suivantes. T)uaï me faisait remarquer un jour <tvec orgueil quelques dessins bizarres gravés sur son front comme je lui demandais ce qu'ils avaient de si remarquable La « famille de Roro-Koro, reprit-il, a « seule, dans la Nouvelle -Zeeland te « droit de porter ces dessins; Chonft gui, tout puissant qu'il est, ne pourrait pas les prendre, or la famille f de Koro-Koro est beaucoup plus il« lustre que la sienne. Un Zeetandais, considérant un jotr te cachet d'un officier anglais, vi: des armes gravées sur ce cachet; sur-te-champ Il demanda à l'officier si c'était le moko de sa famille. »
Ces dessins leur tiennent aussi aujourd'hui lieu de signature, comme cela se pratiqua lors du marché que M. Marsden contracta :vec le chef Okouna, quand il voulut acquérir un terrain pour la mission lorsque les Européens eurent apposa leur seing au bas du contrat, le mot' o d'Oliouna y fut appliqué en guise de signature, et ce fut Chongui qui se ( hargea de le
tracer. Toupe-Koupa avait coutume de dire que son nom était représenté par un des dessins particuliers de sa Cgure.
L'œi) de l'étranger s'habitue assez vite à l'effet du moko; tout bizarre, tout révoltant qu'il soit au premier abord, rosit s'y accoutume promptement, et on 'iinit même par trouver que l'aspect en est agréable, ainsi qu'on s'habitue aux yeux obliques des Mongols et des beautés chinoises. Les marques impriment au visage des Zeelandais un caractère de noblesse et de dignité très-prononcé elles suppléent en quelque sorte au défaut d'ornements étrangers, et à la nudité habituelle de leur corps. Par un sentiment involontaire, et dont j'aurais eu peine à me rendre compte, ceux des Polynésiens des îles Carolines dont le visage n'était point tatoué, me paraissaient effectivement d'une condition inférieure à ceux qui avaient reçu leurs insignes.
L'opération du moko, en donnant au système cutané un surcroît d'épaisseur et de solidité, rend ces insulaires plus en état de résister aux piqûres des moustiques aux intempéries des saisons, aux coups de leurs ennemis, en un mot, à tous les accidents auxquels l'homme sauvage est incessamment exposé. Les souillures de la saleté, les traces des maladies, et jusqu'aux rides de la vieillesse sont peu sensibles sur ces peaux gravées, endurcies et fréquemment ointes d'huile enfin ces décorations étranges ont l'avantage d'annoncer sur-le-champ, et d'une manière authentique, le rang de èhaque individu et de lui assurer la considération à laquelle il a droit. Quelques renseignements fort curieux touchant le ~oAo furent accidentellement obtenus de la part de Toupe-Roupa, un des chefs de la Nouvelle-Zeeland, pendant son séjour en Angleterre. L'esquisse de sa tête fut tracée, durant son séjour à Liverpool, par un de ses amis M. John Sylvester et Toupe s'intéressa beaucoup au progrès de son exécution. Mais par-dessus tout, il tenait fortement à
ce que les dessins de son visage fussent Ëdètement reproduits sur Je portrait. Ces dessins, assurait-il, n'étaient pas du tout l'ouvrage du caprice, mais ils étaient tracés suivant certaines règles de l'art qui déterminaient la direction de chaque ligne. Dans le fait, leur ensemble constituait la marque distinctive de l'individu il y a plus, Toupe donnait constamment son nom à ta marque de sa figure qui se trouvait précisément au-dessus de la partie supérieure de son nez, en disant: « L'homme de l'Europe écrit son nom « avec une plume le nom de Toupe « est ici," en désignant son front. Pour mieux expliquer sa pensée, il traçait sur un papier, avec une plume ou un pinceau, les marques correspondantes dans les mokos de son frère et de son fils, et faisait remarquer les différences qui se trouvaient entre ces dessins et le sien. Du reste, cette partie de sa décoration qu'il appelait son nom n'était pas seule aussi familière à l'esprit de Toupe; chacun des dessins tant de sa ligure que de toutes les autres parties de son corps, étaient constamment gravés dans sa mémoire. Quand on eut découvert le talent de Toupe dans ce genre de dessin, plusieurs de ses connaissances de Liverpool lui demandèrent des échantillons de son savoir-faire; et, durant une quinzaine de jours, tout son temps fut employé a fabriquer des dessins des cicatrices dont sa figure était couverte. La profondeur et la quantité des traits du tatouage indiquaient, disait-il la dignité de l'individu suivant cette règle, il devait avoir été lui-même un chef d'un rang distingué, attendu qu'il restait à peine le moindre espace de la peau de sa figure dans l'état naturel. Quelques-uns de ses ouvrages représentaient aussi les dessins des autres parties de son corps et il traca pour le docteur Traill les mokos de son frère et de son fils aîné, jeune homme qu'il avait laissé pour commander sa tribu jusqu'à son retour. En finissant le dernier il le tint en l'air, le contempla avec un murmure de contentement affectueux, le baisa plu-
sieurs fois et fondit en larmes en le remettant au docteur.
L'ensemble de ces anecdotes forme la peinture la plus agréable que nous possédions du caractère des NouveauxZeelandais il démontre ce qu'un peup)e doue d'un aussi bon coeur pourrait devenir si l'on pouvait améliorer la condition fâcheuse où il se trouve, condition qui dirige la plupart de leurs qualités vers un but S) funeste puisqu'elle ne fait servir leur sensibilité, leur bravoure, et même leur intelligence et leur adresse naturelle, qu'à i'entretien de leurs haines mutuelles. et à ajouter une férocité nouvelle et un esprit de vengeance insatiable encore à leurs guerres perpétuettes. Toupe, une fois soustrait à ses funestes mnuences,et piacéaumiiieu des habitudes de la vie civihsée, ne montrait plus que des dispositions douces et affectueuses. Le barbare qui dans les combats avait tant de fois semé la mort autour de lui était devenu le compagnon de jeu des enfants et le disciple complaisant des coutumes les plus paisibles: personne n'eût montré des dispositions plus naturelles pour tous les avantages de la civilisation. Sa reconnaissance de tous les petits services qu'on pouvait lui rendre, était toujours exprimée avec une chaleur et d'une manière qui prouvait qu'elle venait du cœur. Lorsqu'il quitta Liverpool, il fut profondément ému en prenant congé du docteur Traill d'abord il lui baisa les mains ensuite oubHantoudédaignanttesnouveUesformes qu'il avait contractées depuis son arrivée en Europe, pourreveniràcelles que son cœur jugeait sans doute beaucoup plus expressives, il frotta son nez contre celui de son ami, d'après la coutume de son pays avec une cordialité passionnée. En même temps Toupe assura le digne médecin que s'il venait jamais dans son pays, il aurait des vivres en abondance et pourrait remporter avec lui autant de chanvre et d'espars qu'il en désirerait.
ESCLAVES (').
Les esclaves se. composent des prisonniers faits à la guerre, de leurs enfants et des individus libres qui, par des malheurs imprévus, o comme punition de certains crimes ont été réduits à cette triste conditi m.
Dans ces contrées, cor une chez les anciens peuples de la Grèc~ et de l'Asie, la condition d'esclave impr me une sorte de tache indélébile à ceux qui ont été ob)igés d'en subir l'humiliation. Aussi les malheureux réduits en ;ervitudepar leurs ennemis cherchent-i s rarement à se soustraire à leurtriste c estinée, bien que cela leur soit souvent assez faei)e, eu égard à la survei)ian(e peu sévère que l'on exerce sur eux, mx forêts et aux déserts dont la Zeetand est semée. Ils se résignent à leur position, et deviennent quelquefois des membres fidèles de leur nouvelle tribu, soit par alliance, soit par adoption, soit par le simple effet de t'habituée et de la nécessité.
Les esclaves ou serviteurs travaillent de concert avec les fe nmes.et sous leur direction, à la culture des champs; ils vont à la pêche; ce son; eux surtout qui font cuire les atimen .s et les présentent à leurs maîtres. Cette dernière fonction leur a fait domer, dans ce dernier temps, le nom de AoM&< (corruption de l'anglais COO~, CM~'MMr), au lieu de wari, serviteur, qu'ils portaient plus habituellement auparavant. Aujourd'hui les chefs tirent parti de leurs jeunes esclaves iu sexe féminin, en les envoyant à bord des navires européens pour trafiquer de leurs charmes avec les gens de t'tquipa~e. Ces pauvres malheureuses so it obligées de rapporter à leurs maîtres le fruit de leur prostitution, ou ettei courraient le risque d'être maltraitées par eux. Bien que la vie des es ;laves soit entièrement à la discrétion de leurs maîtres, et que ceux-ci puissent les mettre à mort sans plus de d fficulté qu'un Européen n'en éprouverait à assommer (*)Cook,Crozet,Marsdm, WitHanM, Quoy,Nichotas, d'UrvilleetRienzi.
son chien ou son âne, et sans qu'il en résuttât pour eux des suites plus fâcheuses, cependant la condition de ces infortunés n'est pas aussi pénible qu'on pourrait se ,l'imaginer. Quand ils ont une fois recueiHi et préparé de quoi manger pour leurs maîtres, ils peuvent, fe reste du temps, danser, chanter et se divertir à leur fantaisie. Certainement leur sort est beaucoup moins à plaindre que celui des malheureux noirs condamnés à servir les Européens dans les colonies, et à épuiser du matin au soir leurs forces dans un travail accablant et sans cesse renaissant, pour satisfaire à la cupidité de leurs maîtres. Sous ce rapport, le Nouveau-Zeeiandais, tout sauvage qu'il est, se montre un maître plus humain; il maltraite rarement son esclave, matgré ie mépris qu'il lui porte, et la différence des hommes libres aux esclaves est si peu sensible aux yeux d'un étranger, qu'il est souvent fort difficile de distinguer les uns des autres. Pour les esclaves qui ont été libres, le plus grand malheur de leur état doit consister dans le souvenir de leur ancienne dignité et dans le sentiment de leur humiliation actuelle. Pour ceux qui sont nés dans l'esclavage, le premier de ces tourments n'existe pomt, par conséquent l'autre est à peine sensible aussi semMent-its en général fort indifférents sur }eur situation. Pour les uns et les autres, il est pourtant une conséquence terrible de leur condition, c'est d'être continuellement exposés à être sacriSés aux obsèques des principaux chefs de la tribu en général et de leurs maîtres en particulier.
HABITATIONS (*).
Les habitants de la Nouvelle-Zeeland, si actifs, si industrieux à d'autres égards, sous le rapport de l'architecture sont restés bien au-dessous des peuples de Taïti, de Tonga et même de Haouaï.Les maisons des Rangatiras, des dernières classes et des hommes du peuple ont rarement plus de sept ou (*) Cook, Crozet, Nicholas, Cruise et d'Urville.
huit pieds de long, sureinq à six de large et quatre ou ci n'q de hauteur. Celle qu'ha. bitait Koro-Koro, dans le pâ deK.ahou' Wera (voy. pl. 189), n'etait pas plus spacieuse. Une personne ne saurait se tenir debout dans ces cabanes. Elles sont construites avec des pieux rappro. chés les uns des autres, entrelacés de branches plus minces; ces treillis sont en outre recouverts extérieurement et intérieurement de tapis épais en forme de paillassons, fabriques avec diverses plantes marécageuses, et notamment avec les feuilles longues et flexibles du typha; une pièce de bois plus forte forme le fa)te du toit, qui est composé des mêmes matériaux que les parois, et qui imite assez bien celui des chaumières de paysans en Normandie ou en Bretagne, à cela près que le dos en est plus arrondi.
Les cases des chefs sont plus grandes elles atteignent quelquefois de quinze à dix-huit pieds de long, sur huit ou dix de large et six de hauteur. A l'une des extrémités existe, en guise de porte, une ouverture qui n'a que trois pieds de hauteur sur deux de large, et qui se ferme par un battant à bascule. Ce battant consiste en une natteépaisse, de la même dimension que l'ouverture. A côté, et un peu plus haut que la porte, est percée la fenêtre, qui a deux pieds en carré, et qui ferme également par un treillis en jonc.
Du côté ou se trouve la porte, le toit se prolonge en dehors de la paroi, en guise d'auvent d'environ quatre pieds de longueur. C'est là que se tiennent les maîtres et qu'ils prennent leurs repas; car un préjugé retigieux leur défend de manger dans l'intérieur de leurs maisons.
Les maisons des chefs sont ordinairement ornées de figures sculptées tant au dehors qu'au dedans, et souvent une figure grotesque est placée près de de la porte, et une autre au-dessus de la maison. Rutherford prétend que ces statuettes sont placées à la porte des chefs pour en mterdire l'entrée aux esclaves ou aux hommes du peuple, qui seraient punis de mort en cas d'infraction à cette règle.
Le plancher de la maison est formé par de la terre rapportée bien battue, et rehaussé de dix ou douze pouces audessus du sol environnant. Un petit carré creux,quelquefois environnéde pierres, indique )ap)acedu foyer, et tafumée n'a d'autre issue que ]a fenêtre, ou la porte, quand la fenêtre manque. Aussi ces cases sont-elles toujours enfumées, et cette fumée doit contribuer à rembrunir le teint ces indigènes.
Un tas de feuilles de fougère ou de typha leur sert de lit. Leurs nattes leur servent de couvertures d'ailleurs ces cases sont naturellement chaudes. Les chefs, quand ils ont une famiHe, possèdent plusieurs cases enfermées d'une seule palissade. Ces palissades ont quelquefois douze ou quinze pieds dehaut, et sont garnies d'épais paillassons en feuilles de typha (voy. pl.173). La plupart des maisons des Nouveaux-Zeelandais sont rectangulaires. Leurs magasins publics, surtout ceux qui sont destinés à contenir leur substance favorite, les koumaras, ou patates douces, sont fort grands, et remarquables par une galerie qui environne tout le pourtour, et qui est ornée ordinairement d'une foule de bas-reliefs bien exécutés ils possédaient cet art même avant qu'ils eussent reçu des instruments en fer des Européens; car Crozet en faisait de son temps un éloge pompeux.
Jadis les Nouveaux-Zeelandais, retranchés dans leurs pâs, bravaient )es assauts de leurs ennemis, et soutenaient quelquefois des sièges de plusieurs mois. Combien d'exploits ignorés Combien de traits de vaillance, combien de prouesses ont dû éclater parmi ces peuples guerriers, pour être condamnés à un éternel oubli! L'adoption des armes à feu amis un terme à ces luttes prolongées, comme naguère en Europe elle détruisit tout à coup la supériorité et l'influence de nos chevaliers bardés defer et d'acier. MAISONS ET PLANTATIONS.
La maison de Wivia à Wat-Kadi était très-grande; elle avait vingt-sept
pieds de long, dix-huit de large et neuf de hauteur. La porte n'était pas plus grande que celle des autres cases, mais elle était décor :e de quelques bas-reliefs curieux. 1res du village étaient quelques plantations de pommes de terre et de kot maras bien cultivées. La précision a"ec laquelle les plantes étaient arrangeas, les soins minutieux que l'on apport ait à arracher les mauvaises herbes, la propreté des palissades et la commodité des barrieres et des sentiers eussent fait, en Europe, honneur au g)ût du plus habile cultivateur.
LA MONTRE PRISE POUR DN DŒU.
M. Nicholas, de qui rous tenons ces détails, va nous fournirune anecdote curieuse. A Waï-Kidi chacun était curieux de considérer sa montre; mais le mouvement leur parut être une chose si étonnante, qu'ils jugèrent que ce ne pouvait être rien moms que le langage d'un dieu et la montre elle-même, considérée comme un atoua, devint pour eux tous l'objet d'un profond respect.
CULTURE, INDUSTRIE ET COMMERCE. Les terrains défrichés sous la direction des missionnaires Mr les nouveaux chrétiens, sont Issez fertiles ils rapportent des grains et des légumes, et pourraient nourrir de nombreux troupeaux, si le respect superstitieux des insulaire! pour les champs taboués n'opposait un obstacle insurmontable à la multiplication des bestiaux et même de la vc taille. On peut donc, sans crainte d'errer, considérer ces missionna.res comme les éclaireurs des légions de colons australiens, qui tôt ou tard envahiront la Nouvelle-Zeeland, dont la malheureuse population, affaiblie par ses propres fureurs, serait dès à présent peu capable de leur résister. Ces colons trouveront dans Ika-na-~awi un territoire favorable à toutfs sortes de cultures, des ports admirablement placés pour le commerce et li. navigation, soit au fond de baies tMgnihques, soit auprès de rivières bordées d'ar-
bres excellents pour les çonstructions navales, et des collines qui renferment, vraisemblablement, des mines de fer, de houille et de soufre ils y trouveront encore le ~Aoy-MM'MM ~a.r, espèce de chanvre indigène à la Nouvette-ZeeJand, et dont l'usage commence à se répandre en Europe. Cette espèce de chanvre se tire d'une plante assez semblable au cordon de nos jardins, et portant des feuilles aiguës, longues et étroites, dont le tissu, dépouiiié de sa pulpe épaisse et. couleur émeraude, et exposé à la rosée, donne des fus blancs qui servent é~a)ement bien à fabriquer des toiles trèsfines et des cordages extrêmement forts (voy. pl. 297.)
Pour mettre le phormium en état d'être employé, les femmes, que ce genre de travail regarde exclusivement, coupent les feuilles en lanières trèsminces, et les font ensuite passer plusieurs fois entre le tranchant d'une coquille de moule qu'elles tiennent fortement dans la paume de leur main droite et le pouce de cette même main. Pour compléter une natte de grande dimension et du goût le plus soigné, il faut au moins deux ou trois ans de travail.
Ainsi préparée, cetté denrée est vendue aux caboteurs de Sidnev et d'Hobart-Town pour des couvertures de laine, des ustensiles de fer, de la quincaillerie, du tabac, et surtout pour de la poudre et des fusils, sortes de marchandises sans lesquelles il est presque impossible de conclure aucun marché avec les Nouveaux-Zeelandais.
Ce commerce a lieu principalement dans le détroit de Cook, et procure aux naturels de cette partie d'Ika-na-Mawi une aisance dont ceux de la partie nord sont d'autant plus envieux, que nonseulement ils ne récoltent pas chez eux le ~/MM'MMMM, mais qu'ils voient les espars qui forment leur principale branche d'échange avec les Européens, diminuer rapidement par suite de la destruction des bois sur les bords des rivières et aux environs de la mer, où ils ne peuvent plus les transporter au'avec des peines inSnies.
DÉIFICATION D'CH CHEF MORT.
Voici quelques détails que nous empruntons à M. Marsden
"Nous allâmes vers l'atoua, près de qui nous entendions les plus bruyantes lamentations. A notre arrivée, nous trouvâmes un chef mort, assis dans tout son appareil. Ses cheveux avaient été arrangés suivant la coutume, ornés de plumes et d'une guirlande de feuilles vertes. Sa figure étaitpropreetluisante; car on venait de la frotter d'huile, et elleavait conservé sa couleur naturelle. Nous ne pourrions dire si le corps s'y trouvait tout entier ou non; car des nattes le couvraient jusqu'au menton. H avait l'aspect d'un homme vivant assis sur un siège. J'en avais vu un, quelque temps auparavant, dont la tête avait été arrangée de la même manière et le corps desséché et conservé aussi bien que la tête. Ce chef, au moment où il mourut, était un jeune homme âgé de trente ans environ. Sa mère, sa femme et ses enfants étaient assis devant lui; et, à sa gauche, les crânes et les os de ses ancêtres étaient rangés sur une ligne. Je m'informai du lieu où il était mort, et l'on me répondit qu'il avait été tué, quelques mois auparavant, dans une bataille à la rivière Tamise.
"C'étaitde ce chef qu'on m'avait tant parlé, le jour précédent, sous le nom d'atoua.LesNouveaux-Zeelandaissemblent nourrir l'opinion que la divinité réside dans la tête d'un chef; car ils ont toujours la plus profonde vénération pour la tête. S'ils adorent quelque idole, c'est certainement la tête de leur chef, autant du moins que j'ai pu me faire une idée de leur culte.
« Dans la circonstance actuelle, une foule de personnes étaient venues d'une grande distance pour consoler les parents en deuil et rendre leurs hommages aux restes du défunt. Ses parentes se déchirèrent, suivant leur coutume, jusqu'à ce que le sang coulât de leur visage, de leurs épaules et de leur gorge. Plus ils maltraitent leur corps, plus ils pensent montrer leur amour pour les amis qu'ils ont perdus. Quand
je leur disais que les Européens ne se déchiraient point ainsi pour leurs morts, mais qu'ils se contentaient de les pleurer, ils répliquaient que les Européens n'aimaient point leurs amis comme )e font tes Nouveaux-Zeelandais, qu'autrement ils feraient comme eux. »
LANGUE.
La langue douce, 'sonore et très-musicale des Polynésiens, a subi quelque altération à la Nouvelle-Zeeland. Les sons, remplis de mollesse et de douceur à Taïti, ont acquis ici une prononciation plus dure; ce qui est dû à l'introduction des consonnes, et surtout des lettres k, h, n, g et w. Les habitants se sont transmis, par la tradition orale, un grand nombre de poésies très-anciennes dont ils ignorent et l'origine et même le sens anëgorique. La plus célèbre d'entre elles est la fameuse ode funèbre, ou pihé, qui commence par ce vers Papa ra tè OM6(<! tidi, etc. » Comme les Taïtiens, ils improvisent sur toutes sortes de sujets, et leurs annales sont des chants dans lesquels ils conservent le souvenir des événements remarquables, les apparitions sur leurs bords des navigateurs, et les circonstances diverses de leur histoire, ou les faits de leurs guerriers leurs femmes, naturellement portées à l'enjouement, critiquent avec ironie, dans leurs couplets, la prononciation peu correcte ou ridicule des étrangers, et font même des épigrammes sur les habitudes qui heurtent leurs préjugés c'est ainsi que les jeunes filles qui vivaient avec les matelots de la corvette la Coquille, et qui ne retiraient pour salaire de leur complaisance qu'une portion de vivres de leurs amants, les accablaient de leurs sarcasmes en leur chantant des eouplets commençant par ces mots Va'yo <t taro, etc. (*) »
NUMÉRATION.
Les Nouveaux-Zeelandais comptent (*) Lesson.
le temps par nuits, po, par unes, ma?'sM< par mois, tau. J.u delà de vingt ou trente lunes, leurs supputations sont fort inexactes. Pour un événement d'une date é)oignee, il leur est à peu près impossible d'assigner son époque autrement qu'en le comparant à quelque circonstance importante de leur vie. Les distances iti ]éraires se mesurent par journées de marche et par demi-journées. La pro :bndeur de la mer s'évalue par houmou, mesure .qui représente tantôt ure brasse, tantôt deux brasses. Ur singulier moyen d'arpentage usité {armi eux, c'est de se coucher' à pla;, la main droite étendue au-dessus de la tête, et de se relever et s'étendre a nsi jusqu'à ce qu'ils, aient mesuré tout le terrain. C'est ainsi qu'ils se rendaient compte de la longueur des navires guropéens, en les parcourant d'un bout à l'autre (').
ASTRONOMIE.
Ces peuples semMeraietit posséder quelques notions grossières d'astronomie, ou au moins d'ura tographie. Doua-Tara racontait aM. Nicholas que ses compatriotes passaient s mv ent plusieurs heures à contempler les étoiles. Ils ont assigné à chacune d'elles des noms particuliers (**). Ces noms rappellent certaines traditions anciennes, en grande vénération dans le pays. Durant l'été, ils consacrent des nuits entières à étudier les mouvements eetestes, et à veiller le moment où telle ou telle étoile va paraître à l'horizon. S'il leur arrive de ne pas voir paraître l'étoile qu'its attendent à l'instant présumé, ils s'inquiètent de son absence, et ils ont r'cours aux traditions que leurs prêtns leur ont transmises à cet égard (* ).
La Ceinture d'Orion se n~mme chez eux Waka ou la Pirogue. Ils croient que les Pléiades furent aulrefois sept de leurs compatriotes, qui après leur mort, se fixèrent dans cett; partie du (') D'UrviDe.
(**) Savage, p. ai.
(*) Nicbotas, t. I, p.t.
ciel et chaque étoile représente un de leurs yeux, la seule partie de leur être désormais visible. Les deux groupes d'étoiles que nous nommons nuages magellaniques, sont, pour eux, Firabou et ~r~e, et diverses opinions superstitieuses s'y rattachent. Enfin, une autre constellation porte le nom de l'Ancre (*).
Les Nouveaux-Zeelandais savent très-bien reconnaitre leur direction durant le jour par la direction du soleil, et la nuit par celle des étoiles. Guidés par le même moyen, ils indiquent, avec une grande exactitude, le gisement de leur ile, lorsqu'à la mer on les interroge à cet égard (**). VOYAGES.
Ils aiment beaucoup à voyager, etils se rendent souvent à des distances considérables deteurs résidences, etpour de longs intervattesdetemps (*). Le plus souventteurs voyages ont pour but quetque commerce; ils vont échanger des nattes, despounamous ou jades, contre des vivres, des armes, ou d'autres objets (*). D'autres fois ces voyages ont une fin politique (*). Ce sont des députés envoyés par leurs chefs pour solliciter l'alliance d'autres tribus, et les inviter à leur porter secours dans leurs projets de guerre; ou bien ils vont demander satisfaction pour des outrages commis par des membres de ces tribus, sur des individus appartenant à celle de l'envoyé; ou bien, espions déguisés, ils vont pour examiner les forces, les mouvements et les dispositions de l'ennemi. Enfin plusieurs de ces sauvages se décident à visiter des contrées éloignées, uniquement par des motifs de curiosité.
Malgré l'esprit soupçonneux de ces peuples, et l'état habituel de guerre où ils vivent, les voyageurs sont ordinairement bien reçus, et même fêtés et régates par les tribus dont ils tra(*.) Nicholas, t. I. p. ?a.
(**) Cruise; d'Urville, t. m, p. 686. ("*) Marsdea; d'Urville, t.III, p. 34o. (*) rendait d:Urvi[)e,t.in,p. ;z6. (') MarsdeH; d'Urville, IU,p. 47~.
versent le territoire. Les devoirs de t'hospitaHté sont généreusement accomplis envers ces étrangers on leur fournit des guides, mais on exige qu'ils ne séjournent pas plus de temps qu'il n'en faut pour terminer leurs affaires (*).
Plusieurs Nouveaux-Zeelandais, suivant l'exemple de leur chef Tepahi, se décidèrent à visiter Port-Jachson, quelques-uns même vinrent jusqu'en Angleterre pour voir cette grande ville. Leur vigoureuse constitution leur permettait d'être utiles à la manœuvre des vaisseaux dont les équipages avaient été très-affaiblis par la maladie la désertion ou d'autres motifs: Un d'eux, particulièrement, nommé Moïangui, amené par un médecin de Port-Jackson, fut à son arrivée à Londres, présenté au comte Fitz-Witliam. Ce seigneur le traita avec la plus grande bonté, et au moment de son départ, lui fit donner tout ce qui pouvait lui être utile ou agréable à son retour dans sa patrie.
«Userait à désirer, ditTurnhuItdans son Voyage autour du monde, que tous les Nouveaux-Zeelandais qui retournent ainsi parmi leurs compatriotes, pussent rapporter avec eux des objets de leur goût; et c'est un acte de bienveillance publique de ta part des gentlemen de l'Angleterre que de leur faire présent des articles qui peuvent inspirer à ces peuples une haute idée de notre supériorité nationale. C'est l'espoir d'améliorer leur situation qui les conduit à quitter leurs familles et leurs pénates. Les récits qu'ils font, les trésors qu'ils rapportent chez eux, produisent des imitateurs et font naître des dispositions amicales dans le coeur de leurs concitoyens. Ces rapports d'amitié auraient l'avantage de faire connaître en peu de temps les richesses cachées du pays, d'exciter chez les naturels un esprit d'activité et d'industrie, et les amèneraient au point de déployer leurs talents de manière à pouvoir se procurer les objets qu'ils désirent avec tant d'ardeur, m (') Cook, 3'' voyage, t. 1, p. 176, 177.
UTILITÉ DES REf.ATJONS AMICALES ENTRE LES EUROPÉENS ET LES ZEELANDAIS.
Entre autres exemples, le fait sui-
vant peut être cité comme une preuve que les Nouveaux-Zeelandais ne sont point un peuple barbare tel qu'on les a représentés, à moins qu'ils n'aient été provoqués par de mauvais traitements. Quand le célèbre Palmer eut fini le temps de sa déportation, de concert avec quelques autres, il acheta une prise espagnole, et fit voile de Port-Jackson pour la rivière Tamise, i la Nouvelle-Zeeland, avec l'intention d'y prendre une cargaison de bois de construction. A son arrivée dans cette rivière, son navire se trouva en si mauvais état, qu'il faitut le tirer à terre pour lui faire subir une réparation complète avant de prendre sa cargaison. A cause du défaut d'ouvriers et de matériaux, il eût fallu l'abandonner entièrement sans l'assistance obligeante des naturels, et sans l'heureuse arrivée d'un vaisseau de 900 tonneaux qui venait pour le même objet. Le capitaine de ce dernier navire, avec une générosité qui lui fait beaucoup d'honneur, donna à M. Palmer et à tous ses compagnons, tous les secours qui dépendaient de lui sous le rapport des munitions, etc. Les insulaires, mus par le même sentiment de bienveillance, les mirent dans le cas de poursuivre leur voyage. L'autre navire resta encore plus de deux mois au mouillage, et il n'éprouva pas le moindre acte d'hostilité, excepté dans une seule circonstance où l'on pilla la tente de l'officier qui était chargé à terre de surveiller ceux qui travaillaient au bois. Mais il parait aussi que trois ou quatre Anglais, convicts libérés de Botany-Bay, qui avaient déserté le navire, mais qui furent repris par la suite, furent les complices et trèsprobablement les principaux instigateurs de ce mauvais coup. Un petit mousse, qu'on taissaaterre pour veiller aux pièces à eau, resta une semaine entière au milieu des insulaires sans être inquiété. C'est une forte preuve qu'ils sont capables de résister même
à une forte tentation pour h mal, puis que ces pièces étaient cerclées en fer. Du reste, en pareille circonstance, les chefs et les autres naturels comptent sur des présents pour fes se] 'vices qu'ils rendent. Les prmcipaux et efs et ceux qui avaient des objets à vendre en recevaient toujours le prix con~ enable. Un petit morceau de fer de six à huit pouces de -long aiguisé aux deux bouts, et fixé à une espèce le manche, de manière à leur servir de hache, procurait une quantité de po sson suffisante pour nourrir durant un jour l'équipage entier composa de cent hommes. It y avait consta nment des patates et des pommes de terre en abondance. I) est donc eicore permis d'espérer que la bienveillance soutenue des Européens rf tablira l'amitié qui a été un instant jétruite, et renouera les liens de cette communication qui, d'une part, p) omettait la civilisation d'une si vast: contrée, et, de l'autre, ouvrait de nombreuses sources à l'industrie. Nous formons des vœux ardents pour qu'il en soit ainsi. C'est un pay~ fertile en ressources, et qui deviendrait d'un grand rapport s'il était cultivé convenablement, etc., etc. (*)
CHANTS-
Les chants des Nouveaux Zeelandais sont plus variés que leur rr usique instrumentale, et mieux appiopriés aux sentiments qu'its veulent e~ primer; ils sont, en outre, accompagnas de gestes très-expressifs, qui ajoutent beaucoup à la signification dès paroles. Sous ce rapport, Forster reconnaît chez les Nouveaux-Zeetandais une supériorité très-marquée sur tous les autres peules de la mer Pacifique. Loirs accents, dit-i), semblent animés d'une étincelle de génie; et ces avantages sont, à ses yeux, des preuves de la bo tté de leur coeur.
a Les Zeelandais, dit Fors :er, ont des chants particuliers pour cstébrer les plaisirs de l'amour, les fù'eurs de la (')Tm-nbuU.
guerre, les traditions deleursaïeux,!a perte de leurs parents et de leurs amis morts, ainsi que leur absence.I)s en ont aussi de satiriques, pour exciter le rire aux dépens decertaines personnes qu'ils prennent pour objet de leurs plaisanteries. Enfin il est des circonstances où ils improvisent, en quelque façon, des chansons pour célébrer l'arrivée des étrangers, ou toute espèce d'événement qu'ils ont jugé digne de leur attention. Souvent ils accompagnent ces chants en battant la mesure sur leur poitrine, de manièreà s'en faire une espèce de tambour. L'effet n'en serait pas désagréable, s'il n'était pas toujours croissant, de manière à produire à la fin un bruit si violent et des effets si pénibles, que l'on serait tenté de craindre pour le salut de celui qui exécute cette singulière musique. Quand ils sont réunis plusieurs ensemble, l'un d'eux commence le chant qu'ils veulent exécuter et, vers la fin de chaque couplet, tous les autres font chorus en battant leurs poitrines. Ces chorus ont souvent lieu pour un refrain commun à tous les couplets; d'autres fois, c'est seulement la fin même des couplets qu'on répète en chœur. SavagecrutremarquerqueIesZeeiandais avaient deux chants pour saluer le leveret le coucherdu soleil. Lepremier, dit-il, roule sur un air joyeux, et s'exécute les bras tendus en avant, comme pour saluer l'astre du jour, et tous ces gestes annoncent une joie sans mélange le chant du soir s'accomplit, au contraire, d'un ton indolent, la tête baissée, et toute l'action qui s'y joint exprime le regret que fait éprouver l'absence du soleil. Le chant qu'ils adressent à la lune est plaintif, et les gestes qui l'accompagnent sont un mélange de crainte et de vénération. M. Kendall dans 'sa Grammaire imprimée à Londres en 1820, a rapporté plusieurs de leurs chants waïa~a, qui ne manquent ni d'harmonie, ni d'invention. Pour échantillon de cette poésie sauvage, nous ne citerons ici que la pièce suivante:
R talca toc au ki te tiou marangaï
1 wioua mai ai koinga dou anga
Ji~i rtl.wa -CÏ ki te ponke ki ere alou
Etatatcwiot]ngatntaj]uata!wa
R tata tc wiounga tc tai ki a taiwa
KIabf)e,etao)ia,kawtouakitetongaL
Nau j i mai e kahou c fouri!n
T, t::lkowe e o mo tokou mei rangni
]Ca tai ki eira, akuu ranaui 8nraki.
Voici comment M. d'Urville a traduit ce chant, d'après M. Kendal). Le fort et irrésistible vent qui soufCe du nord orageux a fait une impression si profonde sur mon esprit, en pensant à toi, d Taoua, que j'ai gravi la montagne sur le sommet le plus élevé, pour être témoin de ton départ. Les vagues roulantes vont presque aussi loin que Sivers. Tu es entraîné vers l'est, loin au large. Tu m'as donné une natte pour la porter par amour pour toi, et ce souvenir de ta part me rendra heureux quand je la nouerai sur mes épaules; quand tu seras arrivé au port où tu veux aller, mes affections y seront avec toi.
Il est curieux de comparer ce chant avec la traduction inédite d'une chanson bouguise que l'auteur de l'Océanie a donnée dans le 7'aMea;M général de ~OcMMMC, tome I" p. 77.
PIHÉ. ODE SOLENNELLE.
Le P!<e est l'ode solennelle que chantent en chœur les guerriers, tantôt avant, tantôt après Je combat, toujours auprès du feu qui consume le repas du dieu Kaï-Atoua, dans tous les sacrifices et dans les cérémonies funéraires. On peut dire que c'est le chant patriotique et religieux des Zeelandais; il parait renfermer la base de toutes leurs croyances mystiques. Touaï était passionné pour "ce chant, et ne le récitait jamais qu'avec une expression de physionomie et des transports qu'il serait impossible de décrire il était facile de voir que tout son être était vivement affecté, et j'ai remarqué cet effet, dit M. d'Urviiie, sur un grand nombre d'autres naturels. « C'en était assez pour exciter ma curiosité, dit ce savant navigateur, et je puis assurer que je ne négli. geai rien pour obtenir l'interprétation du mystérieux Pihé. Mes efforts furent constamment inutiles la pre-
mière fois, je pris Touaï dans ma chambre, et te gardai au moins trois heures pour le questionner. Quelques passages isolés m'offrirent bien un certain sens; mais le tout ensemble était décousu, incohérent, et parfaitement inintelligible. Convaincu que Toua! seul ne pouvait satisfaire mes désirs, je voulus profiter, peu de jours après, d'une visite de M. Kendall pour réussir dans mon projet; car TouaY convenait lui-même que ce missionnaire entendait et partatt très-bien le zeelandais. Je les réunis donc tous les deux dans ma chambre, et M. Kendall déploya toute la complaisance imaginable toutefois mon attente fut encore frustrée, et je ne pus obtenir la traduction du chant sacré.
« M. Kendall paraissait ne pas bien comprendre les explications de Touaï; et celui-ci, de son côté, semblait incapable de donner la véritable signification de tous les passages du Pihé. Peutêtre que )es allusions qui s'y rencontrent sont déjà trop anciennes, et que leur sens échappe à l'intelligence des modernes insulaires. Sans doute j'éprouvais en cet instant t'inconvément qui s'offrirait à un bramine ou à un sectateur de Fo, qui intçrrogerait ]a plupart des chrétiens pour obtenir le sens exact de plusieurs paraboles de l'Evangile. Au moins, voici ce que M. Kendall m'apprit, relativement au sens général et aux traits principaux de cette ode singulière.
«D'abord le mot Pihé se compose de deux particules, pi, qui indique adhésion, connexion, et hé, qui, au contraire, exprime une disjonction, une scission violente. Ainsi, le rapprochement de ces deux mots pi hé (p<Ae ) signifie séparation de ce qui est uni; ce mot composé a rapport au terme de la vie, à la mort, époque à laquelle l'âme et le corps, ces deux substances intimement unies durant la vie, se séparent avec effort au moment du trépas.
« Cette ode se compose de cinq parties assez distinctes la première a trait à la manière dont l'atoua, t'Être suprême, a détruit l'homme, et à la
réunion de !a créature avec Dieu, opérée par cette action. De ~à, on passe au cadavre, et ce sont des plaintes sur sa destruction; ensuite at sacrifice en lui-même, et-à à Fencens, la nourriture offerte à l'atoua. Dam! )eurs idées, cet encens est toujours le soufne, l'esprit de vie, Fâme~Puis, ce sont des exhortations aux parents, aux amis du défunt, pour les engager venger sa mort et à honorer sa mémoire, en lui donnant la gloire, Ma oudou, rends-le glorieux. Enfin e chant se termine par des complaintes et des consolations à la famine ur la perte d'un de ses membres.
« Sans doute, quand un c u deux mille guerriers, revêtus de leur costume de guerre, armés de toutes pjeces, et rangés sur un ou deux rangs, entonnent de concert cet hymne i olenne), et qu'ils l'accompagnent par des gestes menaçants et terribles, )' *ffet qui en résulte doit être imposant, lugubre et redoutabte.Avantd'en venir aux mains, on dirait que ces hommes veulent, en quelque sorte, célébrer de ( oncert leurs funérailtes, et donnner à leurs combats un caractère sacré par ce dernier acte de religion.
« Je regrettai beaucoup (le n'avoir pu approfondir le sens de c<'tte ode extraordinaire, et j'engage vivement M. Kendall à s'en occuper avec soin. Ce missionnaire n'était pl~s à la Nouvelle-Zeeland quand j'y repassai en 1827; et les autres missionnaires n'avaient obtenu aucune sor de renseignement touchant cet hynne." Voici néanmoinsForigit a) ducéièbre Pihé. C'est un échantiUoo de la langue zeelandaise, qu'on doit à ce zélé missionnaire, l'homme qui aujourd'hui la possède le mieux, et qu'i importe de conserver.
Papa ra te wati tidi
I dounga nei
Kou ana kana pou i 0
K ahi o
Ton ka didi
Rongo maï, ka héké
Ta tara
Te wai pouna
Te aha koboudou,
Xo nga nana,
Ne wai parangni
Ko papi té ono,
Iki iki wara wara
Kolaïtangaroa
E ki na tou.
Wanga hinga;
Kiatai
Koropana
Té koua ki té marai
Witidona
Téikatérëkipahtga
Kf'aoudou,haï,bat,haî
Haï,h~j,hat
Ria ondou, haï, haï, ha!
Ilaï, haï, ha!
Kiaoudnu,haï,hai,ba!
Quoique ce fameux hymne Pihé paraisse être national dans toute )')!e Ika-na-Mawi, M. d'Urville a néanmomsremarquéqu'itëtaitconnumoins intégratement à mesure que l'on descendait vers le Sud. Les habitants de la bande nord du détroit de Cook n'en récitaient que des passages incomplets, et il est tout à fait ignore des naturels de la baie Tasman.
Ko kapi té ono
Të.kf'iJ.
Teramarama
Tú ~.1i, te tr wcta
Té. tolo oi ili.
WA~O,
~i'ano, wano, wauo,
Dlaï 10kj oumi é.
Ka didi tou,
Kan'gn~t'iatou,
Kn we weï tou
Kotv.iwaoa
Toué, toué, loue
Kala'ka
Raro pondi <Ii
Ru taka té waro..
Pipiraunedoukoie e
PiM eu
Ra ou c dou ku i é.
Kf'kottkotta,
Te oudou o té ariki
P'pilaoa~donko)~ Ó
P1HÉ!
R tapon
Mta tapou tou mata tara roa.
E Irg..11'O
~ngarotoukitanaciwa.
E iwa
T iwa tou houa ki té ara!
Wero wero.
Werowero,tetaraoma~a,
Werohia.kitaihia,
Waka rawa, waka rawa
Tctarakiatai,
Mé.-kù tahi manawa réka
Té manawa ki a ton.
Ha:,hai,ha!
lIai, haï, ha
]:iaouf)om,hai,ha!,ha!
r;n.~
Itt'iki
1 tawa.
o mai ra,
PlHE:
M. Nicholas cite aussi quelques exemptes fort curieux de leurschants, comme ceux où l'on dépeint les ravages d'une tempête parmi les plantations de patates, la mort d'un naturel surpris par son ennemi, etc. Ce même voyageur a remarqué aussi que dans les pirogues les naturels règlent le mouvement de leurs pagaies sur un chant dont les paroles sont: TbAt ha ~aAt A:<? hia ha, etoki etoki, paroles qu'ils modulent de toutes sortes de facons.
Le seul instrument de musique que M. Lesson ait vu entre les mains des Zeelandais, est une Bute, ordinairement en bois, et travaillée avec goût parfois on emploie à sa confection des portions d'os de la cuisse, en commémoration de quelque victoire remportée sur des hommes d'une tribu étrangère.
DANSE.
Les chants des naturels sont presque toujours accompagnés de danses dont les temps et les figures se marient avec la précision la plus vigoureuse aux rhythmes et aux paroles du chant. Ces danses sont toujours caractéristiques. et, pour les exécuter, les naturels se rangent sur une ou deux nies. L'un d'eux, placé à l'écart, entonne le chant d'un ton d'abord modéré. Alors les danseurs s'agitent peu à peu, leurcorps se penche en arrière, leur tête acquiert par degrés des mouvements si brusques, si vifs, qu'on les croirait convulsifs. Les yeux roulent d'une manière affreuse dans leurs orbites. La langue sort de la bouche d'une longueur démesurée enfin, à certains passages, et sans jamais changer de place, les danseurs frappent du pied la terre si )ourdement, qu'elle résonne au loin sous leurs pas (*). Quand une douzaine de ces insulaires dansaient à bord on aurait cru que le pont allait s'enfoncer sous leurs pieds (**) ( voy. pl. J[84).
(*) Cook, 2' voyage, 1.1, p. 2~ Cruise, p. 3 i Sainson; d'Urville, t. II, p. 2X2, Quoy d'Urville t. II, p. 286.
(") Crozet; d'Urville, t. III, p. S~.
'On ne saurait trop admirer l'ensemble, l'harmonie parfaite avec laquelle tous ces mouvements, tous ces gestes sont exécutés. Quel que soit le nombre des danseurs, on croirait qu'ils ne forment qu'un seul et même individu, tant ils sont accoutumés à suivre la même mesure (*). La danse des marins anglais semblait ridicule aux Zeelandais, et ils s'en moquaient en disant qu'il n'y avait jamais deux. hommes parmi les Européens qui pussent exécuter ensemble les mêmes figures et les mêmes poses (**).
Leurs gestes acquièrent une expression d'autant plus terrible, que la danse a trait à une action plus importante quand ils veulent figurer une danse guerrière, il est difficile d'imaginer rien de plus épouvantable que les grimaces qu'ils font (*).
L'action qui s'unit au chant du .PtAe, toute modérée qu'elle est, participe néanmoins de l'expression sombre, lugubre et solennelle de cet hymne sacré, et a toujours produit l'effet le plus imposant sur les Européens. Que ne doit-il pas être, quand le .P:Aë est entonné par un ou deux milliers de guerriers prêts à s'élancer les uns sur les autres pour se détruire et s'entre-dévorer Ces naturels sont tous passionnés pour [a danse; mais ils s'y livrent avec une telle ardeur, qu'ils sont souvent obligés de se reposer, tant ils sont exténués de lassitude par les gestes frénétiques et les violents efforts auxquels ils s'abandonnent en ces sortes d'occasions. (*). Lesfemmes préfèrent les danses qui retracent les plaisirs de l'amour (*), tandis que les guerriers n'estiment que celles qui ont trait aux exploits militaires. Cependant, les femmes et les jeunes filles se joignent aussi aux danses militaires. Je me suis souvent amusé, dit M. d'Urville, à (') Cook, premiervoyage t. IH,p. 290. (* )Cruise; d'Urville, t. !II, p. 63g. (*')Cook,2''voyage,t.JI,p.88. (* *') Savage, p. S5; Sainson d'UrviUe, t.H p.a53;G!limard;d'UryiHe,t.II,
p.xM.
(") Gaimard; d'Urville, t. 11, p. s8o.
considérer les efforts qu'êtes font pour imiter l'énergie des hommes, autant que peut le leur permettre la faiblesse de leur sexe.
DANSES I.ASC;VE<.
Durant toute la durée <!es relâches de l'o~a6e à la baie des lies, les trente ou quarante filles efctaves qui s'étaient établies à bord pour y traliquer de )eurs charmes, donnaient réguherement tous les soirs l'équipage une représentation de leurs danses d'amour. Rien de )ubriqu< d'obscène comme leurs mouvements leurs gestes et leurs attitudes; il e;.t vraisemblable que les chants qui t< s accompa~gnaient étaient pour le noins aussi lascifs.
Une des danses lascives des Nouveaux-Zeelandais estconsarrée à0!<r< cet Ouré nous paraît être le AfeKfMs des Égyptiens.
CROYANCES REUGtEISES.
Ces peuples n'adorentjam lis des dieux en bois ou en pierre.Ces effij. iés hideuses que l'on observe entreleurs mains, ainsi qu'aux portes de leurs cabanes et de leurs tombeaux (*), ne sont quedes emblèmes, des signes mystiques qui ne peuvent pas être considérée comme de vraies idoles, pas plus du moins que les effigies des saints vénérés par les rites de la religion catholi lue (**). H en est de même de ces pounamous qu'ils portent au cot, et dont ils font un grand cas; sans d )ute ils y attachent quelques idées superstitieuses, mais ils ne leur accordent aucun culte positif (*). Forster avait c onsidéré ces pierres comme des amulet-;es, et il raconta qu'elles ét!)ient courues sous le nom de tiki chez les Zeela idais aussi (*) B. Wood; d'Urville, 1.111, p. ~6; Kendat); d'Urvi!!e, t. III, p 2~6; Marsden; d'Urville, t. III. p. 44' Quoy; d'Urville, 1.11, p. aSS.
(") Croxet d'Urville, t. II: p. 69. (*") Missioaary Rcgis[er d'Ut'vitte, t. 111, p, ~o.
les comparait-il aux <? des Taïtiens (*). Il est possible qu'à Totara-Nouï ces emMèmës portassent le nom de M/M, mais M. d'LrviHe ne croit pas que cette désignation soit en usage chez les peuples du Nord de la Nouvelle-Zeeland. Jt fait observer, en outre, que tiki signifie aussi voir, et qu'il peut y avoir eu confusion.
Suivant quelques indigènes, MaouiMouaetMaoui-Potiki, leurs deux principales divinités, étaient deux frères dont le premier tua et mangea le cadet; d'ou dériverait leur habitude de manger leurs ennemis tués dans le combat.
Suivant M. Nicholas, le premier des dieux, le véritable Jupiter des Zeeiandais, serait ~<)'OM<aM~<a!My~ dont le nom signifie iittéraiementMaoui, habitant du ciel. Tipoko, dieu de la colère et de la mort, marche immédiatement après lui. Comme le plus redoutable, c'est lui qui aurait le plusde part aux hommages des mortels. Towaki, suivant d'autres ya~raA't (**) (peut-être pius exactement yaM-~aM), comme maitre direct des éléments, jouerait aussi un rôie important. C'est au courroux de ce dieu que sont dus les orages et les tempêtes. Dans un coup de vent vicient qu'essuya M. Nicholas dans la baie Chourahi, les naturels décidèrent que le dieu de Houpa était KOM MOM' kadidi, très-courroucé contre ce chef (*). J.
Après ces trois divinités seulement, marcheraient MaoM-A~OMa et AfaoM:Potiki, dont le premier n'a guère eu d'autre emploi que de former la terre tant qu'elle est restée au-dessous des eaux, et de la tenir toute prête à être attirée à la surface au moyen d'un hameçon qui la tenait attachée à un immense rocher. AfaoMt-PoiMA: la recut ainsi préparée des mains de son frère, l'entraîna à la surface de l'eau et lui donna la forme qu'elle a aujourd'hui. Ce dieu préside en outre aux maladies (*) Forster; d'Urville. t. III, p. ai. (*') Marsden; d'Urville, t. 111, p. 353 Nicholas; d'Urville, t. JII, p. Mi. (*) Nicholas, t. J, p. 390.
61' Livraison. (OcÉANIE.) T. IH.
humaines, et !e plus important de ses priviléges est de pouvoir donner la vie que r<poAo seul peut retirer (*). Quand on le nomme sèulement Maoui, ce dieu joue un très-grand rôle dans les opinions superstitieuses décès peup)es; car on conçoit facilement que les fonctions des trois T~aoM~ peuvent se confondre et se réunir sur un seul et même être dans leurs idées. Suivant Forster(**), Maoui était aussi adoré aux îles de la Société; suivant M. Ellis, Maoui n'aurait été qu'un prophète très-célèbre dans ces mêmes îles (*). Enfin selon Mariner, Maoui, nouvel Atlas, supportait la terre, et ses mouvements occasionnaient les tremblements de terre (*).
Heko-Toro, dieu des charmes et des enchantements, perdit jadis sa femme. Il a!)a la chercher en plusieurs endroits inutilement, et ne la trouva enfin qu'à la Nouveiie-Zeefand. Au moyen d'une pirogue suspendue au ciel par les deux bouts, ces deux époux rejoignirent leur demeure céleste, où ils brittent encore sous la forme d'une consteiiation. Serait-il vrai que les Zeelandais croient que le premier homme fut créé par le concours des trois Maouis, que le premier eut la plus grande part à cette œuvre, et qu'enfin la première femme fut formée d'une des côtes de l'homme ? Ce serait un rapprochement bien singulier avec la tradition de la Genèse. Ce qui rendrait cette analogie plus remarquable encore, serait le nom d'/OM: que ces insulaires donnent aux os en générât, et qui pourrait bien n'être qu'une corruption du nom de la mère du genre humain, suivant les écrits de Moïse, ainsi que le pensent Nicholas et d'Urville.
L'histoire de Rona, qui tomba dans un puits, s'accrocha à un arbre, et fut ensuite transporté dans la lune, où on le voit encore aujourd'hui, est moins (*) Nichotas; d'Urville, t. III, p. $81. ('*) Cook, 2" voyage, t. V, p. :43. ("*) W. Ellis, Polynes. Research. t. II, p. 53 et suiv.
(*) Mariner, Account of Tonga, t. II, p. ïio.
It
remarquable. Elle rappelle cependant les coniesdebonnesfemmes, accrédités en certains pays, touchant l'homme de tu lune (*), et démontre qu'aux deux bouts du diamètre de la terre, l'esprit humain a le même penchant aux famés les plus ridicules, aux croyances les plus absurdes. Ce serait peut-être le meilleur argument à opposer au système de ceux qui veulent que la race humaine ait eu autant de berceaux distincts que de nuances marquées dans sa constitution et dans son organisation physique(**).
Les naturels ont des dieux qui président à certaines localités, comme celui qui habite la caverne ManavaTaoui (*),celui qui préside aux deux rochers de l'embouchure du Chouki-Anga, etc. (*). M. Marsden nous apprend de queltemanièrece dernier atoua, offensé par les marins du CoMsA, se vengea de l'outrage commis envers les rochers sacrés, en causant la perte de ce navire (*).
La première fois que les Zeelandais virent les Européens, ils les prirent aussi pour des divinités ou des esprits armés du tonnerre etdeséciairs (*). Ces insulaires désignent tous les Européens, ou plutôt tous les blancs, sous le nom générique de fa/f~Aa;. Je n'ai jamais pu savoir, dit d'Urvitte,d'ou il ce nom tirait son origine; ce qui m'a surpris, c'est qu'il m'a semblé adopté sur les divers points de la NouvelleZeeland, et cela donne lieu de croire que cette dénomination existait même avant les voyages de Cook. Les Nouveaux-Zeelandais avaient donc depuis longtemps connaissance d'une race d'hommes distincte de celle à laquelle ils appartenaient (*).
M. Marsden demandait un jour à (*) Salage, Blosseville, Nichoias, d'Urville, etc.
(") D'Urvi)te, ibid.
(*") KeMda)i;d'Urvitte, t.III, p. a3S.
(') Marsdel); d'Urvi)[e,t. ni, p. 342. (*) Marsden; d'Urviite, t. ÎII, p. 47~. (*) EtosseMite; d'Urville, t. III, p. 6s9;Dit)o<t;d'Uryj)fe, 1.111,p. 706 et 709. (") D'Urvitte.
un insulaire comment il se figurait l'atoua. Celui-ci répondit « Comme une ombre immortelle (*}. Quand M. d'Urvitie adressait ta me me question à Touai, ce chef disait que l'atoua était un esprit, un soufu<! tout-puissant, en laissant échapper tout doucement son haleine pour Dieux exprimer sa pensée.
Cependant les Zeelandah croient que l'atoua revêt quelquefois une terme matérielle. Par exemple, ils sont convaincus qu'une personne at aquée d'u ne maladie mortelle est laissée au pouvoir de l'atoua qui s'est introdl it dans son corps sous la forme d'ur lézard, et qui lui ronge les entraides (**), sans qu'il soit possible à aucun pouvoir humain de lui résister (*). En générai, l'aspect du lézard impose à ces hommes une frayeur superstitieuse trèsremarquable et, pour rier au monde, ils ne voudraient toucher à ce reptile (*).
La présence de Fatou; s'annonce le plus souvent, dit-on, p)r un sifflement bas et sourd. Du inoins, c'est ainsi que celui de Rat-Para révélait son approche, au dire du prttre MoudiArou (*).On sait que t.! même opinion régnait à Taïti.
Les roulements du tonn< rre leur inspirent une terreurreti~ieuse. Ce bruit présage les batailles (* ). Les naturels s'imaginent que t'ah~ua, sous la forme d'un immense pois: on, produit ce bruit; et ils lui adressen des priÈrM pour Je supplier de ne poi u. leur faire de mal, non plus qu'à leurs amis. Cette opinion n'aurait-elle pas son origine dans les explosions voicaniquc~ fréquentes sur leur Île, surtout s.ir (*) Marsden; d'Urvi)!e,t. 'H, p. '96. (*')Nichotas; d'Urvilie, t. Ht, p.tia~. Cruise; d'Urville, t.III, p. (60; K.imL)!! d'Urville, t. III, p. 234.
(') Nicholas, t. Il, p. ~3; Leigh; d't'r ville, t. III, p. 471.
(") Nicholas, t. 11, p. nS; CLui- p. 320.
(') Marsden;d'Urvi))e.t.ni, p. 4': a. (") H. Williams; d't]r~ii[e, t. Ur, P. S'25.
-PoM~Mr:<Aa' située au milieu des eaux; et, dans cette fable, on retrouverait encore le germe de celles qui furent jadis accréditées chez les Grecs, sur Encelade, Typhon, Bria. rée, etc. Le nom d'Ika-na-Maoui, pour l'ne septentrionale, semble avoir trait à l'existence du poisson monstrueux. A cette fable se rattache sans doute l'opinion bizarre qu'ils se sont formée relativement à l'originedu pouKc.MOM, )e jade vert qu'ils emploient à la fabrication de leurs outils et de leurs ornements les plus précieux (*). Déjà Cook avait appris qu'on le ramassait dans un grand lac situé à une ou deux journées des bords du canat de la Reine-Charlotte. Il provient, disait-il, d'un poisson qu'on harponne et qu'on traîne au rivage, où il se change, par la suite, en pierre. Ce lac se nomme T'SMt-OMMa'Hto~ et ce serait ce lieu qui aurait donné son nom à l'île méridionale (**)-M. Nichotas, trente années plus tard, trouva la même opinion parmi les habitants de Moudi-Wenoua (*).
RELIGION.
Les dieux principaux de la NouvelleZeeland sont Dieu le .Mrë, Dieu le Fils et Dieu l'Oiseau ou l'Es ,prit. Dieu le père est le plus puissant, et se nomme ~VoM!OMa, le maître du monde. Toutes les autres divinités lui sont subordonnées; mais chaque naturel à son atoua, espèce de divinité secondaire, qui répond assez exactement à fange gardien des croyances chrétiennes. Les prêtres se nomment ~WAM', et parfois on les désigne par les noms de ~aAe-yo/to~a, ou hommes savants et leurs femmes, qui remplissent les fonctions de prêtresses, sont lcs /~aA:Me-~rt/ft, ou ~sAtMeTbAoM~a, ou savantes femmes. Chaque pâ ( village ) possède une cabane plus grande que celle des habitants, qui se nomme ~'are-~OMS, ou Mai(*) D'Urvitfe.
(**) Cook, 3° voyage, t.ï,p. 177. (*) Ntchotas; d'ÙrviHe, t. m, p. 6x7.
son de Dieu, qui est destinée à recevoir la nourriture sacrée, a o Aaî" tou et dans laquelle on fait des prières, AtM'a&M(*).
Les cérémonies religieuses les plus ordinaires sont accomplies par les arikis dont la voix implore hautement et en public la protection de l'atoua. Ils ont la plus ferme croyance aux songes, qu'ils pensent leur être envoyés par la Divinité, et toutes les affaires se décident par des prêtres seuls chargés d'interpréter les volontés célestes. Les diverses tribus, dans leurs guerres continuelles, ne se li.vrent jamais aux hostilités sans avoir interrogé Oa')OM:, ou l'Esprit saint, par une solennité nommée KarakiaytM~a.Ds semblent consacrer par des cérémonies religieuses les époques les p]us marquantes de la vie; c'est ainsi qu'à la naissance des enfants, lesparents se réunissent pour faire de cette circonstance une fête de famine, dans laquelle ils prononcent des sentences, et tâchent de pronostiquer un heureux horoscope. M. Kendall à qui on doit ces détails croit trouver dans cette cérémonie nommée ~OM:y~ )e baptême des chrétiens, et il va même jusqu'à dire qu'on asperge les enfants avec une eau sacrée, OMaî tapa ou ouaï toï ( eau baptismale). Leur mariage reçoit en soi une sorte de sanction religieuse, et leur mort est entourée de prières. Les naturels pensent qu'il y a une grande différence entre notre dieu et le dieu de la NouveHe-Zeeiand; mais ils se contentent de considérer qu'il est fort bien à nous d'observer les ordres de notre Dieu, et qu'ils doivent rester soumis à ta juridiction du leur (**).
ENTRETIENS DES MISSIONNAIRES AVEC LES NATUMLS TOUCHANT LA RELIGION. Un jour les missionnaires causèrent longuement avec quelques indigènes sur i'immortatité de l'âme et la résurrection des corps. La première est (*)]Lesson.
(") Lesson.
n.
une doctrine universellement reçue parmi eux mais ils ne peuvent comprendre la dernière, quoiqu'ils n'en récusent point la possibilite. On leur représenta l'heureuse mort des justes, ajoutant que, quand Dieu leur révélait qu'ils allaient mourir ils n'étaient nullement effrayés, et qu'ils se trouvaient heureux de penser qu'après cette vie ils allaient habiter le même endroit que leur dieu. Mais il n'en est pas de même avec les Nouveaux-Zeelandais; quand ils s'aperçoivent qu'ils vont mourir, ils sont très effrayés 1 et ne souhaitent point la mort. Les naturels avouaient que c'était toujours ce qui arrivait à leurs compatriotes, et qu'ils la redoutaient constamment. <t Je leur assurai, dit M. Marsden que quand ils comprendraient le livre de Dieu, qu'il avait donné au peuple blanc et que les missionnaires leur donneraient et leur apprendraient à connaître, alors ils n'auraient pas plus de frayeur de la mort que ceux des blancs qui sont bons. Ils saisissaient parfaitement la différence qui existe entre l'homme qui redoute le trépas, et celui qui n'en estpas effrayé. Ils disaient que toutes les âmes des Nouveaux-Zeelandais, au moment de la mort, se rendaient dans une grotte au cap Nord, et que de là elles descendaient dans la mer pour aller dans l'autre monde. Les privations et les mortifications que ces misérables païens souffrent d'après l'idée qu'ils attachent au crime et par suite de leurs frayeurs, sont nombreuses et pénibles à moins que la révélation divine ne leur soit communiquée, ils ne trouvent point de remède qui puisse affranchir leurs esprits des hens de la superstition, sous l'empire de laquelle plusieurs d'entre eux tombent malades, languissent et finissent par périr. Ils n'ont point d'idée d'un dieu de miséricorde qui puisse leur faire du bien mais ils vivent dans l'appréhension funeste d'un être invisible, qui, suivant leur croyance, est toujours prêt à les tuer et à les dévorer, et qui les tuera s'ils négligent un iota dans une de leurs superstitieuses cé-
rémonies. Bcire un peu (~'eau à ma coupe quand ils sont tab )ues par le prêtre, serait regardé comme une offense à leur dieu, suffisante pour le porter à les mettre à mort. Quand je leur disais que mon dieu était bon, qu'il prenait soin de moi j<ur et nuit, partout où j'allais que je r craignais point sa colere, et qu'il m'écoutait toujours quand je lui adressais mes prières, ils disaient qu'ils n'avaient point de dieu semblable, et que le leur ne faisait que punir et tuer."
HOMUBLE SUPERSTITION.
Après decruelles souffrances, le célèbre chefTouai quittacette vie le 17 octobre 1824. Le capitaine Lock du ~a~y, alors mouillé dans la baie des Des, apprit qu'il était très-mat à terre, n'ayant d'autre ressource que de l'eau etdetaracinedefougère. Sa tribu avait considérablement souffert des troupes de pillards qui étaient tombées sur elle des diverses parties de la baie. Le capitaine l'envoya chercher dans son canot pour lui procurer les secours de la médecine et une nourriture convenable. Mais il était troptard: Touai mourut à bord. Sa tribu tua un esclave pour empêcher sa mort, et quatre autres furent sacrifiés pour apaiser ses mânes. Cette horrible superstition se renouvelle à la mort de tous les chefs.
ALIMENTS.
La base de la nourriture végétale des Nouveaux-Zeelandais, leur aliment de tous les jours, en un mot celui qui répond au pain pour les nations de l'Europe, au riz pour celles de l'Orient, à la cassave pour une fouie de peuples de l'Amérique, c'est la racine d'une espèce de fougère qui ressemble fort à la nôtre, et qui couvre de ses feuilles ramifiées tous les coteaux incultes et déboisés. Cette fougère a reçu des naturalistes ienom de~e7'M<Me«/e~a; (*), et c'est la même qui, dans
(*) Cook.
toute FAustratie, fournit aussi l'aliment habituel des indigènes. C'est peut-être l'unique trait de ressemblance que les fiers insulaires de la Nouvelle-Zeeland aient avec les misérables créatures clair-semées sur la surface de l'Australie.
Comme les racines de cette plante s'enfoncent profondément en terre, les Zeelandais se servent, pour les arracher, de pieux aiguisés, et munis d'uae espèce d'étrier, afin d'y appuyer )e pied, ce qui leur donne tout à fait la forme d'échasses (*). Ils mettent en bottes ces racines, qu'ils laissent sécher pendant quelques jours à la chaleur du soleil une fois desséchées elles se conservent plus ou moins longtemps sous le nom de Kg'a!-<~OMe. Quand on veut s'en servir, on présente la racine au feu pour la griller tégèrement puis on )a bat quelque temps sur une pierre avec un petit maiUet particutièrement destiné a cet emploi, pour la ramoHir. C'est à cet état que les naturels la mâchent entre leurs dents en temps de disette, et à défaut d'autre nourriture, ils avalent tout autrement ils se contentent de la mâcher jusqu'à ce qu'ils en aient exprimé tout le principe nutritif et sucré, et rejettent la partie fibreuse (**).
M. Nicholas trouve à cette racine chaude un goût doux et agréable, et dit qu'après un long séjour dans l'eau elle dépose une substance glutineuse, qui ressemble à de la gelée (*). D'autres Européens en ont mangé avec plaisir et les Anglais qui se fixent dans ces contrées éloignées s'accoutument promptement à ce genre de nourriture. Un jour, dit M. d'Urville, que je visitais avec Touai ['intérieur du pa de ~aAoM-yo' (voy. pl. 190) j'en demandai, et ce chef m'en choisit dans une corbeille un morceau qu'il m'assura être de la meilleure qualité. Un goût faiblement mucilagineux, une pâte visqueuse, du reste parfaitement (*) Crozet; d'Urville, 1. III, p. 59. (**) Cook; d'Urviite, etc
Nichons :d'Urvi!Ie.
insipide et une consistance coriace, furent tout ce que je sentis, et il me fut impossible d'avaler le morceau que je portai à ma bouche. Touai, au contraire, qui venait de déjeuner copieusement avec moi, en mangea surle-champ plusieurs morceaux avec une satisfaction évidente, et il m'assura que c'était fort bon, bien qu'inférieur pour la qualité à notre taro (pain.) Quoi qu'il en soit, les esehves mangent rarement autre chose que de la racine de fougère et, dans toutes les circonstances possibles c'est la ressource immédiate de toutes les classes de la société. Ces insulaires en font des récoltes considérables qu'ils conservent en magasin (*), toutes prêtes à leur servir d'approvisionnement en cas de siége de la part de leurs ennemis, ou de provisions de campagne quand 'ils vont les attaquer sur leurs pirogues.
Outre le pteris MCM/en~s, il est une autre sorte de fougère en arbre que Forster nomme aspidium furcatum et que les botanistes modernes ont appelée cyc~AMt MtceM&M'M, qui fournit aux insulaires un aliment plus substantiel que la précédente. C'est la partie inférieure de la tige voisine de la racine qu'us font cuire dans leurs fours en terre. Anderson compare cette substance cuite à de la poudre de sagou bouillie; mais sa consistance est plus ferme. Cette fougère est beaucoup moins commune que l'autre. Suivant Forster, la moelle de cyalhea porterait à Totara-Nouï le nom de mamagou, tandis que la racine de fougère se nommerait pongaï (**)
La patate douce, convolvulus batatas, nommée par les Zeelandais koumara, était le végétal le plus généralement cultivé dans ces contrées avant que les Européens en eussent fait la découverte. Cette racine, inconnue dans les autres îles de la Polynésie, était-elle propre au sol de la Nou,velle-Zeeland, ou bien y avait-elle été importée à une époque qui nous (*)Crozet;d'Urv!))e.
(**) Cook, deuxième voyage.
est demeurée inconnue ?. C'est ce qu'il serait difficile de décider aujourd'hui toutefois, les superstitions dont sa culture est environnée sembleraient lui assigner une origine étrangère et rappeler en même temps tes précautions minutieuses qu'imaginèrent ceux qui l'introduisirent dans le pays pour en assurer la propagation etlaconservation. Nonobstant les diverses plantes que les Européens ont introduites dans Ika-na-MaoMi, la patate douce est demeurée pour les habitants de cette île, le mets le plus délicieux l'aliment le plus délicat parmi tous ceux qu'ils connaissent. Sot qu'ils veuillent faire honneur à des étrangers soit qu'ils doivent se régaler entre eux, la patate douce forme la base principale de leurs festins. It est certain que les hommes du peuple n'en mangent que dans tes occasions solennelles, ou bien quand ils peuvent piller les magasins de leurs ennemis. Il paraît que cette racine est d'une excellente qualité dans la TSouvetie-Zeeland, et qu'on n'en trouve e nulle part qu'on puisse comparer à celle de ce pays (*).
Quoique ces insulaires fissent beaucoup moins d'usage des racines de l'arum MCM~MK (taro), cette plante existait chez eux avant t'arrivée des Européens, et ils la cultivaient en certains endroits; c'est cette plante que Banks cite, dans le premier Voyage de Cook, sous le nom d'eddous, et que le capitaine lui-même nomme cocos Nous ne savons point quelle éta)t la racine qu'il désigne par le nom d'igname, attendu que nous ne pensons pas que le dioscorea sativa fût connu de ces peuples (**).
La pomme de terre, nommée/:sp6fM, est cultivée si abondamment dans les deux !!es de la Nouvelle-Zeeland, qu'elle fournit non-seulement aux besoins des habitants, mais encore que les navires peuvent s'en procurer a vil prix des provisions considérables, précieuses à cause de la saveur et de la facilité de sa préparation. On en doit la naturalisation aux Européens.
(*)Savage,p.54.
(") D'Urville, t. II, p. 47 4.
Passons en revue la nourriture anima)e des Nouveaux-Zeelandais. Les seuls quadrupèdes vraiment indigènes sont le chien et le rat. La chair du premier est regardée comme une friandise, et les naturels mangent aussi celle du rat. Un chef, ayant remarque un jour que l'espèce d'Europe était plus grosse que celle de son pays, témoigna le désir qu'on l'introduisît à la Nouvelle-Zeeland pour accroître ses ressources alimentaires. La race du chien natif est devenue rare aujourd'hui dans les cantons du Nord surtout dans ceux que fréquentent les Européens (*).
On connaît tous les efforts que tenta à diverses reprises l'illustre Cook pour enrichir cette contrée de chèvres et de cochons. I) est probable que c'est à lui que les Nouveaux-Zeelandais doivent ces derniers animaux. Leur espèce n'a a pas tardé à se propager avec une grande rapidité, et le récit du voyage de t'~strolabe prouveà quel pointelleest devenue abondante aux environs du cap Est; mais quelle que soit son abondance, sa chair n'est jamais un aliment habituel, même pour les chefs. Ils ne s'en permettent l'usage qu'en certaines solennités, et les hommes du peuple prennent bien rarement part a ce réga), a moins que ce ne soit aux dépens de l'ennemi. Les Zeeiandais réussissent à prendre au lacet ou à l'affût, pendant la nuit, certaines espèces d'oiseaux, surtout la grosse colombe nommée AoMAoMpa, qui habite les forets, des canards, des cormorans, des albatros et autres oiseaux de mer. Le premier de ces volatiles offre un excellent mets; mais ces ressources sont bien éventuelles. Dans ces derniers temps, les insulaires ont reçu des Européens les poules, qu'ils nomment kakatoua, et ils commencent à les étever: ils n'en font pas cependant un grand cas comme ressource alimentaire; mais ils aiment beaucoup les coqs pour leurs longues plumes flottantes, surtout peur leur chant qui les égave. Leur affection pour cet oiseau est'teHe, qu'ils en ont (*) D'Ur~iHe.
souvent à bord de leurs pirogues dans leurs excursions militaires. Mais à terre, ces animaux leur causent de grandes inquiétudes, en profanant étourdiment leurs sépultures et autres lieux voués au tapou. Comme étant sujets au même crime, les cochons sont ordinairement tenus loin des villages et des lieux consacrés. Le même motif les a fait s'opposer aux efforts des missionnaires pour introduire les bêtes à corne dans leur ne (*).
La mer pourrait offrir à ces sauvages une ressource plus constante et plus assurée. Leurs côtes nourrissent d'incroyables quantités de poissons de la plus belle espèce et de la chair la plus exquise. Au moyen de leurs immenses t'tets, de leurs lignes et de leurs hameçons, ces hommes réussissent à se procurer des pêches abondantes. En été, ils mangent le poisson tout frais après l'avoir vidé et fait rôtir surles charbons ou cuire dans leurs fours en terre, enveloppé de feuilles vertes. Aux approches de l'hiver, ils en dessèchent des provisions considérables pour leur servir durant la mauvaise saison, surtout diverses espèces de raies et de chiens de mer. Ils mangent de grand appétit ce poisson sec, bien que les vers y pullulent. Pour le préparer, ils se bornent à le tenir, durant quelques jours, exposé à l'ardeur du soleil sur des plates-formes plus ou moins élevées au-dessus du soi. Les coquitlages de toute espèce et les crustacés, qui abondent sur leurs côtes, leur offrent encore une ressource journalière, dont ils savent tirer un grand parti. Quand il arrive que quelqu'un des immenses cétacés qui vivent dans ces parages vient à échouer sur leurs rivages, sa chair est regardée par tes Zeelandais comme l'un des mets les plus délicieux. lis accourent en foute sur le dos du monstre marin, et se festoient à ses dépens durant plusieurs jours, même quand sa chair corrompue répand déjà une infection suffisante pour en repousser l'Européen le moins délicat. On a vu des tribus rivales se livrer des combats (') D'Urville,
sanglants pour se disputer la possession d'une baleine échouée. Le goût des Zeelandais pour la chair de ce cétacé subsiste encore chez ceux même qui ont participéaux douceurs de la civilisation. La chair du requin, NitM~o, n'est pas moins estimée. Crozet, Cook et Andersou avaient déjà observé que ces naturels savouraient avec un plaisir extrême le suif et la graisse des veaux marins. Les huiles de poisson puantes, leur écume, même étaient pour eux des friandises tres-rechercbées (*). Quelques voyageurs ont observé que ces hommes mangeaient une espece de gomme verte, dont ils paraissaient faire un grand cas. On ne sait pas encore bien quel arbre la fournit. Crozet et ses compagnons en goûtèrent et lui trouvèrent une qualité fort échauffante elle fondait facilement dans la bouche (**).
En général, ces insulaires, surtout les esclaves, ne font aucune difficulté de manger les entrailles et toutes les parties des animaux que les Européens rejettent. Ils dévorent avec avidité le biscuit pourri. Enfin plusieurs d'entre eux se régalent avec empressement de la vermine dont leur tête est souvent copieusement garnie (*).
Dans leurs aliments, les Zeelandais ne se servent jamais de sel ni d'aucune sorte d'épiceries. Ils n'aiment point les viandes ni les poissons salés des Européens. Un fait fort remarquable (*), c'est qu'ils ne connaissaient aucune sorte de boisson spiritueuse, et ne buvaient jamais que de l'eau. En général, ils détestent toutes les liqueurs fortes des Européens, selon Cruise; mais ils savourent avec délices toutes leurs boissons sucrées, comme thé, café, chocolat, et sont très-friands de sucre. Ce n'est qu'à la longue, et par une sorte d'éducation nouvelle, qu'ils peuvent s'accoutumer à l'usage du vin et du rhum; encore, dans ce cas, renoncent-ils rarement à leur sobriété (*)D'Urvi!îe.
(") Hem.
("") Idem.
("") Hem.
habituelle, et s'adonnent-ils très-rarement à l'ivresse. C'est un vice du moins qu'ils ne partagent point avec toutes les autres tribus polynésiennes, familiarisées avec ses effets par un usage immodéré du kava. La plante qui donne cette boisson, du moins une très-voisine (le piper M;ce&;M?M), croît cependant à )aNouveHe-Zee)and, où elle porte le même nom; mais les naturels n'en font aucun usage (*). M. H. W illiams assura, il est vrai, à M. d'Urville, qu'ils faisaient quelquefois une liqueur spiritueuse avec les baies d'une espèce d'arbrisseau (coriaria sarmentosa, Forster); mais des naturels qu'il interrogea lui dirent au contraire que ces fruits étaient un poison; ce qui rend ce fait au moins très-douteux..
CDSJNE.
La cuisine de ces peuples est en généra) fort simple, et se réduit à faire rôtir au four ou griller leurs aliments. Dans le dernier cas, il sufBt de les placer sur des charbons ardents pendant quelque temps, et c'est le moyen qu'on emploie pour les petites pièces, comme oiseaux, poissons, coquillages, ou bien quand le temps dont on peut* disposer ne permet pas de les préparer avec p)us de soin. Le poisson, une fois nettoyé, est enfilédans une broche en bois fichée en terre près du foyer. On a soin de la tourner de côté et d'autre, jusqu'à ce que le poisson soit cuit. Quand tt s'agit de pièces plus importantes, et même pour faire cuire à la fois une plus grande quantité de patates douces, de taros, ou de pommes de terre, ils ont recours à leurs fours. Ce sont des trous circulaires, creusés en terre, de deux pieds de diamètre sur un ou deux pieds de profondeur. Quand les naturels veulent s'en servir, ils commencent par tes remplir de pierres, et ordinairement dë galets, qu'ils préfèrent à toute autre pour cet usage. Les pierres une fois chauffées à rouge, on retire tous les tisons, en ne.)aissant que les charbons et la braise, que
('; D'tM!e.
l'on entoure de broussailles trempées dans l'ea'), et que l'on recouvre d'un lit de feuilles vertes. Sur ce lit sont placés les pièces de viande, le poisson et les patates que l'on veut apprêter; ces objets sont encore recouverts de feuilles vertes, et quelquefois d'une natte grossière en pa)t!e. On jette deux ou trois pintes d'eau par-dessus, puis on recouvre aussitôt le four de terre. On laisse cuire le tout, et, quand on juge qu'il s'est écoulé pour cela un temps sufGsant, on ouvre le four et l'on retire les mets. Préparés suivant ce procédé, leurs vivres ont un goût délicieux, et je n'ai jamais mangé rien de meilleur, dit Cruise, que leurs patates et leur porc cuits de cette manière. On ne pouvait reprocher à la viande d'autre désagrément que d'être un peu charbonnée à l'extérieur. Les naturels la découpent ensuite avec des couteaux faits de coquilles de meutes..Chaque maison a toujours près d'etieua ou plusieurs fours de cette espèce pour le service de ses habitants. Comme nous l'avons déjà mentionné, la cuisine est du ressort habituel des esclaves, et c'est de )à qu'ils ont pris le nom de kouki de cooA (cuisinier en anglais), Dans )esfamiUes qui n'ont point d'esctaves, tes femmes, dit d'Urville, remplissent ces fonctions qui sont humiliantes aux yeux des hommes. lis ont encore une manière fort simple d'apprêter le poisson et qui équivaut à le faire bouillir. Après l'avoir nettoyé, ils i'enveloppent de plusieurs feuilles de chou ils le placent sur une pierre plate chauffée d'avance, et ont soin de le tourner de temps en temps, de façon que la vapeur qui s'exhale des feuittes opère l'effet de l'eau bouittante. Ainsi préparé, dit M. Savage, le poisson a un excellent goût (*). Comme en beaucoup d'autres lieux, les sauvages de la Nouvelle-Zeeland allument du feu sn faisant tourner verticalement et rapidement un morceau de bois dur dans un trou fait dans une pièce d'un bois plus mou ce (*) Crozet; Blosseville; Rutherford, Savage et Cruise, comp. par d'Ur\iUe.
mouvement ressemble à celui du moussoir à chocolat. Le premier de ces morceaux de bois se nomme A<M-oM'ë et l'autre Aa;M-M'e~ (*).
PMNCESSE AVEUGLE CL'LTtVANT LA TERRE. Les principaux habitants de RanguiHou ont à Tepouna leurs jardins de patates douces. Nous en trouvâmes, dit M. S. Marsden dans son journal, un grand nombre à l'ouvrage dans leurs lots particuliers: les uns se servaient de bêches et de pioches qu'ils avaient reçues de nous; d'autres, de bêches de bois à longs manches et de la même largeur que la bêche anglaise; quelques-uns, qui n'avaient ni bêches ni pioches, retournaient la terre avec de petites spatules de trois pieds de !ong. Les bêches de bois et les spatu!es ne peuvent servir que pour les terres légères et qui ont été déjà travaiHées. Ils ont un autre instrument de sept pieds de long, acéré comme un piquet; à deux pieds environ de la pointe est assujetti un morceau de bois, sur lequel se pose )e pied pour aider à l'enfoncer en terre. Cet outil se nomme kolio. Ils arrachent avec les mains toutes les mauvaises herbes, et les recouvrent de terre à mesure qu'ils continuent à bêcher.
Les naturels furent enchantes de nous voir, et tous à t'envi réclamaient des bêchas et des pioches. Nous regrettâmes beaucoup qu'il ne fut pas en notre pouvoir de satisfaire leurs désirs. Nous voyions avec chagrin les pénibles fatigues qu'ils endurent et le peu de fruit qu'ils en retirent, en travaillant avec leurs grossiers instruments. a En traversant ces champs de patates, nous apprîmes que Chongui possédait un lot très-étendu, et qu'il se trouvait alors dans son jardin. Nous allâmes le visiter, et nous le trouvâmes au milieu de ses gens, qui étaient tous occupés à préparer ia terre pour planter. Chongui nous reçut ave(f une grande politesse je vis sa femme travaiUant avec (') D'Urvl)!e et Kendall, Grammarof New-Zeehod, p. 161.
une spatule, tandis que sa petite fille, âgée de quatre à cinq ans, était assise sur le sillon que triait sa mère. Je connaissais l'âge de cette enfant; car elle était née dans le pa (village fortifié) de Chongui à trente milles environ de Rangni-Hou, la nuit même où j'y couchai la première fois que je vins dans la Nouveiie-Zeeiand. La femme de Chongui me rappela cette circonstance, et ajouta qu'elle avait donné le nom de Marsden à la petite, en souvenir de ce que je me trouvais alors chez eux.
Cette femme a trente-cinq ans environ, et est tout a fait aveug'e. Elle perdit la vue par suite d'une inHiunmation qui lui attaqua les yeux, il y a trois ans environ. Elle paraissait bêcher la terre aussi vite et aussi bien que ceux qui voyaient clair. Elle arrachait i'herbe avec les mains à mesure qu'elle avançait, puis elle la gardait sous ses pieds pour savoir où elle était; ensuite elle bêchait et recouvrait enfin la mauvaise herbe avec la terre fraîchement remuée. Je lui dis que si elle voulait me céder sa spatule, je lui donnerais en retour une bêche. Cette offre fut acceptée avec empressement, et elle envoya surle-champ sa fille porter sa spatule à M. Butler, et recevoir en échange la bêche.
« Quand nous considérions la femme d'un des plus grands chefs de la Nouvelle-Zeeland, d'un homme qui possède d'immenses et fertiles campagnes, et dont le nom inspire la terreur à tous ceux qui habitent depuis le cap Nord jusqu'au cap Est; quand, dis-je, nous considérions cette femme travaillant péniblement avec une bêche en bois, malgré sa cécité, pour se procurer une modique provision de patates, ce spectacle excitait en nos coeurs des sensations et des réfiexions étranges, tout à la fois agréabies et pénibles elles nous animaient des plus purs sentiments de charité.
« Dans tous les districts que nous avons visités, nous avons trouvé les habitants généralement laborieux, autant que le permettaient leurs moyens; mais leur industrie se trouvait comprimée
par le défaut d'instruments d'agricu).ture. Il est inutile que nous produisions d'autre preuve de leur disposition au travail que celle que nous venons de citer. Si une femme du premier rang, tout aveugte qu'elle est, peut, par habitude, travailler dans ses champs avec ses serviteurs et ses enfants, à quel point ce peuple ne pourra-t-il point s'élever, quand il aura pu se procurer les moyens d'améliorer sa situation en perfectionnant la culture des terres »
ACCUEIL.
Lorsque les Nouveaux-Zeelandais ont à recevoir un étranger, unparentou un ami de distinction qu'ils n'ont pas vu depuis longtemps, le personnage le plus important de la tribu s'avance au-devant de lui avec une branche d'arbre à la main et débite d'un ton grave et modéré une harangue plus ou moins longue, mélangée sans doute de compliments sur son arrivée, et de prières aux dieux pour lui accorder « protection ». Ce n'est qu'après avoir rempli cette formalité qu'il donne le salut (cAtMM/M) à son hôte, et souvent celui-ci répond par un discours semblable ce ujiqmJuiaété adressé.
M. Nicholas, se trouvant à Panalie avec Toua!, observa la tante de ce chef, qui s'avançait à la rencontre de son neveu, à là tête de sa famille. Tous marchaient en ordre, dans un profond silence et un grand recueillement, tandis que la tante récitait des invocations ou prières à la divinité. M.CruisenousareprésenteKoroKoro recommandant l'équipage du Dromedary aux soins de Tetone, chef du Chouki-Anga, où ce navire devait se rendre, par un discours grave et solennel. Tetone répliqua par un autre discours,'et qu'il débita en marchant, en gesticulant avec véhémence, pour donner plus de force à ses paroles.
Tous les voyageurs ont remarqué que ces naturels partaient avec facilité et énergie leur organe est sonore leur maintien simple et aisé, et leurs gestes ont une dignité naturelle trèsremarquable. Leurs discours sont tou-
jours écoutes de la part du peuple avec une attention parfaite et dans un profond silence.
Quand deux troupes de guerriers se rencontrent par hasard, tes deux chefs s'avancent ordinairement t'un au-devant de l'autre, s'adressent la harangue accoutumée, et quand ils ont reconnu que leurs dispositions sont mutuellement amicales, les guerriers des deux troupes exécutent tour à tour une danse gue'rrière à la suite de laquelle ils jettent leurs lances. Depuis qu'ils ont des armes à feu, ils les déchargent dans ces circonstances: c'est aussi le signal d'une réconciliation définitive, quand ils veulent terminer une querelle.
La danse guerrière et le simulacre de combat sont toujours de rigueur lorsqu'une troupe de guerriers en marche veut témoigner sa haute considération à un chef, à une tribu à des Européens auxquels ils vont rendre visite. Ces malheureuses représentations, faussement interprétées comme des menaces ou des provocations par les Européens, ont souvent donné lieu de leur part à des actes d'hostilité très-fâcheux. En lisant la relation du premier voyage de Cook, des exemples de cette nature se représentent à chaque instant.
SALUTATIONS (').
Comme dans toute la Polynésie, les Nouveaux-Zeelandais se saluent en se frottant les nez l'un contre l'autre ( voy. jt)/. H7) seulement ils ne prodiguent pas ce salut comme les autres Polynésiens, et c'est un acte solennel de bienveillance et d'affection mutuelles. S'il faut en croire M. d'Urville, il y a dans cet acte, outre l'action physique du contact, une exhalation lente et forte des haleines des deux individus, comme pour les confondre. L'haleine est pour eux l'emblème sensible de leurs esprits ou waïdouas.
Leurs saluts ordinaires d'homme a homme sont pour l'arrivée, aîrc (*) Cook, Marsden, Cruise et d'Cm))e.
Ma)! ra, viens ici en bonne santé pour !e départ, aïre atou ra, va-t'en en bonne santé ou !co nara, reste ici suivant que la personne à laquelle on s'adresse arrive s'en va ou reste. «La plus grande marque de considération et d'attachement qu'un Zeelandais puisse vous donner, ditd'UrviJie, est le salut qu'il nomme chongui, c'està-dire, defrotterleboutde son nez contre le vôtre. Comme tous les voyageurs, je pensais d'abord que ce salut bizarre se bornait à l'attouchement des nez; mais M. Kendall m'expiiqua que ce contact n'était qu'un simple accessoire extérieur, et que la base du salut consistait, de la part des deux personnes, à exhaler doucement leur haleine et à la confondre. Leur haleine est en quelque sorte l'emblème sensible de leur MaMoM:, une émanation directe de leur âme; et il serait difficile de donner une juste idée de l'importance qu'ils attachent à cette partie immortelle de leur être.
« En effet, j'ai souvent examiné ces naturels quand ils se saluaient, et j'ai reconnu la vérité de l'assertion de M. Kendall. Lorsque je voulus en demander la raison à Touai, il se contenta de me répondre 6fM<A, haleine, comme il le faisait toujours par une simple parole quand il ne poume déveiopper sa pensée d'une manière satisfaisante puis par des signes et des gestes, il indiquait que tes souffles des deux personnes se confondaient ensemble.
"Au reste il faut convenir que ces sauvages n'accordent jamais cette marque d'estime et d'attachement d'une manière iégère ou irréfléchie comme les Européens le font par leurs saluts ordinaires, et même par leurs acco !ades. Le plus souvent, ils s'examinent quelque temps ils semblent étudier leurs sentiments naturels, quelquefois même ils parlent d'objets indifférents avant d'en venir au cAoKyM: et ils ne se livrent jamais à cet acte qu'avec une gravité et un recueillement qui peuvent paraître ridicules à l'étranger mal instruit, mais qui ont quelque chose de solennel pour celui qui con-
naît l'objet de ce salut. J'ai vu Touai etChongui, les premiers chefs des deux tribus rivâtes de Kidi-Kidi et de Paroa, dans la baie des Hes, s'examiner attentivement et causer un moment ensemble, puis se livrer tout à coup à ce témoignage authentique et sacré de leur union.
"Quand M. S. Marsden annonça à Te-Koke, chef de Pahia, la mort du fils de ce chef, arrivée à Port-Jackson, et dont il venait de recevoir la nouvelle, Te-Koke se fit indiquer ('endroit de la lettre où se trouvait le nom de son fils, il y appliqua son nez, et après lui toutes les personnes de sa famille; puis il se mit à gémir durant plus de deux heures sur cette perte cruelle. "Lorsque ce salut s'applique à des parents, à des amis dont on a été )ongtemps éloigné, il est toujours accompagné de soupirs, de gémissements, et même de cris plaintif.s, qui durent d'autant plus longtemps, que l'affection est plus vive de part et d'autre. Les voyageurs se sont plu à nous citer une foule d'exemples de ce genre, et à retracer les marques de sensibilité manifestées par les sauvages en ces occasions. Moi-même je fus témoin de l'entrevue de Taï-Wanga avec son oncle Chongui, après une absence de dixhiiit mois et j'avoue que je fus véritablement touche. Souvent l'excès de cette sensibilité les porte à se déchirer la figure et diverses parties du corps pour mieux témoigner leur joie du retour d'une personne chérie, comme ils )e feraient de leur douleur pour sa mort; tant ces naturels sont persuadés qu'ils ne sauraient assez témoigner la vivacité de leurs affections sans faire couler leur sang.
«Le mot cAo~M! doit s'écrire e'~o~<< suivant la forme grammaticale, et c'est de )à que le fameux chef de Kidi-Kidi tirait son nom. Ainsi la réunion des deux mots cAo/K~t et ika signifie iittératement, salut du poisson. On doit se rappeler que tes Zeelandais accordent les honneurs divins à certains poissons monstrueux.
« Ces hommes, si pointilleux sur le salut chongui, n'avaient aucune idée
du baiser ordinaire des Européens. lis semblaient même ignorer comptétement cette caresse entre personnes de sexe différent. »
MAKOUTOU OU ENCHANTEMENTS.
Les Nouveaux- Zeelandais croient fermement aux enchantements, qu'ils nomment makoutou. C'est une source intarissable de craintes et d'inquiétudes pour ces malheureux insulaires; car c'est à cette cause qu'ils attribuent la plupart des maladies qu'ils éprouvent, des morts qui arrivent parmi eux. Certaines prières adressées à i'atoua', certains mots prononcés d'une manière particulière, surtout certaines grimaces, certains gestes, sont les moyens par lesquels ces enchantements s'opèrent nouvel argument pour attester que partout les hommes se ressemblent plus qu'on ne le pense. Toutes les fois que les missionnaires, pour démontrer aux naturels l'absurdité de leurs croyances touchant le tapou et le makoutou, leur ont offert d'en braver impunément les effets dans leurs propres personnes, les Zeelandais ont répondu que les missionnaires, en leur qualité d'arikis, et protégés par un dieu très-puissant, pourraient bien déner la colère des dieux du pays, mais que ceux-ci tourneraient leur courroux contre les habitants, et les feraient périr sans pitié, si on leur faisait une semblable msulte (*).
SONOES.
Les songes, surtout ceux des prêtres, sont d'une haute importance pour les décisions de ces sauvages. On a vu des entreprises, concertées depuis longtemps, arrêtées tout à coup par l'effet d'un songe, etles guerriers reprendre le chemin de leurs foyers au moment où ils se repaissaient de l'espoir d'exterminer leurs ennemis et de se régater de leurs corps. Résister à l'inspiration d'un songe serait une offense directe à l'atoua qui t'a envoyé (**).
(*) Nicholas, Marsden et d'tM)e.
(") Marsden.
M. Dillon ne put se débarrasser des importunités d'un naturel qui voulait s'embarquer sur son navire pour se rendre en Angleterre, qu'en assurant à cet homme qu'un songe lui avait annoncé qu'il périrait infailliblement s'il entreprenait ce voyage.
FUNÉRAILLES.
Les Zeelandais rendent de grands honneurs aux restes de leurs parents, surtout quand ils sont d'un rang distingué. D'abord on garde )e corps durant trois jours, par suite de l'opinion que Famé n'abandonne définitivement sa dépouille mortelle que le troisième jour aprèsietrépas. Ce troisième jour, le corps est revetu de ses plus beaux habits, frotté d'huile, orné et paré comme de son vivant. Les parents et les amis sont admis en sa présence, et témoignent leur douleur de la mort du défunt par des pleurs, des cris, des plaintes, et notamment en se déchirant la figure et les épaules de manière à faire jaillir le sang. Plus encore que les hommes, les femmes sont assujetties à ces démonstrations cruelles de sensibilité. Maiheur à celles qui viennent à perdre consécutivement plusieurs proehes parents leur figure et leur gorge ne seront durant longtemps qu'une plaie saignante; car ces démonstrations se renouvellent plusieurs fois pour chaque personne.
Au lieu de laisser le cadavre étendu tout de son long, comme en Europe, les membres sont ordinairement ployés contre le ventre et ramassés en paquet. le corps, et surtout celui d'un prêtre, ariki, est porté (v. p!. t86) dans un lieu palissadé et taboué. Des pieux, des croix, ou des figures rougies à l'ocre et sculptées, annoncent la tombe d'un chef; celle d'un homme du commun n'est indiquée que par un tas de pierres. Ces tombes portent le nom de oudoupa, maison de gloire.
On dépose sur la tombe du mort des vivres pour nourrir son waïdoua car, bien qu'immatériel, il est encore, dans la croyance de ces peuples, susceptible de prendre des aliments. Un jeune
homme à toute extrémité ne pouvait plus consommer le pain qu'un missionnaire lui offrait; mais il le réserva pour son esprit, qui reviendrait s'en nourrir, disait le moribond, après avoir quitté son corps, et avant de se mettre en route pour le cap Nord. Un festin généra) de toute la tribu termine ordinairement la cérémonie on s'y régale de porc, de poisson et de patates, suivant tes moyens du défunt. Les parents et les amis des tribus voisines y sont conviés.
Le corps ne reste en terre que le temps nécessaire pour que la corruption des chairs leur permette -de se détacher facilement des os. Il n'y a pas d'époque fixe pour cette opération; car cet intervalle paraît varier depuis trois mois jusqu'à six mois et même un an. Quoi qu'il en soit, au temps désigné, les personnes chargées de cette cérémonie se rendent à la tombe, en retirent les os, et s'appliquent à les nettoyer avec soin; un nouveau deuil a lieu sur ces dépouilles sacrées, certaines cérémonies religieuses sont accomplies enfin les os sont portés et solennellement déposés dans le sépulcre de la famille. Dans ces sépultures, qui sont des grottes ou des caveaux formés par la nature, les ossements sont communément étendus sur de petites plates-formes élevées à deux ou trois pieds au-dessus du soL
I) paraît qu'il y a des circonstances où les cadavres ne seraient point inhumés, et où ils seraient conservés dans des coffres hermétiquement fermés, ou déposés immédiatement sur des plates-formes, comme cela eut lieu pour Je père de Wivia, pour cet enfant que M. Cruise vit à Covera-Popo, et sans doute aussi pour le corps que Koro-Koro montra à ce voyageur. Probablement cela ne se pratique que pour les corps qui ont été préparés après la mort, et dont on ne craint point la putréfaction, tandis que pour les autres on attend que la chair puisse se détacher des os par un séjour suffisant dans la tombe.
Non-seulement les restes des morts sont essentiellement taboues, mais en
outre les objets et les personnes employés dans les cérémonies funéraires sont assujettis au tapou le plus rigoureux. Avant de rentrer dans le commerce habituel de leurs compatriotes, ils ont à subir des purifications particulières, dont la nature et les détails nous sont encore inconnus.
La cérémonie de relever les os des morts joue le plus grand rôle chez ces sauvages. Les parents n'ont acquitté leurs devoirs envers leurs enfants, les enfants envers leurs parents, etles époux entre eux, qu'après avoir accompli cette indispensable opération. D'après l'idée que j'ai pu m'en former, l'enterrement ne serait qu'un état provisoire pour donner au corps le temps de se dépouiller de sa partie corruptible et impure; pour le défunt, l'état de repos définitif n'aurait lieu que du moment où ses os seraient déposés dans le sépulcre de ses ancêtres. Ces naturels bravent les périls les plus grands, les fatigues les plus pénibles, pour rendre les derniers devoirs à une personne qui leur est chère, quelle que soit la distance où elle aura péri, pourvu seulement qu'ils aient l'espoir de réussir. Les parents ont toujours eu soin de réclamer les os de leurs enfants qui sont morts pendant leur séjour à Port-Jackson, et la possession de ces dépouilles chéries apaise considérablement leurs regrets.
C'est faire un outrage ~angtant à une famille, à une tribu, que de violer la tombe et de profaner les restes d'un de ses membres. Le sang seul peut payer une pareille insulte; et l'on connaît la vengeance terrible que Chongui exerça sur les habitants de Wangaroa, qui s'étaient permis de violer la tombe de son beau-père.
Les cadavres des hommes du peuple sont enterrés sans cérémonie. Ceux des esclaves ne peuvent jouir de ce privilége ordinairement ils sont jetés à l'eau ou abandonnés en plein air. Quand les esclaves ont été tués pour crimes vrais ou prétendus, leurs corps sont quelquefois dévorés par les hommes de la tribu.
Une des coutumes les plus extraor-
dinaires de la Nouvette-Zeetand, c'est qu'à la mort d'un chef ses voisins se réunissent pour venir piller ses propriétés, et chacun s'empare de ce qui lui tombe sous la main. Quand c'est le premier chef d'une tribu qui vient à mourir, la tribu tout entière s'attend à être saccagée par les tribus voisines; aussi c'est pour elle un moment d'alarme et de désolation universelles. A moins qu'elle ne soit puissante et qu'eHe ne compte un grand nombre de guerriers disposés à se défendre, la mort d'un chef entrame la ruine de sa peuplade. Peut-être les ennemis ou les voisins d'une tribu choisissent-ils de préférence cette occasion pour l'opprimer, parce qu'en ce moment, outre la perte de son chef, qui doit naturellement affecter son moral, un devoir religieux et indispensablecommande à ses enfants et à ses parents de se livrer à un deuil absolu, et les empêche par conséquent de veiller à leur propre défense (*). CÉREMONtES APRÈS LES FUNÉRAILLES. Voici en quoi consiste la cérémonie solennelle de relever les os des morts, ou du nwins ce que Touai vit dernièrement pratiquer aux obsèques de son frère, le fameux Koro-Koro.
Cinq mois après les funérailles, et souvent davantage, on retire tes os du tombeau où le corps avait été déposé, pour les placer définitivement dans la sépulture de la famille. Le plus proche parent est ordinairement chargé de cette fonction; et, par son contact avec un corps taboué, il devient nécessairement tapou lui-même au degré le plus éminent. Tant qu'il se trouve en cet état, personne ne peut le toucher et si, par mégarde ou autrement, quelqu'un venait a le faire, il serait tué sans pitié si c'était un esclave, et son corps, comme tapou, serait abandonné à la voirie. Un Rangatira, coupable de ce sacrilége, serait au moins exposé à être dépouillé de ses biens ou de son rang (**).
(*) Cook, Crozet, Kendall, Leigh, Cruise, Marsdcn, comp. par d'Urville.
(**) Kendall, Cruise, Marsden et d'Urville.
SACMFICBSj
Après la mort d'un chef tué dans un combat, il est d'usage que le parti vainqueur procède au sacrifice qu'il doit faire à ses dieux. Le chef des prêtres, de concert avec les chefs civils, apprête ensuite le corps du défunt, tandis que la prêtresse et les femmes des chefs sont chargées des mêmes fonctions sur le corps de la femme. Ces corps sont dépecés,ptacés sur les feux et rôtis certaines parties sont réservées pour être offertes aux dieux avec des prières et des rites particuliers.
De temps en temps les arikis prennent de petits morceaux de cette chair sacrée, et la mangent avec beaucoup de recueillement; c'est pendant ce temps qu'ils consultent les dieux sur l'issue de la guerre actuelle. Si les offrandes sont accueitiies favorablement, !e combat recommence; sinon, quelle que soit sa supériorité, le parti vainqueur renonce à combattre davantage, et reprend le chemin de ses foyers.
Tandis que les arikis accomplissent leurs cérémonies, les chefs sont assis en cercle autour des victimes, la tête cachée dans leurs nattes, et gardant un profond silence pour éviter de troubler ces augustes mystères ou de jeter sur eux un regard profane. Ils sont convaincus que i'atoua punirait sévèrement le moindre acte de mépris ou de négligence de leur part.
Quand les cérémonies sont terminées, les restes des corps sont distribués entre les chefs et les principaux guerriers, suivant leur nombre. Tous mangent de cette chair avec une satisfaction visible.
Le premier chef réserve aussi des morceaux de chair pour les distribuer à son retour à ses amis car c'est la plus haute marque de distinction, la faveur la plus signalée qu'il puisse leur faire (*).
RAXAU TAPOU,
Lorsque la distance est trop grande (') Marsden, Dillon et d'Urville,
pour qu'on puisse espérer de rapporter la chair humaine sans être gâtée, les Zeelandais, dit M. d'Urville, ont imaginé une sorte de substitution, ou plutôt de transsubstantiation, d'une nature fort remarquable. Le prêtre met en contact avec )a chair des chefsconsacrée, un morceau de bois nommé rakau tapou, et l'y laisse un certain temps, duranttequefitrécitediverses prières; puis il retire ce bois, l'enveloppe soigneusement dans une natte, et, durant tout le temps qui doit s'écouler jusqu'au retour, une personne tabouée est commise à la surveillance de cet objet sacré. Lorsque la troupe se trouve de retour dans ses foyers, on apporte soit Lun morceau de porc, soit des patates ou des pommes de terre; t'ariki retire le rakau tapou de ses enveloppes, le met de nouveau en contact avec ces vivres, en répétant ces prières mystiques. Quand tout est terminé, le rahau tapou est jeté dans les broussailles, ou dans un lieu où il ne soit pas exposé aux regards ni au toucher des profanes. Les vivres ont reçu la vertu des viandes sacrées, et tes naturels qui sont restés au village s'en régalent avec autant de joie et de satisfaction mentale, que s'ils se repaissaient de la chair même de leur ennemi; du moins, ajoute d'Urville, c'est ce que m'assurait gravement Touai, quand il me donnait ces détails.
ESCLAVES IMMOLÉS.
Quand un chef ou quelque personne de distinction vient à mourir en temps de paix, des sacrifices humains ont aussi lieu. Un ou plusieurs esclaves, suivant le rang du défunt, sont immolés sur son corps. En cela, ces naturels pourraient avoir un double but, d'abord d'apaiser le waïdoua du défunt, et d'arrêter l'effet de son courroux sur ceux qui lui survivent; ensuite le désir d'offrir au mort les moyens d'être servi dans l'autre vie comme il l'était dans cette-ci.
Lorsque le fils de Pere Ika mourut à Parramatta, chez M. Marsden, cet ecclésiastique fut obligé d'interposer
son autorité pour empêcher les compagnons de ce jeune homme de sacrifier deux ou trois jeunes esclaves qui se trouvaient avec eux à la NouvelleGalles du Sud, pour apaiser l'esprit du défunt.
Les esclaves destmës à être offerts en sacrifice sont ordinairement assommés d'un coup de méré par un parent du dcfunt, et celui-ci a soin de choisir le moment où sa victime semble ne pas se douter du sort qui lui est réserve. Pour diminuer l'horreur d'une telle action, les Zeelandais ont soin de répéter que l'on choisit communément' pour cet objet les esclaves qui ont commis quelque mauvaise action, comme vol, enchantement, ou bien ceux qui ne peuvent ou ne veulent point travailler.
L'esclave qui a maudit son mattre ne peut éviter d'être sacrifié; car on croit que c'est l'unique moyen d'apaiser l'atoua, et d'échapper à la malédiction proférée par la malheurense victime. Les corps des esclaves immolés à la mort des chefs et en leur honneur devraient être, à la rigueur, déposés près de ces derniers, et subir le même sort; mais il arrive souvent que les sacrificateurs préfèrent les manger; dans ce cas ils cèdent probablement à leur sensualité plutôt qu'aux dogmes de leur religion.
C'est le cas de faire remarquer que si la vengeance et la superstition furent sans doute les premiers motifs qui portèrent ces malheureux peuples a faire des sacrifices humains, la disette singulière d'animaux qui caractérise leurs fles dut pour beaucoup entrer dans le maintien de ces nouvelles cérémonies, à défaut d'autres victimes propres à y figurer (*).
SUICIDE,
Bien que ce ne soit pas une loi inexorable, une nécessité impérieuse qui les porte à cet acte, comme au Bengaie et dans l'Inde, cependant on (*) Marsden, Cruise, Williams, Hmi. King et d'Urville.
voit souvent les femmes des chefs de la Nouvelle-Zeeland renoncer à la vie lorsqu'elles perdent leurs époux. D'ordinaire elles mettent fin à leurs jours et se pendent à un arbre; cette action est admirée et applaudie par leurs amis et leurs propres parents, comme la plus grande preuve d'attachement qu'elles puissent donner à la mémoire de leurs maris.
Quand Touai se décida à faire un voyage.en Angleterre, son frère KoroKoro désirait qu'il emmenât sa femme avec lui; M. Kendall voulait l'en dissuader, représentant combien la position de cette femme deviendrait fâcheuse, si-son mari venait à périr dans le voyage Koro-Koro se contenta de répliquer qu'en pareil cas la femme de Touai ferait très-bien de se pendre, suivant la coutume des Nouveaux-Zeelandais.
Quoique cette action soit bien plus rare de la part des hommes, on en a vu qui n'ont pas voulu survivre à la perte d'une femme tendrement aimée ou d'un parent chéri. Chongui tenta, dit-on, deux fois de se pendre à la mort de son frère Kangaroa.
Si la loi du pays n'oblige point formellement la femme à se détruire à la mort de son mari elle lui interdit du moins de se remarier avant qu'elle ait relevé les os du défunt; car ce n'est que de ce moment qu'elle a acquitté tous ses devoirs envers son époux. Il parait même qu'après ce délai elle ne peut contracter de nouveaux liens, sans imposer une sorte de tache à sa réputation pour la conserver intacte, elle doit rester <idète à la mémoire de son mari. Pour empêcher que la veuve ne profane cette mémoire par un mariage ittégat, les parents du défunt poussent quetquefois la barbarie jusqu'à l'immoier à cette crainte.
La femme qui viote les coutumes de son pays en se remariant avant le délai prescrit, est punie de sa faute en se voyant dépouit)ée par ses voisins de tout ce qu'elle possède. On en voit un exemple frappant dans la veuve de Tara, malgré son haut rang, et dans celle de King George, son second
époux, qui partagea le châtiment qui lui fut infligé.
Les femmes sont très-sensibles aux reproches que leurs maris leur adressent, et il leur arrive quelquefois d'aller se pendre après en avoir reçu. Touai assura à M. d'Urville qu'une femme à qui il arriverait de lâcher par mégarde un vent devant son mari, irait sur-te-champ se pendre, et il lui raconta un fait de cette nature, récemment arrivé. Les missionnaires n'en avaient aucune connaissance, non plus que du cas iui-mëme. J'ai d'autant plus de peine, dit ce savant navigateur, a admettre cette excessive délicatesse, que les jeunes esclaves qui vivaient avec nos matelots à bord ne se gênaient en aucune façon sur ce point (*)." » rUMFtCATiON.
Voici comment d'Urville explique la cérémonie de la purification.
Touai fut obligé de se faire purifier de retour chez lui, suivant l'usage, il prit, sur la tombe ou dans un lieu taboué, un morceau de bois, qui recoit alors le nom depopoa (consacré). Devant t'ariki, il le porta solennellement à terre l'ariki présenta à Touai une poignée de patates; celui-ci en prit une qu'il déposa en contact avec le popoa, et l'y laissa huit à dix minutes; elle était devenue tapou. I) la reprit, en rompit un morceau qu'il jeta avec respect derrière lui. C'était là la nourriture de l'atoua, de l'esprit du mort, auquel les mots du baptême font allusion. Il remit ensuite le reste dans la bouche du grand prêtre, qui devait J'avaler sans y porter les mains. Dès que la patate est devenue tapou par le contact avec le popoa, celui-ci est relevé, déposé dans la bouche de l'ariki, dont il est retiré peu après, et jeté dans un lieu où il ne soit exposé à tomber dans les mains de personne. H est encore défendu à t'ariki de porter les mains à la seconde patate, et il doit également la recevoir dans sa bouche. Enfin il prend lui-même le (') Touai et d'FrviHe.
reste, )e mange, et alors l'homme taboué redevient libre, et peut communiquer sans danger avec ses parents et ses amis. »
ANTHROPOPHAGE.
Les missionnaires ayant manifesté la crainte d'être mangés, dit Marsden, les chefs de la Nouvelle-Zeeland leur dirent de se rassurer; car s'ils étaient affamés de chair humaine, ils préféreraient la chair des Zeelandais, qui était d'un goût plus agréable que celle des Européens, en conséquence de l'habitude que les blancs avaient de manger trop de sel, assaisonnement qui déptaitaux premiers.
La conversation s'étant engagée sur la cause qui avait pu donner lieu à la coutumede mangerdela chair humaine, les chefs dirent à M. Marsden qu'elle provenait de ce que les grands poissons de la mer mangeaient les autres, et de ce que quelques-uns mangent leur propre espèce. Ils alléguaient que les grands poissons mangent les petits, les petits poissons mangent les insectes, les chiens mangent les hommes, les hommes mangent les chiens, et les chiens s'entre-dévorent. Les oiseaux de l'air s'en tre-devorent aussi. En fin un dieu dévore un autre dieu. «Je n'aurais pas compris comment les dieux pouvaient s'entre-manger, ditce savant missionnaire, si Chongui ne m'eût auparavant instruit quetorsqu'itétaitaiiévers le Sudetqu'il eut tué une grande partie des habitants, il eut peur que le dieu de ces derniers ne voulût le tuer pour le manger; car it se regardait lui-même comme un dieu. Alors il saisit ce dieu étranger, qui était un reptile; il en mangea unepartie et réserva l'autre pour ses amis, attendu que c'était une nourriture sacrée. Par ce moyen, ils se flattaient tous de s'être mis à l'abri de son ressentiment." »
D'après les idées de ces hommes sur la nature de t'ame, on conçoit facilement que le plus grand outrage qu'un Zeelandais puisse faire à son ennemi est de le dévorer après avoir réussi à le mettre à mort, puisque par cette action non-seulement it détruit l'être 62' ZM-~MOH. (OCEANIE.) T. HI.
actuel, mais il détruit la partie spirituelle, le waïdoua de son ennemi, qu'il fait servir à l'accroissement de son propre waïdoua. A cette superstition, la plus exécrable sans doute que Fhomme ait pu se créer, l'on doit attribuer l'habitude qu'ont contractée ces peuples de manger les corps de leurs ennemis. Sur le champ de bataille, les cadavres des chefs les plus vieux et les plus infirmes sont toujours mangés de préférence aux corps des jeunes guerriers d'un rang obscur, et quelques-uns appartiennent à des homme: d'un âge fort avancé; car, quoique sujets à une foule de privations, les NouveauxZeelandais, contre l'ordinaire de ce que nous avons observé chez plusieurs peuples sauvages, parviennent souvent à une grande vieillesse. Leurs cheveux blanchissent rarement, et tombent plus rarement encore; leurs dents s'usent sans se gâter, et les rides sont cachées sous le tatouage. Nous pensons que la salubrité du climat, l'exercice et la sobriété sont la cause de cet avantage.
Nous lisons, dans les Chroniques de la société des jésuites au Brési), des exemples qui prouveraient que l'usage de la chair humaine finit par devenir un besoin et un plaisir.
"Un jésuite portugais, Simon de Vasconcellos, trouva un jour une femme brésilienne, d'un âge très-avancé, qui était à i'artic)edela mort. Après t'avoir instruite, aussi bien qu'il lui fut possible, des vérités du christianisme, et s'être ainsi occupé du salut de son âme, il lui demanda si elle avait besoin de manger, et quelle espèce de nourriture elle pourrait prendre. « Ma mère, lui dit-il, si je vous donnais un morceau de sucre, ou une bouchée de ces bonnes choses que nous avons apportées d'au delà des mers, croyezvous pouvoir les manger? » Ah mon fils répondit la vieiiïe, nouvellement convertie, mon estomac ne peut supporter aucune espèce d'aliment. Il n'y a qu'une seule chose dont je pourrais goûter. Si j'avais la petite main d'un petit garçon tapouya, je pense que j'en grignoterais les petits os avec 12
plaisir. Mais, par malheur, il n'y a ici personne pour en aller chasser un et le tuer pour moi. »
H est parfaitement avéré que tes Nouveaux-Zeelandais mangeaient avec délices la chair de leurs ennemis tués dans le combat. La superstition entrait, il est vrai, pour beaucoup dans ces horribles festins, et l'on aurait aimé à croire qu'ils n'avaient lieu qu'à la suite des combats, et dans un but retigieux. Malheureusement les récits des missionnaires ne nous permettent guère de douter que ces naturels n'égorgent quelquefois leurs esclaves de sang-froid, et dans l'unique intention d'assouvir, aux dépens de leurs victimes, leurs monstrueux appétits. Ces exemples sont rares; mais ils sufEsent pour démontrer que la religion seule n'est pas la cause de ces affreuses coutumes.
Il faut même que ces festins aient un grand attrait pour eux; car Touai, à demi civilisé par un )ong séjour chez les Anglais, tout en convenant que c'était une fort mauvaise action, avouait qu'il éprouvait le plus grand plaisir à manger la chair de ses ennemis, et qu'il soupirait impatiemment après l'époque où il pourrait de nouveau se procurer cette jouissance. I) assurait que ta chair de l'homme avait absolument le même goût que celle du porc. Dans ce moment pourtant, il se trouvait à une table servie, où rien ne manquait à ses désirs.
Ordinairement ces sauvages se contentent de manger la cervelle des corps qu'its dévorent, et rejettent le reste de la tête. M. Nicholas cite néanmoins une circonstance où Pouiare et ses compagnons mangerentjusqu'aux têtes de six hommes qu'ils massacrèrent sur le territoire de Doua-Tara.
La chair d'une femme ou d'un enfant est ce qu'ils connaissent de plus dé!icieux. Quant à nous, nous avons connu nous-mêmes des anthropophages de la Mataisie qui préféraient au contraire la chair d'un homme de cinquante ans à celle d'un jeune homme, et celle d'un noir à celle d'un blanc (*).
(*) Marsden d'Uniue, Sim. de V.Meon'
COUTCMM DE GCBMETQCf.HANT LES TÊTES DES CHEFS TUÉS DANS LES COMBATS. En temps de guerre, on rend le plus grand honneur à la tête d'un guerrier tué dans un combat, si cette të~e est convenablement tatouée. Elle est prise par le conquérant et conservée avec respect, ainsi que l'on conserve chez nous un drapeau enlevé à l'ennemi sur un champ de bataille.
Il est agréable pour les vaincus de savoir que les têtes de leurs chefs sont conservées par l'ennemi; car, quand le conquérant désire faire la paix, il prend tes têtes des chefs et les présente à leur tribu. Si celle-ci désire mettre fin il la contestation ses guerriers poussent i] cri à cette vue, et toutes les hostilités cessent. Ce signal indique que le conquérant leur accordera toutes les conditions qu'ils peuvent exiger; mais, si h tribu est déterminée à renouveler h guerre et à risquer les chances d'un autre combat, elle garde le silence. Ainsi la tête d'un chef peut être considérée comme t'étendai'd de la tribu à taquette elle appartient, et le signât de fa paix ou de la guerre.
Si le vainqueur a l'intention de ne jamais faire la paix, il disposera des têtes des ctx-fs qu'il a tués dans le combat en faveur des naih-eh ou des personnes qui voudront les acheter. Alors elles sont quelquefois rad'.t-tées par les amis du vaincu, et renvoyées à leurs parents encore vivants, qui ont pour ces têtes la plus grande vénération, et se livrent à leurs sentiments naturels en les revoyant et en les baignant de leurs larmes.
Quand un chef est tué dans une bataille régulière, tas vainqueurs s'écrient tout haut c A nous t'homme. Quand même il ternie ;.itdans tes rangs de son propre parti, si te parti qui a perdu son chf'f est intimidé, il se soumet sur-le-champ l cf qu'on lui demande. Aussitôt t.i victime est livrée, eellos, Chr. da corn; ï, T'. 49; Nickolas Rieni!i,F)'agmej,' de]')]!Stuire,de l'origine et des mœurs fips peu;)ies de l'Asie cen<m[c, et de rem des îles de ia mer du Sud, impr. à Calcutta.
sa tête est immédiatement coupée; une proclamation publique enjoint à tous les chefs du parti victorieux d'assister à l'accomplissement des cérémonies religieuses qui vont avoir lieu. Leur but est de s'assurer, par la voie des au.gures, si leur dieu les favorisera dans la batait!equ'onva)ivrer.Si)eprêtre,apres l'accomplissement de la cérémonie,annonce que leur dieu leur sera propice, ils sont animés d'un nouveau courage pour attaquer l'ennemi; mais, si ~te prêtre répond que leur dieu ne sera pas propice, ils quittent le champ de bataille dans un profond silence. La tête qu'ils possèdent déjà est conservée par le chef en faveur duquel la guerre a été entreprise, comme une réparation de l'injure que iui ou quelqu'un de sa tribu a reçue de l'ennemi.
Quand la guerre est finie, la tête, proprement préparée, est envoyée à tous les amis de ce chef, comme un sujet de réjouissance pour eux, et pour leur prouver que justice a été obtenue du parti agresseur.
A l'égard du corps, il est coupé par petites portions, et préparé pour ceux qui ont pris part au combat, sous la direction immédiate du chef, quiretient la tête. Si le chef désire en gratifier quelques-uns de ses amis qui ne sont pas présents, de,petites portions sont réservées pour eux; en les recevant, ceux-ci rendent grâce à Dieu de la victoire remportée sur l'ennemi. Si la chair est trop corrompue pour être maugée,acause du temps nécessaire pour le transport, un substitut est mangé à sa place.
.Non-seulement ils mangent la chair des chefs, mais ils ont coutume de ramasser leurs os et de les distribuer parmi leurs amis, qui en fout des sifflets, des flûtes et des hameçons, au lieu de les faire consumer par le feu, et les conservent avec soin comme des trophées de la mort de leurs ennemis. C'est encore une coutume chez eux, qu'un homme qui en tue un autre dans le combat goûte de son sang. 11 croit que cela le sauvera de la rage du dieu de celui qui succombe, s'imaginant que du moment qu'il a goûté le sang de
t'homme qu'il a tué, le mort devient une partie de son propre être, et le place sous la protection de l'atoua chargé de veiller à l'esprit du défunt. M. Kendall m'informa, dit un navigateur plein de zèle pour la science (M. d'Urville), que, dans une occasion, Chongui mangea t'œitgauche d'un grand chefqu'it tua dans la bataille, a Chouki-Anga. Les Nouveaux-Zeelandais pensent que l'ceil gauche, quelque temps après la mort, monte aux cieux et devient une étoile du firmament. Chongui mangea celui du chef par une idée de vengeance, et persuadé que par cet acte il accroîtrait sa gloire et son éclat futur, quand son œd gauche deviendrait une étoite. D'après tout ce que j'ai pu apprendre, ajoute-t-il, touchant la coutume qu'ont les Nouveaux-Zeeiandais de manger de la chair humaine, il parait qu'elle a pris son origine dans une superstition religieuse. Je n'ai jamais appris qu'ils aient tué un homme uniquement pour satisfaire leur appétit ou vendre sa tête .aux Européens ou à d'autres nations. Les têtes qui ont été préparées et vendues appartenaient à des individus tués à la guerre, et faisaient partie de celles qu'on ne voulait point rendre aux amis du mort. En même temps, je crois qu'il n'est pas prudent aux maîtres des navires ni à personne de leurs équipages, d'acheter de ces têtes; car, si une tribu venait à connaître que la tête de son chef se trouve à bord d'un navire, il est plus que probable qu'elle attaquerait ce navire pour la recouvrer, par suite de J'estime et de la haute vénération attachées à ces précieuses reliques (*).
MODE DE CONSERVATION DES TETES CHEZ LES ANTHROPOPHAGES DE LA NOUVELLE.ZEELAND.
I! est tout à fait hors de doute aujourd'hui que les naturels des archipels des Hébrides, de Noukahiva peutêtre, et d'une quantité d'autres îles de la Polynésie et de la Méianësie, sont (*) D'UrvitIe.
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cannibales comme ceux de la NouvelleZeeland. Cependant on a remarqué que les Nouveaux-Zeelandais avaient seuls la coutume de conserver les têtes de leurs ennemis comme des trophées de la victoire, et comme des objets de leur mépris. On retrouve cette coutume parmi quelques tribus d'Afrique, qui conservent, au moyen de certaines préparations, les crânes de leurs ennemis, dans le même but que les sauvages d'Ika-na-Maouï. Les premiers objets qui frappèrent notre attention, dit à ce sujet le capitaine Tuckey, dans le récit de sa visite à la rivière Zaïre, dans la Guinée, furent quatre crânes humains suspendus à un arbre. On nous dit que ces crânes étaient ceux des chefs ennemis faits prisonniers dans le dernier combat, et que c'était l'usage de conserver ces têtes comme de glorieux souvenirs. Ces victimes, ajoute le capitaine Tuckey, nous parurent avoir reçu le coup de grâce avant que la tête eût été séparée du corps. Mais les naturels de la NouvelleZeeland conservent quelquefois les têtes de leurs amis; et c'est dans l'intention de payer à la mémoire des morts un tribut de respect et d'admiration, de montrer ces restes vénérés aux parents et aux amis absents au moment de la mort, et de pouvoir, à certaines époques de l'année, célébrer en leur honneur des cérémonies funéraires.
Le mode de préparation des têtes, chez les naturels de la Nouvelle-Zeeland, dit le docte M. Bennett, prévient non-seulement la décomposition avec le plus grand succès, mais encore les traits du visage demeurent dans un parfait état de conservation. Voici le procédé qu'on met en usage dans cette circonstance quand la tête (*) a été séparée du corps, on brise avec un bâton ou une pierre la partie supérieure du crâne, on vide entièrement la cervelle, et on lave la cavité du crâne à diverses fois, jusqu'à ce qu'elle soit bien nettoyée. On plonge alors la tête (*) Ces têtes portent le nom de mokomo~a; moko, tête tatouée, mo~'at, misérable.
dans l'eau bouillante, ce qui fait disparaître tout l'épiderme. On a soin, pendant cette opération, de ne point toucher à la chevelure, car elle tomberait aussitôt; mais, quand la chevelure est refroidie, elle demeure fixée à la 1 tête avec plus de force qu'auparavant. De petites planchettes sont placées des deux côtés du nez, afin de lui conserver sa forme naturelle; un autre petit morceau de bois est encore introduit dans le nez, pour empêcher qu'il ne se déforme. On bourre les narines de pAorMMMM. On arrache les yeux si ce sont ceux d'un chef, on les mange, on les jette avec mépris dans tout autre cas. On coud la bouche et les paupières pour qu'elles conservent leur forme. On a d'avance creusé dans la terre une espèce de four qu'on remplit de pierres rougies. Ce four, qui est fermé de tous côtés, n'a qu'une ouverture au sommet, et à laquelle la partie supérieure de la tête s'adapte parfaitement. Les pierres chaudes sont arrosées d'eau aussi souvent que cela est jugé nécessaire. Il en résulte une fumée qu'augmentent encore des feuilles imbibées d'eau, qui ont été introduites dans le four. La chaleur et la fumée pénètrent ainsi dans l'intérieur de la tête, dont la base est placée, comme nous l'avons dit, à l'ouverture du four. Pour entretenir la chaleur et la fumée nécessaires, on a soin de renouveler souvent l'eau et tes pierres chaudes jusqu'à ce que cette préparation soit terminée. Le naturel qui est chargé de cette préparation doit veiller à ce qu'il ne se forme point de rides sur !e visage, et passer souvent la main sur la peau, afin de prévenir toute altération dans les traits. Ce procédé pour conserver les têtes humaines exige de vingt-quatre à trente heures. Quand la tête a atteint son degré de préparation, on la retire du feu, on la fixe sur un bâton, et on l'expose au soleil. On oint fréquemment ces têtes avec de l'huile: ce dernier procédé n'est pas jugé indispensable à la conservation de la tête mais on l'emploie pour donner aux têtes une plus brillante apparence. L'adoption de cette simple et excel-
lente méthode, pour la conservation des têtes humaines, mettrait à même de faire de bien précieuses collections de toutes les races d'hommes qui existent sur la surface du globe.
Le but de ces naturels, dans la conservation des têtes de leurs ennemis est, selon M. Bennett, de les conserver comme des trophées de victoire, et pour la satisfaction de leurs sentiments de vengeance. Ils montrent ces têtes avec orgueil dans leurs danses guerrières; et, quand ils vont au combat, ils les déploient aux yeux de leurs ennemis et les menacent du même sort. Ces têtes font la gloire e des vainqueurs; ils les apportent à leurs femmes et à leurs enfants, afin qu'eux aussi puissent se réjouir de la chute de leurs ennemis, et afin de les offrir à leurs idoles, en témoignage de reconnaissance pour la victoire qu'Us ont remportée. A la baie des îles Houliianja, au cap Nord, etc., les chefs, à leur mort, sont enterrés sans mutilation cette coutume y est du moins très-rarement enfreinte mais, à la rivière Tamise, au cap Est, etc., les têtes des chefs sont conservées, comme nous l'avons dit plus haut, en signe de respect pour la personne des morts, et pour les montrer à leurs parents absents au moment de leur décès. Ces têtes ne sont jamais vendues; mais on vend celles des ennemis, en signe de dédain.
Je fis emp)ette, à la rivière Tamise, dit M. Bennett, d'une de ces têtes ainsi préparées; et, ce qui esttrès-rare, je pus, en cette occasion, me procurer le nom, la dignité et l'âge de l'individu à qui elle avait appartenu. Ces détails me furent fournis par celui qui l'avait tué; cet individu s'appelait Bola (Touman était Je nom de son père); il était chef du district du Vigato, à la rivière Tamise. Il était âgé de dix-huit ans environ, et était tatoué depuis peu, et bien moins que les chefs de tribu ne le sont ordinairement. Boia passait pour un guerrier fort distingué pour son âge; il était d'un caractère entreprenant. Le premier au combat, c'était lui qui tuait toujours le premier homme ;*ce
qui, dans ces contrées, est réputé le fait d'armes le plus brillant. Dans un engagement, Bola fut blessé à l'abdomen par un chef nommé Warrinhou Eringa; et, dans sa chute, il fut achevé par un coup de méré (casse-tête) as.sené sur Je crâne. En examinant ce crâne avec attention, i[ est aisé de voir encore la fracture, qui est de quelque étendue.
«Les Nouveaux-Zeelandais ne se soucient guère de cacher qu'ils sont cannibales ils racontent les atrocités qui se lient avec cette coutume, sans aucune apparence de honte ou de remords. Cependant ils ne mangent que de la chairOeieurs ennemis; si c'est un homme de distinction qui tombe sous leurs coups, les yeux, les mains, les pieds sont offerts au plus puissant chet du parti vainqueur car, disentils, c'est avec ses yeux que leur ennemi considéra ses adversaires, c'est avec ses mains qu'il combattit, c'est avec ses pieds qu'il envahit leur territoire et qu'il marcha au combat. Le chef d'un district voisin de la rivière Tamise me fut désigné comme celui qui avait eu l'insigne honneur de tuer i'itiustrechefAtoiouPomare.etqui avait mangé de ses yeux et bu de son sang. Relativement à cette coutume de manger les yeux, il en exista jadis une toute semblable dans l'île de Taïti; et c'est de là qu'on avait inféré que les naturels de cette contrée étaient cannibales. Cette coïncidence est curieuse. On lit dans Je capitaine Cook les observations suivantes, touchant ta coutume de manger les yeux Nous avons grande ratson de supposer que les Talhens étaient adonnés à l'horrible pratique du cannibalisme. On "nous assure, et quelques-uns des nôtres t'ont vu, que, dans les sacri« fices humains, le prêtre, au milieu « de la cérémonie, arrache l'oeil gau"che de la victime; puis, s'avançant « vers le roi, il lui présente cet œn et « le prie d'ouvrir'la bouche; mais, au « heu d'y poser l'œit, il le retire immédiatement. Sans doute cette coïncidence avec la coutume de la NouvelleZeeland, où l'oeil est dévoré et où les
naturels sont cannibales, est digne de remarque; et ce qui vient à l'appui de la supposition que les habitants de Taïti furent jadis anthropophages, c'est qu'Ellis, auteur des Recherches sur la Polynésie, qui, à une époque précédente, avait nié que ces peuples fussent adonnés à une aussi horrible coutume, a fini par reconnaître que les Taïtiens n'étaient pas à l'abri du reproche de cannihaHsme, et qu'on a vu un guerrier, poussé par un sentiment de vengeance, manger trois ou quatre bouchées de la chair d'un ennemi vaincu. On pourrait inférer de là que t'aiguition de l'anthropophagie, à Taïti et a la Nouve)te-Zec)and, est la vengeance; car des naturels de cette contrée m'assurèrent que c'était à ce sentiment et non à la faim qu'il fallait attribuer leur coutume de cannibatisme.
Une autre cause qui pousse ces sauvages à manger de la chair de leurs semblables c'est !a croyance qu'en faisant servir à leur nourriture les corps des braves morts dans la bataille, ils héritent de leur force et de leur valeur. L'horrible pratique du cannibatisme se trouvant en vigueur dans les contrées 1es plus fertiles, il faut lui chercher d'autres causes que la faim. Les motifs dont nous venons de parler nous paraissent les plus probables; cependant, pour manger de la chair humaine, t'.uguiuon de la faim doit s'unir aux sentiments de vengeance; car toute provision de bouche se trouvant éloignée du champ de bataille, ainsi que les femmes et les enfants, qui ne peuvent, par conséquent, les détourner de ces actes de férocité, la faim s'unit alors avec la vengeance.
Après un combat, on a coutume d'entasser les corps des ennemis qui ont succombé on fait un choix des têtes qu'on destine à être conservées et on les confie à ceux qui sont experts dans ce genre de préparation. Ensuite on ouvre les corps, et quand on en a extrait les viscères, etc., on les coupe par morceaux et on prépare le banquet. Quelques naturels mangent
la chair fumée, d'autres la font rôtir; mais il paraît qu'ils ne mangent jamais la chair crue. Il faut dire néanmoins que, lorsqu'au milieu du combat un ennemi tombe frappe à mort par son adversaire, celui-ci, animé parla vengeance, s'élance tout à coup sur lui, et lui déchire la gorge avec ses dents dans l'intention de se repaître de son sang avant que le principe de la vie ait tout à fait abandonne son corps ceci est une coutume générale. Ces sauvages coupent les mains de leurs ennerms, en font racornir les doigts en forme de crochets et, les fixant à leurs huttes, y suspendent leurs corbeiUes. Ils conservent aussi la graisse des fesses, et en assaisonnent les patates, leur nourriture ordinaire. C'est surtout du corps d'un puissant chef ennemi qu'ils aiment à conserver l' la graisse, comme la plus forte marque de leur mépris pour lui. « Relativement à cette horrible coutume, je demandais, dit M. Bennett, à quelques naturels, s'il leur conviendrait que leur corps servît à la nourriture de leurs ennemis; ils me répotfdirent qu'ils se souciaient peu du sort qui les attendait après leur mort. Je demandai aussi à quoi l'on destinait les os des corps que l'on mangeait, et l'on m'apprit que ceux des chefs étaient conservés; les os des bras des jambes, servaient à faire des flûtes qu'ils appellent lehou ou &s/soM; avec les autres, on fait des ornements pour les oreilles, etc Mais des os des individus sans dignité ni illustration on n'en fait aucun cas.
Les sauvages de la Nouve!le-Zeeland préfèrent la chair humnine n la chair de porc. Il leur est quelquefois arrivé de détruite des embarcations et de massacrer l'équipage. Une fois un vaisseau apporta à Sidney, dans la Nouvelle-Galles du Sud, les têtes de plusieurs Européens qui avaient été assassinés par ces sauvages, et qu'ils avaient conservées selon leur mode de préparation.
Si un chef est malade, on a coutume de tuer un esclave et de l'offrir aux esprits mais on ne mange pas sa
chair tandis que, si un chef est tué ou a,r!evement btessé par )e chef d'un dis. trict, et que les parents aient en leur pouvoir quelques esclaves appartenant ce district, ces esclaves sont tués immédiatement et mangéspar esprit de vengeance.
« Dans une excursion botanique à Wyshakicove que je fis pendant ma visite à la Nouvelle-Zeeland, en juin 1829, dit encore M. Bennett, je distinguai des os au milieu de petits arbrisseaux qui croissaient au bord d'un ruisseau je m'approchai davantage de ce iieu, et je trouvai des os humains entassés et paraissant aopartenir à la même personne. Je crusqu'iiyavait.euàcetteptace un banquet de cannibaies; mais le chef qui vint avec moi examiner ce lieu m'assura que c'étaient les os d'un individu mort naturellement.Le chef ajouta que si ces os eussent appartenu à un corps dévoré dans un banquet, ils ne seraient pas restés dans cet état de conservation. La circonstance par moi observée que ces os étaient réunis en tas le conËrma dans son opinion. Ce chef dit encore que, si c'eut été ie corps d'un ennemi, fa mâchoire inférieure aurait été enlevée pour servir de crochets.
Les notions de beaucoup de personnes de ce pays relativement au cannibalisme sont tout à fait erronées. Depuis mon retour en Angleterre, on m'a fait des questions très-curieuses. On me demanda un jour si un enfant que j'amenai d'Erromango, île qui fait-partie du groupe des NouvellesMébrides dont les peuplades sont anthropophages, pouvait manger notre nourriture. Je demandai pourquoi cet enfant éprouverait quelque répugnance à se nourrir comme nous parce que, me fut-il répondu, i'habitude de manger de la chair humaine ne peut se concilier avec un régime différent. « On suppose que l'achat des têtes conservées fait aux naturels de la Nouvelle-Zeeland, les encourage à vivre sans cesse en guerre avec leurs voisins et à tuer leurs esclaves. Ceci est encore une erreur. Ces têtes, ainsi
conservées, ont fait, de temps immémorial, l'orgueil des vainqueurs; et, qu'elles soient achetées ou non par les Européens, cette barbare coutume s'y maintiendra tant que fa civilisation n'aura pas étendu ses bienfaits chez ces peuplades sauvages. Durant un long séjour à la Nouvelle-Zeeland et pnnopafement à fa rivière Tamise, qui est regardée comme le lieu où l'on se procure des têtes avec le plus de facii)té, nous n'en pûmes pas acheter plus de six. La raison de cette rareté que les nature)s nous donnèrent, fut que, depuis longtemps il n'y avait pas eu de guerre. »
RÉFLEXIONS GENIALES.
Il est certain qu'un caractère commun se fait distinguer chez les sauvages de toutes sortes. L'empire du cœur est partagé entre deux divinités rivales, ou plutôt deux démons, l'intérêt personnel et la terreur. Les premiers nnmstres de la première divinité sont la lubricité la haine et la vengeance; les premiers ministres de la seconde sont la cruauté, la crédmité et la superstition. Jetez les jeux sur je g!obe, et vous verrez que ce caractère se retrouve chez les barbares de tout nge et de tout pays. C'est aussi l'histoire de; Européens et des Africains des Celtes et des Scythes. Toutes les découvertes des navigateurs modernes confirment cette assertion; et, quoique les doux noms d'îles des Amis îles de la Société aient été donnés à ces archipets répandus dans le vaste sein de i'océan Pacifique, et que leurs habitants aient fait quejques progrès en civilisation il n'y a pas un peuple ou une tribu qui, dans t'état sauvage, ne soit l'esclave des passions les plus tyranniques et les plus brutales.
SUPERSTITIONS CRUELLES MLiGMN DES NOUVEACX.-ZEELANnAiS COMPARÉE AVEC CELLE DES AKCiENS SCANMNAVES.
« Ces abominables cannibales dit M. -Lapjace, qui traite les NouveauxZeelandais avec une grande sévérité,
ont cependant une religion; mais elle est aussi barbare, aussi sanguinaire qu'eux, et a quelque analogie avec celle des anciens Scandinaves. De même que le sectateur d'Odin, le Nouveau- Zeelandais adore un dieu crue!, vindicatif, n'aimant que le carnage, inexorable pour les lâches et les vaincus, et réservant aux vainqueurs un lieu de délices, où ils livrent des combats toujours heureux, boivent le sang et se rassasient des chairs de leurs ennemis dans nn banquet éternel, où les patates douces ne manquent jamais. Mais, si ce dieu, que les NouveauxZeelandais nomment Atoua, traite aussi généreusement les morts, il s'en dédommage surlesvivants; car, tantôt désigné sous l'apparence de la fièvre, il leur dévore les entrailles, et menace du même sort tout profane qui tenterait de guérir le malade; tantôt il exige, par la voix de ses prêtres ou sWAM, que les âmes des chefs décédés ne se présentent devant lui qu'escortées de celles d'un certain nombre d'esclaves sacrifiés, et dont les parents et amis du mort se partagent les cadavres. Une croyance accréditée parmi les nobles Zeelandais, c'est qu'ils héritent des bonnes qualités d'un ennemi, lorsqu'ils mangent certaines parties de son corps, apres l'avoir tué. Heureux cent fois le Rangatira qui peut se régaler de la cervelle et des yeux de son rival i) s'approprie sa force et son courage, et acquiert en outre la certitude qu'un esprit de l'autre monde ne viendra pas le tourmenter dans celui-ci. D'autres superstitions règnent également parmi les Waris les songes, la sorcellerie, la peur du diable règlent jusqu'aux moindres actions de ces ignorants sauvages et, comme chez eux, la passion de la vengeance et cette des combats fermentent sans cesse il s'ensuit que les mauvais sorts ne sauraient être conjurés que par des massacres ou des dévastations. »
AVANTAGES DU TABOT.
Les malheureux habitants de taNouvelle-Zeeland, ainsi soumise à une
foule de coutumes plus atroces les unes que les autres,auraient déjà disparu depuis longtemps, si une institution religieuse et politique, )e tabou, ne tes garan- tissait un peu de leurs propres fureurs. Le tabou, selon M. Laplace, constitue, entre les mains des arikis, un moyen fort respecté de suspendre les horreurs de la guerre, et de mettre des bornes au droit du plus fort. Cette institution ressemble assez à l'usage qui s'était introduit aux neuvième et dixième siècles, en France comme en Angleterre, parmi les seigneurs trop faibtes pour défendre leurs biens contre des voisins puissants, de les mettre sous la protection de Dieu, en se reconnaissant vassaux de t'Ëgtise. Sans doute qu'à la Nouvelle-Zeeland le tabou n'a pas autant d'efficacité, et ne défend pas d'aussi importants intérêts mais il n'en rend pas moins de très grands services sous plusieurs rapports. Le tabou, dit ce navigateur, garantit les champs de toute espèce de déprédations durant la saison des semailles et des récoltes-, il protège les femmes enceintes jusqu'au moment de leur délivrance; il assure la conservation des animaux et des plantes nécessaires à la subsistance de t'homme, et dont une consommation désordonnée détruirait l'espèce. Enfin il préserve des animosités particulières ou de la rapacité les restes du malheureux mort de maladie, et les ustensiles qui lui ont appartenu. Ainsi placés sous la sauvegarde de la divinité, tous les objets quelconques deviennent sacrés; et, suivant la croyance des Nouveaux-Zeelandais, l'atoua ferait immanquablement expirer dans les plus cruelles souffrances celui d'entre eux qui oserait y toucher. Cette sauvegarde pourtant ne s'étend pas jusqu'à la famille et aux propriétés d'un chef décédé; car à peine a-t-il fermé les yeux que les peuplades des environs accourent pour dévaliser'ses cases, ses provisions de patates, eten même temps pour tuer ou réduire en esclavage les membres de-sa famille aussi la mort d'un guerrier entraîne-t-elle souvent la dispersion de sa tribu. On pense bien que les prêtres, armés d'une telle
influence, en profitent pour étendre leur pouvoir et leurs priviléges; ce sont eux, en effet, qui décident de la paix ou de la guerre, sacrifient les prisonniers après la victoire ou les victimes dans les solennités religieuses, et jugent, en mangeant à part les meilleurs morceaux, si t'atoua est satisfait. Cette influence des prêtres, toutefois, ne suffirait peut-être pas pour contenir des êtres aussi féroces et habitués à n'obéir qu'à leurs caprices, si la plupart des chefs importants ne la partageaient avec eux, et n'étaient investis du titre sacré d'arikis. Ayant ainsi le tabou à leur disposition, ces derniers se font craindre des Rangatiras, soit en frappant les plus turbulents d'une sorte d'excommunication, soit en suspendant pour un temps indéterminé la pêche ou l'usage des denrées les plus nécessaires à la vie, soit en interdisantes échanges entre les naturels et les Européens (*).
PARALLELE ENTRE LES NOUVEAUX ZEELANDAIS ET LES BATTAS. M
Dans lapartiede Soumâdraqui borde le détroit de Malakka, il existe un peuple, nommé Batta, qui a conservé son caractère national depuis les premiers temps de son origine jusqu'au moment actuel. Ses coutumes et ses institutions, dans leur ensemble, sont semblables à cettes des Nouveaux-Zeetandais, et presque identiques avec elles. Prenant d'abord en considération ieurs formes respectives de gouvernement, nous les trouverons, dit M. Marsden, de qui nous extrairons ce parallèle, à très-peu de chose près, complétement semblables. L'autorité supérieure réclameune certainesoumission des nombreux petits chefs, tandis que les derniers sont, a tous égards, indépendants les uns des autres, et jouissent d'un pouvoir absolu sur la vie et les propriétés de leurs sujets. Dans le pays des Battas, comme à la Nouvelle-Zeeland, les femmes sont admises à la succession; il y a aussi une classe semblable à celle j') Laplace.
des Rangatiras, qui descend des Raïas ou chefs, et forme les branches cadettes de leurs familles. C'est pourquoi le gouvernement des Battas, considère sous toutes ses faces, approche plus du système politique en vigueur à la Nouvelle-Zeeland que celui même des Matais. Dans les kampongs, ou villages fortifiés de ces peuples, nous retrouvons presque la forme exacte des pâs de la Nouvelle-Zeeland. Construits comme ceux-ci sur un terrain élevé, ils sont fortifiés par de larges remparts plantés en broussailles. Endehors règne un fossé, de chaque côté duquel s'élève une haute palissade en bois de camphrier. Le tout est environné par une haie de bambous piquants, qui, parvenue à une certaine époque, devient si épaisse, qu'elle dérobe entièrement la vue de la ville à l'oeil du spectateur. Les indigènes de Batta, guidés par le même penchant pour la guerre et la rapine, vivent, comme les Nouveaux-Zeelandais, dans un état d'hostilité perpétuelle les uns à t'égard des autres. Il semble aussi qu'il y ait un certain rapport entre ces deux nations à t'égard de leurs systèmes demythologie. Les Battas reconnaissent trois divinités pour gouverner le monde, ~N~aT'a-GoM~OM, ~o?'a-.Pacfc! et MaM~s~OM~oMy. La première de ces divinités peut être assimilée au dieu principal des Nouveaux-Zeelandais, Maouï-Rangui-Rangui quantaux deux autres, les Battas ont sur leur compte absotumenttesmêmes idées queles Nouveaux-Zeelandais ont sur leurs dieux Tauraki et Maouï-Moua, t'un ayant pouvoir sur l'air, entre la terre et le firmament, et l'autre sur la terre. Les premiers reconnaissent, comme les Nouveaux-Zeelandais, un grand nombre de divinités inférieures, investies d'une autorité tocate, et ils ont quelques notions vagues de t'immortatité de l'âme. Outre les traits de ressemblance caractéristique, il faut observer que les Battas, aussi bien que les habitants de ia Nouvelle-Zeeland, dévorent les corps morts de leurs ennemis. C'estle même principedevengeancequi porte l'une et l'autre nation à cet excès
d'inhumanité; mais les cannibales de Soumâdra surpassent encore, à nos yeux, ceux de la Nouvelle-Zeeland en monstruosité;car non-seulement ils se repaissent de la chair des ennemis tués dans Je combat, mais encore ils mettent à part tes cadavres de leurs criminels pour les partager par morceaux et satisfaire à leurs appétits. Dans leurs institutions domestiques, cespeuples se rapprochent également des Nouveaux-Zeelandais. Les hommes qui sont mattres de prendre autant de femmes qu'ils en peuvent entretenir, mènent une vie oisive, en comparaison de ces femmes, qui sont obligées de faire toute la besogne, et sont traitees comme de véritables esclaves. Elles sont tenues précisément dans ce même état d'humiliation qu'à la Nouvette-Ze~tand, où, quoique l'homme prenne plusieurs femmes, la principale d'entre elles jouit seule de quelque privilége. A Batta, t'aduttèreestpunide t'exii, et., en certains cas aggravants, i de la mort. La manière de s'habiller en ce pays est la même qu'à la NouvelleZeeland i'habitiement des naturels consiste en une étotte de coton qu'ils fabriquent eux-mêmes, et )ienf. autour de la ceinture,tandis qu'une autre pièce de la même étoffe,attachée aux épautes, tombe le long du corps. Ces étoffes sont peintes de diverses couleurs; les Nouveaux-Zeelandais teignent généralement les nattes de dessous en ocre rouge; les plus belles ont des bordures où trois ou quatre couieurs sont assorties avec beaucoup de goùt et d'adresse. Les Battas sont certainement pins avancés en connaissances q:!etesNouveaux-Zeetandais;itsont une langue écrite; ils ont dressé le chevat et )e buffle à les servir, et ils ont quelques idées de commerce. Cependant, en dépit de ces avantages, t'u'its doivent uniquement à certaines circonstances locales, leur caractère s'éieve à peine au-dessus de celui des peuples les plus sauvages. En tracant ce tableau de comparaison entre deux nations si peu connues, je ne prétends pas, dit M. Marsden affirmer que les Nouveaux-Zeeiandais descendent du
peuple Batta, mais qu'ils sont leurs contemporains, et qu'ils ont dû avoir une même origine continenta'e. L'auteur dst'Océanie a déjà trouvé cette origine des Rattas et des Nouveaux-Zeelandais chez les Davas de ta grande île de Katémantan (Bornéo). RHSCMË DES MOEURS DES NOUVEAUX XEELANnAfSETrR)NCtPALKME\T)])~HABf. TANTS DE L'ILE TAVAt.t'OCNAMOD. 'Les recherches de M. Jules Perrot de BJossevine(.M€MîO:ye yeof/ra~i:q'Me sur la A'out'e//e-Zee/aMt/, etc. ) résument en quelque sorte ce que l'on a de plus exact sur ce peuple, et présentent plusieurs documents utiles sur divers ports et mouillages encore pou fréquentes de cette partie du globe. Nous n'en rapporterons que-la partie qui concerne tes mœurs et tes coutumes des habitants de l'île peu connue de Tavaï-Pounamou afin de démontrer que la race qui habite les parties les plus australes et les plus rigoureuses de la Nouvelle-Zeeland est )dentique avec celie qui en occupe les parties les plus septentrionales et les plus tempérées. U n'y a de vraie différence que dans la faiblesse extrême et le petit nombre des tribus répandues sur la grande île Tavai-Pounamou, comparée à celle d'tka-na-Maoui.
Comme on ne possède encore aucun renseignement précis sur les peuplades méridionales de la Nouvelle-Zeeland, cette esquisse de leurs mœurs pourra paraître intéressante; elle fera voir que ces hommes barbares ne le cèdent ni en cruauté ni en humeur belliqueuse aux habitants de l'île septentrionaie, et qu'en général ils leur ressemblent beaucoup. C'est avec vérité que les voyageurs nous dépeignent les habitants d'Iha-na-Maoui sous les traits d'hommes superstitieux, calomniateurs, tiers, cruels, sales et gloutons, mais en même temps braves, prévoyants, respectueux pour les vieillards, bons parents et amis tidèles. Ces vices et ces qualités caractérisent également les habitants de Tavaï-Pounamou.
Les naturels qui habitent tes côtes du détroit de Foveaux sont d'une tailie moyenne, bien constitués, gros et robustes; leur couleur est plus foncée que celle des mulâtres, mais la teinte en est changée par les figures et les dessins profonds qu'its gravent sur leur peau. Les femmes sont généralement petites et n'ont rien de remarquable elles considèrent ie tatouage comme une prérogative de noblesse. Ces hommes, dans leur état sauvage, sont traîtres, tarouches, vindicatifs, dissimulés, et poussent ces vices jusqu'à l'extrême. Les plus grands bienfaits et t'amitié la plus longue ne peuvent trouver grâce auprès d'eux pour l'offense irréfléchie d'un moment. Us sont cannibales dans toute l'étendue du mot; et, loin d'en faire un mystère, ils expliquent complaisamment leurs odieuses pratiques. Également adonnés au vol et au mensonge, ils vivent dans une défiance continuelle; chacun d'eux a dans les bois une retraite particulière, où il cache tout ce qu'il possède. Leur perversité est poussée au point que l'idée de crime leur est étrangère, et que les coupables ne subissent aucune punition. Si un chef dérobe quelque chose à un autre chef, la guerre éclate aussitôt entre les deux tribus; mais s'il n'acommis le larcin que sur un homme du commun, celuici ne peut se dédommager que sur des hommes de son rang; il n'a aucun i-ccourscontreunvoleurtitré. La guerre est la passion dominante de ces peup!ades avides de piiiage. C'est à leur système de destruction qu'il faut attribuer la population peu nombreuse de leur pays. Elles lie s'attaquent ordinairement que lorsqu'elles se croient assurées de la supériorité et d'un riche butin. Dans ce cas, on ne tient pas compte de la perte de quelques guerriers de la classe inférieure mais, si au contraire un chef est tué, son parti rassemble ses amis et ses parents, et lorsque la victoire seconde cette troupe, la mort devient le partage inévitable de la tribu entière des meurtriers. Si, au contraire, la bande ne se sent pas assez
forte, la ruse vient son aide; elle tâche de s'emparer par surprise de quelques-uns de ses ennemis, et assouvit sa rage en les dévorant, à moins que les prisonniers ne soient adoptés par les chefs vainqueurs. Les têtes de ceux qui sont dévorés sont conservées par un procédé fort simple. La personne qui prépare ces têtes ne peut manger pendant les premières vingtquatre heures dans la seconde journée, elle ne doit toucher à aucun mets, et un esclave lui donne sa nourriture. Ces hommes ont pour armes une grande pique, longue de vingt à trente pieds, une de dix à quatorze, et le patou-patou, qui est pour tous les naturels de la Nouvelle-Zeeland ce que le poignard et le couteau sont pour les Italiens et les Espagnols. Ils ne lancent jamais la longue pique, et très-rarement la petite; mais alors ils s'approchent aussitôt, et engagent le combat avec le patou-patou, qui est fait avec un os de baleine ou un morceau de la pierre qu'ils nomment pounamou.
Les enfants sont très-gais, se témoignent beaucoup d'amitié, et déploient dans leurs exercices une agilité remarquable; ils s'amusent à faire des cerfs-volants, des fouets, d'autres jouets et de petites pirogues; ils dansent ensemble, et s'exercent à la fronde. Les jeunes gens ne sont réputés hommes faits que lorsqu'ils atteignent t'âge de vingtans; alors, s'ils ont appris a se servir de la tance et du patou-patou, et s'ils ont une certaine corpulence, on les tatoue entièrement, et ils sont proclamés guerriers. Souvent l'opération du tatouage auprès des yeux leur cause des douleurs inouïes, dont les suites leur font perdre la vue.
Hommes et femmes, tous ces insulaires sont également modestes; ils observent en ce point la régularité la pius scrupuleuse, et sont toujours compiétement couverts par leurs habillements, qui consistent en une natte grossière faite de phornnum, et barbouillés d'ocre jaune. Ils mettent pardessus, dans les jours froid et plu-
étranger, qu'ils accueillent par ces
vieux, une seconde natte, faite avec
l'écorce d'un arbre nommé ohe; la
première est l'ouvrage des femmes, et
l'autre celui des hommes. Les cheveux
sont réunis en un noeud sur le som-
met de la tête; dans des occasions
particulières, les hommes se parent
de grandes plumes qu'ils placent ho-
rizontalement dans ce nœud, et ils en
attachent en même temps à leurs oreil-
les. Les hommes se parent également
de guirlandes de fleurs rouges et
blanches et de verdure, placées avec
un goût tout particulier. Le rouge
est la couleur préférée, et partage avec
les branches vertes l'avantage d'être
le symbole de la paix. Ces ornements
de feuillage ne sont portés d'après
aucune idée religieuse; ce sont de
simples décorations. Les sauvages ne
peuvent souffrir )a couleur blanche ni
la noire; ils se couvrent de peintures
et s'ornent de fleurs à l'approche d'un
mots meiri arowi, en même temps
qu'ils frottent leur nez contre le sien,
cérémonie fort désagréable pour celui-
ci, mais seul gage de sa sûreté. La
polygamie est permise dans l'absence
de leurs époux, les femmes prodiguent
leurs faveurs sans aucune distinction.
Le mari se trouve même flatté de tou-
tes les attentions qu'un blanc veut
avoir pour sa femme.
Le grand âge est l'objet du plus
profond respect un chef même donne
la nourriture à un homme de basse
classe que la vieillesse a privé de ses
facultés; mais aucun sentiment d'af-
fection n'est le mobile de ces bons
procédés. Cependant nulle part les lois
de l'amitié et les liens de la parenté ne
sont plus respectés. Les hommes vi-
vent généralement quatre-vingts ans,
et les femmes quatre-vingt-cinq et
quatre-vingt-six. A la mort d'un chef,
sa tribu se rassemble et se livre à la
joie; on mange des oiseaux, des an-
guilles des patates, mais ni en-
trailles, ni viande crue. Une demi-
heure après la mort, la tête est coupée,
et on s'occupe de la conserver. Le
corps, placé dans une caisse qui est
mise debout daus une maison bâtie
tout exprès, yreste deux ans entiers; ensuite on enlève les os pour les brûler. Le coffre passe à un nouvel occupant. Les hommes du peuple et les esclaves sont enveloppés, après leur mort, dans leurs propres nattes, et jetés comme des chiens dans un trou creusé derrière les cabanes; quelquefois, mais bien rarement, les amis du défunt viennent pleurer sur sa tombe pendant environ une demi-heure, ensuite on ne s'en occupe plus pendant longtemps. Il arrive fréquemment que le corps d'un défunt de cette classe est enlevé et mangé pendant la nuit; mais c'est un crime puni de mort. Si ce cadavre reste enterré, on enlève les os au bout d'un certain temps, et on les brute. La mort exerce particulièrement ses ravages sur les enfants de l'âge de deux ans on observe pour ceux-ci les mêmes cérémonies que pour les chefs les femmes sont également traitées de la même manière, à l'exception des esclaves, qui sont brûlées immédiatement.
Les principales maladies des insulaires de Tavaï-Pounamou paraissent être re~pAa~ttMM et le pian, infirmité très-commune dans les Antilles elle paraît avoir pour cause une extrême indolence, et l'habitude de rester assis sur tes cendres, dans les cabanes. On voit des naturels privés de leurs pieds et de leurs mains; leur corps est dans un état affreux de maigreur, et les extrémités tombent en pourriture. H y a aussi parmi eux beaucoup de scrofuleux. Quoique les maux d'yeux soient communs par les suites du tatouage et la fumée des habitations, cependant la cécité est rare avant le grand âge, et elle ne frappe, en général, que les femmes. Les maux de dents et la surdité sont inconnus. Lorsqu'un membre est cassé ou démis, ils le remettent dans sa position naturelle, le fixent avec des attelles (écorces) et des feuilles de palmier, et l'exposent deux fois par jour à ta vapeur d'herbes mouillées jetées sur le feu.
Ils choisissent, pour bâtir leurs villages, le penchant d'une colline fai-
sant face au point du rivage où l'on peut débarquer de ce côté, et enlèvent tout ce qui pourrait les empêcher de voir arriver les pirogues et les navires. Leurs maisons sont propres et solides elles ont seize pieds de hauteur, dix de largeur et trente de longueur; le plancher, élevé d'un pied au-dessus du sol, est couvert d'une espèce de claie en lianes; ils y laissent de petites ouvertures, dans lesquelles ils allument du feu lorsque le temps est froid et humide. Quand quoiqu'un tombe malade, ou lorsqu'une femme est sur le point d'accoucher, on construit une petite cabane particulière, à quelques toises des autres cases; on y met le feu dès qu'elle n'est plus occupée. Les jardins sont placés, en général, à une certaine distance des maisons on y cultive des pommes de terre, des choux, et d'autres plantes potagères introduites par les Européens. On conserve les pommes de terre, pendant la saison de l'hiver, par le même procédé qu'emploient les Irlandais. Les hommes chassent, pêchent, bâtissent les maisons, construisent tes pirogues, et travaillent au jardin; mais ils aimeraient mieux mourir que de porter leurs provisions les femmes sont chargées de tous les fardeaux. Pendant la belle saison, ils tuent des athatros, des poules sauvages, des phoques, des rats, etc. etc. Ces insulaires fument ces animaux et les conservent entiers, enfermés dans des sacs, pendant plusieurs mois. Ces provisions d'hiver sont à l'abri des rats, sur une plateforme établie au sommet d'un poteau bien lisse, auquel ils montent à l'aide d'u~e échelle mobile. Ils se procurent du feu en frottant vivement un bâton pointu dans une rainure du même bois, dont la poussière s'enflamme dans un instant. Leur procédé pour préparer les aliments consiste à rôtir la viande ou le poisson sur le feu, ou bien ils creusent un trou dans la terre, y font chauffer une grande quantité de pierres, enveloppent ce qu'ils ventent faire cuire dans des herbes vertes, et recouvrent le tout avec de la terre. L'équipage du Snapper
avait adopté ce moyen pour faire cuire son pain à t'aide de pierres rougies. Leurs pirogues, bien construites et décorées de sculptures, résistent difficilement à une grosse mer; mais, lorsque l'eau est calme et unie, ]es rameurs leur impriment une grande vitesse. Les pirogues de guerre sont généralement simples et ont de soixante-dix à cent pieds de longueur. C'est aussi le nombre des combattants et des rameurs. Elles marchent avec une promptitude extraordinaire. Les grands filets de pêche ont de un à deux mille de longueur, et entre dix à douze pieds de hauteur. Ils sont faits avec les fibres du phormium, abondant à Tavaï-Pounamou et sans aucune préparation. La mer est très-poissonneuse.
On trouve de l'eau douce presque partout mais elle n'est pas toujours d'un goût agréaMe. Le pays est infesté de rats; on n'y rencontre aucun reptile venimeux. On voit fréquemment depetites chauves-souris, des igouanes, des lézards, beaucoup de moustiques, de grosses mouches, des abêtîtes, des criquets et des sauterelles. La vue d'un lézard alarme les insulaires, quoiqu'ils mangent souvent des animaux plus sales. Ce peuple n'avait pas encore de cochons à l'époque du voyage du ~KC!/)per; M. Edwarson leur en a donné plusieurs dont ils ont pris le plus grand soin; ils paraissent sentir toute l'importance de ce présent.
Les habitants de Tavaï-Pounamou croient qu'un Être suprême a tout créé, excepté ce qui est l'ouvrage de leurs mains, et qu'il ne leur fera aucun mal. lis l'appellent Maouha ( sans doute Mawi). ~oe~OM-7VoM<o!<a est un bon esprit qu'ils supptient, nuit et jour, de les préserver de tout accident. T~CK? Koula est l'esprit ou ~OMS, qui gouverne le monde pendant le jour, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Ils appellent à haute voix ~ocA'OM-TVoMï-~OMC!' et .A'OM)-Ab!~at à leur secours. ~ocAM&t est l'esprit nocturne, la cause de la mort, des maladies, et de tous les accidents qui peuvent arriver pendant
tes heure*! de son règne; c'est pour cette cause qu'on s'adresse à lui et à TtocAoM-~VoMt-~OMN! pendant la nuit. H existe des traditions fabuleuses au sujet d'un homme ou d'une femme qui habite dans la lune.
Les choses belles et curieuses qu'ils voient entre les mains des Européens leur font regarder ceux-ci comme des espèces de diables ou d'esprits (atouas). Ils observent les blancs avec la plus grande attention, et épient leurs démarches. La dissimulation qui gâte chez eux quelques heureuses dispositions, leur caractère vindicatif et leur esprit rusé, les rendent sensibles à la moindre offense il est alors très-difficile de les apaiser. Si un chef reçoit un présent moins considérable qu'un autre chef, ou si l'on fait un cadeau à un homme du peuple la colère du premier ne connait plus de bornes. Cette susceptibilité rend trop pénible la position d'un étranger qui traite avec ces peuples, et qui, à tout événement, doit chercher à plaire à tous. C'est au manque de sage politique qu'il faut attribuer la mort de plusieurs blancs.
On peut citer, parmi les nombreuses victimes de la férocité des insulaires, le capitaine Tuckey et l'équipage de son canot; cinq hommes du canot du ~(/e!CoM, bâtiment pêcheur, tués par Hounoueghi, chef d'Owaï, dans la partie orientale du détroit de Foveaux; quatre hommes de la goëtette Bro~Aers, massacrés au havre Motineux; plusieurs matelots du Général Gates; enfin trois Lascars du brick-'Mo~Ai~a, qui avaient déserté pour cause de mauvais traitements; trois autres, qui furent épargnés enseignèrent aux naturels la manière d'attaquer les Européens pendant les fortes pluies lorsque les fusits ne peuvent pas servir, et de plonger pour couper les câbles des navires pendant la nuit.
James Coddel, ancien matelot du ~c~e~-C'OM, avait été pris à t'âge de seize ans, et en avait passé autant avec les naturels de Tavaï-Pounamou, lorsque le .fMN~er l'amena à PortJackson, où les officiers de la Coquille
l'ont vu. Cet homme, qui avait épousé une jeune insulaire nommée 7bM~M!TbMAt, s'était tellement familiarisé avec le genre de vie de ces sauvages, qu'il était devenu aussi franc cannibale qu'aucun d'eux. Il avait embrassé leurs idées et leurs croyances, ajouté foi à leurs fables, s'était plié à tous leurs usages, si bien que l'on aurait pu croire que la Nouvelle-Zeeland était sa véritable patrie. Son caractère, vil et rusé, l'avait fait favorablement accueillirdes naturels. Dans les premiers rapports qu'il eut avec M. Edwarson, ii avait eu de la peine à se faire comprendre, et avait tellement oublié sa langue maternelle, qu'il pouvait difficilement servir d'interprète. Il était regardé comme fort dangereux mais, en ne lui accordant pas une trop grande confiance, on parvint à tirer de lui beaucoup de services.
Entre les localités les plus remarqùabies, le havre Milford'présente un bon mouillage depuis dix jusqu'à cinq brasses de fond. M. de Blosseville dit qu'un rocher, semblable à un navire sous voiles, se trouve à cinq milles de l'entrée de son bassin.
IDSTOtRE.
La plupart des peuples de la Polynésie n'ont d'autre moyen que celui de la parole pour communiquer leurs idées. Ils n'ont même rien imaginé qui ressemblât aux symboles hiéroglyphiques, aux noeuds, aux <~M<p<M adoptés par divers peuples cucore voisins de l'état d'enfance des sociétés, à plus forte raison aucuns caractères phonétiques, idéographiques ou alphabétiques, pour transmettre leurs annales à la postérité; la Nouvelle-Zeeland, en particutier, distribuée en tribus peu nombreuses, entièrement indépendantes les unes des autres, et souvent en proie à des guerres terribles, n'avait aucune espèce de gouvernement régulier, et les générations qui s'y sont succédé n'ont laissé aucune trace jle leur existence. Taïti, Tonga et Houaï, réunies en petites souverainetés, avaient su conserver un souvenir plus distinct des faits les plus
importants de l'histoire de leurs rois. Dans tous les pays, dit avec raison d'Urville ce qu'avant la naissance de l'écriture on est convenu d'appeler i'histoire, s'est presque toujours borné à la tradition des faits et gestes des rois ou des chefs de la nation. Or la mémoire de ces faits n'a pu se conserver qu'autant qu'elle intéressait l'ambition et l'orgueil des dynasties, et qu'en outre ces dynasties avaient une certaine durée. diez les Nouveaux-Zeetandais, sujets, par la nature même de leurs institutions, à des révolutions continuelles, cette mémoire se bornait presque toujours aux exploits des pères ou des aïeux de la génération vivante; rarement elle remontait jusqu'à la troisième ou quatrième génération. Leurs opinions même touchant leur origine étaient vagues et divergentes.
Les Zeelandais, séparés de la France par le diamètre entier du globe, rapportaient, selon Cook, leur origine à un pays qu'ils nommaient, TyestfMe (*), ou, selon d'Urville (**), iwi, qui signifie à la fois os et tribu, et dont il signale la ressemblance avec le mot~~ mère du genre humain, selon ta Genèse. Quelques-uns assurent qu'ils descendent de deux frères, ~aoM:ot<a et MaotH-~o/eAt; que Famé ~acM~t/OMa tua et mangea le cadet Maoui-Poteki, d'où provient chez eux la coutume de manger les corps de leurs ennemis. D'autres enfin soutiennent queMaoM, chassé de son pays natal par suite de dissensions civites, s'embarqua avec quelques-uns de ses compatriotes, et que, guidé par te dieu du tonnerre 7'aM7-aA: )t vint s'établir sur les bords du Chourahi (*). Il est probable qu'en ce cas it aurait amené des femmes avec lui, quoique la tradition soit muette à ce sujet.
Une tradition plus remarquable, et qui nous semblerait plus positive, est celle que Cook trouva en vigueur au détroit qui porte son nom, comme aux environs du cap Nord. Eile aurait (<') Cook, premier voyage, t. III, p. 998. ( Voyage de r~o/a~ t. II, p. 35~. C~) Mars<!en; d'Urvilie, 1.111, p. 3:2.
rapport à une grande contrée située au nord-nord-ouest de la NouvelleZeeland, fertile en cochons, et nommée Mtmaraa (qu'il faut lire sans doute OM~a~a (*), peuple d'un lieu exposé à la chaleur dit soleil). Suivant ceux du cap Nord, leurs ancêtres y seraient alles dans une grosse pirogue, et il ne serait revenu au bout d'un mois qu'une partie d'entre eux (**). Au dire des habitants deTatara-Nouï, un petit bâtimentvenant de ce même pays avait touché chez eux, et quatre hommes, débarqués de ce navire, avaient été massacrés sur-le-champ. Cook a.oute que les habitants de la baie des Des lui avaient parlé de ce paysd'MMisraa. Les Nouveaux-Zeelandais, dit encore d'Urville, auraient-ils en effet conservé que)ques notions des iles situées près de la ligne, auraient-ils eu quelques communications avec leurs habitants depuis l'époque où ils furent condamnés à occuper des régions aussi éloignées les unes des autres ? C'est un fait à signaler à l'attention des missionnaires établis à la Nouvetle-Zeeland, ou des voyageurs qui pourront interroger d'une manière précise et détaillée ces insutaires.
Franchissons ces siécies de ténèbres, et arrivons à l'époque où un Européen sut, par sa découverte, rattacher t'histoire de la Nouvelle-Zeeland à l'histoire de l'humanité.
C'est après avoir découvert les terres de Van-Diemen que Tasman accosta, le 13 décembre <642, les côtes de la Nouvelle-Zeeland, inconnues jusqu'alors aux Européens. Après avoir côtoyé la terre pendant quelques jours, il entra, ie 17, dans le détroit de Cook, qu'il prit d'abord pour une baie profonde; et, s'étant aperçu de son erreur, il fut mouiller le lendemain près de terre, et il envoya aussitôt deux canots à la recherche d'une aiguade. Les canots revinrent à la nuit, suivis de deux pirogues chargées de naturels, qui parlaient d'une façon bruyante. (*) Grammar ofNew-Xeetand by Kendall pag. t45 et 1~6.
(") Cook; d'Urvi~e, t. III, p. tf).
Les sauvages ayant fait entendre le son de la conque marine, les Hollandais leur répondirent avec la trompette. Un instant après, les indigènes se retirèrent mais le lendemain, ces hommes intrépides osèrent assaillir les Européens. Nous donnerons l'analyse des récits des plus anciens voyageurs à la Nouvelle-Zeeland à commencer par Tasman iui-même. Ces récits naïfs des vieux navigateurs ont toujours un charme particulier. Ce sont d'ailleurs des documents précieux, presque introuvables, et qui ont aujourd'hui le mérite de la nouveauté. Les lecteurs judicieux et amis d'une instruction solide et variée apprécieront toute l'importance des cadeaux que nous leur faisons en ce genre.
« Le 19 au matin, dit Tasman (*), un canot de naturels, monté par treize hommes, s'approcha de notre navire, à la distance d'un jet de pierre seulement. Ils nous appelèrent plusieurs fois; mais leur langage ne ressemblait en rien au vocabulaire des îles Salomon, qui nous avait été remis à Batavia par le général et le conseil. Ces ~hommes, autant que nous pûmes en juger, étaient d'une taille ordinaire; ils avaient les os saillants et la voix rude. Leur couleur est entre le brun et le jaune. Leurs cheveux sont noirs, liés sur le sommet de la tête à la façon des Japonais, et surmontés d'une grande plume blanche. Leurs embarcations étaient de longues et étroites pirogues réunies deux à deux, et recouvertes de planches pour s'asseoir. Les pagaies avaient plus d'une toise de long, et se terminaient en pointe. Leurs vêtements semblaient être en nattes ou en coton; mais la plupart d'entre eux avaient la poitrine nue. « Nous leur montrâmes du poisson, de la to<Ie blanche et des couteaux, pour les décider à s'approcher de nous; mais ils s'y refusèrent et s'en retournèrent à la fin vers le rivage. Sur ces entrefaites, les officiers du ~ep/~M~ (*) Le Journal de Tasman se trouve dans l'excellente coûection du capitaine Burney.
vinrent à notre bord, et nous résolûmes d'approcher de la côte avec nos navires, vu qu'il y avait un bon mouitlage, et que les habitants paraissaient désirer notre amitié. Aussitôt que nous eûmes pris cette résolution nous vîmes sept embarcations qui venaient de terre. L'une d'elles, montée de dixsept hommes, arriva très-promptemcnt, et vint se placer derrière le ZeeAaKK. Une autre, portant treize hommes vigoureux, s'approcha à un demi-jet de pierre de notre navire. Ils se hélèrent ptusieurs fois les uns les autres. Nous leur montrâmes encore comme auparavant, de la toile blanche; mais ils restèrent immobiles. Le maître du .~ee/MMMt, Gérard Janszoon, qui se trouvait à notre bord, donna ordre à son canot, armé par un quartier-maître et six matelots, de se rendre sur leur navire pour recommander aux officiers de se tenir sur leurs gardes et dans le cas où les naturels l'accosteraient, de ne pas permettre à un trop grand nombre d'entre eux à la fois de monter à bord. Quand le canot du .ZeeAtMMt débordade notrebâtiment, lesnaturels, dans leurs pros ou pirogues les plus voisines de nous, appelèrent à grands cris ceux qui se trouvaient derrière )e ~eeAaMM, et firent avec leurs pagaies un signal dont nous ne pouvions deviner la signification. Mais, quand le canot du Zeehann fut tout à fait au large, les pirogues qui se trouvaient entre les deux navires coururent dessus avec impétuosité, et l'abordèrent avec une telle violence qu'il tomba sur le côté, et se remplit d'eau. Le premier de ces traîtres, armé d'une pique grossièrement aiguisée, donna au quartiermaître, Cornélius Joppe, un coup violent dans la gorge, qui le fit tomber dans la mer. Alors les autres naturels attaquèrent le reste de l'équipage du canot avec leurs pagaies et de courtes et épaisses massues que nous avions prises d'abord pour des parangs grossiers, et les taillèrent en pièces. Dans cet engagement, trois des hommes du JZeeAewM furent tués, et un quatrième blessé à mort. Le quartier-maître et deux matelots se mirent à nager vers
notre navire, et nous envoyâmes le canot qui les recueillit en vie. Après ce combat, les meurtriers prirent un de nos hommes morts dans leur pirogue un autre des morts tomba à l'eau et coula. Ils laissèrent aller le canot. Notre vaisseau et le Zeehann firent feu sur eux avec les mousquets et les canons, mais sans les atteindre, et ils pagayèrent vers le rivage. Nous envoyâmes notre canot pour ramener celui du ZecAaKm; nous y trouvâmes un homme mort et un autre blessé mortellement.
Après cet événement, nous ne pouvions plus établir de relations'amicales avec les nature)s et il n'y avait pas d'espoir de se procurer chez eux de l'eau ni des vivres. Ainsi nous levâmes l'ancre, et nous appareillâmes. Quand nous fûmes sous voiles, vingtdeux de leurs pirogues partirent de terre, et s'avancèrent sur nous. Onze étaient pleines de monde. Quand elles se trouvèrent à la portée de nos canons, on leur tira deux coups, mais sans effet. Le Zeehann fit aussi feu et atteignit un homme de la pirogue la plus avancée, qui était debout avec un pavillon blanc à la main, et que le coup fit tomber. Nous entendîmes le bruit de notre mitraille sur les pirogues, mais nous ne savons pas quel en fut l'effet seulemeut il les forea d'o' pérer tout à coup leur retraite vers la cote, où ils demeurèrent tranquiites, et ne revinrent plus contre nous. Tasman, q'.d le premier )eur Et connaître les Européens fut aussi le premier qui éprouva leur perfidie. H perdit à !a Nouvelle-Zeeland quatre de ses matetots, que les naturels dévorèrent, après les avoir traîtreusement massacrés. Plus malheureux encore que le navigateur hollandais dont il suivait, cent ans plus tard, les traces presque oubliées, Cook perdit de la même manière l'équipage entier d'un canot de sa conserve commandée par le capitaine Furneaux; et, deux ans après ce nouveau désastre, Marion du Frêne et seize de ses gens victimes de la plus exécrabie trahison subirent un pareil destin Plusieurs au3e 7-tF/'a/i0/ (OCEA~'F T. T~T.
tres navigateurs ont éprouve, de nos jours, les mêmes malheurs. Cependant il est juste de dire que les Zeelandais ne furent pas toujours les agresseurs.
Tasman s'empressa de quitter cette
baie, qu'il nomma Moo~eKosy.f~sy (baie des Meurtriers), prolongea toute la côte occidentale d'Ika-na-Maou!, et arriva ]e 4 janvier près la pointe nord. Le jour suivant, il mouilla près d'une des îles /~aMa-OM6[-<aoMt, qu'il nomma île des Trois Rois. N'ayant pu y débarquer pour faire de t'eau, à cause de la violence du ressac et des préparatifs de guerre des indigènes, il remit à la voile et laissa aux terres qu'il venait de découvrir le nom de ~<a;i'Mt Land (terre des États), parce' qu'il pensait qu'elles devaient se réunir aux terres découvertes par Schouten et Lemaire, à l'est de la terre de Feu (~e~-s ~Mej/o), et qui avaient reçu le nom ~a~K /.aM~. C'est un très-beau pays et nous pensons, disait Tasman, qu'il fait partie du continent tMco~MM du ~Mcf. Mais cette erreur avant été bientôt reconnue, ces dernières défouvertes du sage navigateur ho))andais, reçurent, on ne sait comment, le nom de Nouvelle-Zeeland. Ces deux grandes îles furent oubliées pendant cent vingt années, lorsque le célèbre Cook, naviguant par les latitudes élevées des mers australes, les retrouva le 6 octobre 1769, atterrit dans la partie orientale sur un cap qu'il nomma YoungNichs, et vint mouiller dans la baie de ?'S<MM-/{<M;.
L'intrépide et opiniâtre Cooh vit
ses premiers rapports avec les insulaires marqués de scènes sanglantes. Avant reconnu que ces sauvages bravaient avec orgueil tout système d'intimidation, et n'ayant obtenu d'eux que des insuites malgré les paroles de paix de son interprète le Taïtien Toupaïa, homme habile et instruit, Cook s'empara de vive force de trois d'eux, qu'il combla de cadeaux et de bons traitements, afin d'amener ainsi les autres à des dispositions plus amicales. Le lendemain, on ies amena à terre; ce qui d'abord leur causa la plus vive satisfaction. Mais, 13
quand ils virent l'endroit où l'on voulait les débarquer, ils poussèrent les hauts cris, disant qu'ils seraient tués et dévorés par les habitants, qui étaient leurs ennemis. Cependant ils se décidèrent à prendre terre. Nul mal ne leur survint et ils s'empressèrent de raconter aux autres ce qu'ils avaient vu et éprouvé à bord.
Cependant une pirogue accosta le navire qui venait de mettre à la voile. Quelques hommes montèrent à bord on leur fit des présents, et ils cédèrent sans peine leurs armes et leurs cassetête en serpentine. Ces naturels déclarèrent qu'ils ne s'étaient décidés à venir au vaisseau que sur le récit que leur avaient fait leurs camarades. Cook s'avança ensuite vers le sudest en passant près de t'îte de TéaHoura, il remarqua des terres cultivées et des palissades qui servaient de fortiiications.
Les habitants de la presqu'île TeraKako se montrèrent plus avisés, ils s'approchèrent dans deux pirogues, écoutèrent les explications de Toupaïa, lui répondirent avec politesse, refusèrent de monter à bord, mais acceptèrent quelques présents, et s'en retournèrent satisfaits en apparence. En parcourant )a baie de tlawke, i'.EM~es~OMr fut souvent accompagné de naturels, qui, quelquefois poussaient des cris de déû, et provoquaient les Angtais au combat par des gestes insultants. Le 14 octobre, neuf de ces pirogues, remplies de sauvages armés, entourèrent te navire dans le dessein de l'attaquer; déjà ils avaient entonné l'hymne guerrier, et se préparaient à faire usage de leurs lances, quand un canon à mitraille refroidit leur ardeur belliqueuse, et les détermina àregagner la côte.
Le 20 octobre, Cook mouilla sur une baie qu'il nomma l'égadou, la même vraisemblablement que M. d'Urville nomme roAo-~s~oM sur sa carte. Les habitants de cet endroit se comportèrent avec les Anglais d'une façon toute pacifique, ce qui permit aux naturalistes de faire quelques excursions dans l'intérieur. Nous y observâmes, dit le
célèbre navigateur anglais, des phnta* tions de patates douces, de taro et de citrouilles, tenues avec beaucoup de soin et de régularité. Deux cents arpents étaient ainsi en culture par lots d'un et deux arpents.La population ne s'élevait guère au delà d'une centaine d'âmes. La bonne harmonie se maintint si bien, sur ce point, entre les habitants et les Anglais, que les botanistes furent souvent transportes à bord par les pirogues des naturels, quand aucune embarcation des navires ne se trouvait sur la plage.
Le 3 novembre au soir, Cook mouilla sur la baie Miti-Anga, qu'il nomma baie Mercure. Bientôt plusieurs pirogues entourèrent l'~K~eapOM', et les naturels ne répondirent que par des menaces aux avances des Anglais. Le 10, un oflicier livra à un Zeelandais un morceau d'étoffe pour en obtenir une natte en échange; quand cet indigène se refusa à lui remettre la natte, et ne répondit à ses reproches que par des railleries et des gestes aussi indécents qu'outrageants, l'officier coucha en joue le sauvage et l'étendit roide mort. Cependant ie fait ayant été jugé par les chefs, on estima que le naturel était dans son tort, et que l'ofneier avait eu le droit de le tuer. L'affaire n'eut point d'autres suites.
Dans une de leurs excursions, les Anglais visitèrent un pâ plus impor- tant que ceux qu'ils avaient vus jusqu'à ce moment. Voici la description qu'en donne le chef de l'expédition
« Après déjeuner, j'allai avec la pinasse et la yoie, accompagné de MM. Banks et Solander, au coté septentrional de la baie, afin d'examiner le pays et deux villages fortifiés que nous avions reconnus de loin. Nous débarquâmes près du plus petit, dont la situation est des plus pittoresques qu'on puisse imaginer. Il était construit sur un rocher détaché de la grande terre, et environné d'eau à la grande marée. Ce rocher était percé, dans toute sa profondeur, par une arche qui en occupait toute la plus grande partie. Le sommet de l'arche avait plus de soixante pieds d'élévation perpendiculaire au-
dessus de la surface de la mer, qui coulait à travers le fond à la marée haute. Le haut du rocher au-dessus de l'arche était fortifié de palissades à la manière du pays mais l'espace n'en était pas assez vaste pour contenir plus de cinq ou six maisons il n'était accessible que par un sentier escarpé et étroit, par où les habitants descendirent à notre approche, et nous invitèrent à monter. Nous refusâmes cette offre, parce que nous avions dessein d'observer un fort beaucoup plus considérable de la même espèce, situé à peu près à un mille de là. Nous Urnes quelques présents aux femmes et, sur ces entrefaites, nous vîmes les habitants du bourg vers lequel nous nous dirigions, s'avancer vers nous en corps, au nombre de cent environ, y compris les hommes, tes enfants et les femmes. Quand i!s furent assez près pour se faire entendre, ils firent un geste de leurs mains en nous criant Aa?'e maï; ils s'assirent ensuite parmi les buissons de la grève. On nous dit que ces cérémonies étaient des signes certains de leurs dispositions amicales à notre égard. Nous marchâmes vers le lieu où ils étaient assis; et, quand nous les abordâmes, nous leur fîmes quelques présents, en demandant la permission de visiter leur pâ ils y consentirent avec joie, et nous y conduisirent sur-le-champ. Ce pâ est appe)é Ware Tawa, et il est situé sur un promontoire, ou pointe élevée, qui s'avance dans la mer, sur le côte septentrional, et près du fond de la baie. Deux des côtés, baignés par les flots de la mer, sont entièrement inaccessibles. Deux autres côtés sont contigus à la terre; il y a depuis la grève une avenue qui conduit à l'un de ceux-ci, qui est très-escarpé; l'autre ,est plat. On voit sur la colline une palissade d'environ dix pieds de haut, qui environne le toit, et qui est composée de gros pieux, joints fortement ensemble avec des baguettes d'osier. Le coté faible, près de la terre, était aussi défendu par un double fossé, dont l'intérieur avait un parapet et une seconde palissade. Les palissades du de-
dans étaient élevées sur !e parapet près du bourg, mais à une grande distance du bord et du fossé intérieur, pour que les indigènes pussent s'y promener et s'y servir de leurs armes. Les premières palissades du dehors se trouvaient entre les deux fossés, et elles étaient enfoncées obliquement en terre, de sorte que leurs extrémités supérieures étaient inclinées vers le second fossé. Ce fossé avait vingt-quatre pieds de profondeur, depuis le pied jusqu'au haut du parapet; tout près et eh dehors de la palissade intérieure, il v avait une plate-forme de vingt pieds d'élévation, de quarante de long et de six de large; elle était soutenue par de gros poteaux, et destinée à porter ceux qui défendent la place', et qui peuvent de là accabler les assaillants avec des dards et des pierres, dont il y a toujours des tas en cas de besoin. Une autre plate-forme de )a même espèce, et placée également en dedans de la palissade, commandait l'avenue escarpée qui aboutissait à la grève. De ce côté de la coHine il y avait quelques petits ouvrages de fortification et des huttes qui ne servaient pas de postes avancés, mais d'habitations à ceux qui, ne pouvant se loger faute de place dans l'intérieur du fort, voulaient cependant se mettre à portée d'en être protégés. Les palissades, ainsi qu'on l'a déjà observé, environnaient tout te sommet de la colline, tant du côté de la mer que du côté de la terre; le terrain, qui originairement était une montagne, n'avait pas été réduit à un seul niveau, mais formait plusieurs plans différents qui s'élevaient en amphithéâtre les uns au-dessus des autres,'et dont chacun était environné par une palissade séparée., Ils communiquaient entre eux par des sentiers étroits, .qu'on pouvait fermer facilement; de sorte que si un ennemi forçait la palissade extérieure, il devait en emporter d'autres avant que la place fût entièrement réduite, en supposant que les habitants. défendissent opiniâtrement chacun de ces postes. Un passage étroit, d'environ douze cents pieds de long, et qui aboutit à l'avenue escarpée qui vient du rivage, 13.
en forme la seule entrée. Élie passe sous une des plates-formes; et, quoique nous n'ayons rien vu qui ressemblât a une porte ou à un pont, elle pouvait aisément être barricadée, de manière que ce serait une entreprise très-dangereuse et très-difficile que d'essayer de la forcer. En un mot, on doit regarder comme très-forte une place dans laquelle un petit nombre de combattants détermines peut se défendre aisément contre les attaques de tout un peuple armé. En cas de siège, elle paraissait bien fournie de toute espèce de provisions, excepté d'eau. Nous aperçûmes une grande quantité de racines de fougère qui leur servent de pain, et des poissons secs amoncelés en tas; mais nous ne remarquâmes point qu'ils eussent d'autre eau douce que celle d'un ruisseau qui coulait tout près et au-dessous du pied de la colline. Nous n'avons pu savoir s'ils ont quelque moyen d'en tirer de cet endroit pendant un siège, ou s'ils connaissent la manière de la conserver dans des citrouilles ou dans des vases. Ils ont sûrement quelques ressources pour se procurer cet article nécessaire a la vie; car autrement il leur serait inutile de faire des amas de provisions. Nous leur témoignâmes le désir que nous avions de voir leurs exercices d'attaque et de défense. Un jeune indigène monta sur une des plates-formes de bataille, qu'ils. appellent parawa, et un autre descendit dans le fossé: les deux combattants entonnèrent leurs chansons de guerre, et dansèrent avec les mêmes gestes effrayants que nous leur avions vu employer dans des circonstances plus sérieuses, afin de monter leur imagination à ce degré de fureur artificielle qui, chez toutes les nations sauvages, est le prélude du combat. Nous aperçûmes sur )e côté de la colline près de ce fort sauvage, l'espace d'environ un demiacre de terrain pianté de citrouilles et de patates douces et qui était le seul endroit cultivé delabaie (voy.pl. 178). It y a deux rochers au pied de la pointe sur laquelle est construite cette fortification, l'un entièrement détaché de la grande terre, et l'autre qui ne l'est
pas tout à fait ils sont petits tous )es deux, et ils paraissaient plus propres à servir de retraite aux oiseaux qu'aux hommes. Cependant il y a des maisons et des places de défense sur chacun d'eux. Nous vîmes plusieurs autres ouvrages de même espèce sur de petites îles, des rochers et des sommets de collines en différentes parties de la côte, outre quelques autres villages fortifiés qui semblaient être plus considérables que celui-ci. »
Le 31 mars 1770, Cook quitta la Nouvelle-Zeeland, après avoir reconnu toutes les côtes et recueilli les plus précieux documents géographiques. Il donna le nom de Tamise à la rivière de Wahi-Kahou-Rounga et à la baie de Chouraki, laissa son nom à un détroit, donna celui de l'Amirauté à une de ses baies, etc., etc., tandis que de leur côté ses compagnons, Banks et Solander, réunirent une quantité de notions utiles sur l'histoire naturelle de ces deux grandes îles. Surville reconnut cette grande terre, qu'it croyait n'être qu'une seule île, le 12 décembre 17R9, par la iatitude australe de 35° 37'. Les vents ne lui permirent pas de trouver un mouillage avant le 17, jour où il jeta l'ancre dans une baie qu'il nomma Lauriston, du surnom du célèbre Law. Le lendemain il descendit à terre; le chef du village vint au-devant de lui sur lebord du rivage. Les insulaires étaient épars decôtéetd'autre;ilstenaientàla main des peaux de chien et des paquets d'herbes qu'ils haussaient et baissaient alternativement, dans l'intention sans doute de lui rendre hommage. C'est ainsi que se passa en espèce de salutation la première entrevue le jour suivant la réception fut bien différente; les indigènes étaient en armes et par troupes. Le chef était venu dans sa pirogue, au-devant de Surville pour l'engager par signes à l'attendre sur le bord du rivage, parce que les naturels étaient dans de vives alarmes sur la descente à terre d'une grande partie de l'équipage de son vaisseau. Surville se conforma à ce qu'il désirait à cet égard mais lorsque le chef lui Ct la
demande de son fusil, il s'y refusa.Le chef, sans se rebuter du peu de succès de sa première demande, pria cet ofGcier de lui prêter son épée pour la montrer aux gens de son village. Le capitaine ne fit aucune difficulté de lui remettre cette arme. Le chef. satisfait, accourut la montrer aux insulaires, qui paraissaient attendre avec inquiétude le dénoûment de cette entrevue. Le chef harangua à haute voix et avec chaleur ce nombreux attroupement; et dès ce moment, il s'établit entre les insulaires et l'équipage du vaisseau un commerce qui procura des vivres et des secours de toute espèce aux malades. Ce chef demanda au capitaine la permission de l'accompagner à bord de son vaisseau pour en examiner la construction; le capitaine y consentit. Mais, dès que le canot commença à s'éloigner, le cri des femmes et' les alarmes des Nouveaux-Zeelandais déterminèrent Surville à le ramener promptement à terre, où cet officier fut témoin de l'affection sincère de ce peuple envers son chef (*).
L'illustre Cook côtovait alors la Nouvelle-Zeeland il releva même la baie où était Surville, sans se douter, dit-il, qu'un vaisseau français eût abordé avant lui à cette terre encore inconnue, quoiqu'elle eût été découverte par Tasman. On lit, à ce sujet, dans la relation de son second Voyage la phrase suivante « Lorsque je pro« longeais (en décembre 1769) sur r.EMcfeacew la côte de la Nouvelle« Zeeland le capitaine Surville était mou))!é dans la baie Douteuse, sans « que les insulaires m'en eussent ins« truit- s
Surville éprouva une tempête qui lui fit perdre ses ancres et dont il est fait mention dans le Journa! de Cook, et son vaisseau courut de grands dangers. Mais cet habile marin savait, dans ces grandes circonstances, déployer, avec un sang-froid imperturbable, toutes les ressources de son art. Aussi avaitil la confiance de son équipage à tel (*) Journa! de Monneron, subrécargue du ~'<!Mf-/ea~fy)yt'.(<e.
point qu'il n'était pas intimidé à la vue des plus imminents dangers.
Au commencement de la tempête, la chaloupe où étaient les malades tenta inutilement de gagner le vaisseau. Elle ne put pas même revenir au village; elle fut jetée dans une anse qu'on nomma, pour cette cause, anse du 7<e/«</c. Elle fut obligée d'y rester tout le temps de la durée du coup de vent; Nagui-Nouï, chef de ce village, accueillit et reçut les malades dans sa maison. JI leur prodigua tous les rafraîchissements qu'il fut en son pouvoir de leur procurer, sans vouloir accepter aucun salaire de ses soins généreux. Ce ne fut que le 29 que la chaloupe put se rendre à bord la tempête avait fait perdre à Surville le canot qui était amarré derrière le vaisseau il le vit échoué sur le rivage de t'&nse du Refuge. Ce célèbre marin t'envoya chercher; mais les indigènes, plus a)ertes, s'en emparèrent, et le cachèrent si bien, que toutes les perquisitions furent inutiles; on soupçonna qu'ils avaient coûté ce canot dans une petite rivière que l'on remonta et que l'on descendit à diverses reprises. Surville, irrité de la perte de son canot, fit signe à quefques insulaires qui étaient auprès de leurs pirogues de s'approcher. Un d'entre eux accourut; il fut arrêté et conduit à bord; les autres, moins confiants, prirent la fuite. On poursuivit cette hostiHté en s'emparant d'une pirogue, et en brûlant toutes celles qui étaient sur le rivage. On incendia tout te vi[lage;et, après avoir ainsi porté i'effroi et la désofation dans ces contrées, Surville quitta la NouvelleZeeland, sans prévoir que cet injuste châtiment aurait les suites les plus funestes pour les Européens qui auraient le malheur d'y aborder, et qu'il serait la véritable cause de la mort épouvantable de Marion, et du massacre de seize Français de son équipage. H est bien douloureux pour nous d'être encore forcés de les aggraver notre qualité d'historien nous impose le devoir de tout dire, et cette tache est cruelle, lorsqu'elle peut servir à
accuser d'injustice et d'ingratitude un habile navigateur, un marin d'une haute distinction il faut donc faire connaître au lecteur que t'insutaire qui fut arrêté, était le chef NaguiNouï, qui avait reçu les malades dans sa maison avec autant d'humanité que de désintéressement, et encore dans la circonstance intiniment critique que nous avons déjà mentionnée. Voici ce qu'on trouve à ce sujet dans le journal de Potier de t'Orme, un des lieutenants Je fus très-surprjs de voir « que l'Indien (*) que l'on conduisait K à bord, pieds et mains liés, était ce «chefqui,àmonarrivéeàt'ansedu Il Refuge, m'avait fait apporter du « poisson séché, sans exiger de payee ment, avec l'air du monde le plus <t compatissant. Cet infortuné ne m'eut «pas plutôt reconnu, qu'il se jeta à « mes pieds, les larmes aux yeux, en « me disant des choses que je n'en« tendais pas, et que je pris pour des « prières d'intercéder en sa faveur, et «de le protéger, parce qu'il m'avait K rendu service dans une circonstance « où j'en avais le plus grand besoin. « Je fis pour cet homme tout ce qui <. était en mon pouvoir, pour lui mon« trer qu'on ne voulait pas lui faire « de mal. Il me serrait dans ses bras, <t et il me montrait sa terre natale qu'on le forçait d'abandonner; heu« reusement pour moi, le capitaine le « fit mener dans la chambre du con«seit, car il me faisait peine de voir <t cet homme alarmé du sort qu'on <t lui préparait. » On conçoit qu'il devait etre très-inquiet; car, lorsqu'il fut plus rassuré, il apprit à cet officier juste et compatissant, que, lorsqu'its font des prisonniers, ils les saisissent par la touffe de cheveux, qu'ils portent sur le sommet de la tête, et les tuent d'un coup de leurs assommoirs sur la tempe. Ils partagent entre eux, par morceaux, le cadavre, pour en faire un horrible festin. C'est là le (*) A cette époque on donnait le nom d'Indiens à tons les sauvages des différents pays. Les Espagnols les nomment encore ?M ~n~~ G. L. D. R.
sort qu'il craignait.Les Zeelandàis sont génëratement voraces: Nagui-Noui désirait non-seulement tout ce qu'on lui offrait, mais il allait encore auprès des matelots, sollicitait et mendiait tes restes de leurs vivres; il paraissait cependant regretter sa nourriture primitive, la racine de fougère. On a remarqué qu'il avait les dents trèspetites, et qu'il éprouvait unegrande difficulté à rendre le son de t'x. Ce malheureux chef, enlevé traîtreusement, mourut le 12 mars t770, en vue de la petite ne de Juan-Fernandez. A son tour, le 24 mai t772, le capitaine Marion du Frêne, commandant les navires le ;tfasca't?t et le Caxaccosta la 'Nnuveite-Zeetand, à la hauteur du cap Borret, devant le mont Pouke-e-Aupapa; puis, il pro]ongea toute la bande occidentale d'Ii4ana-Maoui, et le 24 mai il mouilla sur la baie des Iles. Voici le récit du massacre de l'infortuné Marion, et de seize Français mangés par les Zouveaux-Zétanda~s. C'est au capitaine Crozet (*) que nous l'empruntons en t'abrégeant « Lorsque-nous fùmes à deux lieues de distance du cap Bret, nous apercûm'es trois pirogues qui venaient à nous; il ventait peu, et la mer était bette. Une des pirogues s'approcha de notre vaisseau; elle contenait neuf hommes. On les engagea par signes à venir à bord on leur envoya diverses bagatelles pour les y déterminer. Ils y vinrent avec un peu de difficulté, et parurent, en entrant dans le vaisseau, n'être pas sans crainte. M. Marion les fit entrer dans la chambre du conseil, et leur offrit du pain. It mangea le premier, et ils en mangèrent aussi. On leur présenta de la liqueur, ils en burent avec répugnance. On les engagea à se dépouiller de leurs pagnes et on leur fit présent de chemises et de calecons, dont ils parurent se laisser habiller avec plaisir. On leur fit voir différents outils tels que haches, ciseaux et erminettes. Ils se montrèrent extrêmement empressés (*) Son Voyage a été rédige par Fabbé Rochon.
de les avoir et s'en servirent aussitôt pour nous faire voir qu'ils en connaissaient l'usage. Onleur en fit présent ils s'en allèrent peu de temps après, très-satisfaits de notre réception. Dès qu'ils furent un peu éloignés du vaisseau, nous les vîmes quitter leurs chemises et leurs caleçons, pour prendre leurs premiers vêtements et cacher ceux qu'ils avaient recus de nous. Ils abordèrent ensuite les deux autres pirogues dont les sauvages n'avaient pas osé s'approcher du vaisseau: ils parurent les rassurer et les engager à venir aussi nous voir. Us vinrent effectivement, et montèrent sur le vaisseau, sans témoigner ni crainte ni défiance, Il y avait parmi eux des femmes; on leur donna du biscuit et quelques autres bagatelles.
<.Le soir, le vent étant augmenté, les pirogues se retirèrent a terre. Cinq ou six de ces sauvages restèrent de kur bonue volonté à bord du vaisseau. On leur fit donner à boire et à manger ils souperent même avec nous et mangèrent de tous nos mets avec beaucoup d'appétit. Ils ne voulurent boire ni vin ni hqueur. Ils couchèrent dans le vaisseau. On leur arrangea des lits dans la grande chambre; ils dormirent bien, sans marquer la moindre défiance. Cependant on les snrveiita toute la nuit. Parmi ces sauvages était le nommé Takouri, un de leurs chefs dont on aura occasion de parier dans la suite, lequel témoignait beaucoup d'inquiétude toutes les fois que le vaisseau s'éloignait un peu de la côte pour courir des bordées en attendant !e bateau que nous avions envoyé le matin à terre.
"Ce bateau revint vers les onze heures du soir. L'officier nous rapporta avoir trouvé une baie dans laquelle il y avait un village considérable et un enfoncement très-étendu où il paraissait y avoir un beau port, des terres cultivées, des ruisseaux et des bois. Le 4 mai, nous mouiifâmes entre des nés, et nous y restâmes à l'ancre jusqu'au 11 du dit mois, que nous mîmes de nouveau sous voiles pour entrer dans un port plus assuré; c'est celui
que M. Cook avait nomme baie des Iles.
«Le 12 mai, le temps étant fort beau, et les vaisseaux en sûreté, M. Marion envoya établir des tentes sur une île qui était dans l'enceinte du port, où il y avait de l'eau et du bois, et qui présentait une anse très-abordable vis-à-vis des vaisseaux; il y établit un corps de garde, et y fit transporter les malades. Les naturels nomment cette île MotouAro.
« A peine fûmes-nous mouillés, qn'H nous vint à bord une quantité de pirogues, qui nous apportèrent du poisson, et nous témoignèrent l'avoir péché exprès pour nous. Nous ne savions que! langage parler à ces sauvages. J'imaginai par hasard de prendre le vocabulaire de l'île de Taïti, que nous avait remis l'intendant de HIe de France. Je lus quelques mots de ce vocabulaire, et je vis avec la plus grande surprise que les sauvagesm'entendaient parfaitement. Je reconnus bientôt que la langue du pays où nous étions était absolument la même que celle de i'î)e de Taïti, éfoignée de plus de six cents lieues de la KouveUe-Zeeiand. A l'approche de la nuit, les pirogues se retirèrent, et nous laissèrent à bord huit ou dix sauvages, qui passèrent la nuit avec nous, comme si nous étions leurs camarades et que nous fussions connus d'eux de tout temps.
«Le lendemain, le temps étant trèsbeau, il nous vint beaucoup de pirogues remplies de sauvages, qui nous amenaient leurs enfants et leurs filles; ils vinrent sans armes et avec la plus grande conuance. En arrivant dans le vaisseau, ils commençaient par crier taro; c'est le nom qu~iis donnent au biscuit de mer. On leur en donnait à tous de petits morceaux, et avecune certaine économie; car ils étaient grands mangeurs, et en si grand nombre, que, si on leur en eût donné suivant leur appétit, ils eussent bientôt achevé nos provisions. Us nous apportaient du poisson en très-grande quantité, et nous le donnaient en troc de quelques verroteries et de morceaux de fer. Dans ces premiers jours, ils se conten-
taient de vieux- clous de deux à trois pouces; par la suite, ils devinrent plus difficiles, et demandaient, en échange de leurs poissons, des clous de quatre ou cinq pouces leur objet, en demandant ces clous, était d'en faire de petits ciseaux pour travailler le bois. Dès qu'ils avaient obtenu un petit morceau de fer, ils allaient aussitôt le porter à quelque matelot, et t'engageaient par signes à te leur aiguiser sur la meute; ils avaient toujours soin de ménager quelques poissons pour payer à ce matelot le service qu'il leur rendait. Les deux vaisseaux étaient pleins de ces sauvages; ils avaient un air fort doux et même caressant. Peu à peu, ils connurent tous les officiers des vaisseaux, et les appelaient par leurs noms. Nous faisions entrer dans la chambre du conseil seulement les chefs, les femmes et les filles. Les femmes étaient distinguées par des plumes d'aigrette, ou d'autres oiseaux aquatiques, plantées dans leurs cheveux, au sommet de la tète.
« Les femmes mariées se reconnaissaient à une espèce de tresse de jonc qui leur liait les cheveux au sommet de la tête. Les filles n'avaient point cette marque distinctive; leurs cheveux tombaient naturellement sur le cou, sans aucune tresse pour les attacher. C'étaient les sauvages eux-mêmes qui nous avaient fait connaître cette distinction en nous faisant entendre par signes qu'il ne fallait pas toucher aux femmes mariées, mais que nous pouvions en toute liberté nous adresser aux filles. Il n'était pas possible, en effet, d'en trouver de plus faciles.
"Dès que nous eûmes connaissance de ces distinctions, on en fit passer l'avis dans les deux vaisseaux, afin que chacun fùt circonspect à t'égard des femmes mariées, pour conserver la bonne intelligence avec des sauvages qui nous paraissaient si aimables, et ne pas les mdisposer contre nous. La facilité d'avoir des filles fit que nous n'eûmes jamais le moindre reproche de la part des sauvages, au sujet de leurs femmes, pendant tout le temps que nous vécûmes avec ces peuples.
Lorsque nous eûmes bien fait connaissance avec eux, ils nous invitèrent à descendre à terre, et à venir les visiter dans leurs viHages. Nous nous rendîmes à leur invitation. Je m'embarquai, avec M. Marion, dans notre chaloupe bien armée, avec un détachement de soldats. Nous parcourûmes d'abord une partie de la baie, où nous comptâmes vingt villages, composes d'un nombre suffisant de maisons pour loger quatre cents personnes. Les plus petits pouvaient en contenir deux cents. « Nous abordâmes à plusieurs de ces villages. Dès que nous mettions pied à terre, les sauvages venaient au-devant de nous sans armes, avec leurs femmes et leurs enfants. Nous nous fîmes des amitiés réciproques; nous teur offrîmes de petits présents, auxquels ils parurent très-sensihtes. Des chefs de quelques-uns de ces villages nous firent des instances très-pressantes pour nous engager à monter avec eux. Nous les suivîmes.
Peu de jours après notre arrivée dans la baie des Iles, M. Marion fit diverses courses le long des côtes, et même dans l'intérieur du pays, pour chercher des arbres propres à faire des mâts pour le vaisseau le Co'.s~e. Les sauvages l'accompagnaient partout. Le 23 mai, M. Marion trouva une forêt de cèdres magnifiques, à deux lieues dans l'intérieur des terres, et à portée d'une baie étoignée d'environ une lieue et demie de nos vaisseaux. o
Là on forma un établissement dans lequel furent placés les deux tiers des équipages, avec les haches, les outils, et tous les appareils nécessaires pour abattre les arbres et faire les mâts, et pour aplanir les chemins sur trois petites montagnes et un marais qu'il fallait traverser pour amener les mâts au bord de la mer.
Les Français avaient trois postes à terre i'un sur l'île Motou-Aro, au milieu du port, où étaient les malades sous des tentes, notre forge où l'on forgeait les cercles de fer destinés à la nouveite mâture du vaisseau le Castries, et toutes les futailles vides, avec les tonneliers pour faire leur eau. Ce
poste était gardé par dix hommes, avec un officier et les chirurgiens destinés au service des malades. Un second poste était sur la grande terre, au bord de la mer, à une lieue et demie des vaisseaux; il servait d'entrepôt et de point de communication avec le troisième poste, qui consistait en un atelier de charpentiers établi a deux lieues plus loin, dans le milieu des bois. Ces deux derniers postes étaient également commandés par des officiers ayant sous eux des hommes armés pour la garde des effets.
Les sauvages étaient toujours mêjés aux Français dans ces différents postes et sur les deux vaisseaux; ils leur fournissaient en échange de clous', du poisson, des cailles, des pigeons ramiers et des canards sauvages; ils mangeaient avec les matelots et 'les aidaient puissamment dans leurs travaux, car ils étaient généralement plus forts que les Français.
Les jeunes gens des deux équipages, attirés par les caresses des sauvages et par la facilité de leurs filles, parcouraient tous les jours les vittages, faisaient même des courses dans les terres pour aller à la chasse des canards; et, emmenant avec eux des sauvages qui les portaient, dans les marais et au passage des rivières, avec la même facilité qu'un homme fort porterait un enfant, quelquefois ils s'écartaient fort loin, et parvenaient chez des sauvages d'un autre canton, où ils trouvai ont des villages beaucoup plus considérantes que ceux qui étaient dans le port. Là étaient des hommes plus blancs, qui les reçurent avec tant de bienveillance, qu'ils les accompagnèrent pendant la nuit au travers des forêts, et qu'ils les portèrent lorsqu'ils étaient fatigués. Cependant, malgré tous ces témoignages d'affection et de bonté, les Français se tinrent longtemps sur leurs gardes; leurs bateaux n'allaient jamais a terre que bien armés, et on ne permettait pas aux indigènes d'aborder les vaisseaux avec leurs armes; enfin, la confiance s'établit au point que Marion ordonna de desarmer les chaloupes et ]es canots lorsqu'ils iraient à terre. Le
capitaine Crozet fit tout ce qui dépendait de lui pour faire rétracter cet ordre et, malgré les caresses des sauvages, il n'oubliait jamais que Tasman avait nommé baie des Meurtriers celle où il avait atterré dans la NouvelleZeeland et néanmoins il ignorait que Cook venait d'y trouver des anthropophages, et qu'il avait failli être tué. dans le même port où ils étaient mouillés.
Le capitaine Marion, parvenu à la plus grande sécurité, faisait son bonheur de vivre au milieu de ces sauvages. Quand il était dans le vaisseau, la chambre du conseil en était toujours pleine; il les caressait, et, à l'aide du vocabulaire de Taiti, tachait de se faire entendre d'eux; il les comblait de présents. De leur côté, ils connaissaient parfaitement cet excellent homme pour le chef des deux vaisseaux; ils savaient qu'il aimait ie turbot, et tous les jours ils lui en apportaient de fort beaux. Dès qu'il témoignait le désir d'avoir quelque chose, il les trouvait toujours à ses ordres. Lorsqu'il allait à terre, tous les sauvages l'accompagnaient avec un air de fete et des démonstrations de joie; les femmes, les filles, les enfants même, venaient iui faire des caresses, tous t'appefaient par son nom. Takouri, chef du plus grand des villages du pays, lui avait amené sur le vaisseau son fils, âgé d'environ quatorze ans, qu'il paraissait aimer beaucoup, et l'avait laissé passer la nuit à bord.
Trois esclaves du capitaine Marion ayant déserté dans une pirogue qui submergea en arrivant à terre Taliouri fit arrêter ceux qui ne s'étaient pas noyés, et les Jui ramena.
Les Français étaient si famitiers avec ces hommes, que presque tous les officiers avaient parmi eux des amis particuliers, qui les suivaient et les accompagnaient partout. «Si nous étions partis daus ce temps-fà, dit Crozet, nous eussions rapporté en Europet'idéetaptus avantageuse de ces sauvages. Nous les eussions peints dans nos relations comme le peuple le plus affable, le plus humain, le plus
hospitalier qui existe sur la terre. » Marion était descendu à terre le 8 juin, toujours accompagné d'une troupe de sauvages. Il y fut accueilli avec des démonstrations d'amitié plus grandes encore que de coutume; les chefs des sauvages s'assemblèrent, et, d'un commun accord, le reconnurent pour le grand chef du pays; ils lui placèrent au sommet de la tcte, dans les cheveux, les quatre plumes blanches qui distinguaient les chefs. Il revint sur son vaisseau plus content que jamais de ces sauvages.
It y avait trente-trois jours- que l'expédition était dans la baie des lies, et que les Français vivaient dans la meilleure intelligence avec les sauvages, qui leur paraissaient un excellent peuple.
Laissons de nouveau le capitaine Crozet continuer son récit en t'abrégeant. <'Le 12 juin, à deux heures de t'après midi le commandant Marion descendit à terre dans son canot armé de douze hommes, emmenant avec lui deux jeunes officiers, MM. de Vaudricourt et Lehoux, un volontaire et le capitaine d'armes du vaisseau. Le nommé Takouri, chef du plus grand village, un autre chef, et cinq ou six sauvages qui étaient sur le vaisseau, accompagnèrent M. Marion, dont le projet était d'aller manger des huîtres, et de donner un coup de Jilet au pied du viitage de Tahouri.
« Le soir, M. Marion ne vint point, comme à son ordinaire, coucher a bord du vaisseau. On ne vit revenir personne du canot, mais on n'en fut pas inquiet; la confiance dans l'hospitalité des sauvages était si bien établie parmi nous, qu'on ne se défiait plus d'eux. On crut seulement que M. Marion et sa suite avaient couché à terre dans une de nos cabanes, pour être plus à portée le lendemain de voir les travaux de l'atelier, qui était à deux lieues dans l'intérieur du pays, occupé la mâture du vaisseau le Castries. Cette mâture était fort avancée, et une partie des matériaux se trouvait transportée déjà assez près du rivage. Les
sauvages nous aidaient tous les jours à ces transports très-fatigants. « Le lendemain 13 juin, à cinq heures du matin, le vaisseau le Castries envova sa chaloupe faire de l'eau et du bois pour la consommation journalière, suivant l'usage établi entre les deux bâtiments, qui envoyaient ainsi alternativement tous lesjours pour les provisions communes. A neuf heures, on aperçut à la mer un homme qui nageait vers les vaisseaux on lui envoya aussitôt un bateau pour le secourir et l'amener à bord. Cet homme était un chaloupier, qui s'était seul sauvé du massacre de tous ses camarades, assommés par les sauvages. Il avait deux coups de tance dans le coté, et se trouvait fort maltraité. H raconta que, lorsque la chaloupe avait abordé la terre, sur les sept heures du matin, les sauvages s'étaient présentés au rivage, sans armes, avec leurs démonstrations ordinaires d'amitié; qu'ils avaient, suivant leur coutume, porté sur leurs épaules, de la chaloupe au rivage, les matelots qui craignaient de se mouiller; qu'ils s'étaient montrés enfin, comme à l'ordinaire, bons camarades; mais que les matelots s'étant séparés les uns des autres pour ramasser chacun leur paquet de bois, alors les sauvages, armés de cassetête, de massues et de tances, s'étaient jetés avec fureur, par troupes de huit ou dix, sur chaque matelot, et Ics avaient massacrés; que lui, n'ayant affaire qu'à deux ou trois sauvages, s'était d'abord défendu, et avait reçu deux coups de tance mais que, voyant venir à lui d'autres sauvages, et se voyant plus près du bord de la mer, il s'était enfui et caché dans les broussailles, et que de là il avait vu 'tuer ses camarades; que tes sauvages, après les avoir tués, tes avaient dépouillés, leur avaient ouvert le ventre, et commençaient à les hacher en morceaux, torsqu'it avait pris le parti de gagner un des vaisseaux à la nage. « Après un rapport aussi affreux, on ne douta plus que M. Marion et les seize hommes du canot, dont on n'avait aucune nouvelle, n'eussent éprouve
la même fin que les hommes de la chaloupe.
« Les officiers qui restaient à bord des deux vaisseaux s'assemblèrent pour aviser aux moyens de sauver les trois postes que nous avions à terre. On expédia aussitôt la chaloupe du ~asc~ftM bien armée, avec un oflicier et un détachement de soldats commandé par un sergent. L'officier avait ordre d'examiner le long de la côte s'il ne découvrirait pas le canot de M. Marion et la chaloupe; mais il lui était surtout commandé d'avertir tous les postes, et d'aller d'abord au débarquement le plus voisin de l'atelier des mâts, pour porter promptemcnt à ce poste, le premier et le plus important, l'avis de ce qui venait de se passer. L'officier découvrit, en passant, la chaloupe du 6'<M<M et le canot de M. Atarion, échoués ensemble dans le village de Takouri, et entourés de sauvages armés de haches, sabres et fusils, qu'ils avaient pris dans les deux bateaux après avoir égorgé nos gens. « L'ofScier, pour ne rien compromettre, ne s'arrêta point en cet endroit, où il aurait pu facilement dissiper tes sauvages et reprendre les embarcations. Il craignait de ne pas arriver à temps au poste de la mâture. Il se conforma donc à l'ordre qu'il avait reçu d'y porter promptement secours,° avec l'avis des événements tragiques de la veille et du matin.
« Je me trouvais heureusement au poste; j'y avais passé ta nuit, et, sans rien savoir du massacre de M. Marion, j'y avais fait bonne garde. J'étais sur une petite montagne, occupé à diriger letransportde nos mats.lorsque, vers les deux heures de l'après-midi, je vis paraître un détachement marchant en bon ordre avec des fusils armés de ba'ionnettes que je reconnus de loin, à leur éclat, pour n'être pas les armes ordinaires du vaisseau. K Je compris aussitôt que ce détachement venait m'annoncer quelque événement fâcheux. Pour ne point effrayer nos gens, dès que le sergent, qui marchait à la tête, fut à la portée
de ma voix, je )uicriai d'arrêter, et je m'approchai pour apprendre seul ce dont il pourrait être question. Lorsque j'eus entendu ce rapport, je défendis au détachement de parier, et je m6 rendis avec lui au poste. Je fis aussitôt cesser les travaux, rassembler les outils et les armes je fis charger les fusils, et partager entre les matelots tout ce qu'ils pouvaient emporter. Je fis faire un trou dans une de nos baraques pour enterrer le reste je fis ensuite abattre le baraque et donnai l'ordre d'y mettre le feu, pour cacher sous les cendres le peu d'outils et d'ustensiles que j'avais fait enterrer, faute de pouvoir les emporter.
« Nos gens ne savaient rien des matheurs arrivés à M.Marion et à leurs camarades. J'avais besoin, pour nous tirer d'embarras, qu'ils conservassent toute leur tête; j'étais entoure de sauvages, chose dont je ne m'ctais.apercu qu'au moment où le détachement m'avait rejoint, et après que le scrgt'nt m'eut fait son rapport. Les sauvages, rassemblés par troupes, occupaient toutes les hauteurs.
«Je partageai mon détachement, que je renforçai de matelots armés de fusils, partie à la tête, précédés du sergent, et partie la queue: les matelots chargés d'outils et d'effets étaient au centre; je faisais l'arrière-garde. Nous partîmes au nombre d'environ soixante hommes; nous passâmes & travers plusieurs troupes de sauvages dont les différents chefs me répétaient souvent ces tristes paroles ( y~/MMW ma~eA~a~Mn, Takouri a tuéMarion). L'intention de ces chefs était de nous effrayer, parce que nous avons reconnu que chez eux, lorsque le chef est tué dans une affaire, tout est perdu pour ceux qui le suivent. <' f~ous fimes ainsi près de deux lieues jusqu'au bord de la mer, où les chaioupcs nous attendaient, sans être inquiétés par les sauvages,qui se contentaient de nous suivre sur tes côtés, et de nous répéter souvent que Marion était mort et mangé. J'avais dans le détachement de bons tireurs qui, entendant dire que M. Marion
était tué, brûlaient d'envie de venger sa mort, et me demandaient souvent la permission ds casser la tête à ces chefs qui semblaient nous menacer. Mais il n'était pas temps de s'occuper de vengeance: dans l'état où nous étions, la perte d'un seul homme était irréparable; et, si nous en avions perdu plusieurs, les deux vaisseaux ne fussent jamais sortis de la NouveiieZeeland. Nous avions d'ailleurs un troisième poste, celui de nos malades, qu'il fallait mettre en sûreté. J'arrêtai donc l'ardeur de nos gens et je leur défendis de tirer, leur promettant de donner carrière à leur vengeance dans'une occasion plus favorable.
« Lorsque nous fûmes arrivés à notre chatoupe, les sauvages semblaient nous serrer de plus près. Je donnai l'ordre aux matelots chargés de s'embarquer les premiers; puis, m'adressant au chef sauvage, je plantai un piquet à terre, à dix pas de lui, et je iuiNs entendre que, si un seul des siens passait la ligne de ce piquet, je le tuerais avec ma carabine, dont je fis la démonstration de vouloir me servir. Le chef répéta docilement mon commandement aux siens et aussitôt les sauvages, au nombre de mille hommes, s'assirent tous.
J e fis successivement embarquertout le monde; ce qui fut assez long, parce qu'il y avait beaucoup de bagages à mettre dans la ch:.)oupe; que ce bateau chargé, tirant beaucoup d'eau, ne pouvait accoster la terre, et qu'il fallait entrer dans la mer pour s'embarquer. Je m'embarquai enfin le dernier, et, aussitôt que je fus entré dans l'eau, les sauvages se levèrent tous ensemble, forcèrent la consigne, poussèrent le cri de guerre, nous lancèrent des javeiots de bois et des pierres, qui ne firent de mai à personne. Ils brûlèrent nos cabanes qui étaient sur le rivage, et nous menacèrent avec leurs armes, qu'ils frappaient les unes contre les autres, en poussant des cris affreux.
«Aussitôt que je fus embarqué, je fis lever le grappin de la chaloupe; je
fis ensuite ranger nos gens de manière à ne pas embarrasser les rameurs. La chaloupe était si chargée et si pleine, que je fus ob)igé de me tenir debout à la poupe, la barre du gouvernail entre les jambes. Mon intention était de ne pas faire tirer un coup de fusil, mais de regagner promptement le vaisseau, pour envoyer ensuite la chaloupe sur )'!teMotou-Aro,re)ever le poste de nos malades, notre forge et notre tonnellerie.
A mesure que nous commençâmes à nous éloigner du rivage, tes'cris, les menaces des sauvages augmentaient de telle sorte, que notre retraite avait l'air d'une fuite. Les sauvages entraient dans t'eau, comme pour venir attaquer la chaloupe. Je jugeai alors, avec )e plus grand regret, qu'il était important et nécessaire à notre propre sûreté de faire connaître à ces barbares la supériorité de nos armes. Je fis lever les rames; je commandai à quatre fusiliers de tirer sur les chefs,qui paraissaient plus agités, et animaient tous les autres; chaque coup fit tomber un de ces malheureux. La fusillade continua ainsi pendant quelques minutes. Les sauvages voyaient tomber leurs chefs et, leurs camarades avec une stupidité incroyable; ils ne comprenaient pas comment ils pouvaient être tués par des armes qui ne les touchaient pas. »
Dès que le capitaine Crozet fut arrivé à bord du ~a.ca'W~i) expédia aussitôt la chaloupe pour aller relever le poste des malades, et fit embarquer un détachement, commandé par un officier, avec ordre de renvoyer à bord tous les malades, les officiers de santé ettousles ustensiles de l'hôpital, d'à battre les tentes, et de faire autour de la forge un retranchement pour la nuit, de poser unf sentinelle avancée du côté du vitjage qui était sur la même Île; de veiller exactement, et de prendre garde surtout aux surprises car Crozet se défiait de quelque entreprise, de la part des sauvages, sur l'établissement de la forge, où ils auraient trou \'é des fers très-propres à les tenter. Il donna en même temps à l'officier
des signaux de nuit, avec promesse de lui envoyer du secours, au cas qu'il fût attaqué.
Les malades furent heureusement ramenés sur les vaisseaux, vers les onze heures de la nuit, sans aucun accident, et les sauvages restèrent toute cette nuit aux environs du poste; mais, voyant que les Français faisaientbonne garde, ils n'osèrent rien entreprendre.
Le]endemain <4juin,Crozet envoya sur l'île un second détachement avec deux officiers. On manquait malheureusement dela provision d'eau et de bois pour continuer le voyage. Après ce que les Français venaient d'éprouver de la partdes insulaires, il y aurait eu beaucoup de difficulté à faire cet approvisionnement sur la grande terre. L'île Motou-Aro, placée au milieu du port, à portée des deux vaisseaux leur offrait du bois à discrétion, et un ruisseau d'eau douce assez commode pour remplir les pièces; mais il y avait sur cette île un vii)age de trois cents sauvages, qui pouvaient les inquiéter. Crozet donna ordre à l'oflicier qui commandait ce poste de réunir tout son monde, et au premier mouvement hostile des indigènes, d'attaquer le village de vive force, de le brûler, et de nettoyer entièrement l'île, pour assurer t'aiguade.
Après midi, les sauvages se présentèrent en armes assez près du poste, la menace à la bouche et défiant les Français au combat. On se mit aussitôt en disposition ~fe les recevoir. On marcha à eux sans tirer, la baïonnette au bout du fusil; ils s'enfuirent dans leur village: arrivés à la porte, ils y tinrent ferme et jetèrent des cris atfreux.
Le chef Motou maître du village, qui était un de ceux avec lesquels les hommes de l'expédition avaient eu le plus de relations amicales, était accompagnéde cinq autres chefs ou guerriers principaux de différents villages. Ils s'agitaient prodigieusement et excitaient tantôt par téurs cris, tantôt par le mouvement de leurs armes, les jeunes guerriers à marcher contre
les blancs; mais ils n'osèrent faire un pas.
Les Français, en ordre de combat, s'arrëtèrentà la portée du pistolet de la porte du vit)ase;Ià,i!s commencèrent la fusillade, tuèrent les six chefs; aussitôt tous les guerriers prirent la fuite au travers du village, pour gagner leurs pirogues. Les Français les poursuivirent ]a baïonnette dans les reins, en tuèrent cinquante, culbutèrent une partie du reste dans la mer, et mirent le feu auvillage. Par ce moyen ils restèrent maîtres de l'île, après avoir eu un seul homme btessé par un javelot, assez grièvement au coin de t'oei). "Après cette expédition, continue Crozet, nous rembarquâmes notre forge, nos fers, nos pièces à eau et je fis retirer entièrement e poste; je renvoyai ensuite couper les fougères qui étaient sur l'île, dans lesquelles les sauvages auraient pu se cacher pour nous surprendre, car ces fougères étaient hautes de six pieds, et fort épaisses. Je donnai ordre d'enterrer les sauvages tués dans le combat, avec l'attention de leur laisser à tous une main hors de terre, pour faire voir aux sauvages que nous n'étions pas sens à manger, comme eux, nos ennemis. J'avais recommandé à nos officiers de faire leurs efforts pour nous amener quelques sauvages vivants, de tâcher de prendre des jeunes gens des deux sexes, ou des enfants j'avais même promis aux soldats et aux matelots cinquante piastres par chaque sauvage qu'ils pourraient amener vivant; mais ces insulaires avaient eu soin de mettre en sûreté, avant le combat, leurs femmes et leurs enfants, qu'ils avaient fait passer sur la grande terre..Nos soldats tentèrent d'arrêter et de lier des blessés qui ne pouvaient fuir, mais ces malheureux étaient enragés, et mordaient comme des bêtes féroces d'autres rompaient comme des fils les cordes avec lesquelles on les avait liés. Il n'y eut pas moyen d'en avoir un seul. « Cependant le vaisseau le Castries n'avait encore ni mât de beaupré, ni mât de misaine. Il n'était plus question d'aller chercher notre belle mâ-
ture de bois de cèdre que nous avions trouvée sur la grande terre, et qui nous avait coûté des travaux infinis pour la tirer de la forêt où nous l'avions abattue. Nous fîmes des mâts par un assemblage de plusieurs petites pièces de bois que nous trouvâmes dans nos vaisseaux, et nous remâtâmes enfin le Castries.
«H nous fallait sept cents barriques d'eau et soixante-dix cordes de bois à feu pour les deux bâtiments; il ne nous restait qu'une seule chaloupe pour ces travaux, nous les achevâmes peu à peu dans l'espace d'un mois.
..J'envoyais tous les jourslachaloupe sur Fue, pour faire alternativement un vova~e à l'eau et l'autre au bois je faisais escorter les travailleurs par un détachementqui revenait tous les soirs coucher à bord du vaisseau.
Un jour que la chaloupe était restée à terre plus tard que de coutume, une troupe de sauvages passa de la grande terre sur l'ile par un coté où ils ne pouvaient être aperçus. La sentinelle, qui était placée 'sur une hauteur, vit venir à elle un homme portant un chapeau, et habiHé en matelot, mais qui marchait comme un homme qui se glisse et ne veut pas être aperçu. La sentineue lui cria d'arrêter: c'était un Zeelandais, qui, ne comprenant rien a ses cris, continua d'avancer. La sentineiie'reconnut le déguisement, !ûi tira un coup de fusil et le tua. Aussitôt on vit paraître une multitude de sauvages; le détachement s'avança, leur donna la chasse, et en tua plusieurs,qu'on trouva vêtus des habillements des officiers et des matelots qu'ils avaient tués précédemment; les autres se rembarqiièrent dans leurs pirogues, et, depuis cette tentative inutile, les sauvages ne parurent plus. Depuis le jour où M. Marion avait disparu, nous apercevions de la dunette des vaisseaux les mouvements 'continuets des sauvages, qui s'étaient retirés sur leurs montagnes; nous distinguious clairement leurs sentinelles, placées sur les éminences, d'où elles avertissaient toute la troupe du moindre de nos mouvements. Les
sauvages' avaient toujours les yeux tournés sur nous, et nous entendions parfaitement les cris des sentinelles, qui se répondaient les unes aux autres avec des voix d'une force surprenante. Pendant la nuit, ils faisaient des signaux avec des feux.
« Lorsque les sauvages passaient en troupes à la portée de l'artillerie de nos vaisseaux, nous leur envoyions de temps en temps quelques coups de canon, surtout pendant la nuit, pour leur faire connaître que nous étions sur nos gardes; mais, comme ils étaient hors de la portée de nos canons, ils n'en éprouvaient jamais l'effet, et il était à craindre qu'ils ne s'enhardissent à mépriser notre artillerie. « Une de lcurs pirogues, dans laquelle il y avait huit ou dix hommes, passa un jour à côté du vaisseau le Castries, qui, d'un coup de canon, coupa la pirogue en deux, et tua quelques sauvages les autres gagnèrent la terre à la nage.
Cependant nous n'avions pas de certitude sur le sort de M. Marion, des deux officiers qui l'avaient accompagné le 12 juin à terre, et de quatorze matelots qu'il avait emmenés avec lui dans son canot; nous savions seulement, par le rapport du matelot échappé te jour suivant du massacre des chaloupiers, que les onze hommes tués dans cette horrible trahison avaient eu le ventre ouvert après leur mort, et que leurs corps avaient été partagés par quartiers et distribués entre tous les sauvages complices du massacre. Le matelot qui avait eu le bonheur d'échapper, avait vu, au travers des broussailles où il s'était caché, cette scène d'horreur.
« Pour nous éciaircir sur le sort de M. Marion et sur celui de ses compagnons de malheur, j'expédiai la chaloupe, avec des officiers de confiance et un fort détachement, au village de Takouri, que les sauvages nous avaient dit avoir tué M. Marion, où nous savions qu'il avait été à la pêche, ac compagué de ce même Takouri, et où nous avions vu son canot, ainsi que la chaloupe, échoués, portés à terre et en-
tourés de sauvages armés. Je donnai ordre aux officiers de faire les perquisitions les plus exactes, d'abord, là où on avait vu les jours précédents nos bateaux échoués, puis de monter dans le village, de le forcer s'il était défendu, d'en exterminer les habitants, de fouitter scrupuleusement toutes leurs maisons publiques et particutières, d'y ramasser tout ce qu'on pourrait trouver avoir appartenu à M. Marion ou à ses compagnons d'infortune, afin de pouvoir constater leur mort par un procès-verbal; de finir l'expédition par mettre le feu au village, d'enlever les grandes pirogues de guerre qui étaient échouées au pied du village, de les amener à ]a remorque au vaisseau, ou de les brûler en cas qu'on ne pût les amener. Crozet fit donc partir la chaloupe armée de pierriers et d'espingoles. L'officier qui commandait aborda d'abord l'endroit où l'on avait vu les bateaux échoués. Ils n'y étaient plus; les sauvages les avaient brûlés pour en tirer le fer. Le détachement monta en bon ordre au village de Takouri. Les traîtres sont lâches à la Nouvelie-Xeeland comme ailleurs Takouri s'était enfui on le vit de loin et hors de la portée du fusil, portant sur ses épaules le manteau de l'infortuné Marion qui était d'un drap très-beau de deux couleurs écarlate et bleu. Dans ce village abandonné, on ne trouva que quelques vieillards qui n'avaient pu suivre leurs camarades fugitifs, et qui étaient assis tranquillement à la porte de leurs maisons. On voulut les prendre captifs. Un d'eux, sans paraître beaucoup s'émouvoir, frappa un soldat avec un javelot qu'il avait à coté de lui. On le tua, et l'on ne fit aucun mal aux autres, qu'on laissa dans le village. On fouilla soigneusement toutes les maisons on trouva dans la maison de Takouri le crâne d'un homme qui avait été cuit depuis peu de jours on y ohservait encore quelques parties charnues, et même les impressions des dents des anthropophages. On y trouva un morceau de cuisse humaine, qui tenait à une broche
de bois, et qui était aux trois quarts mangée.
t Dans une autre maison, on trouva une chemise qui avait appartenu au capitaine Marion. Le col de cette chemise était tout ensanglanté, et on voyait trois ou quatre trous également tachés de sang sur le côté. Dans différentes autres maisons, on trouva une partie des vêtements et les pistolets dujeune Vaudricourt, qui avait accompagné Marion à la fatale partie de nêche. Enfin, on trouva des armes'du canot, et un tas de lambeaux des hardes des soldats lâchement égorgés. « Après avoir fait une visite exacte dans ce village, et avoir rassemblé toutes les preuves de l'assassinat de Marion et de ses camarades, ainsi que les armes et effets abandonnés par les sauvages, on mit le feu à leurs maisons, et le village entier fut réduit en cendres.
Dans le même temps, le détachement s'aperçut que les insulaires évacuaient un autre village voisin, beaucoup mieux fortifié que les autres. Un certain Piki-Oré en était le chef. Les apparences les plus fortes indiquaient que ce Piki-Oré était complice de Takouri. Le détachement se transporta aussitôt à son village, qu'on trouva entièrement abandonné. On en visita toutes les maisons; l'on y trouva, comme au premier, beaucoup d'effets provenant des bateaux français, et des lambeaux des hardes des marins et soldats que ces barbares avaient massacrés. On trouva, entre autres, dans la maison de Piki-Oré, des cntraHies humaines, bien reconnues telles par un de nos chirurgiens; ces entrailles étaient nettoyées et cuites. On réduisit en cendres ce village.
Le 14 juillet 1772, les vaisseaux le Castries et le M<Mc<M'M~ commandés par MM. Duclesmeur et Crozet, quittèrent la Nouvelle-Zeeland pour continuer leur voyage dans la mer du Sud, laissant dans la mémoire des Zeelandjus de terribles souvenirs de la vengeance des Francais. « Le meurtre de Marion, dit M.'d'Ur.vit)e, fut une conséquence des idées adoptées par les
naturels sur la nécessité indispensable de venger les insultes recues. Les dépositions unanimes des chefs de la tribu de Paroa, dont Tou!, le principal d'entre eux, était ie petit-fils de ce Malou, qui périt devant Motou-Roua(*), tendaient à établir que Takouri, auteur du massacre de Marion et de ses compagnons, appartenait, lui et ses guerriers, à la tribu de Wangoroa; NaguiNouï, traîtreusement en)evé, deux ans auparavant, par Surville, était aussi de cette tribu, et pouvait être proche parent de Takouri. Dans cette circonstance, la loi de l'honneur, en vigueur dans ce pays, imposait à ce chef l'obligation d'obtenir satisfaction de cet outrage s'il attendit aussi longtemps, ce fut sans doute pour se procurer une occasion plus favorable.
Dans son second voyage, en mars et avril 1773,Cook fit une longue relâche dans la baie de Dusky, près du cap Ouest de la Nouvelle-Zeeland. Cette baie forme un fabyrinthe d'îles et de canaux où l'on rencontre les meilleurs mouillages du monde. A l'intérieur s'étevent des montagnes d'une grande hauteur avec des sommets couverts de neige dans la partie méridionale on voit une cascade d'un effet admirable, dont les rochers qui la forment sont du granit, du saa'MM: et une espèce de pierre de talc brune et argileuse, dispersée en couches, et commune à toute la Nouvetfe-Xeeiand.
Le )8 mai, Cook alla mouiiier dans )e canal de la Reine-Charlotte, où il retrouva son compagnon de route, le capitaine Furneaux, dont il était séparé depuis trois mois et demi. Les naturels vinrent trafiquer à bord; des jeunes filles en ayant obtenu la permission des hommes, moyennant une légère rétribution, se livraient volon(*) Les naturels, dit Crozel, nomment cette île Motou-Aro. "Ou Crozet se trompe quant au nom de cette île, dit d'U)'v!i!e, ou elle a chaude de nom depuis ce temps, car il est certain qu'elle se nomme MotouDoua ou Moton-Roua; les naturels confondant souvent le son du d avec celui de l'r. o
tiers aux marins pour quelques misérab)es cadeaux; d'autres ne cédaient pourtant qu'avec dégoût, et les femmes mariées se distinguèrent par leur chasteté, et rien ne put les séduire. Les Anglais y acclimatèrent quelques végétaux et quelques chèvres d'Europe. Le 7 juin, les Anglais quittèrent la Nouvelle-Zeeland. Le 21 octobre de la même année, Cook reparut près de la baie d'Hawke, où deux chefs étant venus le visiter, il leur fit présent de cochons, de poules, de semences et de racines utiles.
A cette époque, Cook fit une nouvelle retache dans le canal de la ReineCharlotte, et c'est là qu'il s'assura que les Zeelandais étaient anthropophages. Quelques officiers ayant trouvé à terre des membres mutilés d'un jeune homme, déjà apprêtés pour être rôtis, les apportèrent à bord, les firent cuire, et les abandonnèrent aux indigènes, qui les savourèrent avec délices. Le bon Taïtien Hidi-Hidi, se trouvant à bord d'un des deux navires, fut tellement attristé de cet horrible spectacle, donné à des Européens par des Polynésiens qui parlaient la même langue que lui, qu'il fut se cacher à fond de cale, pour y gémir et pleurer librement sur la férocité de ce peuple, qui avait peut-être la même origine que le sien.
Dans cette retâche, le savant Forster fut témoin de la scène suivante .Notre ami Tawa-Anga,dit-it, vint nous voir avec toute sa famille, et monta sur-techamp à bord, ainsi que son fils, le petit Koa, et sa fille Kopari. On les introduisit chez le capitaine, qui leur fit plusieurs présents, et revêtit l'enfant d'une de ses propres chemises. Cet enfant fut si transporté de joie, que nos caresses ne purent le retenir dans la chambre; sa vanité voulait absolument se montrer à ses compatriotes sur le pont, et il ne cessa de nous importuner jusqu'à ce que nous l'eûmes laissé sortir.Mais itessuva un malheur: un vieux bouc, qui rodait près de lui et effrayait tous les Nouveaux-Zeeiandais, s'offensa de la forme grotesque du pauvre Koa, qui se perdait dans les amples plis de sa che-
mise, et il lui marcha dessus et le foula aux pieds avec beaucoup de complaisance. H semblait prendre plaisir a lui donner de légers coups de corne, et à l'éten.dre tout de son long pour mieux salir sa chemise. Les efforts inutiles de l'enfant pour se relever, et ses cris provoquèrent tellement le bouc, qu'il allait recommencer, si les matelots n'étaient accourus. Sa chemise était alors noire, et son visage et ses mains couverts de boue. Dans cet état piteux il regagna la chambre du Il capitaine. Il avait l'air très-afnigé, les yeux remplis de larmes, et il paraissait guéri de sa vanité. li raconta ses malheurs, en pleurant, à son père; mais, loin d'en ressentir de la pitié, le sauvage se mit en colère et le battit pour le punir. Nous nettoyâmes sa chemise et lui lavâmes tout )e corps, ce qui ne lui était peut-être pas arrivé depuis sa naissance. Son père cependant, craignant un pareil malheur, roula soigneusement la chemise, et, ôtant son propre habit, il en fit un paquet dans lequel il plaça tous les présents que lui et son fils avaient reçus." »
A peine Cook eût-il quitté le mouilque Furneaux vint y mouiller à son tour. Un de ses canots fut enlevé, et les marins qui le montaient furent assommés ou dévorés par les indigènes. Les Anglais avaient été les agresseurs.
Cook revint encore deux fois dans ces lieux; et, à son troisième voyage, il avait avec lui ce fameux Mai~dont nous avons déjà raconté les voyages et les aventures.
Il quitta enfin ces parages, pour la dernière fois, ie 25 tévner 1777 il emmenait avec lui deux jeunes naturels, Tawaï-Aroua etRokoa, qui ne devaient plus revoir leur patrie. Cette retache fut aussi utile que les deux autres aux progrès des sciences naturelles. Le laborif'ux Anderson ajouta une foule d'observations précieuses à celtes qui avaient été recueillies, dans les campagnes antérieures, par Banks, Solander et les deux Forster.
Vancouver, en 1791, stationna durant vingt jours dans la baie Dusky, où 64* /t;ySMOK. (OGËANm.) T. IIJ.
il ne trouva que deux cabanes désertes. En 1793, d'Entrecasteaux releva les !)es Manaoua-Taouï et la partie nord d'Ika-na-Maouï, dans une étendue de vingt-cinq milles, mais il n'eut avec les indigènes que des communications à la voile.
Divers capitaines marchands parurent ensuite à la Nouvelle-Zeeland, entre autres Hansen et Dairympte. M. Savage, médecin, visita, en 1805, la baie des lies; il y fit un séjour de cinq semaines et en publia un récit assez étendu et exact.
Dans la même année 1805, le baleinier l'Argo commandé par un capitaine nommé Baden, mouilla sur la baie des Des, pour se procurer des rafraîchissements. Lorsque ce navire quitta le havre. Doua Tara, neveu de Tepahi, chef de RanguiHou (*), s'y embarqua avec deux de ses compatriotes. L'yo demeura sur la côte environ cinq mois; puis il revint dans la baie des Des. Quand il quitta définitivement la Kouveiie-Zeeland, pour se rendre à Port-Jackson, Doua-Tara s'y embarqua, et arriva à Sidney-Cove. Après avoir été remis en état de prendre la mer, t'~rf/o retourna pêcher sur les côtes de la Nouvelle-Zeeland, y resta six mois environ, et revint encore à Port-Jackson. Pendant cette croisière, Doua-Tara remplit les fonctions d'un simple matelot, et fut attaché à J'équipage d'une des embarcations. A l'arrivée de l'Argo dans Sidney-Cove, il fut débarqué; mais il ne recut aucune récompense pour son année de service à bord. Alors il s'embarqua sur le baleinier )'Mo/tj qui se trouvait sur ta rade, et qui était commandé par le capitaine Richardson. Il resta six mois sur ce navire occupé à pêcher au large de la Nouvelle-Zeeland. L'&;OK avant mouitié sur )a baie des lles, Doua-Tara le quitta, et retourna (") Ses Mémoires ont e~e rédigés en anglais par M. Marsden dans 7~ Narrative of Liddiard ~'t./M/a~, t. II. C'est à cette source que nous nuiserons rhisturi~ue des voyages mtérmsMts de Do'm-Tara. 14
parmi ses amis. Le capitaine Richardson se comporta tres-honnëtement à son égard, et lui paya ses gages en divers articles d'Europe. Doua-Tara tassa six mois à la Nouvelle-Zeeland. AcetteëpoqueIebaieinier~'(i!K<f!mK<7, commandé par le capitaine Moody, relâcha à la baie des lies, sur sa route vers !'ue Bountv, où il comptait charger des peaux de phoques. Doua-Tara s'embarqua sur ce bâtiment. Arrivé à Bounty, l'intrépide Doua-Tara, un de ses compatriotes, deux Taïtiens et dix Européens furent mis à terre pour tuer des phoques. Ensuite le navire fit voile pour la Nouvelle-Zeeland, afin de se procurer des patates, et pour l'Île Norfolk pour prendre du porc, en laissant !es quatorze hommes qu'ils venaient de débarquer avec une petite quantité d'eau, de pain et de salaison. Environ cinq mois après qu'il avait quitté Hie Bounty, le King-Georges, commandé par M. Chase, y mouilla de nouveau. Avant l'arrivée de ce navire, la troupe des pécheurs avait cruellement souffert, durant plus de trois mois, du manque d'eau et de provisions. Il n'y a point d'eau douce sur !'i)e, et les pêcheurs n'avaient d'autre aliment que la chair des phoques ou des oiseaux de mer, tels que les frégates et les albatros dont ils buvaient le sang pour se désaltérer. Les souffrances que la faim et la soif leur avaient fait éprouver étaient grandes; ils ne pouvaient se procurer de l'eau que quand il venait à tomber quelque grain de pluie. Deux "Européens et un Taïtien avaient succombé a ces maux. Peu de semaines après l'arrivée duKing-Georges, ie~a~a-~Mma fut-de retour; pendant son absence, les pêcheurs s'étaient procuré huit mille peaux.
Après avoir embarqué ces peaux, le Santa-Anna fit voile pour l'Angleterre, et Doua-Tara, ayant depuis longtemps te plus vif désir de voir le roi Georges III, s'embarqua comme simple matelot, dans l'espoir de contenter son envie. Ce navire arriva dans la Tamise vers le mois de juillet 1809. Alors Je bon et courageux Zeelandais supplia !e capitaine de lui faire voir le roi,
attendu que c'était là te seul motif qui l'avait déterminé à quitter son pays natal. Quand il s'informait de quelle manière il fallait s'y prendre pour voir le roi, quelquefois on lui disait qu'il ne pourrait pas trouver sa maison d'autres fois, qu'il n'était permis à personne de voir le roi Georges. H était fort affligé de son désappointement, et il ne vit que très-peu de chose dans Londres; car on lui permettait rarement d'aller à terre. Le navire ayant débarqué sa cargaison, le capitaine lui annonça qu'tt allait le placer à bord de l'~M:, que le gouvernement avait frété pour transporter des condamnés à la Nouvelle-Galles du Sud. Doua-Tara lui demanda alors quelques gages et des bardes mais M. Moody refusa de rien lui donner, ajoutant que les armateurs, à son arrivée à Port-Jackson, payeraient ses services avec des mousquets, qu'il ne reçut jamais. Vers ce temps, il tomba dangereusement malade, tant des suites de ses souffrances, que du chagrin de voir ses espérances frustrées. Pauvre, malade et sans amis, il fut envoyé à Gravesend et mis à bord de t'KK. Il y avait alors quinze jours qu'il se trouvait dans la rivière, depuis Parrivée du ~OM~MS, et ou ne lui avait jamais permis de passer une nuit à terre. Peu après qu'il se fut embarqué à Gravesend, t'KK. fit voile pour Portsmouth. M. Marsden avait reçu du gouvernement l'ordre de retourner à la Nouvelle-Galles du Sud, par ce navire, et il le rejoignit quelques jours après son arrivée à Spithead. Doua-Tara y était déjà malade sans que ce célèbre missionnaire sut encore qu'il était abord. La première fois qu'il t'aperçut, il était sur le gaillard d'avant, envejoppé dans un large et vieux manteau tt paraissait très-faibie et trèssouffrant une toux violente l'oppres'sait et il rendait beaucoup de sang par la bouche il semblait enfin n'avoir plus que quelques jours à vivre. M. Marsden demanda au capitaine où il l'avait rencontré, et à Doua-Tara, qui l'avait amené en Angleterre, et l'avait réduit à un état si misérable. Le malheureux
Zeelandais répondit que les souffrances et lès misères qu'il avait éprouvées à bord du ~aK~~mMC! avaient été excessives, et que les marins anglais l'avaient cruellement battu que c'était là la cause de son crachement de sang; que le capitaine l'avait frustré de tous ses gages, et l'avait empêché de voir te roi. « J'eusse bien désiré, dit M. Marsden, si cela eût été possible, de sommer le master (capitaine) du ~sM~a-~KMa de rendre compte de sa conduite; mais il était trop tard. Je tâchai de consoler Doua-Tara; et je lui promis qu'il serait protégé contre toutes sortes d'outrages, et qu'on fournirait à ses besoins.» Grâce aux soins au chirurgien, du capitaine et des officiers, et aux vivres convenables qui furent adminisrés à Doua-Tara, il reprit bien vite des forces et du courage. Il se montra toujours fort reconnaissant, par la suite, des égards qu'on avait eus pour lui. Dès qu'il en fut capable, il fit son service de matelot à bord de t'~MM, jusqu'à son arrivée à Port-Jackson, en février 1810, et il le remplit aussi bien que la plupart desmatelots.«Doua-Tara quitta t'~KK, ajoute M. Marsden, pour m'accompagner à Parramatta (près du Port-Jackson en Australie ), où il demeura avec moi jusqu'au mois de novembre suivant; pendant ce temps, il s'appliqua à l'agriculture. En octobre, le baleinier le jF'ye~eWcA arriva d'Angteterre; il était destiné à faire la pêche sur les côtes de la Nouvelle-Zeeland. Doua-Tara. désirant revoir ses amis, dont il était depuis longtemps séparé, me pria de lui procurer, à bord du 7~'cefen'cA, un passage pour sa terre natale. A cette époque, un des fils de Tepahi, proche parent de Doua-Tara, demeurait chez moi, ainsi que deux autres de ses compatriotes; ils désiraient tous retourner dans leur pays. Je m'adressai au maître du Frederick pour leur obtenir un passage; il consentit à les prendre, à condition qu'ils l'aideraient à se procurer sa cargaison d'huile, tandis que le navire serait sur les côtes de la Nouvelle-Zeeland; promettant, quand il quitterait déËmtivement la cote, de les débarquer dans la baie des
Iles. Ces quatre naturels étaient de trèsbeaux jeunes gens, qui avaient longtemps navigue, et qui devenaient pour ce maître une précieuse acquisition. » En quittant Port-Jackson sur le ~Ve<~e~cA, au mois de novembre, ils se nattaient tous de revoir bientôt leurs amis et leur patrie. Quand ce navire arriva devant le cap Nord, Doua-Tara passa deux jours à terre pour procurer à l'équipage une provision de porcs et de patates; car il était bien connu des habitants de cet endroit, et comptait plusieurs amis parmi eux. Aussitôt que te navire eut pris les vivres nécessaires, il continua sa croisière et, sa cargaison étant prête au bout de six mois ou un peu plus, il fut prêt à partir. Doua-Tara, voyant que l'intention du maitre était de faire route pour l'Angleterre, demanda que lui et ses trois compagnons fussent mis à terre, conformement à l'engagement que cet officier avait pris avec M. Marsden, avant son départ de PortJackson. Dans ce moment, le FredeWcA se trouvait devant la baie des lies, où demeuraient leurs meilleurs amis Doua-Tara avait porté tous ses effets dans le canot, s'attendant qu'on allait sur-le-champ le transporter à terre. Comme il pressait le maître de les envoyer à terre, cetui-ci répondit qu'il allait le faire dès qu'on aurait pris encore une baleine. et le navire gouverna au large de la baie. Doua-Tara fut désoté, car il brûtait d'envie de revoir sa femme et ses amis, dont il était éloigné depuis trois ans. Il le supplia instamment de le débarquer sur quelque point que ce fût de la NouvelleZeeland "Peu m'importe l'endroit, ditil, pourvu qu'on me mette à terre, je saurais bien retrouver mon chemin. a Le maître s'y refusa, et lui dit q'ue son intention était d'aller à l'île Norfolk, pour se rendre ensuite en Angleterre, et que, dans sa route de file Norfotk en Europe, il le déposerait sur la Nouv'etie-Zeetand.
Le /'?'ea~'K'A étant arrivé devant cette île, Doua Tara et ses trois compagnons furent envoyés à terre pour chercher de l'eau. Ils manquèrent 14.
de se noyer dans le ressac; car ils furent submergés sous les rochers creux du rivage. Doua-Tara, dans cette circonstance, disait, dans ce style emphatique habituel aux sauvages, qu'au moment où il revint en l'air, « son cœur était plein d'eau. » A l'île Norfolk, le débarquement est généralement fort dangereux pour les canots, à cause du ressac. Quand le ~-c~eheA eut fait son bois et son eau, et que le maître n'eut plus de prétexte pour retenir Doua-Tara et ses trois compagnons, il leur déclara enfin qu'il ne toucherait pas à la Nouvelle-Zeeland, mais qu'il ferait directement route pour l'Angleterre. L'affliction de Doua-Tara fut très-grande; il rappela au capitaine comment il avait violé sa promesse; il lui dit qu'i avait très-mal agi envers lui, en refusant de le débarquer quand le navire était devant la baie des ties, où il ne se trouvait qu'à deux milles de son pays natal; qu'il avait eu tort de refuser de le débarquer au cap Nord, quand ils avaient passé près de cette terre, et qu'il était affreux de l'abandonner, avec ses compagnons, à l'île Norfolk, dénué de toute espèce de ressources et loin de ses amis, malgré tous les secours que lui et ses camarades avaient prêtés pour lui procurer sa cargaison. Tous sesdiscours ne produisirent aucun effet sur l'esprit de cet homme dur et injuste, qui s'en retourna sur son navire, en les abandonnant à eux-mêmes. Le capitaine revint ensuite à terre, et entraîna de force, à bord, le fils de Tepahi, qui pleurait et le suppliait de le laisser avec Doua-Tara. On n'a plus eu de nouvelles de ce jeune homme depuis son départ de l'île 1\orfolk. Le fre~ncA fit voile pour l'Angleterre, et fut pris dans sa traversée par un Américain, après un engagement meurtrier, dans lequel le maître fut blessé mortellement ainsi que le second Ce châtiment révèle la justice de la Providence. Quelquetemps après que le/?-e~eWcAeutappareitlédel'nefforfoik, le baleinier t'~n, commandé par M. Gwinn, y toucha pour prendre des rafraîchissements, devant continuer sa route vers Port-Jackson. Doua-Tara
s'ad ressa directement hlui pou t'obtenir son passage, et M. Gwinn y consentit avec beaucoup d'humanité.
"A l'arrivée dst'~M/t à Port-Jackson,ie)na!trem'infor)na,ditM.Mars- den, qu'il avait trouvé Doua-Tara à Norfolk, dans la plus affreuse misère et presque nu, le maître du Frederick l'ayant laissé, lui et ses compagnons, sans habits ni provisions. M. Gwinn déclara en outre que la part de DouaTara, commecelle de ses compagnons, pourl'huile que le 1,'rederick s'étaitprocurée,eut bien monté à cent liv. stert. pour chacun, s'ils eussent suivi le navire jusqu'en Angleterre, et s'il fût arrive à bon port; qu'en conséquence le maître leur avait fait un tort consi.dérabie. M. Gwinn eut beaucoup de bontés pour Doua-Tara, et lui fournit les hardes et les objets nécessaires; ce dont celui-ci fut très-reconnaissant. DouaTara fut enchantéde se trouver à Parramatta, et, chez moi, il me fit un récit très-touchant de l'afiliction qu'il avait ressentie tandisqu'il était en vue de son pays natal, lorsqu'on ne voulut point lui permettre de revoir sa femme et ses amis, dont il était depuis si longtemps éloigné; il me raconta aussi le chagrin qu'il éprouva au moment où le 7~'Mfe?'<eA quitta définitivement i'ite Norfolk, en le laissant sur cette île, presque sans espoir de retourner dans sa patrie. Avant de partir de Port-Jackson, il avait été pourvu de blé pour semer, d'instruments d'agriculture, et de divers autres articles utiles; mais il en avait été dépouillé sur le /~w/et'!cA, et à son retour dans la colonie il n'avait plus rien de ce qu'il avait recu. Il demeura avec moi à Parramatta jusqu'à ce que le baleinier J'KM, appartenant à la maison Alexandre Burnie de Londres, arrivât d'Ang!eterre. Comme ce navireserendaitsur la côte dela Nouvelle-Zeeland, mon hôte me pria de lui procurer un passage pour tenter encore une fois de revoir sa famille et ses amis. Je m'ad ressai en conséquence au maître, qui eonsentitàte prendre, à condition que Doua-Tara resterait à bord, et y ferait le service de matelot, tant que i'KM serait sur la côte. Doua-Tara eu.
fit volontiers la promesse; et quand ce bâtiment quitta Port-Jackson il s'v embarqua emportant une seconde fois du blé pour semer et des instruments d'agriculture. Le navire resta cinq mois sur la côte; puis Doua-Tara débarqua chez lui, à son inexprimable joie et à celle de ses com patriotes. « Pendant le temps qu'il passa avec moi, il ne cessa de travailler à acquérir des connaissances utiles, surtout en agricuiture. Sous ie point de vue national, il comprenait parfaitement les bienfaits de ce premier des arts, et ii était un excellent juge pour la qualité de la terre. H désirait vivement que son pavs pût profiter de ses avantages naturels, et il était pleinement convaincu q~;e la richesse et la prospérité d'une nation dépendent principa)ement desproduits de son sol. A peine ()8t2) Doua.Tara futdéharquéde i'~KM,qu'H devint chef de Rangui-Hou par la mort de son oncle Tepahi. IJ prit avec lui le blé qu'on lui avait donné à Parramatta pour semer, et il instruisit sur-lechamp ses amis et tes chefs du voisinage de la valeur de ce grain, en leur expliquant que c'était avec le blé que les Européens faisaient le biscuit qu'ils avaient vu et mangé à bord des vaisseaux. I! donna une partie de cette semence à six chefs et a quelques-uns de ses hommes, en leur indiquant comment ii fallait la semer; il réserva le reste pour lui-même et pour son oncle Chongui, un des chefs les plus illustresd'Ika-na-Maouï.donties domaines s'étendaient de la côte orientale à la cote occidentale decette t!e. Tous ceux à qui Doua-Tara avait donné du grain le mirent en terre, et il poussa très-bien; mais, avant qu'il fut parvenu à maturité, plusieurs d'entre eux furent impatients de jouir de leur récolte; et, comme ils s'attendaient à trouver du grain à la racine des tiges, comme dans les patates, ils examinèrent les racines; mais, n'ayant point trouvé de blé sous terre, tous, excepté Chongui. arrachèrent les plantes et les brutèrent. Les chefs raillèrent Doua-Tara au sujet du blé; ils lui dirent que, parce qu'il avait été un grand voyageur, il avait
imaginé pouvoir abuser de leur crédulité, en leur débitant de belles histoires. Tous les arguments de cetui-ci ne purent leur persuader qu'on faisait du pain avec du blé. Sa récolte et celle de Chongui vinrent à maturité, et les épis furent recueillis et battus; quoique les naturels fussent très-surpris de voir que le grain venait à la tige et non pas a la racme de la plante, ils ne crurent cependant pas encore qu'on pût en faire du pain. Vers ce temps, le baleinier le 7e~e~Mt, capitaine Thomas Burnes, mouiiïa sur la baie des lies. Doua-Tara, jatoux de détruire les préventions des chefs contre son bté, et de prouver la vérité de ses anciennes assertions touchant le biscuit, pria le maître du y~/e~oM. de lui prêter un moulin à poivre ou à café. H voulut essayer de réduire une partie de son blé en farine, pour en faire un gâteau; mais le moulin était trop petit, et il ne put y réussir.') »
Profitant d'un navire qui se rendait de la Nouveite-Zeeiand à Sidney, il fitdire à M. Marsden qu'il était enfin de retour chez lui, qu'il avait semé son blé, qui était bien venu, mais qu'il avait oublié de se munir d'un moulin, et qu'il Je priait de lui en envoyer un, avec quelques pioches et autres instruments d'agriculture. Peu après, le navire la Queen-Charlotte, appartenant au Port-Jachson. fit route pour les îles Peart, devant passer par le cap Nord de la Nouvelle-Zeeland. M. Marsden mit à bord des pioches et autres instruments avec quelques sacs de blé, et pria le capitaine de remettre ces objets à Doua-Tara. Par malheur, ce navire dépassa la Nouvetfe-Zeetand, sans toucher nulle part, et il fut ensuite pris par les insulaires de Taïti qui pitièrent tout le blé, et détruisirent les instruments. Dés que le bon missionnaire eut reçu cette nouvelle, ii regretta sincèrement de voir que Doua-Tara fût aussi fréquemment contrarié dans ses intentions bienveillantes pour Je bien-être et ia civilisation de ses compatriotes, et il sentit parfaitement qu'on ne pourrait jamais faire rien d'essentiel en
faveur de la Nouvelle-Zeeland, à moins d'avoir un navire expressément destiné àmaintenirdes communications entre cette île et Port-Jackson.
« Quand M. Kendall, qui avait été envoyé sous les auspices de notre Société des missions, arriva sur le Earl-Spencer, dit M. Marsden, je formai aussitôt le projet de fréter ou d'acheter un navire pourle service de taNouvelle-Zeeland; car je voulais tenter ~a formation de l'établissementquiavaitétéarrêtéparla Société en 1808, et pour lequel étaient destinés MM. Hait et King, quand ils m'accompagnèrent à la Nouvelle-Galles du Sud. Je tentai de louer un navire; mais je ne pus pas m'en procurer un pour la Nouvelle-Zeeland à moins de six cents tivres sterling, somme qui me parut trop forte pour un seul voyage. Le brick t'~c~e arriva à cette époque du Derwent; le propriétaire offrit de me le vendre, et je t'achetai. Mais plusieurs massacres affreux avaient été commis à diverses époques, tant par les naturels que par tes Européens. H y avait peu de temps que l'équipage entier du Bo~ avait été exterminé et le navire brûlé. Je ne jugeai pas qu'il fût prudentd'y envoyer toutde suite les familles des colons mais plutôt de m'y transporter moi-même, en menant avec moi MM.Hall etKendall. Comme je connaissais plusieurs des naturels, J'avais lieu de présumer que j'aurais assez de crédit sur eux pour mettre mes projets a exécution si je pouvais y aller; car, dans ce cas, je pourrais expliquer parfaitement à Doua-Tara et aux autres chefs le grand projet que la Société avait en vue en envoyant des Européens habiter parmi eux. Quand j'eus acheté le navire, je me rendis chez Son Excellence le gouverneur Macquarie, et je lui fis part de mon projet, en lui expliquant que la Société désirait former un établissement dans la Nouvelle-Zeeland puis je lui demandai la permission de visiter ce pays. Le gouverneur ne jugea pas qu il fût prudent de m'accorder cette permission pour cette fois; mais il me dit que, si je voulais y envover t'~e~ce, et qu'il revint sans accident, il me donnerait
la permission d'accompagner les colons et leurs familles, quand le bâtiment y retournerait une seconde fois. Cette réponse me satisfit; car je ne doutais pas que l'Active ne revint en sûreté, eu égard aux motifs de son voyage dans cette contrée. C'est pourquoije donnai l'ordre au navire de se préparer à partir, et à MM. Hall et Kendall de se rendre à la baie des Iles, où résidaient les naturels que je connaissais. « Quand l'~c~e appareilla j'expédiai un message à Doua-Tara, pour lui expliquer dans quel but j'avais envoyé MM. Hall et Kendall chez lui, et je t'invitai en même temps à revenir avec eux au Port-Jackson et à amener deux ou trois chefs. Je lui envoyais un moulin d'acier pour moudre son grain, un tamis et du blé pour semer, avec quelques autres présents. A l'arrivée de l'Active, les colons furent accueillis avec la plus grande bienveillance par Doua-Tara et tous les autres chefs, et l'on ne cessa d'avoir pour eux les plus grands égards durant les six semaines qu'ils passèrent à la Nouvelle-Zeeland. Doua-Tara fut ravi de recevoir le moulin d'acier. Il se mit aussitôt en besogne pour moudre du blé devant ses compatriotes, qui dansèrent et poussèrent des cris de joie en voyant la farine. Il me dit qu'il en avait fait un gâteau, et l'avait fait cuire dans une poêle à frire; puis, il le donna à manger à ses compatriotes, qui restèrent ainsi convaincus de la vérité de ce qu'il leur avait dit jadis en affirmant que le blé pouvait faire du pain. Les chefs réclamèrent le grain, qu'ils semèrent, et ils n'ont pas tardé à apprécier la valeur du blé. En janvier dernier, j'en ai vu qui était trèsfort et tres-beau le grain, à sa maturité, était nourri et brillant ce qui me porta à croire que le climat et le sol de la Nouvelle-Zeeland seront très-favorables à sa culture. Avant l'arrivée de t'~c~e, Doua-Tara avait résolu de visiter Port-Jackson par le premier navire qui ferait voile de la Nouvelle-Zeeland pour cette colonie, afin de se procurer un moulin, dés pioches et quelques autres objets dont
il avait besoin. Il fut enehanté quand l'Active entra dans la baie, espérant qu'il pourrait y trouver un passage; mais, recevant le moulin que je lui envoyais avec le blé pour semer et les autres articles, il changea d'avis, et déclara qu'il allait s'appliquer à t'agriculture durant deux années de suite, maintenant qu'il avait les moyens de cultiver la terre et de moudre son grain. « Le célèbre et puissant chef Chongui, oncle de Doua-Tara, avait alors un grand désir de visiter Port-Jackson. Comme il n'avait point d'ami à Sidney qui pût lui servir d'interprète, son neveu se décida à l'accompagner. Celui-ci me raconta que ses femmes, ses amis et son peuple l'ayant vivement sollicité de rester avec eux s'était efforcé de leur persuader qu'il serait de retour dans quatre mois, mais qu'ils n'avaient pas voulu le croire, pénétrés qu'ils étaient de l'idée que i'~c~e ne reviendrait p)us. Le prêtre lui avait signifié que sa principalefemme, s'il la quittait, mourrait avant que le navire ne revînt. C'est cette même femme qui se pendit te lendemain du jour ou Doua-Tara mourut, à cause du tendre attachement qu'elle lui portait. Il avait répondu au prêtre qu'il était déjà revenu plusieurs fois et qu'il reviendrait encore celleci. En conséquence, il avait pris congé de ses gens, s'était embarqué pourla Nouvelle-Galles du Sud avec son oncle et un petit nombre d'amis, et était arrivé encore une fois à bon port, au bout d'un mois, à Parramatta. « Pendant son séjour chez moi, je le vis souvent absorbé dans ses pensées, et je lui demandai quelle était la cause de son inquiétude. I! répondit «Je crains que ma première femme ne soit morte ou très-malade. Ce que le prêtre lui avait dit relativement à la mort de sa femme, durant son absence, avait évidemment fait une forte impression sur son esprit, bien qu'il eût auparavant passé près de trois ans dans ma famille, que pendant tout ce temps il se fût toujours montré raisonnable, et qu'en toutes les occasions il eût été disposé à rece-
voir des instructions religieuses.Néanmoins les notions superstitieuses qu'il avait reçues dès son enfance à la Nouvelle-Zeeland, avaient jeté de profondes racines dans son coeur. Il avait une grande confiance dans ce que le prêtre lui avait dit, comme dans l'effet de ses prières.
« Durant les dix dernières années de sa vie, Doua-Tara avait enduré toutes les sortes de dangers, de privations et de misères qu'il est possible d'éprouver. Lorsque j'arrivai à la Nouvelle-Zeeland avec lui et le reste des colons, en 18t4, époque de mon premier voyage, lequel fut suivi de trois autres, il semblait avoir atteint le grand but de toutes ses fatigues, qui avait été le sujet constant de ses entretiens, savoir le moyen de civiliser ses compatriotes. Joyeux et triomphant, il me disait alors: Maintenant je viens d'introduire la culture du blé à)aNouve)!e-Zee)and;enpeu de temps ma patrie deviendra une contrée importante; je pourrai exporter du blé à Port Jackson pour l'échanger contre des pioches, des haches, des bêches, du thé, du sucre, etc. Pénétré de cette idée, il faisait des arrangements avec son peuple pour des cultures très-étendues; il avait aussi dressé un plan pour construire une nouvelle ville avec des rues régulières à l'européenne, dans une belle situation qui dominait l'entrée de la baie et les campagnes adjacentes. Je t'accompagnai sur ce point: nous examinâmes le site désigné pour la ville, le lieu où devait se trouver l'égtise, et ses rues devaient toutes être tracées avant que l'Active fît route pour Port-Jackson. Ce fut au moment même où il devait mettre à exécution tous ces projets, qu'il fut jeté sur son lit de mort. Je ne pouvais donc me défendre d'un sentiment de surprise et d'étonnement en le voyant courbé sous le poids de la maladie, et j'avais peine à croire que la bonté divine voulût enlever de ce monde un homme dont l'existence semblait d'un si haut intérêt pour son pays, qui sortait à peine de la barbarie et des ténèbres
de la superstition la plus grossière. Sans doute il avait termine sa tache, et rempli là carrière qui lui était assignée, quoique je crusse fermement qu'it ne faisait que la commencer C'était un homme doué d'une mtettigence rapide, d'un discerne!)ient sûr, d'un jugement solide et d'un caractère exempt de craintes, en même temps qu'il était, doux, affabte et gracieux dans ses manières. Son physique était fort et vigoureux, et promettait une vie longue et bien employée. A l'époque de sa mort, Doua-Tara était t dans la force et dans la vigueur de râ"e, et extrêmement actif et industrieux. H pouvait avoir vingt-huit ans. Quatre jours environ avant sa mort, il fut saisi de douleurs d'entrailles et de poitrine, accompagnées de difficultés dans la respiration et d une forte nèvre. En réfléchissant sur cet événement mystérieux et funeste, je suis conduit a m'écrier comme t'apotre des Gentils Combien la sagesse « et la connaissance de Dieu sont éle« vées et profondes Combien ses ju« gements sont incompréhensibles et <. combien ses voies dépassent toute « intelligence »
En t808, le capitaine Dalrymple, du navire Ge'a< ~eKes/c; se trouvant à la baie des lies, reçut des services d'un Anglais nommé Bruce, marié à la fille d'un chef nommé Tepahi. Mais Rruce l'avant suivi dans sa traversée de ta Nouveite-Zeeiand dans t'Inde, Datrvmpte laissa le mari a Matakka et vendit la femme à Pou!o-P<nang. Les deux époux parvinrent à se réunir et à retourner la bandes Iles; mais cet acte d'ingratitude et de perfidie donnèrent aux Zcelandais une triste opinion de. ta foi européenne. En août 1815, deux navires, Trial et ~o~Acr. furent attaqués par les Nouveaux-Zeetandais près du cap MouHao. Les blancs eurent les premiers torts.
En 1816, M. Kendall ouvrit son école.
En mars 1816, le brick amencatn r~'M avant mouitté sur la baie de Toko-Matou, trois hommes de son
équipage furent tués, et les douze autres qui étaient Angiais ou Améncams, furent assommés, rôtis et mangés, sauf un d'entre eux,nommé Rutherford, Angtais de naissance, qui devint chef a son tour. Rutherford plut à Emaï chef puissant; il le fit tatouer, et il eut plusieurs aventures, dont il a donné la relation à son retour en Europe, où il se sauva après bien des vicissitudes, et une captivité de dix ans. M. Liddiard Nicholas, citoyen de la Nouvelle-Galles du Sud s'y rendit en 1817: sa relation, à laquelle i'auteur d'une bonnecompilation intituiée .Yetf~fa~M~r.!("), a emprunté de longs et nombreux morceaux, est, à notre avis, l'ouvrage le plus remarquabieqm ait encore paru sur cette partie du globe.
En 1817 Touai et Titari s'embarquèrent pour Londres où ils passèrent dix mois dans les écotes de la Société des missions.Voi'-i queiques particularités remarquables sur le premier. Touai s'était déjà enrôté quelques années auparavant avec l'équipage du baleinier le Phénix, capitaine Parker; ce navire se trouva un jour à trois journées de marche de la 'ouve)ieGalles du Sud. Le capitaine Touai et quatre hommes montaient un canot; ils venaient de tuer une baleine, et avant qu'ils eussent commencé la dépecer, une autre se montra. En conséquence, suivant leur habitude, ils mirent un pavillon sur la baleine morte pour la signater, et se mirent à la poursuite de l'autre. Le capitaine réussit à la harponner, et Touai recommandait au canot de pousser en arrière; mais le capitaine voulut frapper la baleine une seconde fois. Cependant il eut été prudent de suivre l'avis de Touai car, tandis qu'on lui tançait le second harpon, le monstre des mers, s'élevant au-dessus de l'eau d'un revers de sa queue mit )e canot en pièces, et en même temps blessa le capitaine aux jambes. Aussitôt les quatre (')London, Charles Knight. L'auteur a également fondu dans cet ouvra:;c le refit derAngiM!.K.uthert'nrd,€tieto)ag';du Zeelandais Toupe-K.o~po en Angleterre.
hommes gagnèrent )a baleine morte, distante d'environ deuxmifies et demi. Le navire se trouvait alors presque horsdevue,é!oignédeqt!inzeàvingt milles. Mais Touai, ne pouvant se résoudre à laisser son capitaine dans cette affreuse position, saisit à l'instant l'une des gaffes du canot, attrapa le capitaine par ses vêtements, et réussit à le placer sur un des débris. EnsuiteifStuneespècederadeaudes frag- ments du canot qu'il réunie avec des cordes, et fixa dessus son ami blessé; avec sa chemise et le reste de ses bardes, il banda les membres fracturés du mieux qu'if put; il bissa un signal sur fe radeau, prit la main du capitaine, lui souhaita bon courage, et nagea vers ta baleine morte. Quand il arriva, il trouva les quatre hommes presque exténues; car ils n'avaient pu monter sur le poisson,do!)t la peau était trop glissante. Mais il se trouva que Touai portait un couteau pendu à son cou avec une corde avec ce couteau, il taiffa dans la peau des trous qui les aidèrent à monter. Deux heures après la mer étant parfaitement calme, le navire envoya un canot qui les recueillit, ainsi que le pauvre capitaine Celui-ci se rétablit, et récompensa Touai de sa belle conduite.En plusieurs circonstances, tant sur mer que sur terre, le salut de Touai n'a tenu qu'à un fil. Il porte plusieurs cicatrices sur son corps, et une fois i) aétc traverse d'un coup de tance. Cet intrépide Zeelandais disait à M. Marsden que ses compatriotes, ne peuventcroire quece soit le même Dieuqui aitfait eux ettesbtancs. En effet, quand les missionnaires leur disent qu'il n'y a qu'un seul Dieu, ils cmploient divers arguments pour démontrer que cela ne peut pas être. oici une epitre des deux chefs neo-chrétiens qui avaient été en Angleterre sur te brick de guerre anglais le A'~K~aroM, afin d'y recueillir des notions utiles pour la, civilisation de leur patrie, et qui revinrentàPortJackson sur te'~a/Leurstyte singulier nous paraît semblable a ceiui des sauvages de tous les pays, qui expriment des idées fort simples, suivant
la syntaxe d'un langage également simple, dans une tangue étrangère dont la syntaxe est compliquée à proportion de la civilisation où est arrivé le peuple qui la parle.
Lettres de Titari et de Touai (*), au secrétaire de la Société, err~~joar ces naturels, à leur ye~oMr (i!?tgleterre à la ~VoMt?e//e Galles du Sud.
Parramatta,lïj')!netj8)p.
<' Mon cher père et ami M. Pratt, Je vous remercie, vous si poli pour moi. J'espère toute votre famille trèsbien. Titari fort bien.
« Le ~'o'fM~ touche à Madère. Nous allons tous à terre, nous dormons à terre. Le matin, avant déjeuner, tous allons un peu à cheval, nous montons une très-haute colline. Visiter grande, belle église. Grande chandeHe et boîte, comme, la boîte des missionnaires. L'homme me demande de mettre de l'argent dans la boite pour Vierge Marie.–Puis nous descendons; faisons un bon déjeuner. Peuple très-curieux peuple portugais. Nous rencontrons ensuite capitaine Lamb il conduit Touai et moi à la maison du gouvernement. I;e,)ucoup d'oranges. Beaucoup limons. Beaucoup vin. Allons à bord matin suivant à la voile.
<t Nous passons la ligne. M. Neptune vient a bord. On fait la barbe à chacun avec un morceau de fer. Chacun trempé dans un baquet d'eau. Quand auprès du cap de BonneEspérance, beaucoup de vent. Souffle très-fort. Très-grosse mer. Seulement deux voiles dehors. Beaucoup roulis. Dimanche matin la vergue de misaine casse; très-bon charpentier à bord la répare, elle retourne en place. Quelquefois neuf nœuds.
Bientôt près de la côte de l'Australie. Vent contre nous. Ne pouvoir approcher terre. Reste très-peu d'eau. Nous très-contents d'atteindre la terre de la Tasmanie.Aller dans le port. Aiter chacun tour à tour voir le gouverneur.– Moi (*) Traduit duMissioMry register, iMo.
connais lui déjà. Belles patates. -Bon mouton.- Bon bœuf.– Convicts assez contents. Beaucoup ka')kaï (*).
« Lundi matin le vaisseau faitvoile. –Souffle très-fort. -Bon vent vient. Capitaine Lamb chante « Contrebasse partout. Et nous faisons voile. Et nous voyons Sidney. Et nous mouillons le navire.
Nous allons à terre dans le canot du capitaine Pepper. Tous les amis de la Nouvelle-Galles du Sud très-contents de nous voir. -Moi très-heureux de voir mon ami M. Marsden, et toute sa famille bien portante, et très-contente de nous voir.
« Nous allons bientôt à la NouvelleZeeland. M. Marsden il va avec nous. Six hommes de mon pays à Parramatta. Charles Marsden, allant en Angleterre, à apprendre à être un docteur. Très-bon garçon. Trèspassionné pour monter à cheva). « Donnez ma tendre affection à madame Pratt et à toute votre famille, à M.etàmadameBickersteth,àmadame Garnon, et à tous les missionnaires amis en Angleterre.
« Je vous remercierai de prier pour moi et mes pauvres hommes du pays. Je prie Jésus-Christ de me faire un bon garçon, et de pardonner mes péchés. Je prie Jésus-Christ de retirer mon cœur méchant. Dieu vous bénisse. « De la part de votre jeune ami. « TITARI. »
Parramatta, tx juillet t8if).
« Mon cher ami M. Pratt,
Je suis arrivé en bonne santé à Parramatta. J'ai trouvé mon cher ami M. Marsden et toute sa famille bien portante. Très-contents de me voir. M. Marsden va avec nous à la Nouvelle-Zeeland, sur le brick américain <j'eNe?'a/-Ca~M. J'espère que tous mes compagnons seront honnêtes pour lui de même que les Anglais ont été honnêtes pour moi, quand j'é,tais en Angleterre.
Nous eûmes un passage passable(*) Manger.
ment bon. Capitaine Lamb quelquefois très-affable. Notre kaï-kai(*) et notre eau étaient à court vers la fin. Vent droit dans nos dents.–Ne pouvoir approcher de la terre. Par jourseulementune pinte et demied'eau par homme. Moi obligé de me laver la figure avec de l'eau salée.
« Je puis dire tous les commandements, et dire un peu de Joseph et de ses frères. Je me rappelle la maison des missionnaires et tous les honnêtes messieurs et dames.
« Donnez ma tendre affection à madame Pratt et toute la famille, à M. et à madame Bickersteth, à M. et madame Cooper, et à tous les messieurs du comité.
« Je vais à la maison, et j'engagerai mes compatriotes à m'aider à bâtir une église et des maisons. M. Marsden me dit que je serai inspecteur des ouvriers.
« Mon jeune ami Charles Marsden, il vous porte ma lettre. Il s'en va par le ~«rry, capitaine Lane, tout juste prêt à faire voile.
« Donnez aussi ma tendre affection à M. Mortimer,àM.Eyton, à M. King, à M.Langley, et toutes leurs familles, et tous les bons amis. J'espère que tous les amis prient pour moi. Je prie pour vous. Dieu vous bénisse.
« De la part de votre affectionné ami, THOMAS TOUAI.
En t8t9 et dans les années suivantes, Chongui, chefde Kidi-Kidi, un des plus vaillants guerriers de la Nouvelle-Zeeland, se distingua par ses exploits contre Koro-Koro et autres rivaux. Son plus digne adversaire fut Moundi-Temarangai-Panga, chef du Kaï-Para, homme passablement juste. H est à remarquer que, dans les guerres, le terrible Chongui fut un des chefs qui livrèrent le plus de prisonniers à l'esclavage, au lieu de )es assommer et de les manger, méthode qui est souvent plus usitée que l'autre. Une nièce de Temarangai, un des chefs de Toe-Ame, ayant été prise et vendue par des Anglais à un (*) Manger.
chef de Witi-Anga, nommé Warou, celui-ci, à la suite d'une querelle, tua sa jeune esclave, et la fit manger à ses amis. C'était une terrible insulte faite à la fami He. Temarangai, n'ayant trouvé le moyen de se venger que seize ans après l'événement, dissimula pendant tout ce temps. Alors il attaqua Warou, tua son père et quatre cents de ses guerriers qui périrent principalement par la fusillade dans une bataille rangée. Cependant Warou ayant demandé grâce à Temarangai, ce chef lui rendit sa femme et ses enfants qui étaient ses prisonniers, et les vainqueurs se régalèrent pendant trois jours de la chair des ennemis morts; puis ils cinglèrent, avec leurs prisonniers, vers la baie des Iles.
En 1820, M. Richard Cruise, capitaine au quatre-vingt-quatrième rég[ment d'infanterie, commandant le détachement embarqué sur le navire qui portait M. Marsden dans son troisième voyage, demeura pendant dix mois à la Nouvelle-Zeeland. Sa relation porte le cachet de la vérité, et donne quelques détails utiles sur les mœurs des indigènes de cette grande terre. C'est à cette époque que Pomare, dont le vrai nom était Wetoï, chef de Mata-Ouwi, et neveu de Touai, devenu chef de la baie Chouraki par la mort de son oncle Kaïpo, conquit une partie de l'île jusqu'au détroit de Cook. Touai, devenu chef de Paroa, appelait Pomare le panapati (Bonaparte) de la NouvelleZeeland, ainsi qu'on avait nommé Hihi, dont nous avons déjà parlé page 137, troisième volume de FOcEANtE. M. Duperrey, commandant la Coquille, parut a la baie des Iles le 4 avril 1824. Durant une relâche de quinze jours, il eut des rapports de la nature la plus amicale avec les NouveauxZeelandais. M. Jules de Blosseville, qui faisait partie de cette expédition, publia des observations intéressantes sur ce pays. M. Duperrey débarqua le missionnaire M. Clarke et sa famille, ainsi que deux insulaires, dont un était le neveu du chef Chongui.
Depuis longtemps l'ambitieux Chongui était en état de guerre avec plu-
sieurs chefs ses rivaux. En 1825, il fit prisonnier Moundi-Panga, le plus vaillant de ses adversaires, le tua et le dévora avec une joie féroce. Mais ayant éprouvé plusieurs revers, il se livra à un violent chagrin, augmenté par t'inudétité de deux femmes, dont une fut immolée par son ordre. Dans un de ces combats, Chongui, ayant été blessé grièvement, les missionnaires envoyèrent leurs effets les plus précieux au Port-Jackson; car, quoique Chongui eût pour eux peu de considération, surtout depuis son voyage en Angleterre, où il avait appris qu'ils n'appartenaient pas à la caste noble, ils ne s'étaient maintenus jusqu'alors qu'à l'ombre de son nom. La scène suivante, suscitée, en 1826, aux missionnaires de Pahia par l'ariki Toï-Tapou, et naïvement racontée par madame Williams, femme d'un missionnaire, donne un exemple des inconvénients que les Européens avaient souvent à essuyer parnu les sauvages turbulents de la Nouve))e-Zee)and. aUn chef très-important, nommé Toï-Tapou, qui réside à deux milles environ d'ici, a tout mis en désordre dans l'habitation. Au lieu de frapper à la porte, comme d'ordinaire, pour être introduit, il a sauté par-dessus la palissade, faite en tai-hepa, ou en petits pieux de bois. M. Fairburn lui a dit qu'il était un tangata-kino (un méchant homme ); qu'il était venu, en escaladant la palissade, comme un ~Kyo<(!-<af/KM (un voleur ), et non pas comme un Rangatira (un gentleman). Sur-le-champ le chef se mitàtrépigneretàgambader comme un fou, en attirant autour de lui les voisins par les cris et le vacarme qu'il faisait. Il agitait son méré (instrument de guerre en pierre verte (*), que chacun d'eux porte caché sous sa natte) et brandissait sa lance en sautant comme un chat, et la dirigeant avec fureur contre M. Fairburn. M. W.Wittiams lui dit qu'il se comportait fort mal, et refusa de lui toucher la main: le sauvage, car tel il paraissait vraiment alors se dé(*) Jade.
pouilla pour combattre, ne gardant sur lui qu'une simple natte, semblable à celle que portent les jeunes filles. MM. Wittiams et Fairburn te regardèrent avec une indifférence marquée, quand ils s'en allèrent, il s'assit pour reprendre haleine et, comme ces deux messieurs se dirigeaient vers la plage, il sortit du jardin.
Quand M. Williams revint, il vit quelques nattes étendues par terre, qu'il jugea appartenir àToï; il les jeta dehors, ferma la porte, et alla au fond de la maison. Peu après, cet homme furieux accourut du rivage, et, arrachant une longue perche, il en frappa contre la porte. Voyant qu'eue résistait à ses efforts, il sauta de nouveau par-dessus la palissade, et recommença ses gestes sauvages etquand M.YVn- t- liams parut, il dirigea sa tance contre lui. Sans y prendre garde, M.. Williams s'avança vers ce sauvage; mais, hier) que tremblant de rage, il ne jeta pas sa lance contre tui.Jt dit qu'il s'était blesséau pied en sautant sur la palissade, et demanda un outou ou un payement pour sa blessure. Comme on lui répondit qu'il n'en aurait point, il se dirigea vers le magasin, et s'empara d'un vieux pot de fer, en guise d'outou. Il voulut sauter par-dessus la palissade, mais le poids du vase t'en empêcha, et il se dirigea vers la porte. Alors M. Witliams s'étança sur lui il lui arracha le pot des mains, et s'appuva le dos contre la porte pour l'empêcher de s'enfuir il appela aussi quoiqu'un pour emporter te pot, que Toï tenta plusieurs fois de reprendre. En même temps celui-ci agitait son Mère et sa lance avec des gestes furieux tandis que M. Witliams tenait ses bras croisés, en le regardant d'un air qui annonçait une résistance froide et déterminée. Comme je regardais par la fenêtre avec un vif sentiment de crainte ce qui 'se passait, cette scène me rappela celle d'un homme qui, attaqué par un taureau sauvage et furieux, fixa hardiment ses yeux sur cette bête féroce, et la tint ainsi en échec. Notre forgeron, étant survenu et s'étant emparé du pot, poussa Toï par les
épaules. Mais tout en cédant, celui-ci continua ses menaces; malgré sa taille gigantesque, son agi!ité était surprenante il courait çà et là, la lance en main, comme un enfant qui joue à la crosse. En pareil cas, les guerriers de la Nouvette-Zeetand sautent sur le côté, en se battant les hanches, et frappant du pied en mesure et avec des gestes affreux tantôt ils s'arrêtent tout court, tantôt ils s'accroupissent, la poitrine gonflée et haletant avec force, comme pour exciter leur rage au dernier degré de violence, avant de donner le coup fatal.
« M. Fairburn revint au moment où Toï s'assit pour reprendre haleine, et ils reparlèrent longtemps encore Toï réclama son outou, et déclara qu'il resterait là tout le jour, )e lendemain et cinq autres journées encore; qu'il engagerait un grand combat, et que )e lendemain, « dix, dix, dix, et puis dix hommes, )ev:)nt en l'air ses bras à chaque fois, arriveraient, mettraient le feu à la maison, et brûleraient le magasin. » Quand M~f. Williams et Fairburn purent dire un mot à leur tour, ils lui répondirent « Qu'est-ce que cela signifie, monsieur Toï? vous causez beaucoup, vous plaisantez, monsieur Toï.
« Durant la prière, il resta plus tranquillement assis derrière la maison, auprès du feu des naturels, c'est-àdire, de ceux qui nous étaient attachés; sa femme, quelques personnes des deux sexesquiétuient venues aveclui, Apou, femme de Waraki, l'un de nos solides amis, et d'autres regardaient par la fenêtre, et un ou deux chefs s'assirent dans la chambre. Tekoke, notre chef, était absent.
"Après les prières, Toï revint à la fenêtre, et, sans cérémonies, mit la jambe dessus, en montrant son pied, et demandant le outou pour le peu de peu de sang qui en coulait. M. Williams lui dit de s'en aller, et de revenir le lendemain comme un gentleman, de frapper à la porte comme MM. Tekoke, Watou, Houroto, Waralti, etc., et qu'alors il lui dirait <' Comment vous portez-vous, monsieur Toï-Ta-
pour? et qu'il l'inviterait à déjeuner avec nous. Celui-ci repondit qu'il avait trop de malaux pieds pour pouvoir marcher il renouvela son intention de rester là plusieurs jours, et de bruter la maison après avoir parlé quelque temps, il entra de nouveau dans une colère épouvantabte. Nos amis, en regardant par la fenêtre, m'adressaient souvent la parole, et s'écriaient l'un après l'autre "Eh! mère ( c'est le titre que les filles et les femmes du pays donnent par amitié aux femmes des missionnaires) ~re/Ktat (venez), apopo (demain vous verrez un grand feu; la maison oh oui!-les enfants morts tous morts un grand nombre d'hommes un grand combat baucoup de mousquets.) » "M.Wiitiams rentra dans la maison, me pria de me coucher, ferma les fenètres, et recommanda au forgeron de veiller avec soin. Les chefs, nos amis, s'enveloppèrent dans leurs nattes fourrées, et altèrent dormir sur des paquets de taihepa. Tandis que nous nous mettions au lit, Toï commença à chanter, ou plutôt à hurler d'un ton lugubre, certaines paroles,et M. Fairburn nous apprit qu'il le faisait pour jeter un charme sur nous; car ce malheureux, victime de la superstition et esclave de Satan, imaginait, par ce moyen, rendre notre mort iniaillible. Nous fùmes éveillés degrand matin par les cris de Toï et d'autres naturels, qui ne cessèrent d'arriver jusqu'au moment où notre habitation en fut tout à fait environnée. Avant de déjeuner, M. Williams avait été obligé de pousser Toï de forcé hors de la cour, parce que dans un transport de rage, il s'était saisi d'un pauvre petit chevreau. Au déjeuner j'avais préparé du thé pour plusieurs de nos amis, et, curieux de voir comment Toï le recevrait, nous lui en envoyâmes une pinte toute pleine hors de la porte, où il se tenait assis par terre avec une gravité taciturne, entouré d'une foule de ses partisans, qui s'étaient assemblés pour le combat. Au travers de la palissade, nous te vîmes boire son thé, et j'eus l'espoir que cela pourrait le
rafraîchir mais il ne tarda pas à gambader de nouveau dans la cour, avec plusieurs guerriers à figures hideuses, armes de lances et de haches d'armes, et quetques-uns de mousquets.
"~os jeunes filles du pays étaient toutes dehors; madame Fairburn et moi nous étions prisonnières chez nous, et nos fenêtres furent tout le jour masquées par les têtes des naturels qui regardaient chez nous. J'en fus bientôt excédée il faisait extrêmement chaud, nous étions privées du grand air, et nos pauvres enfants commençaient à languir par défaut d'air et de liberté.
"Vers cinq heures, M. Williams, qui y'éta!t rendu au milieu des naturels, vint à ia fenêtre de la chambre à coucher, et nous dit que tout était plus tranquille, et que les naturels se dispersaient. En conséquence, je lis passer deux des enfants par la fenêtre; mais, à peine leurs pieds touchaient à la terre, qu'on entendit tout à coup des coups violents qui semblaient appliqués derrière le magasin; on eut dit qu'on voulait ouvrir une brèche au travers des murs de bois. Les enfants furent reptacés en hâte dans la chambre, et M. Wittiams courut sur le terrain. Lé tumulte et les clameurs devinrent très-grands. Les enfants étaient fortement persuadés que les naturels allaient tuer leur père. Comme j'étais assise au milieu de la chambre à coucher, avec un enfant au sein et tes trois autres collés contre moi, je vis, par la petite fenêtre de la salle, un homme pointer son fusil vers la maison, .prêt à faire un effort pour y. entrer, et mon mari se jeter au-devant de lui. Alors mes craintes furent portées au plus haut degré cependant je conservai assez de courage pour résister aux souffrances qui vinrent déchirer mon âme dans ce moment terrible. Ces chers enfants criant et sanglotant, tombèrent à genoux, et récitèrent avec moi une prière inspirée par la circonstance. Le bruit continua; les sauvages secouèrent plusieurs fois nos faibles murailles de bois mais la maison résista, et les enfants devinrent
plus calmes. Je voulus rassurer l'aîné, en lui disant que plusieurs des naturels étaient de nos amis, et qu'ils tâcheraient de sauver papa. « Oh maman, s'écria l'enfant, que nos amis sont d'effrayantes créatures w «Les femmes, en dehors, défendaient t'aecès de la fenêtre, en criant de temps en temps « Eh modder! eh modder te na fa Ao koe mofMer ( MÈre mère prenez courage, mère ) Enfin, Apou vint nous montrer sa bonne et affectueuse figure, en m'annoncant que le combat était fini pour la journée que tous les hommes étaient partis, et qu'elle s'était vaillamment battue pour nous car les femmes combattent aussi à la Nouvelle-Zeeland. Je débarrai de bon cœur la porte, pour laisser entrer M. Witliams, qui nous dit que tout était uni. Cette seconde querelle avait été tout à fait distincte de la première. Durant la dernière affaire, Toï était resté en repos, et prêchait même en quelque sorte pour nous. Pour complaire aux vœux réunis des chefs nos amis, le pot en litige lui fut donné, et il retourna chez lui.
Le baleinier anglais Mercury ayant débarqué dans la baie des lies en 1826, les sauvages le surprirent, le pillèrent, et l'équipage eut bien de la peine à se sauver.
Le capitaine Dillon y parut deux fois en 1827, et c'est detui que nous avons appris la mort du chef Bomaré, qui fût abattu par une balle et assommé à coups de mère. Dillon était encore sur les lieux quand les ennemis de ce chef dévorèrent son corps et conservèrent sa tête ainsi que celle de son fils aîné, après les avoir apprêtés selon la méthode du pays.
Le 12 mars 1827 l'Astrolabe, commandé par M. D. d'Urville, mouitta sur la baie des Iles, près des débris du village ruiné de Paroa, après avoir accompli sur les côtes de la NouvelleZeeland la reconnaissance d'un développement de trois cent cinquante lieues de côtes et d'autres travaux hydrographiques que nous ne saurions trop louer.
Depuis que les naturels, attirés par la présence de l'Astrolabe, avaient élevé une espèce de village sur la longue plage de sable la plus voisine, nos communications avec eux étaient trèsactives, dit M. de Sainson, mais elles cessaient toujours aux derniers rayons du soleil. Renfermés à bord chaque soir, nous pouvions apercevoir à terre beaucoup de mouvement; plusieurs grands feux s'allumaient à l'approche des ténèbres; de nombreux cercles se formaient autour des feux, et sans doute ces scènes du soir étaient trèsanimées car souvent la- brise apportait jusqu'à bord les rires, les cris et les chansons de la plage. M. Gaimard me communiqua le'désir qu'il ressentait de connaître de plus près les habitudes nocturnes de nos voisins; ;Je partageai vivement cette curiosité; M. Faraguet se joignit à nous; et le commandant ayant mis à nos ordres la petite baleinière, nous fûmes portés à terre, le 20 janvier, à la tombée de la nuit. Nous n'emportions aucune arme, aucun objet qui pût exciter la crainte ou la cupidité des naturels; seulement, par un plaisant hasard, M. Gaimard se trouva muni d'une bougie fine, et nous rimes d'avance du projet d'allumer en plein air, sur cette plage lointaine, cette cire façonnée à Paris pour te luxe de nos salons.
« A notre débarquement sur le sable, nous fûmes accueillis par des cris de joie et des caresses incroyables, surtout lorsque les sauvages virent le canot reprendre le large, et nous abandonner au milieu d'eux. C'était à qui nous serrerait les mains en répétant Aapa!, et il nous fallut subir bien des applications de nez qui écrasaient les nôtres; car c'est ainsi qu'on s'embrasse à la Nouvelle-Zeeland. Plus de cent naturels se pressaient autour de nous, et, en peu de minutes, nous fûmes séparé On nous éteignait peu à peu du vittage, et les groupes qui nous entouraient nous conduisaient vers la lisière de la forêt, à l'endroit où un joli ruisseau, s'écoulant du sein des bois, traversait le sable pour se joindre à la mer. Je n'apercevais plus la troupe qui
accompagnait M. Gaimard; M. Faraguet avait aussi disparu; pour moi, serré de près par ma bruyante escorte, j'avais déjà fait quelques pas sous les arbres, où l'obscurité devenait plus épaisse, lorsqu'un homme à l'air vénérable porta la main à mon cou, et en détacha, sans façon, la cravate de soie qui l'entourait. Dans ma position, je n'avais garde de réclamer contre les manières libres du vieillard; je me promettais même de laisser passer en sa possession toutes les pièces de mon habillement l'une après l'autre, si telle était sa fantaisie; mais combien je me repentis d'avoir jugé trop légèrement un honnête sauvage Loin de prétendre à me dépouiller, comme je pouvais m'y attendre, il m'offrit aussitôt, en échange de la cravate, un objet de quelque prix pour lui, je le suppose, car cet objet, c'était sa fille.
«Elle était très-jeune, sa fille; des cheveux noirs et bouclés tombaient sur son front, et cachaient de grands yeux brillants de vivacité; sa grâce, encore enfantine, n'empruntait rien de l'art; son unique vêtement consistait en quelques feuilles de ~Ao?'MM<tM, voile peu discret dérobé aux plantes du rivage. Le père devenait pressant, et ma position était réellementcritique; mais, en prenant la main de la jeune fille, je m'aperçus qu'elle pleurait les grâces, dit-on,'sont encore embellies par les pleurs; il n'en était pas tout à fait ainsi de la jeune sauvage. Je ne fus plus frappé alors que de l'abus de pouvoir révoltant dont le père se rendait coupable j'essayai même de le gronder; mais je ne vis pas que mon sermon produisit grande impression sur son esprit, car il redoublait de prières aupres de moi, et, il faut bien le dire, de menaces envers sa fille. Me voyant cependant inflexible, il m'offrit dë me rendre cette précieuse cravate, à laquelle il avait voulu mettre un si haut prix. Ce trait d'honnêteté lui en valut la possession; je la lui donnai comme un gage d'estime. Il l'accepta avec joie; sa fille se mit aussitôt à rire, et tous deux disparurent à travers les arbres. Je me trouvai alors seul; car, durant
mon colloque avec le vieillard, tous les autres avaient eu la discrétion de se retirer.
"Nos Zeelandais n'étaient pastoujours aussi discrets; car, nonloin du ruisseau dont j'ai parte, une réunion nombreuse d'indigènes manifestait une bruyante gaieté par des rires et des gestes approbateurs.Telte futjadi s tajoyeuse clameur qui s'éleva dans l'Olympe, lorsque les filets jaloux de Vulcain livrèrent deux amants surpris à la risée des dieux assemblés. A part les filets et l'époux irrité, l'étrange scène qui se passait alors rappelait en tous points ce scandale fameux de la mythologie. La bougie apportée de l'o~e, tenue par un brave guerrier, colorait de ses reflets vacillants vingt têtes expressives, et prêtait des formes fantastiques à un tableau digne de Callot ou de Charlet. Mais soudain tout rentra dans l'obscurité. L'homme qui portait la bougie, enchanté de cette charmante invention, n'avait pu résister au désir de se l'approprier et, soufflant dessus, il avait pris sa course vers la forêt, laissant les curieux dans un singulier désappointement. n
« Cependant, sur la plage, les feux étaient allumés, et de toutes parts se faisaient les apprêts du souper. Nous nous approchâmes tous trois d'un cercle où l'on nous fit place, et bientôt notre présence attira la majeure partie des habitants, qui voulaient jouir de notre vue. Les naturels étaient accroupis sur le sable; les uns mangeaient du poisson cru séché au soleil; d'autres écrasaient des racines de fougère dans de petites auges de bois. Lorsqu'ils ont réduit cette racine en filaments, ils en forment des boules, qu'ils tiennent dans la bouche jusqu'à ce qu'ils en aient exprimé tout le suc. Nos hôtes ne manquèrent pas de nous offrir notre part de ce frugal repas; et, nous voyant peu empressés d'accepter, plusieurs d'entre eux poussèrent la prévenance jusau'à mâcher d'avance des morceaux de poisson, qu'ils nous présentaient ensuite dans le creux détour main. «Après souper vinrent les chansons graves et monotones des naturels;
nous leur répondimes par l'air des Enfants de la T~nce, par plusieurs de nos grands chairs patriotiques, et par le chœur de 7fo6w des Bois. Les sauvages parurent fort contents de nous. Nous essayâmes aussi leurs organes en leur faisant prononcer un grand nombre de noms propres français; la p!upart étaient singulièrement estropies, mais quelques-uns étaient répétés exactement. C'était un plaisir piquant pour nous de faire redire aux échos de la Nouvelle-Zeeland des noms illustres qui font chez nous la gloire des armes, de la tribune et de la scène. On ne se fait pas d'idée de quel charme s'environnait dans notre position le plus léger souvenir qui rappellait la patrie. <'I.a soirée s'écoula gaiement. Quand l'heure du sommeil arriva, les sauvages nous offrirent d'entrer dans leurs cabanes; mais nous nous gardâmes bien d'accepter leur proposition. Les huttes de la Nouvelle-Zeeland sont hautes à peine de trois à quatre pieds il faut y entrer en rampant, et il s'en exhale presque toujours une odeur extrêmement fétide. Nous préférâmes nous étendre sur le sable, au pied d'un petit arbre qui bornait la plage; mais nous n'y trouvâmes guère de repos. A notre grand regret, un certain nombre de naturels vint nous tenir .compagnie, et nous eûmes l'agrément de servir d'oreiller à ces messieurs, qui trouvèrent commode d'appuyer leurs têtes sur nos membres étendus. Le moyen de dormir au milieu des ronnements et des mouvements continuels de pareils voisins I) faut ajouter encore que, tourmentés par des insectes dont ils sont abondamment pourvus, ils se grattaient d'une manière horrible. Un sybarite serait mort de douleur dans notre position. «Vers deux heures, une grosse pluie nous fit quitter la place, et nous allâmes nous abriter sous les flancs d'une pirogue qu'on avait halée à terre. La mer était mauvaise, et le vent soufflait assez fort nous attendîmes le jour un peu plus tranquillement; car tes sauvages nous avaient abandonnés pour chercher un meilleur asile que le
nôtre. A cinq heures, une embarcation nous fut envoyée; en approchant de la cote, une lame la remplit et les matelots, renversés, tombèrent à l'eau. Nous eûmes quelque peine à vider le canot et a le tirer à terre; les sauvages nous aidèrent avec beaucoup de complaisance dans cette opération malgré la pluie qui tombait par torrents. Huûn, à six heures, nous montâmes à bord où notre accoutrement excita la gaieté de nos camarades. Trempés par la pluie, couverts de sable et de boue, nous avions besoin de quetques heures de repos pour réparer les fatigues d'une nuit, dont cependant nous ne regrettâmes pas l'emploi. »
La belle reconnaissance qu'a faite M. Dumontd'Urvi!te de cette vaste région séparée de nos pays par le diamètre entier du globe, et ses travaux hydrographiques sur ces iles, ont surpassé, a notre avis ceux que ses plus illustres devanciers ont laissés sur cette importante contrée. M. d'Urville parait confirmer l'évaluation de sept mille pieds que M. de Simonoff a donnée au pic Egmont (pouké e o~M/M), qui ressemble d'ailleurs au pic deTénériffe. On doit à M. de Sainson, dessinateur de cette expédition, artiste observateur et spirituel, des portraits des indigènes d'une parfaite ressemblance, et que nous avons fait copier(voy.jo/.t75,17Cet)83). Peu de temps avant l'arrivée à la Nouvelle-Zeeland de l'expédition que commandait M. d'Urvihe, le bruit courut que les Français allaient s'emparer de cette grande terre. Treize chefs, entre autresTemarangai et Patou-Onë,signèrent une pétition au roi d'Angleterre, pour envoyer des forces contre les hommes terrihfes de la tribu de Surville et de Marion. Ce savant navigateur, qui vit cette pétition, en rit beaucoup, comme on pense et il attribua cette ruse pieuse aux missionnaires anglicans.
Au reste, le capitaine Wa!)is avait joué cette comédie à Taïti, Vancouver a Haouaï, Parker à Nouka-Hiva, et des employés de la compagnie anglaise à Canton, l'avaient répétée, durant le
règne du grand empereur Napoléon, auprès des Chinois et des Portugais à Macao, et auprès des Portugais seuls à Goa (Inde), et avaient réussi, dans la dernière ville, au point d'y placer une garnison anglaise, ainsi que nous l'avous appris sur les lieux. Ces momeries sont bien absurdes aux yeux des hommes pensants les Chinois n'en furent pas dnpes.
C'est peu de jours après le départ de i'~ro/a&e que le cétèbre chef Chongui mourut à Wangaroa, dans le pâ de Pinia qu'il habitait depuis qu'il en avait fait la conquête. Une balle l'arrêta au milieu de ses triomphes, et toute la peuplade voisine de Wangaroa fut exterminée. Ce fut en quelque sorte une représaiue de la perndie avec laquelle cette peuplade avait massacré en 1820 l'équipage du ~o~, navire anglais, commandé par le capitaine Thompson, homme lâche, brutal et cruel, qui avait provoqué la vengeance des Zeelandais en faisant fouetter indignement Taara,u)s d'un des principaux chefs de Wangaroa, et connu plus tard sous le nom de George. Voici quelques détails curieux sur la mort et les funérailles de Chongui. Quand Patou-One et ses gens arrivèrent au pâ de Pinia, ils le trouvèrent dans un te] état de faiblesse qu'ils en furent très-affectés. Après être restés assez longtemps pour lui rendre leurs hommages, ils allaient s'en revenir quand Chongui fut tout à coup pris d'un mal subit; alors ils résolurent d'attendre ierésuitatdecette crise. Jugeantd'après son grand affaiblissement que sa mort approchait, Chongui dit à ses amis « Je mourrai bientôt, mais pas aujourd'hui. )' I] demanda sa poudre à canon; quand on la lui eut apportée, il dit K A'ao ora /COM/OM,. cela va bien pour vous, » en s'adressant à ses enfants. Ce même jour, 15 mars, il jéguaàses enfants ses Mtë?'e ou haches de combat, ses mousquets, et la cotte de mailles qu'il avait reçue du roi George IV. Après avoir arrangé ses affaires, il .En'<7~m. On a ou)))ie de citer M. Lapl page i5a de la Co" livraison.
C5" ~?;'r.M. (Oc~TT' 'f. T~.
paria de la conduite des naturels après sa mort, et il assura que, suivant toute apparence, itsse conduiraient avec amitié envers ceux qui allaient lui survivre, en disant « ~o !MM ma te Aat ki a kou tou? kaou! » Qui est celui qui voudra vous manger tous? personne'
Il employa ses derniers moments, dans la matinéedu 16 du courant.à exhorter ses compagnons à se distinguer par leur courage, et à repousser toute espèce de force, quelque grande qu'eue fût, qui tenterait de marcher contre eux. Il leur déclara que c'était là toute )a satisfaction, outou, qu'il exigeait; ce qui supposait qu'on lui avait adressé la question suivante Quoi est celui qu'il faudra tuer en satisfaction de votre mort?" Cette abominable coutume d'honorer les morts par des sacrifices humains, existe encore à la Nouvelle-Zeeland. Ses lèvres, expirantes, proféraient ces mots '</i::a toa, kia ~os, soyez braves soyez braves » Aussitôt que Chongui eut rendu le dernier souffle, tous ses amis, dans le pâ de Pinia, commencèrent à trembler pour leur propre compte, car ils ne savaient pas si les naturels de ChonhiAnga n'allaient pas tomber sur eux, et les envoyer tenir compagnie à leur chef mort, dans les contrées de la nuit. Pour prévenir tout soupçon de leur part, les naturels de Chonhi-Anga ordonnèrent à leurs gens de rester tranquilles dans leurs cases, tandis qu'ils se rendraient au pa pour venir préparer le corps de Chongui: à leur approche, ils s'aperçurent que les habitants du pâ frissonnaient de peur, comme des feuilles agitées par le vent, jusqu'à ce que Patou-One et ses compagnons eussent dissipé leurs craintes, car elles étaient sans fondement. Le désir de tenir la mort de Chongui cachée, jusqu'à ce qu'il fût enterré, de peur que leurs ennemis ne vinssent tes attaquer, engagea ses enfants à i'enseveiir,ou plutôt à le déposer sur le ~a/M-~ooM~ ou sur l'endroit salace comme auteur de t'artide Cf<rc, etc. 15
cré, le jour même qui suivit sa mort. Mais Patou-One leur en fit des reproches, en disant. a Ce n'est que d'aujourd'hui que j'ai connu des gens qui veulent enterrer leur père vivant. C'est pourquoi on attendit quelques jours pour l'ensevelir; durant ce temps, on rendit tous les honneurs que les Nouveaux-Zeelandais sont susceptibles de rendre aux dépouilles du célèbre Chongui. Les naturels passèrent tout ce temps à faire des harangues, à pousser des cris, à se déchirer le corps,
a danser et à tirer descoups de futit(').
Le )7 novembre 1828, le Hawes partit de Sidney; c'était un brick anglais de cent dix tonneaux, monté par quatorze hommes d'équipage et commandé par le capitaine John James. H avait à bord douze matelots dont il débarqua dix aux Antipodes et deux a Bounty. Be là ils firent voile pour la Nouvelle-Zeeland, but de leur voyage, entrepris dans des vues commerciales. Le Hawes toucha à la baie des Iles au mois de décembre, pour faire du bois et de l'eau, et il se dirigea vers le cap de l'Est, éloigné environ de cinq cents milles. Dès que les indigènes aperçurent les étrangers, ils vinrent en foule dansde larges canots. Lecapitaine avait pris à son bord, dans la baie des Iles, un Anglais qui lui servait d'interprète. Ce fut en vain qu'il chercha à leur persuader de faire des échanges, ils s'y refusèrent absolument; ce dont l'équipage fut très-surpris car ces peuples sont très-avides de tout ce qui vient d'Europe. Mais le mystère fut bientôt éetairci: l'interprète teurditqu'itscommençaient leur chant de guerre, et se préparaient à attaquer le navire. L'objet de notre voyage, dit le second officier dans son journal (**), ne pouvant être atteint sur ce point, nous levâmes l'ancre, et, longeant la cote, nous allâmes à quelques milles plus loin, à la baie de Ptenty. Les insulaires y sont en grand nombre; ils sont belliqueux, voleurs et perfides. Notre capitaine permit à quelques-uns des prin(') Stack.
(**) United service yow/!r!
cipaux chefs de venir à bord; it eut pour eux beaucoup d'égards, espérant ainsi les disposer à trafiquer avec nous. Sa conduite adroite lui réussit; nous obtînmes en deux jours autant de lin (phormium) que nous en désirions. Ces marins se rendirent ensuite à quelques milles de là, à un endroit nommé Taouronga, bon port pour les petits bâtiments, situé à l'entrée de la baie de Plenty.
L'interprète recommanda au capitaine d'envoyer une barque au pâ de Watkitanna, établissement situé à environ cinquante milles de Taouronga, où étaient les Anglais, l'assurant qu'il y trouverait des vivres en abondance. En conséquence ta barque fut gréée et l'officier fut chargé du commandement. Le lendemain matin, il partit avec t'interprète et un homme de l'équipage à minuit, ils jetèrent l'ancre dans une petite baie qui est en avant de t'étabtissement; au point du jour, ils remontèrent la rivière, et, à un quart de mille environ, ils se trouvèrent en face du yxt. Ce /!<i, comme ceux dont nous avons parlé, est situé sur une montagne escarpée et de forme conique; sa force naturelle est encore augmentée par une espèce de parapet en terre. On y arrive par un sentier étroit et tournant, que les Européens ne peuvent gravir sans danger, tandis que l'habitant de la Nouvelle-Zeeland court nu-pieds sur les rocs les plus aigus avec une extrême légèreté. Des insulaires, rassemblés au lieu du débarquement, sa)uèrent les étrangers de ieur AeroMOH:j parole d'amitié qui veut dire, t'e~ez ici. L'interprète tes ayant informés de l'objet de leur visite, leur joie devint excessive; ils dansèrent et chantèrent autour d'eux, en faisant les gestes les plus bizarres, et ils déclarèrent qu'ils rendraient aux blancs tous les services qu'ils pourraient. Ils les conduisirent à l'habitation de leur chef par le sentier dont il a été question plus haut. C'était une petite hutte faite de pieux enfoncés en terre; les parois et le toit étaient de roseaux arrangés de façon à ne pas laisser pénétrer la pluie la seule ou-
verture qui donnât du jour et de l'air était une petite porte de roseaux à coulisses, et a peine assez large pour laisser passer un homme; la hauteur de cette hutte ne permettait pas qu'on s'y tint debout. Elle était entourée d'une espèce de gaierie ornée de sculptures grossières peintes en rouge, ce qui désignait le rang et la famille du chef. Les huttes des autres membres de cette peuplade sont tout à fait misérables, et ressemblent à des étables à cochons. Les indigènes ont l'habitude de dormir en plein air, et il faut que le temps soit bien rigoureux pour les forcer à chercher un abri dans ces cahutes. Ils dorment assis, les jambes pliées sous eux, et couverts d'une natte de jonc; en sorte que, pendant la nuit, ils ont J'air de petites meules de foin éparpillées sur le revers de la montagne. Le chef auprès duquel on nous introduisit se nommait Enararo, ou le Lézard il était grand, bien fait, d'une forte stature et d'un aspect imposant; tout son corps était tatoué. Nous le trouvâmes assis devant sa hutte, ayant une belle natte sur les épauies. Sa figure était barbouillée d'huile et d'ocre rouge; ses cheveux, arrangés à la mode. du pays, étaient attachés sur le sommet de la tête, et ornés de plumes de pou, oiseau très-remarquable, quoique son chant soit moins mélodieux que celui du moqueur,etqu'il soit moins familier que le moueheroiie (*). Dès qu'il fut informé de ce que nous désirions, il nous montra un assez grand nombre de beaux cochons qu'it consentait à nous céder. Je le priai de les envover par terre à l'endroit où notre navire était stationné; mais il répondit que cela lui était impossible, attendu qu'il était en guerre avec quelques-unes des tribus intermédiaires. Je ne vis d'autre (*) On peut citer parmi lesoiseaux remarquabtes le ~)/i;7<o/i a cravate, i'fyferu;, sorte de casoar à long bec grèle, notre genre anarrhynqne. Parmi tes crassiers. il faut re- marquer les huîtriers, tes chevaliers (excel- )eut gibier), nourriture succulente à laquelle tes /,echmdais préfèrent pourtant l'huile de phoque et la chair humaine.
moyen que de retourner à notre bâtiment, la barque étant trop petite pour transporter ces provisions. L'officier engagea un des chefs de cette tribu à venir avec lui, et ils se mirent en route le lendemain à la pointe du jour.
L'officier trouva le pays montagneux, coupé de nombreuses rivières, dont il leur fallait souvent côtoyer les bords pendant des milles entiers avant de rencontrer un endroit guéable, ce qui allongea de beaucoup leur route. Le lin (pAorMtMM tenax) croît en abondance sur ces rives; on y voit de petites pièces de terre cultivées qui produisent des choux, des pommes de terre, des panais, des carottes, une petite espèce de navets, des melons d'eau et des pêches. La culture de l'oranger y a été introduite avec assez de succès. Les arbres les plus utiles et les plus remarquables, dit l'officier, sont le ka.ïkatea. et le AoMcK; ils s'é!èvent tous les deux à une hauteur prodigieuse et sur une seule branche; ils seraient excellents pour faire des mâts de grands vaisseaux. Le kaïka<<?<:(*) se trouve dans les endroits marécageux et sur le bord des rivières; sa feuiUe paraît être persistante et ses baies sont rouges. Le koudi(**), qui (*) C'est le ~o~oenr~ptM dacrydoides. Cook l'avait aussi cru ainsi mais il a re.connu plus tard que son bois était trop cassant pour être utilement employé en mâture, c. L. D. R. (**) L'officier du Hawkes parait ignorer la botanique. De même qu'il avait nommé le ~a~a~a, ~<r<:Mee, il nomme Je ~oKa' katree. Nous avons pris la Hberté grande de rectifier ces deux mots. L'officier aurait pu nommer le paré avec lequel on allume du feu par le frottement, le mangui. m6f/f<~ le /;MOM qui sert à teindre les étoffes eu noir, le sapple -jack, immense liane, iecfao, espèce de )iége,ieme/a/eKC!! <eo/)e;tc, qui remphca le thé pour les équipages de Cook, le f/ae~/Mm e«;)feMi/it<m, dont ce grand navigateur fit une boisson salutaire, le ~oH;a e.r/!t!nja, qui lui servait d'épinards, le <e<'<B/:<: aus~'<!& (ti des naturels), dont les sommités ren~p!acenttec))oupaunis[eetontjegout de l'amande et la saveur du chou, et lea 15
lui est préféré, s'élève à plus de cent pieds dans les terrains sablonneux; son diamètre en a quelquefois quarante il a un très-beau feuillage et contient beaucoup de résine. Une grande partie du voyage se fit à travers les sables, ce qui le rendit très-pénible. Après avoir marché pendant deux jours et deux nuits, en évitant avec soin la rencontre des insulaires, ils arrivèrent auprès de leur bâtiment. « Je donnai à mon guide, dit l'officier, une couple de leurs tomahawks (*) et un peu de poudre, ce dont il parut très-satisfait. Dès que le capitaine sut qu'on a~ait trouvé des provisions à Walkitanna, il leva l'ancre et se dirigea vers t'étabtissement, devant lequel il arriva la nuit suivante. Les habitants parurent joyeux de nous revoir; ils vinrent à nous dans de grandes barques, nous apportant d'abondantes provisions de porc, que nous achetâmes sans aller jusqu'au mouillage. Enararo vint à bord et nous traita avec une apparente cordialité; son peuple semblait animé des mêmes sentiments; et, conformément aux ordres qu'il en avait recus, il se tint à distance du navire. Nous rangeâmes les provisions sur le pont le mieux qu'il nous fut possible, afin qu'il en tînt davantage; et, le vent fraîchissant au sud-est, nous retournâmes dans la baie de Taouronga pour tuer et saler nos cochons; mais la quantité n'étant pas suffisante, nous mîmes encore une fois à la voile pour Watkitanna, où nous arrivâmes le 1" mars 1829. Le temps étant superbe, nous jetâmes l'ancre entre l'île de Maltora et l'ne principale. A peine étionsnous mouittés, que les indigènes vinrent en grand nombre nous apporter des cochons; mais comme nous n'en jeunes plantes du M/M/'tM o/e;ac<'rH, que les marins de t'rc/c~f mangeaient tant en soupe qu'en salade. G. L. D. R. (') C'est une erreur nous avons entendu donner le nom de tomahak au casse-tête dans t'Amerique du Nord, chez les sauvages des environs de la cataracte dè Niagara, mais nous savons que dans la Nuuveue-Zee)and on le nom<M mf're. G. L. D. R.
avions besoin que de vingt, ce fut tout ce que nous leur achetâmes.
« Le lundi 2 mars, à six heures du matin, la barque fut envoyée à terre avec un officier et huit hommes, y compris l'interprète, pour tuer et preparer promptement nos porcs à une source d'eau chaude qui se trouvait sur la côte, à peu de distance du vaisseau. A une heure après-midi, nous les hélâmes pour qu'ils vinssent dîner; comme ils ne nous entendaient pas, le capitaine alla les trouver, et me laissa, avec trois hommes, pour avoir soin du bâtiment, ne se méfiant nullement des intentions perfides desinsulaires. Enararo était alors à bord avec dix ou douze des siens. Je remarquai plusieurs fois qu'ils parlaient avec chaleur du kibbouki, le bâtiment; et, soupçonnant quelque trahison, je dis au commis aux vivres, qui était un Taïtien de sortir les sabres et de surveiller Enararo, que je vis redresser son arme. A ce si~na), ses hommes se précipitèrent sur les haubans du grand mât, ayant chacun un fusil qu'ils avaient caché dans leurs canots. Dans ce moment critique, nous n'avions pas de pistolets sur le pont, et je sentais bien que si l'un de nous descendait pour les chercher, Enararo en profiterait pour commencer t'attaque. Comme nos fusils avaient été placés dans la hune de misaine, non-seulement pour qu'ils fussent plus en sûreté, mais aussi crainte de surprise, j'ordonnai à l'un de mes hommes d'y monter et de tirer sur Enararo; mais comme il n'était pas convaincu aussi bien que moi des mauvais desseins des insulaires, il refusa d'obéir. H n'y avait pas cependant un moment à perdre je montai moi même dans la hune, en ordonnant d'avoir t'œit au guet. Malheureusement mes hommes m'éccutèrent peu disant que je méditais la mort d'un innocent, et ils continuèrent a plaisanter entre eux. Mais dès qu'Enararo me vit dans la hune occupé à dénouer les fusils, il tira sur un des nôtres, qui était à trois pas de lui et qui s'amusait à jouer avec son sabre; la balle passa au travers de sa
tête, qu'Enararo lui coupa aussitôt avec sa méré, sorte de petite massue ou casse-tête, qui se termine par un caillou aiguisé. Tous les siens sautèrent alors sur le pont, et les deux pauvres matelots qui nous restaient furent massacrés avec des lances, des massues des casse tête des haches (patou), et autres armes (voy. 182). Les insulaires tirèrent ensuite sur moi sans m'atteindre mais, au moment où j'armaismonfusil, Enararo m'envoya dans le bras droit une balle qui brisa l'os. Quand ils me virent tomber dans la hune, ils commencèrent leur danse de guerre en faisant d'horribles hurlements; puis ils se mirent à piller le navire. Quoique je fusse presque accablé par la douleur, je remarquai que, dans la chaleur du pihage, ces misérables n'avaient aucun égard pour i'autorité de leur chef; et, comme ils ne voulaient point lâcher prise, quelques-uns furent tués sur place. Leur diligence à remplir leurs canots fut extrême. Enararo ordonna à un des siens de venir me prendre; cet homme ne pouvant y parvenir à lui seul, appela à son aide, et je fus traîné dans un des canots. Le soleil était couché les sauvages firent force de rames pour entrer dans la baie avant la nuit, ce qui alors est extrêmement dangereux. Nous y arrivâmes sans accident, quoique nous eussions à passer sur un brisant. Quelques-uns des canots trop charges principalement ceux qui l'étaient de nos armes et de nos munitions, chavirèrent; les insulaires parvinrent à se sauver, mais ils perdirent et leur butin et leurs canots.
J'ignorais le sort du capitaine et celui de l'équipage; je croyais même qu'ils avaient tous été taitiés en pièces; et je me voyais la seule victime qui eût survécu. Destiné à souffrir de la part de ces cannibales les plus horribles tortures avant qu'ils assouvissent sur moi leur passion pour la chair humaine, j'aurais dû regarder avec indifférence la perte de leurs canots; mais, malgré t'agonie de corps et d'esprit dans laquelle j'étais je vis avec ravissement cet acte de justice. Quand nous
fûmes arrivés à l'établissement, les femmes nous entourèrent en chantant, en dansant, en faisant toutes les démonstrations d'une joie extravagante, et en Jouant leurs héroïques maîtres de l'action courageuse que, dans leur opinion, ils venaient de faire. Lorsque les indigènes eurent débarqué leur butin, ils atfumèrent de grands feux, autour desquels ils se réunirent. La tueur des flammes faisait voir de plus en plus leurs horribles contorsions. Ils paraissaient discuter avec violence j'entendais assez leur langage pour comprendre que j'étais l'objet qui les occupait si vivement. Mon sort me parut inévitable; la plupart des sauvages demandaient ma mort: Dieu en ordonna autrement. Je dus mon salut au chef qui m'avait servi de guide, et qui intercéda pour moi, promettant que, si ma rançon n'arrivait pas à une époque fixée, ce serait lui-même qui me tuerait, mais qu'un fusil valait bien mieux que ma personne. Ce raisonnement décida les insulaires à différer ma mort. Alors il me conduisit dans sa hutte. Tous les événements de cette pénible journée se retraçant tour à tour à ma pensée, j'offris à Dieu des actions de grâces pour ma délivrance miraculeuse, et j'implorai sa miséricorde.
« Je passai les deux premières nuits sans fermer l'œii tout ce que j'avais éprouvé et la douleur que me causait mon bras ne m'en laissaient pas la possibilité. Mes plaintes importunèrent mon hôte, au point qu'il me mit hors de sa hutte; je me traînai sous une espèce de hangar qui était tout auprès. Pendant ces deux jours, personne n'avait pensé à me soulager enfin je trouvai un morceau de cuir, que je placai comme une éclisse autour de mon bras; puis, déchirant mon bas pour me servir de bandage, mon hôte le serra sur ma blessure, et j'allai plusieurs fois la laver à la rivière, où i'un de mes gardiens m'accompagnait. La balle avait traversé l'os, et il restait encore du plomb que je ne pouvais extirper. Le second jour de ma captivité me trouvant du côté du qui fait
face à la baie, la vue d'une goëlette attira mon attention. Lorsqu'elle fut proche de notre misérable navire, dont presque tous les agrès avaient été entevés, je vis les insulaires l'abandonner en toute hâte, et )a goëlette chercher à le remorquer hors de la baie. Je suppliai ces misérables de me mener à bord, leur promettant ma rançon et des indemnités; ils furent sourds à mes prières. On concevra mieux que je ne pourrais l'exprimer, ce que j'éprouvai, en voyant s'éloigner ces deux vaisseaux, qui pouvaient seuls m'assurer quelque chance de salut. Je tâchai de me résigner à mon sort, puisqu'il était inévitable; mais l'amour de la vie, et cette pensée que je venais d'échapper au plus grand danger, firent rentrer dans mon âme un rayon d~espoir. Ce qui m'arriva le lendemain n'était cependant pas de nature à diminuer mes mortelles anxiétés. Un des indigènes m'apporta la tête d'un de mes infortunés compagnons c'était celle du Taïtien, qu'ils avaient préparée avec beaucoup de soins, et tatouée. Ils conservent ainsi un grand nombre de têtes, et c'est même une de leurs branches de commerce; je frissonnai à l'idée que la mienne ne tarderait pas à en faire partie.
Le matin du quatrième jour de ma captivité, je fus vivement alarmé en voyant les insulaires se réunir autour de moi. J'en demandai la raison c'étàit, me dirent-ils le peuple de Taouronga, tribu voisine, qui venait les attaquer avec des forces supérieures aux leurs.
a Peu après, Enararo parut, tenant le sextant du capitaine; il me le donna, en me disant d'observer le soteit, et de l'instruire si véritablement la tribu de Taouronga s'avançait vers la sienne. Le refuser m'eût été fatal; il ne t'était pas moins de mal prophétiser. Toutefois, MCéebissant, d'après le caractère bien connu de ces insulaires, que la nouvelle du pittagc de notre bâtiment devait avoir excité la cupidité des peuplades voisines, j'obéis aux ordres d'Enararo. J'observai la hauteur du soleil, et demandai un livre que j'eus
l'air de consulter attentivement. "Ou), lui dis-je, la tribu de Taouronga s'avancera vers ton peuple avec des intentions hostiies.<'Et quand? me demande-t-il. Mon agitation était extrême je savais à peine ce que je dirais, et lui répondis "Demain."H parut content de moi, et se prépara à une défense vigoureuse. Les naturels construisirent, du côté de la rivière et au pied du N~, une espèce de rempart en terre, de quatre pieds de hauteur, sur lequel ils placèrent nos caronades et nos pierriers; et ils attendirent avec impatience et sans crainte l'aurore du jour suivant. Elle paraissait à peine, que j'entendis une décharge de mousqueterie. Enararo, se préopitant dans ma hutte, m'annonça que l'attaque de la tribu de Taouronga avait lieu, ainsi que je l'avais annoncé. Sa confiance en mes prédictions ne connaissait plus de bornes; il me supplia de lui dire s'it serait vainqueur. Je lui répondis que oui, ce qui mspira une nouvelle ardeur à son peuple, parmi lequel ma première prédiction s'était promptement répandue. L'ennemi était alors de l'autre côté de la rivière; il avait commencé un feu très-vif, auquel ceux de Walkitanna répondaient vigoureusement. Un d'eux me conduisit derrière rétablissement, pensant que j'y serais moins en danger ma vie était devenue un objet de sollicitude. J'entendis bientôt après le bruit d'un de nos canons, accompagné de chants de victoire. Cette décharge avait produit une telle frayeur parmi les assaillants, qu'ils s'étaient enfuis dès qu'ils l'avaient entendue. Enararo vint à moi, suivi de plusieurs chefs, m'appelant atoua, Dieu. On coupa la tête des blessés ennemis qui éta<ent restés prisonniers, on enleva et nettoya l'intérieur des corps; on les fit cuire; et l'avidité que montrèrent ces sauvages', hommes et femmes, dans cet horrible repas dont je fus malheureusement spectateur, me persuade qu'ils préfèrent ta chair humaine à toute autre nourriture. L'officier étant arrivé dans la baie des Iles, y fut soigné par le révérend M. WiUiams, missionnaire, et arrivé
à Sidney, un chirurgien extirpa de son bras plusieurs coquines et trois plombs: de Sidney il partit pour l'Angleterre. Après l'officier du Hawes, nous citerons parmi les visiteurs de la Nouvelle-Zeeland M. Earle, type vraiment remarquable de ces hommes aux désirs ardents, au vouloir toutpuissant, qui passent inébranlables, à travers une vie errante, semée d'aventures et de périls, pour arriver à leur but. Nomade de cœur et d'âme, il a parcouru tout le globe comme un autre eut fait d'une province. Depuis 1815, époque à laquelle son frère, le capitaine Earle, et quelques autres amis, le recommandèrent à l'amirauté et lui procurèrent l'occasion de voyager, il a visite Malte, la Sicile, et un grand nombre d'autres points sur la Méditerranée; accompagné lord Exmouth dans sa première expédition contre les États barbaresques; étudié les ruines de Carthage et plusieurs parties de la Libye, visité une seconde fois le mont Etna, d'où il se rendit à Gibraltar; erré deux années durant de province en province aux États-Unis d'Amérique; exploré Rio-Janeiro, Lima et le Chili; puis, de retour àRio, il s'est embarqué sur une méchante bouée usée jusqu'aux côtes, laquelle est ailée le jeter sur Tristan d'Acunha, où il a été obligé de suspendre ses courses aventureuses d'artiste,et où afaitbon gré, mal gré un séjour de plus de six mois, t'auted'un navire capable de tenir la mer. Au surplus, l'histoire de ce séjour n'est pas la moins intéressante qu'il ait écrite, et l'infatigable voyageur s'y montre penseur et écrivain, à la manière de son compatriote Trelauney. Enfin un navire, l'~M~M/'s~ CocA&Mm, capitaine Cooling, vint prendre l'exilé dans son île, et il partit pour la terre de VanDiémen, la Nouvelle-Galles du Sud et la Nouvelle-Zeeiand. De retour à Sidney, M. Earle a fait les dessins d'après lesquels a été peint le curieux panorama de M. Burfort, naguère ouvert dans Leicester-Square, à Londres. Plus récemment, et comme pour donner à ses voyages plus de variété et d'agrément, il a fait une tournée
aux îles Carolines, et payé son tribut d'hommages à Gouaham, dans les Mariannes, touché à Manila, laissé sa carte de visite au résident de Singhapoura, et souhaité le bonjour à celui de Poulo-Pinang; puis il s'est arrêté quelque temps à Madras, où ses dessins ont été vivement admirés, et où il afait entre autres ceux qui ont servi de modèle au panorama de MM. Daniel et Parris. Cependant, sa santé commençant à décliner, il se rendit à Pondichéry, et y ayant trouvé un navire de Bordeaux, il s'embarqua pour l'Angleterre, en passant par la France; mais itsembtait que les circonstances, toujours contraires à ses vues, dussent le forcer de rester partout où il ne voulait pas séjourner. Le navire sur lequel il était, fut forcé de relâcher à l'îte de France, où il fut condamné. M. Earle se trouva donc réduit à revenir en Angleterre par voie directe. De retour enfin dans son pays, il s'est de nouveau engagé comme marin, classé sur le Beagle, emportant avec lui le titre de premier membre honoraire du yyat:e//e?'e'/M&o.
Un véritable artiste qui a tant vu doit avoir bien des choses à raconter; aussi trouve-t-on, dans le journal de M. Earle (**), un bon nombre de documents généraux et de détails curieux, dont nous emprunterons quelques-uns sur la Nouvelle-Zeeland. Au mois d'octobre 1827, cet intrépide voyageur partit de Sidney avec son ami, M. Shand, sur le brick le Govermor-~o'c~MarM, capitaine Kent, en destination peur la Nouvelle-Zeeland Parmi les passagers se trouvaient plusieurs personnes qui allaient fonder, à l'est-ouest de Ké-Anga, un établissement de missionnaires méthodistes. Ils prirent terre au village appelé Parkounis, où déjà ils virent des choses assez en dehors du cercle ordinaire de leurs habitudes pour les étonner.
« Etant allé me promener ( pour répondre aux exigences de ma nature locomotive) dit M. Earle, je ne tardai (*)Z;Ke/-n~G'<K<
C*) Un vol. in-8, en anglais.
pas à être témoin d'une scène qui me força bien de ne pas oublier, si j'en avais été tenté, que j'errais dans un pays sauvage, parmi une population de sauvages, et me fit bien réfléchir qu'il sufGt souvent de quelques jours de traversée pour trouver dans les mœurs des différents pays une distance immense. Or, le tableau pittoresque dont ma vue et ma pensée.étaient ainsi frappées, c'était un corps d'homme en ambeaux presque entierement consumé, sur lequel s'acharnaient, en grognant et montrant les dents, une meute de chiens et de pourceaux. La vue de ce festin me fit plutôt horreur qu'elle ne me surprit, car j'avais assez entendu parler du cannibalisme des habitants de la Nouvelle-Zeeland. Toutefois, ('impression fut si forte, que je renonçai, pour ce jour-là du moins, à poursuivre mes excursions. Je revins donc chez M. Rutter, curieux de connaître les détails et la cause de ce que je venais de voir. Ce monsieur m'apprit que la nuit de notre arrivée, un chef avait posté un de ses M?orM (esclaves) à l'entrée d'un champ de koumeras ( patates douces ) pour empêcher les porcs d'y faire des trouées. I! nrriva que le pauvre diable, ravi à l'aspect de notre navire, qui cinglait vers la côte, et plongé dans i'extase quand il nous vit à l'ancre, se laissa aller à nous contempler, au lieu de guetter les porcs; en sorte que ceux-ci pénétrèrent dans le champ, et y nrent une ample récolte aussitôt ava]ée que déterrée. Le maître survint précisément dans cet instant, et l'affaire de l'esclave en défaut ne fut pas longue le malheureux reçut de son maître un coup de hache en pierre dans la tête, et il tomba mort sous le coup; puis on le fit rôtir sur un beau feu, et tout fut dit )'
Naturellement dégoûtés de Parkounis, nos voyageurs formèrent une sorte de caravane, et traversèrent le pays jusqu'à la baie des Des. Ils rencontrèrent sur leur route un village appartenant au fils d'un chef, appelé PatouOne. Le récit de la réception qu'on leur iitestremarquabte.ÉcoutonsM.Earte:
« Comme le village, dit-il, était situe sur la côte opposée à celle par où nous arrivions, nous nous assîmes quelque temps à l'ombre d'un grand arbre, pour contempler à notre aise l'aspect que présentait ce village puis, en même temps, pour nous concerter sur la manière dont nous passerions tous les ruisseaux, et, enfin, pour me laisser le temps de dessiner une vue à )a hâte. Les bois épais et couverts, qui couvraient le versant de la colline, trempés de lumière à leur cime par la rouge et flamboyante clarté, du soleil couchant, relevaient encore l'effet du paysage magnifiquement éclairé et un énorme arc-en-ciel couronnait ce ta.bleau d'une auréole dont les nuances étaient merveilleusement pittoresques. Les naturels ne nous eurent pas plutôt aperçus de la côte opposée, qu'ils poussèrent un long cri de bienvenue, et se portèrent en foule à notre rencontre. Ils nous portèrent sur leurs épaules pour nous faire traverser le courant, nous conduisirent à leurs huttes, et là ils demeurèrent en contemplation devant nous. Fatigués comme nous l'étions, nous défîmes promptement nos paquets pour y prendre ce dont nous avions besoin. Alors les habitants ouvrirent les yeux plus grands encore, et se mirent à pousser des cris aigus et prolongés a la vue de chaque objet nouveau. N'étant point encore naturalisé chez eux, je fus d'abord quelque peu effrayé de leurs cris mais je ne tardai pas à reconnaître que c'était à tort. Nous vîmes là le fils de Patou-One, escorté de treize ou quatorze jeunes esclaves, tous assis ou couchés autour de lui. C'étaient tous de très-beaux hommes, malgré leur aspect sauvage et la férocité de leurs regards. Qu'on se figure ces messieurs portant la main sur chaque objet, à mesure que nous le montrions à ce groupe de sauvages, dont chacun avait en bandoulière un fusil chargé à balle, à la ceinture un étui cartouches bien garni, au poing un/Mf~oM-jM~OH, ou hachette en pierre, et au cou, pour ornement, des ossements humains; et qu'on me dise s'il
n'y avait pas de quoi effrayer un voyageur Cependant mes craintes étaient tout à fait injustes; car, après avoir admiré, l'un après J'autre, tous les objets de notre bagage (mais surtout nos fusils de chasse, qui étaient fort beaux, il est vrai), ils nous demandèrent un peu de tabac, se retirèrent à distance des huttes qu'ils avaient préparées pour nous recevoir; et, nous laissant souper seuls et tranquilles, ils revinrent ensuite, mais seulement pour ioger nos effets dans les huttes, et nous montrer par là que nous étions en sûreté, nous et tout ce qui nous appartenait. La nuit fut sombre et pluvieuse. Nous la passâmes dans une méchante hutte fumeuse, autour d'un grand feu allumé au milieu, mais entassés tes uns sur les autres; car à peine avions-nous eu fini de souper, que les naturels s'étaient jetés en masse dans cette hutte jusqu'à ce qu'elle fût comblée, et cela, pour jouir mieux et plus longtemps de notre présence. Ce fut donc une nuit bien fatigante à passer; mais j'en fus dédommagé par le taMeau singulièrement neuf que cette réunion groupa et fit mouvoir à mes regards d'artiste. Jamais Salvator Rosa n'eût pu concevoir quelque chose d'aussi admirablement horrible. Qu'on imagine, s'il est possible, une douzaine d'hommes aux formes éminemment athiétiques, étendus par terre, sur la natte qui leursertde vêtement, étalant leurs membres sauvages sous la lueur empourprée du feu, tandis que leurs visages, hideusement tatoués partout, ressortaient presque bleus de soufre à i'éc!at de la flamme; puis enfin, tous ces yeux, au regard naturellement si féroce, fixés sur nous avec l'expression d'un respect mêté d'affection et de curiosité »
Toutes ses craintes étant désormais assoupies, M. Earle eut le temps de contempler et d'étudier à loisir cette scène bizarre. Il fuma une pipe en compagnie avec ses hôtes, qui sont fous de tabac; puis il s'étendit, pour essayer de dormir au milieu de leurs nuages de fumée et de leurs ton-
nerres de paroles. Mais tous ses efforts furent vains, grâce aux mouches, moucherons et mouches de sable noires (*), qui, outre le tatouage qn'ils firent subir à sa peau, et malgré la fumée des pipes etdu feu, bourdonnèrent toute )a nuit à ses oreilles, au point de dominer la voix des naturels. Le lendemain matin, au point du jour, M. Earle et ses compagnons prirent congé de leurs hôtes, et continuèrent leur voyage.
En pénétrant dans le pays, ils arrivèrent à la rivière de EJddi-Kiddi, au bord de laquelle il y a une église et un établissement de missionnaires. Elle forme une belle cascade d'eau douce au fond d'une crique d'eau salée. C'est avec regret que nous citons un passage qui met en opposition les mœurs douces et hospitalières des cannibalés, des païens, avec les mœurs dures des chrétiens.
« Ça et là, continue le voyageur, nous rencontrions des bandes d'hommes tout nus, voyageant chargés d'énormes fardeaux, et chantant leurs chansons barbares pour se reconnaître entre eux. Nous rencontrions aussi parfois de bizarres figures barbouillées d'ocre rouge, et fixées enterre sur un poteau pour indiquer que le chemin était mouvant de ce côté. Mais nous ne tardâmes pas à trouver un tableau qui contrastait singulièrement avec tout ce que nous venions de voir ce fut celui d'un village tout anglais. Des nuages blanchâtres de fumée nous apparurent s'élevant en spirale audessus des cheminées de maisons proprement bâties et à facades; aux fenêtres vitrées éclatait la clarté du soleil couchant; et nous vîmes, à l'heure où nous approchâmes du village, des troupeaux bien gras revenant, le long des collines, à leurs étaMes ou à leurs parcs. Il m'est impossible d'exprimer le plaisir que j'éprouvai en revoyant un tableau rurat que j'avais cru taissersi toin, et pour si longtemps, derrière moi.
(*) Forster nomme cette mouche ~/)!</a alis ~c~m~f/ G. L. D. R.
« Suivant la coutume du pays, nous déchargeâmes nos fusils pour avertir les habitants que notre caravane approchait du village. A peine la détonation eut-elle été entendue, que nous vîmes venir vers nous en courant des bandes d'individus étranges. C'est tout au plus si, au premier abord, on pouvait dire à quelle classe d'êtres ils appartenaient. Toutefois, en les voyant de plus près, je les reconnus pour de jeunes Zeelandais attachés à nos missionnaires. Ils étaient revêtus de la plus étrange façon qui se puisse imaginer. Sans doute ces braves gens n'ont pas l'idée du pittoresque et du beau; car ils masquent avec de grossiers habits de marms, les formes les plus gracieuses du corps humain de manière ne pas les laisser deviner. Les jeunes garçons d'une quinzaine d'années étaient enveloppés d'unelongue veste de matelot, mais en forme de sac, et boutonnée, avec des boutons de corne noire, depuis le menton jusqu'à la gorge. Leurs chemises grossières étaient ornées de collets dont les deux angles retombaient de chaque côté, et leur belle chevelure hérissée était remplacée par un méchant bonnet écossais. Ces malheureux indigènes, à moitié couverts, après avoir parlé des yeux et des gestes avecnos guides, nous conduisirent aux habitations de leurs maîtres. Comme j'étais porteur d'une lettre d'un des missionnaires de ce corps, je ne doutai pas un instantque nous ne fussions trèsbien recus,et nous suivîmes les naturels. P<ous fumes introduits dans leur maison, très-proprement et même élégamment tenue là tout respirait t'ordre, le silence et la vie retirée. J e présentai ma lettre à un personnage au regard sévère et grave, tequefpassa dans une autre piece pour prendre consei) de son supérieur sans doute, et revint, nous invitant à demeurer et à prendre une tasse de thé. On eut bientôt servi tout ce qu'on peut se procurer dans une ferme riche et chez un épicier bien assorti d'Angleterre. Chacun des missionnaires qui entra pendant notre repas fut aussitôt mandé par les autres, et j'entendis clairement qu'on lisait et
discutait ma lettre de recommandation. Je ne pus m'empêcher de me demander si c'était ains! qu'on devait recevoir des compatriotes aux antipodes de son pays Pas un sourire ne leur vint desserrer les lèvres, pas une parole ne sortit de leurs bouches pour nous demander des nouvelles du pays; en un mot, nous ne trouvâmes pas la plus tégère marque de cette sympathie que nous sentirions si vivement, nous autres gens du monde, s'il nous arrivait.jamais de recevoir, dans-un pays aussi sauvage, la visite de quelquesuns de nos compatriotes. Les enfants gros, gras et frais qui nous examinaient de tous les angles des appartements, et l'air tranquille et satisfait de leurs parents, nous firent bien vite deviner que ces gens-là faisaient dans le pays quelque commerce fort agréable et avantageux. Ils nous invitèrent, mais bien froidement, à passer la nuit chez eux. Notre grand nombre ne nous permit pas d'accepter, et ils nous prètèrent leur bâtiment pour nous transporter à la baie des lIes, à environ vingt-cinq milles de là. La nuit fut très-sombre, le vent très-violent, et notre bateau était d'ailleurs chargé de naturels curieux de nous examiner. Ce ne fut pas sans désagrément et sans danger que nous descendîmes la rivière de Kidi-Kidi, hérissée de rochers, les uns au-dessus, les autres au-dessous de l'eau, et dont il nous fallut nous garer avec beaucoup de précaution. Enfin, après avoir échappé a plus d'un écueil dangereux, nous arrivâmes sains et saufs sur la grève de Koraradika, où un Anglais, nommé John Stoue, nous donna un asile dans sa hutte. »
Peu de jours après son arrivée, l'infatigable M. Ëarle passa sur l'autre rive pour visiter l'église et i'étabhssement des missionnaires, au moyen d'une lettre de recommandation d'un des leurs. La demeure confortable de ces apôtres du Christ est admirablement située sur une côte pittoresque, au bord d'une large et belle grève où l'eau se balance comme un miroir immense, tacheté d'îles fertiles et riantes. Ils
ont donné à ce lieu le nom de 7)f<t~~eM-~s/e. Les missionnaires lui eurent bientôt fait entendre qu'ils nedésiraient pas faire sa connaissance; aussi cette froideur, ce défaut d'hospitalité dans un parei) lieu les lui fit prendre singulièrement en haine. Selon lui, le but primitif de leur mission eût été très-avantageux aux naturels de la Nouvelle-Zeeland, et eût hâté leurs progrès vers les lumières; mais cette mission est, par le fait, remplie de telle sorte, qu'elle ne peut amener pour tes Zeeiandais que de mauvais résultats. Ces malheureux sauvages ne peuvent aucunement profiter de l'Évangile qu'on veut leur prêcher, si leurs esprits ne sont disposés à féconder la parole divine; cependant les missionnaires ne s'occupent nuUement de leurs dispositions, et les meilleures raisons du monde ne les feraient pas changer de système. n
D'après les renseignements que M. Earle obtint sur leur compte, il apprit qu'ils étaient tous des ouvriers mécaniciens ou des jeunes gensquiavaientétudié quelque temps pour être ministres dela religion protestante, et que les Anglais avaient fort judicieusement choisis dans ces deux classes d'hommes utiles qui devaient aller porter si loin le flambeau de la religion et de la civilisation. Certes, rien n'aurait été plus beau que de voir ces athlétiques Zeelandais, devenus menuisiers et forgerons, se construire des maisons solides et agréables, et s'habituer à employer utilement leur temps et leurs bras pour se faire la vie plus agréabie et plus pleine; mais c'est seulement lorsqu'ils auraient senti l'utilité de ce qu'on leur aurait ainsi appris que les missionnaires Anglais auraient pu les prêcher avec fruit et leurfaire comprendre les beautés de la religion. Malheureusement rien de cela n'a eu lieu, selon notre voyageur. Il prétend que les missionnaires commencent par se construire une bonne maison, solide, confortable, avec des fossés pour se mettre a l'abri des excursions des sauvages; que lorsque leur maison est bien meublée, bien
approvisionnée, leur jardin bien planté, ils laissent )à]eurs instruments de travail, et s'amusent à prêcher; qu'ils recueillent alors cà et là quelques pauvres misérables naturels du pays, auxquels ils apprennent à lire et à écrire la langue zeelandaise seulement, car )'ang)ais y est prohibé; qu'enfin ils renvoient ces jeunes gens à leurs parents, qui leur rient au nez, et les prennent en mépris en raison de la vie molle et efféminée que leur ont apprise les missionnaires. M. Earle dit avoir vu entre autres un stupide et grossier forgeron, encore jeune, assis au milieu d'un groupe de sauvages, auxquels il expliquait le mystère de la Rédemption, en émettant les propositions les plus incohérentes et les plus absurdes pour prouver ce qu'il avançait, et il pense que ce jeune homme aurait dû d'abord leur apprendre à fondre, battre et fimer un morceau de fer, ou à faire un clou ou une bêche.
I! paraît qu'une des choses qui nuisent le plus aux missionnaires dans i'esprit des naturets,est le dédain avec lequel ils accueillent leurs compatriotes, dontils ne rougissent pas de recevoir souvent des caravanes en dehors de leurs fossés ou retranchements. En revenant de Marsden Valle, M. Earle et ses compagnons revirent leurs amis les sauvages, qui les raillèrent, mais d'une manière fort aimable. Ils les avaient prévenus de la froide réception que leur allaient faire les missionnaires; aussi le plaisir que ces braves Zeelandais témoignèrent à revoir leurs hôtes et à les loger de nouveau, leur fit faire d'amères réflexions et une comparaison qui ne fut pas à l'avantage des apôtres de Jésus-Christ.
« Un jour, dit M. Earle, nos deux maisons, qui étaient assez bonnes, furent réduites à un amas de ruines, et presque tout ce qui nous appartenait fut emporté par tes Narpous (*). Cet accident nous donna l'occasion de connaître une autre coutume f~ Je suppose qu'il faut lire les Ngapouls. G. L. D. R.
barbare. Quand un malheur arrive à un chef de communauté ou à un individu isolé, chacun, même les amis de leur tribu, se jettent sur eux et les dépouillent de tout ce qui leur reste. Comme le poisson qui, à peine frappé par le harpon, est tout de suite entouré et dévoré par ses compagnons le chef de famille zeelandais n'est pas plutôt tué, que ses amis pillent sa veuve et ses enfants, et, par vengeance, maltraitent et assassinent même leurs esclaves, de manière qu'un malheur en amène plusieurs autres, assaisonnés de cruautés inouïes.
Pendant l'incendie, nos alliés nous firent bien voir qu'ils étaient en effet les voleurs les plus adroits que l'on puisse imaginer. Chose étrange! car, avant cet événement, ils ne nous avaient rien pris, et tout ce que nous possédions était à leur disposition. Quand nous leur demandâmes ce qu'étaient devenus nos effets, ils nous déclarèrent franchement où ils étaient déposés et, après quelques difficultés moyennant une rançon fixée de gré à gré, nous recouvrâmes la plupart des objets volés, mais non pas (bien entendu) ceux que les pillards avaient emportés.
« Je ne ferai pas d'observation sur la cruauté de cette coutume, que sans doute je n'aurais jamais eu l'occasion de connaître, si je n'en avais été la victime. En rachetant des indigènes ce qu'ils avaient volé le jour de l'incendie, nous retrouvâmes bien quefques-uns de nos coffres, de nos pupitres et de nos habits, mais tous nos ustensiles de ménage furent perdus sans ressource. Quand l'incendie fut éteint, nous reçûmes une visite d'un missionnaire qui nous fit une petite offre de secours. :Nous acceptâmes un peu de thé, du sucre et quelques articles de porcetaine; mais tes missionnaires savaient que nous n'avions pas de maisons, que nous étions au mitieu d'une horde de sauvages, et ils ne nous offrirent pas un asile chez eux Certes, si un tel malheur leur était arrivé, nous leur eussions ouvert nos cabanes et nous aurions par-
tagé avec-eux tout ce que nous possédions. C'était bien là, pour des apôtres, l'occasion d'enseigner par l'exemple aux païens (car c'est ainsi qu'ils désignent les habitants de la NouvelleZeeland ) le grand précepte chrétien « Faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fissent.
« Je dois avouer que nous étions singulièrement contrariés d'être ob!igés de dormir, trois personnes serrées l'une contre l'autre, dans une petite cabane de la Nouvelle-Zeeland, remplie d'ordures et de vermine de toute espèce, tandis que, à deux mille seulement de distance, il existait un village où la philanthropie anglaise avait apporté toutes les commodités, toutes les douceurs de la vie, par le canal de missionnaires dont j'étais moi-même un des pourvoyeurs, ayant fourni ma quote-part pour faire les frais de leur mission, n
Notre voyageur déclare ce sujet qu'ii l n'a jamais vu un seul prosélyte des missionnaires. Dans sa correspondance avec les naturels, il les ioue toujours; et, selon nous, il est plus que leur apologiste dans les scènes et les événements qu'il décrit. Après tout, les Zeelandais, si peu intéressants que les fassent leur manque de gouvernement, la férocité sans bornes de leurs coutumes, leur système d'esclavage, leur indifférence complète de la vie humaine, leur manque de religion, leurs usages, dont un des plus sanglants est la soif d'nne vengeance souvent exercée d'une manière atroce, les Zeeiandais nous inspirent un vif désir de les voir marcher vers une vie meilleure. M.Earie faisait de fréquents voyages dans l'intérieur, et partout il se cbntirmait dans la bonne opinion qu'il avait conçue des habitants, de sorte qu'il se trouvaittout àfait en sûreté parmi eux. Le manque total de quadrupèdes dans ce pays y rend les voyages très-longs et très-pénibies, etc'est selon lui à cette absence des quadrupèdes qu'il faut attribuer la férocité des Zeeiandais et leur penchant au cannibalisme. «En revanche, dit-il on y voit une quantité immense d'oiseaux, à tel point que leurs
volées obscurcissent quelquefois le tour en interceptant les rayons du soleil, et il y en a plusieurs dont le ramage est très-agréable. » Certes, les canards sauvages et les sarcelles leur fourniraient un manger supérieur à leur fougère, qui n'est guère préférable à )'herbe qu'on n'y rencontre nulle part. ".Feus connaissance un jour, dit l'artiste-voyageur, de la promptitude que les Nouveaux-Zeelandais mettent à rendre la justice. Un chef, qui demeurait dans le village, ayant ia certitude de t'inûdéiité d'une de ses femmes, prit son pa;<o:<ft/o!<( hache de pierre) et partit pour sa cabane, où cette malheureuse se livrait aux soins de son ménage. Sans rien dire de ce qu'il savait et sans lui faire aucun reproche, il lui assena avec un sang-froid incroyable un coup de hache (pa<OK) sur la tête, qui la tua sur-lechamp et, comme elle était esclave, il trama te cadavre hors du vijfage, et le laissa à dévorer aux chiens. A peine eûmes-nous ouï le récit de cette mort, que nous allâmes sur les lieux pour demander la permission d'ensevelir le cadavre de la femme assassinée; ce qui nous fut tout de suite accordé. En conséquence nous cherchâmes deux esclaves, qui nous aidèrent à porter le corps jusqu'au rivage, où nous )'enseve)!mes comme nous pûmes.
« C'était le second assassinat dont j'avais manqué d'être le témoin depuis mon arrivée: et l'indifférence avec laqueiie on m'avait parlé de ces deux meurtres me faisait croire que de pareilles cruautés se renouvelaicnt souvent. Cependant les moeurs en général me sembfaientdouces et sympathiques mais l'infidélité d'une femme n'est jamais pardonnée ici et ordinairement, sii'on peut trouver l'amant, il est immo!é avec elle. La vérité m.'obiige d'avouer que, malgré l'horrible châtiment qu'eifeN- ont devant les yeux, les Zeelandaises ne reculent pas devant une intrigue (*).o u
(*) Ceci est fort exagère a regard dt's femmes manefs, de cettessm'tont qui ne sottp.iscschvcs. C..I..D.R.
L'auteur va nous raconter des choses bien plus terribles.
« Il y a bien longtemps déjà qu'on a, pour la première fois, accusé de cannibalisme les habitants de la Nouvelle-Zeeland; mais nul homme grave et bien connu (*) n'avait encore attesté cette allégation, atroce si elle eût été fausse; de sorte que, pour ne pas insulter ta nature humaine, on avait rejeté ce fait parmi les mille et un contes des voyageurs. On a d'ailleurs beaucoup cent pour prouver qu'un penchant si affreux n'existait nulle part. Cependant j'étais destiné, moi. a le constater dans ses plus horribles détails. Un jour, vers les onze heures, comme je rentrais d'une longue promenade, le, capitaine Burke m'apprit qu'il savait de source certaine (quoique les naturels du pays eussent voulu tenir la chose secrète), que, dans un village voisin, une esclave nommée Matou avait été tuée, et que l'on préparait sa chair dans ce moment même pour la manger. En même temps il me paria d'un incident qui avait eu lieu la veitie. « Atouï, me dit-)' m'a« vait rendu une visite, et en me quittant il reconnut une esclave qui, 1 « dit-il, s'était enfuie de chez ]ui. Aussitôt il l'arrêta et la donna à garder « à ses gens. Cette Oie avait été em« ployée chez moi à porter du bois, « et la réclamation d'Atouï ne me don« nait aucune inquiétude pour la sureté de sa vie; car je ne pensais pas « que lé crime fût aussi grave. Mais voiià que je viens d'apprendre que cette pauvre fille a été ou va être « mise au four.
M. Earie et le capitaine Burke résoiurent d'assister à cet affreux spectacle mais ils se gardèrent bien de dire qu'ils connaissaient tes circonstances de J'affaire, bien certains que les naturels nieraient tout, et les repousseraient.
(*) M. Earle n'a pas connu sans doute le rapport du capitaine Crozet sur Ja mort du capitaine Marion. Certes, Crozet était un homme plus grave que M. Earte, et au ruons aussi connu quf lui.
C. L. D. R.
Ils partirent et prirent une route détournée pour arriver au village. Comme ils connaissaient parfaitement le chemin, ils tombèrent tout à coup sur eux, et les surprirent au milieu de leur abominable cérémonie. Sur la pente d'une colline, en dehors du vilage un homme était occupé à construire un four, selon la méthode du pays, méthode dont nous avons donné la description au tome II, page 313 de t'OCEANIE.
« En approchant, dit M. Earle, nous reconnûmes les traces non équivoques du meurtre qui venait de s'accomplir. Des nattes sanglantes furent disposées de tous côtés. Un jeune garçon, debout sur la place, riait à gorge déployée; il toucha sa tête avec son doigt, et puis dirigea ce doigt vers un buisson. Je m'approchai de l'endroit qu'il indiquait ainsi, et mes yeux y rencontrèrent une tête humaine. Qu'on juge de l'horreur dont je fus saisi, en reconnaissant les traits de la malheureuse fille fugitive! ]\ous nous précipitâmes vers le lieu où le feu était idiumé; ta, un homme était debout, occupé à faire une cuisine dont la vue n'était pas de nature à éveiller la curiosité plus que t'appétit. Il apprêtait les quartiers d'un cadavre pour un festin après avoir ôté les grands os, il avait coupé la chair en filets, et se disposait à la mettre au four.
« Comme nous étions là devant Le feu, frappés d'horreur et stupéfiés, nous vîmes un gros chien arracher des lambeaux de la tête de la victime, en la trainant de buisson en buisson pour qu'ette ne tui fût pas ravie. Cependant le cuisinier de chair humaine acheva son rôti avec le plus grand sang-froid, en nous disant que le repas ne serait prêt que dans quelques heures. Hélas! ce fut ainsi que nous vîmes de nos yeux, le capitaine Burke et moi, un spectacle dont plusieurs voyageurs ont parlé sans être crus; car on a toujours révoqué en doute les faits de cette nature. Cependant, dans ce cas, il n'était pas question de manger la chair d'un prisonnierde guerre, ni de boire te sang d'un ennemi, afin de s'exciter con-
tre les ennemis qui restaient après lui. Il M'y avait ni rage ni vengeance à satisfaire. On ne saurait invoquer ici en faveur des Zeelandais, la fureur in.domptable qui survit quelques instants encore à un combat sanglant. C'était )à un acte de cannibalisme pur, sans la moindre circonstance atténuante. Enfin, pas plus loin que la veille, Atouï nous avait vendu quatre porcs pour quelques livres de poudre il ne pouvait donc alléguer non plus le défaut absolu de provisions.
Après s être un instant consultés, le capitaine Burke et M. Earle résolurent d'aller réprimander Atouï sur sa cruauté inouïe. li les accueitiit comme à l'ordinaire, et sa physionomie n'était pas celle d'un homme qui vient de commettre un pareil acte de barbarie. M. Earle vit et contempla, non sans frissonner d'horreur, l'énorme quantité de pommes de terre que ses esclaves préparaient pour compléter l'infernal festin.Voici ce qu'il ajoute « Nous parlâmes à Atouï sans animosité car, ne pouvant plus empêcher le meurtre, nous voulions au moins tâcher d'en connaître les détails. D'abord Atouï tacha de nous faire croire qu'il ignorait l'affaire, et que ce n'était qu'un repas pour ses esclaves; mais nous lui dîmes que nous avions la certitude. que le festin était pour lui et ses compagnons. Après avoir ionstemps encore tenté de nous cacher le fait, Atouï nous avoua franchement qu'il attendait que la cuisine fut faite pour en manger. H ajouta que, connaissant t'aversion que les Européens avaient pour ces espèces de festins, les naturels faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour les cacher à nos yeux, et qu'il était très-fâché que nous eussions eu connaissance de l'affaire, mais qu'une fois le fait avoué il ne tenait pas à se taire. Donc, il nous dit que la chair humaine exigeait un apprêt plus tons que toutes les autres; que, si elle n'était pas assez cuite, elle était trop ferme mais que bien cuite, elle était <e?;e comme </M pa~Mr. Et, en disant cela il tenait à la main un morceau de papier qu'il déchirait par ma-
nière d'explication. Il nous apprit que la chair qui se préparait alors ne serait pas cuite avant le lendemain matin; mais une de ses sœurs nous dit à l'oreille qu'il nous trompait, et que c'était au coucher du soleil qu'il avait l'intention de la manger.
Nous lui demandâmes pourquoi il avait fait tuer cette pauvre fille et comment la sentence avait été exécutée. ï) répliqua que son seul crime était de s'être enfuie de chez lui pour retourner chez ses parents. Alors il nous conduisit hors du village, et, nous montrant le pilier auquel il l'avait attachée, il se mit à rire en rénéchissant à la ruse qu'il avait employée pour donner le change à )a victime « Car, disait-il, je ne la menaçai que d'un léger châtiment; mais je tirai et je la frappai au cœur. Ces paroles barnares, cette naïveté féroce me giaca le sang, et je regardais ce sauvage avec un sentiment d'horreur, tandis qu'il se complaisait dans son récit. Et maintenant, le croira-t-on? ce barbare était, je )e répète, un beau jeune homme aux manières douces et affables. Nous l'avions admis à notre table, et il n'y en avait pas un parmi nous qui ne i'aimât beaucoup; ce qui n'empêche pas que la victime qu'il venait de tuer était une jeune fille de seize ans. Au récit détaitié de cet événement, nous sentions notre cœur se soulever d'horreur, et je crus que j'allais m'évanouir.
« Nous primes congé d'Atouï, et nous nous dirigeâmes de nouveau vers l'endroit où se faisait l'infernale cuisine. Nous n'y trouvâmes plus un seul Zeelandais. Une vapeur fétide, infecte, s'exhalait au-dessus du feu. Le chien, après avoir bien broyé la tête, s'en retournait pesamment, l'oreille basse, au village, et un faucon planait audessus du lieu de la scène, ftairant l'odeur du sang et de la chair. Cela était affreux o
M. Earle et le capitaine s'assirent tristement et vaguement attachés par ce sombre tableau. Le ciel était caché derrière de lourds et sombres nuages amoncelés; et ils écoutaient les
râlements sourds du vent qui faisaient ondoyer tes buissons en balayant les coteaux, et rendaient des sons en harmonieavecteurs pensées mélancoliques. Après avoir demeuré quelque temps en contemplation devant cette scène d'horreur, laissant éclater leurs maiédtctions contre les barbares, ils conçurent l'idée de tromper l'appétit cannibale d'Atouï, en détruisant les apprêts du festin. Laissant le capitaine faire sentineffe sur les lieux, M. Earle courut ao mouillage, rassembla le plus grand nombre d'Européens qu'il put, leur exposa l'affaire, en leur proposant de les aider à saccager la cuisine, et à enterrer ensuite les membres de la victime enfermés dans le four. Ils acceptèrent avec enthousiasme, s'armèrent de pelles, de pioches, et le suivirent sur les lieux.
Atouï et les siens avaient eu vent de ce projet, et s'étaient aussi portés sur les lieux pour en empêcher l'exécution. Il essaya plusieurs rois les menaces pour effrayer les étrangers, et paraissait profondément indigné deleur audace; mais comme les siens ne paraissaient pas désirer d'en venir aux mains avec les blancs, et semblaient tout honteux de leur avoir laissé découvrir leurs apprêts,onjes laissa faire. M. Earle et ses compagnons creusèrent une fosse assez profonde, puis ils attaquèrent le four. En déblayant la terre et les pierres encore chaudes, ils découvrirent les quatre membres à demi rôtis de la jeune fille. Des nuages de fumée et d'infectes exhalaisons faillirent à les suffoquer au plus fort de l'ouvrage cependant ils parvinrent à rassembler les principaux débris du cadavre. Le cœur était préparé à part, sans doute pour Atouï, comme le morceau le plus délicat. Ils déposèrent tous ces restes de femme dans la fosse qu'ils comblèrent, et détruisirent le four. "Le lendemain, ajoute M. Earle, notre vieil ami le roi Georges(le chef Choulitea à qui on avait donné ce nom) nous tit une longue visite, et nous lui parlâmes, sans nous échauffer, de cette abominable affaire. Il blâma hautement notre conduite.
D'abord, dit-il, vous avez risqué « votre vie pour une misérable échauf«fourée sans but, il fallait au moins « enterrer ailleurs les débris du festin « car, vous n'avez pas été plutôt par« tis, qu'ils ont exhumé le corps, n voyez-vous, et en ont dévoré jus« qu'au dernier morceau.
« Il ne se trompait pas, nous en avons acquis depuis la preuve incontestable.
« D'ailleurs, continua le roi Geor« ges, c'est une ancienne coutume, une coutume qu'ils tiennent de leurs "pères, que leurs pères ont consa"crée; et vous n'avez pas le droit de « vous jeter à la traverse dans leurs "cérémonies, quelles qu'elles soient. "Moi, j'ai bien voulu et non pas "pour vous complaire, messieurs les "Européens, renoncer au canniba« lis me cela est vrai mais vous « croyez vous en droit d'exiger la « même renonciation des autres chefs ? « Quel châtiment infligez-vous en « Angleterre, aux voleurs et aux dé"serteurs?
Quand on les a dûment jugés, répondîmes-nous, on les fouette ou on les pend.
«Hébientrép)iqua-t-i),i)vous « plaît de les fouetter et de les pendre; « a d'autres, il plaît de les tuer et de "fes manger. Voilà toute la diffé« rence.
« Après nous avoir ainsi f~?':M:aHdés, il nous fit des aveux fort curieux sur le chapitre du cannibalisme. Il se souvenait fort bien, nous dit-il du temps antérieur à i'époque (époque notable pour les Zeelandais ) où l'on avait introduit dans le pays les pommes de terre et les porcs. Alors, lui, qui était né dans un district de l'intérieur du pays et qui l'habitait, ne connaissait d'autre nourritureque ta racine de fougère et le AoxMera alors les indigènes ne faisaient pas même usage du poisson, et ainsi s'expliquaient leurs habitudes de cannibalisme. »
M. Burke pense qu'il n'est pas surprenant que cette nation de sauvages cannibates n'ait pas détruit l'esclavage, et qu'il est surprenant, au contraire,
qu'on l'ait conservé ailleurs plus ou moins tempéré. En effet, chez les Zeelandais, l'esclavage est revêtu de sa plus infâme livrée. Tout individu qu'une tribu peut capturer chez une autre tribu, est de droit esclave. Les chefs ne sont jamais faits prisonniers ou ils combattent jusqu'à ce que le dernier tombe, ou bien ceux qui restent sont décapités, et l'on conserve leur tête par un procédé particulier, pour servir de trophée à l'ennemi. Mais on attache beaucoup de prix à la capture des enfants; car une fois en la possession de l'ennemi ils sont esclaves pour le reste de leur vie, et ils ont la chance de servir longtemps. Chaque chef prend rang dans la société, en raison du nombre d'esclaves qu'il peut étaler, et ceux-ci n'ont guère d'autre moyen de sortir de leur état de servitude'qu'en provoquant la colère de leur maître, pour qu'il les tue dans un accès de rage:
En entrant dans un village, tes étrangers distinguent de suite les esclaves des hommes libres, quoique les traits et les vêtements soient absolument les mêmes. Mais un Zeelandais libre est gai, rieur; il ptaisantecontinuettement et son regard petitte de joyeuse humeur: l'esclave, au contraire, est morne; son regard est terne jamais un sourire ne rayonne sur ses lèvres, et il a presque toujours t'aird'un homme à demi-mort de faim. Ce qui caractérise le mieux les Zeeiandais au physique, c'est la beauté de leurs dents et de leurs cheveux les cheveux surtout sont extrêmement soignés, et forment après le tatouage leur plus grand ornement, mais les esclaves sont à moitié rasés. Aucun esclave mâle ne peut se marier, et s'il est surpris avec une femme, il est généra'ement puni de mort. Il est impossible d'imaginer des hommes plus compiétement séparés de la société, que ces ilotes zeelandais. Ajoutez à cela qu'ils ne peuvent compter sur une heure d'avenir, exposés qu'ils sont incessamment aux caprices meurtriers s de leurs maîtres. Bien plus, M. Earle prétend que si le hasard les a jetés aux mains d'un bon maître qui vienne
à être tué, ils partagent presque toujours son sort. Ainsi, ces pauvres esclaves n'ont derrière eux aucun aiguillon qui les anime, devant eux aucune espérance qui les attire comme les autres hommes:!) il n'est pas de zèle, d'attachement, de services rendus qui puissent les garantir de ta brutalité de leurs ma!tres. D'un autre côté, si l'esclave réussit à fuir, à retourner dans son pays, i! sera banni et méprisé des siens et, s'il meurt de mort naturelle, son corps est trainé hors du village, pour servir de but aux enfants et de pâture aux chiens Mais ces malheureux meurent assez rarement de mort naturelle, et sont presque tous assommés par leurs maîtres dans un accès de rage, et mangés par lui et les siens Quant aux femmes esclaves, bien qu'elles servent de maîtresses à leurs propriétaires quand elles sont jolies, elles n'ont guère plus de chances de bonheur ni de mort naturelle (*).
Voici quelques détails sur les progrès rapides de la cu!ture dans ce pays qui est à peu près inconnu, de même qu'une partie de la cote
« Sur tous les points du pavs que j'ai parcourus, dit M. Earle, j'ai eu la preuve de l'intelligence progressive des Nouveaux-Zeelandais. J'ai fait des excursions dans beaucoup de directions différentes; le sol m'a paru gras, bien arrosé et très-fertile, et toutes les terres qu'ont cultivées les habitants ont rapporté considérablement. On trouve dans la Nouvelle-Zeeland tous ou presque tous les simples connus; tous les arbres grands ou petits, tous les végétaux qu'on y a semés ou plantés jusqu'ici, ont parfaitement réussi, et il serait bien à désirer qu'on y introduisît toutes les herbes et tous les fruits d'Europe. Je suis bien certain qu'une fois ces essais en train, les farines seraient beaucoup plus recherchées ici que dans la Nouvctie-Gaties méridionale. ït n'est pas une p!ante ni un fruit importé ici par les missionnaires qui ne soient bien venus. ,Les naturels promènent les pêches et les C'.)Enrkec!Ear!e.
5G" /r:Q'As/M. (OC~ANT~.) T. tir.
melons d'eau à pleins paniers chaque jour de porte en porte, et les donnent presque pour rien, pour des bagatelles, comme un hameçon, un bouton, etc. Le blé d'Inde vient aussi très-bien et rapporte infiniment.
Dans ce pays, les liens du sang influent beaucoup sur la position sociale de chacun, et le fils alné d'une grande famille est, de droit, chef principal de son district ou de sa tribu, quand c'est lui qui peut réunir autour de lui le plus de guerriers de son nom; car ayant plus que tout autre la facilite d'avoir un très-grand nombre d'esclaves, il domine naturettement sa peuplade. Du reste, les autres chefs Je regardent tous comme leur pair, seulement ils lui doivent obéissance pour les intérêts généraux du pays, et c'est lui qui les conduit à la guerre. Selon MM. Burke et Earle, chaque chef est maître et seigneur dans sa famille; il a droit de vie et de mort sur tous les siens; mais nul homme n'est meilleur ni plus aimabie dans son intérieur, et il laisse jouir d'une liberté pleine et entière les enfants, jusqu'à l'âge où les filles sont formées et où les garçons sont en état de faire la guerre.Les Zeelandais idolâtrent leurs enfants et sont généralement bons et hospitaliers. Quand ils voyagent, c'estbien plus souvent te père que ia mère qui porte l'enfant encore trop faible pour !es suivre, et on voit Je mari lui prodiguer en souriant, tous les soins tendres et minutieux d'une nourrice. Dans plusieurs occasions la femme zeelandaise est traitée comme l'égale de son mari; ce qui distingue cette nation de presque tous les autres peuples sauvages. Quand ils ne sont pas en guerre, ce sont des gens gais, faciles, éminemment sociaux; mais aussitôt qu'on les blesse ou qu'on les raille ils deviennent furieux. Des hommes dont la passion n'a jamais été comprimée dans la jeunesse, et dont la grande maxime est d'effacer toute insulte ou passe-droit avec du sang, doivent être